Ymlad était perdu. Quelle bêtise avait-il faite de vouloir faire une balade dans cette forêt. Mais était-ce réellement sa faute ? Il n’avait jamais vu autant d’arbres, que les gens ici appelaient des “feuillus”. Ici, lui avait-on expliqué, ils perdaient leur parure à la Saison d’Aer pour ne les retrouver qu’à celle de Terra. Ymlad n’avait jamais vu ça. Dans la Plaine Glacée, les rares arbres qu’il y avait étaient des épineux, ils gardaient leur toison toute l’année.
Alors, bien entendu, quand il était arrivé à Havrejaune, et qu’il avait vu l’étendue de verdure au sud, il avait décidé, contre l’avis de tous les autres, d’aller s’y balader. Mais la curiosité était trop forte. Et les espèces d’arbres ici étaient encore différentes de celles près de Selmar, qu’il avait un peu cotoyé.

Bref, il s’était engagé tout guilleret et serein sur le sentier principal qui partait du village aux milles senteurs de fleur, en sifflotant, totalement imprudent et insouciant, comme un enfant. C’était un effet de son assurance à toute épreuve, associée à son envie de tout connaître de cette île. Jusqu’à présent, il n’avait jamais été plus en danger que lors de sa vie avec son clan, ce qui lui donnait l’impression que ce qu’on racontait sur les monstres hors Plaine Glacée était largement exagéré.

Sauf qu’à présent, il fallait qu’il se rende à l’évidence : il était perdu. Il était pourtant sûr d’avoir suivi le chemin. Mais il venait de regarder ses pieds, jugeant qu’il avait déjà bien parcouru cette forêt, et… Le sentier n’était plus là. Pas de chance pour lui, il faisait encore largement jour, donc, même en grimpant à un arbre, impossible de retrouver son chemin grâce aux étoiles. S’arrêtant alors, Ymlad fit un tour sur lui-même. Bon.

Quitte à devoir attendre la nuit pour rebrousser chemin, autant essayer de trouver un endroit sympathique où passer le temps. Il coupa donc à travers le bois, essayant de se faire discret, mais la végétation peu habituelle pour lui, et les plantes au ras du sol qui prenaient un malin plaisir à s’accrocher à ses vêtements le ralentissaient et le faisaient invariablement trébucher.
Après dix minutes éreintantes de marche à travers bois, il abandonna toute idée d’être discret et accéléra l’allure en grognant et en pestant avant de déboucher, après une énième branche cassée sous son pied, dans une clairière.
Se redressant, Ymlad s’essuya le front et soupira longuement en posant ses mains sur ses hanches. ENFIN, il allait pouvoir souffler.

… Sauf que non. De l’autre côté, une voix d’homme retentit, ordonnant de ne pas tirer, et l’instinct du chasseur, enfin, se mit en alerte, il leva automatiquement les mains en signe de reddition et posa son regard vers l’endroit d’où venait la voix.
Un homme se montra à moitié, annonçant être un Garde. Ca fit rapidement tilt dans l’esprit du Nordien. Ah oui. Il y avait des gens armés regroupés dans un truc qui s’appelait “la Garde Dorée”. Une sorte d’armée chargée d’assurer la sécurité des gens dans le sud. Obéissant au Prince de Lüh, la capitale ? Ca devait être ça.
Mais qu’est-ce qu’un Garde pouvait bien faire ici, en plein bois ? Et surtout, à qui avait-il parlé ?

Cherchant posément du regard un second individu qu’il ne vit pas, Ymlad répondit calmement sans jouer le fou. Pour une fois, son côté canaille se planquait dans un coin, sans doute ligoté par son instinct qui avait allumé l’alarme rouge dans son crâne.

“Ymlad Heliw, Chasseur.”

Simple, concis, son fort accent nordien était aisément audible mais il resta stoïque. Et se permit même de rajouter, l’air de rien :

“C’est par où, Havrejaune ? ”

Ne savait-on jamais, peut-être qu’ils lui donneraient l’info sans rechigner et qu’il pourrait s’en aller sans faire plus de vagues. Ce type, là, il avait pas l’air commode. Et si son acolyte était du même moule, Ymlad se doutait qu’il n’allait pas être accueilli à bras ouverts. Et puis, après tout, les raisons de leur présence ici étaient autant louches qu’elles ne le regardaient pas, donc… Autant tirer sa révérence rapidement sans demander son reste… Et penser à s’acheter des cartes pour se repérer, une fois à la Capitale.

Ymlad resta stoïque le temps que les deux autres s’organisent. Quand il nota que le type aux cheveux courts ne le considérait pas assez dangereux pour le garder en surveillance directe, il s’étira longuement avant de baisser ses mains.
Toutefois il ne s’avança pas, surtout quand il vit une espèce de furie sortir d’un buisson et tirer une flèche à côté du visage de son… A priori, partenaire ? Ah. Le deuxième larron. Et finalement peut-être le plus vénère malgré sa silhouette gracile. Quand celle-ci parla, ce fut sur un ton bas mais audible, où Ymlad n’eut aucun mal à percevoir la menace… Et le caractère féminin de la silhouette.

Il ne put s’empêcher de lâcher un léger sifflement mi-amusé, mi-peiné pour le type aux cheveux ras, en lâchant tout bas, pour lui-même :

“Par les Quatre, quelle harpie.”

S’avançant vers l’homme une fois que la furie avait disparu, et que le type aux cheveux ras lui demanda son badge, il tilta rapidement et soulevant le pan de sa capuche qui dissimulait son badge cuivré de la Guilde des Chasseurs. Il l’exposa suffisamment pour que son identité soit confirmée, puis le couvrit de nouveau quand l’autre se détourna sans un mot. Décidément entre les taiseux et les psychopathes, les gens du sud étaient vachement mal éduqués. Et dire que c’était lui qu’on considérait souvent comme un bouseux sauvage...

Ymlad observa l’homme qui grimpait dans l’arbre à l’aide de deux dagues, puis se souvint que personne n’avait jugé bon de lui indiquer la route. Il ouvrait la bouche pour redemander quand le type fini par lui donner une réponse. Et en retour un grognement sourd s’échappa de la gorge du géant nordique. De même qu’un :

“Sérieusement ? Suivre la folle ? Par les Quatre, la punition est sévère pour juste une perte de route dans une foutue forêt...”

Dit-il en levant les yeux au ciel, se plaignant visiblement plus en direction du destin que du Garde Doré. Ymlad opina néanmoins pour l’homme, puis lâcha sur un ton sincère quoique grognon :

“Merci à vous. Mais bon, entre le criminel et le pseudo guide, je me demande vraiment qui je dois le plus craindre.”

Conclut-il avant de rattraper la furie au petit trot. Avec ses grandes foulées, il la rattrapa bientôt suffisamment pour l’avoir en visuel. Toutefois, pas fou, il restait bien à trois, quatre mètres derrière. Déjà parce qu’il ne voulait pas se prendre une flèche entre les deux yeux -ou tout autre type d’attaque mortelle d’ailleurs-, mais aussi parce qu’il s'entraînait du coup à marcher le plus silencieusement possible, étudiant le sol entre deux coups d’oeil vers l’avant pour vérifier qu’il n’avait pas perdu son “guide” de vue.

Selon lui, son niveau s’était nettement amélioré après quelques dizaines de minutes de cet exercice mais Ymlad commençait aussi à sentir une certaine fatigue mentale ainsi que dans ses muscles crispés sous l’effort. Mais enfin, il n’était sans doute plus assez bruyant pour que l’autre ai envie de l’égorger n’est-ce pas ?
Et puis comme il n’avait rien dit, ne s’était pas plaint, n’avait pas grogné ni rien, elle allait bien être capable de garder ses nerfs sous contrôle hein ?
Dans le pire des cas… Oui, bon, il avait toutes ses chances contre elle, s’il ne lui laissait pas l’avantage de l’attaque surprise, jugea-t-il après un examen attentif du dos de la furie.

Quoi qu’il en était, ce chemin commençait à être passablement long. C’était quand, qu’ils arrivaient à ce Temple là ? Jurant en silence, Ymlad se mit à prier les Quatre pour que sa punition s’achève vite. D’une façon ou d’une autre.