Aujourd'hui, ceux qui croisèrent la capitaine Lù s'esquivèrent le plus rapidement possible. Véritable dragon, elle dardait ses yeux perçants sur chaque individu rencontré. Sa voix crachait un feu glacial, qu'il valait mieux subir en silence. Même sa fidèle lieutenante ne s'attarda pas en sa compagnie. L'air inquiet qu'elle osa lui adresser acheva d'attiser les braises de sa froide colère. Sa réputation de femme froide et implacable s'alimentait à merveille, par un temps pareil.

Depuis hier, l'émotion gangrénait son être. Impossible de s'en défaire. Aucune méditation ne put y remédier. Son bureau l'étouffait. Chaque regard lui semblait destiné. L'incompétence brillait dans les gestes et mots des soldats, voire certains gradés. Elle eut l'impression de ne pas avancer, découvrant pourtant une piste sur un criminel notoire de la région. Ça n'était pas assez.

De retour au manoir, la jeune femme parvint à éviter sa famille et ses liés. À son tour, le sommeil la fuit. Cette nuit agitée livra une frustration égale à la veille. Un constat qui l'agaça davantage. L'évidence cueillit son être avec lassitude. Il fallait évacuer le chaos pour ramener l'ordre. Heureusement, elle connaissait une solution alliant les plaisirs du corps aux affres de l'esprit. Tant pis pour les seconds, certains raccourcis valaient la peine d'être empruntés.

Assise dos à sa coiffeuse, Qilin contemplait l'éclat de la maille dorée, exposée sur un mannequin. Les petites mains de la maison s'étaient déjà occupées de la faire rutiler, pendant qu'elle prenait son bain. Ses doigts graciles effleurèrent le plastron aux couleurs princières. L'ongle aiguisé de son index crissa faiblement contre le métal, puis se tapit entre ses canines. La pose lui donnait un air de prédatrice. Le Sanza royal dans toute sa splendeur.

La fille Lù pivota sur son siège, revenant au miroir et à son apparence. Ses longs cheveux noirs étaient relevés par un chignon simple, qui les laissait élégamment tomber sur ses épaules. Son corps se couvrait d'une robe satinée, ample, et sombre comme la nuit. Fendue au niveau des épaules et des cuisses, elle dévoilait ses membres finement musclés, d'une pâleur lunaire. Seul son visage recevait les rayons d'Ignis, avec une légèreté caractéristique de son grain de peau.

Le glissement d'un panneau de bois saisit l'attention de la brune. Elle resta immobile, appliquant un trait d'un orange vif sous ses yeux. Grâce au miroir, elle repéra la figure maternelle se découpant désormais dans l'entrée. Les deux femmes demeurèrent silencieuses. La plus âgée observait, l'esquisse d'un sourire peint sur ses lèvres pulpeuses. Les mêmes que la troisième de ses filles. Au bout d'un temps elle s'avança, et posa délicatement une main sur la clavicule de son enfant. Sa voix douce et profonde s'éleva comme une brise calme et chaleureuse.

« Prends le temps dont tu as besoin. »

Une légère pression accompagna ses propos. Qilin se crispa entièrement. Elle produisit un effort considérable pour maintenir les traits de son visage en place. N'attendant pas de réponse, sa mère s'éclipsa. Elle finit d'accentuer la profondeur de son regard ténébreux puis s'engouffra à l'extérieur. Une calèche l'y attendait. Le chauffeur la conduisit au Chant des Quatre, où on la laissa rentrer sans l'examiner. Elle n'avait jamais eu à fournir quoique ce soit ici.

Les fragrances délicates et l'ambiance feutrée séduisirent immédiatement ses sens. L'endroit se jouait des murs et des colonnes pour créer des espaces intimes, relativement à l'abri des regards. Le même jeu se répétait à l'étage, avec plus d'évidence encore. Et bien sûr, au second niveau, il y avait les chambres privées.

La noble rejoignit d'un pas calme le premier escalier. Elle s'installa dans l'une des alcôves offrant une vue sur une partie du rez-de-chaussée. Le divan en cuir de Bibi apportait un confort délicieux, et formait un arc de cercle autour d'une petite table de bois ciré. Une demoiselle aux cheveux de blé l'accueillit rapidement.

« Que désirez-vous, ma dame ? » La cliente lui accorda brièvement son attention avant de la reporter distraitement sur les allées et venues plus bas. « Vous avez du thé, il me semble. Je souhaite quelque chose de corsé. »

Puisqu'elle n'ajouta rien, la serveuse s'exécuta d'un signe de tête respectueux. La boisson servie, Qilin en huma le bouquet plusieurs secondes. Le liquide chaud enveloppa son être dans un cocon de plaisir. Elle expira longuement, et commença à se détendre. Sans inspiration ni désir particulier, ses iris de jais continuèrent leur balade.

Tasse en main, elle finit même par s'avancer sur le balcon, et s'y accouder gracieusement. La figure familière qui pénétra dans l'enceinte quelques minutes plus tard attira curieusement son intérêt. Il n'était pas étonnant de trouver Braith Caelum dans cet établissement. Celle-ci s'offrit rapidement les plaisants services de la maison. La capitaine l'observa un moment avant de faire signe à l'un des employés.

« Cette femme, apportez-lui un verre. Un alcool fort mais doux en bouche. Légèrement sucré. »

La seconde consignée donnée, elle retourna prendre possession du divan, un sourire naissant sur ses lèvres flamboyantes. L'homme transmit le tout à l'ancienne garde dorée, qui avait fini son plat depuis peu.

« De la part de Madame. » Il pointa l'emplacement de la généreuse inconnue. « Elle vous invite à la rejoindre après votre verre, si seulement vous en souhaitiez un deuxième. »

Plusieurs chemins conduisaient à la détente, ici. Qilin venait d'ouvrir une porte, sans s'attendre nécessairement à ce qu'elle soit empruntée. Sa patience retrouvée nourrissait une certaine sérénité. Alors, quoiqu'il arrive, elle était bien engagée. Un fin sourire flottait toujours sur ses lèvres.

Il s'éclipsa à l'arrivée de Braith. Cette dernière mit une précieuse seconde à la reconnaître. Probablement trop absorbée par la contemplation de sa tenue. Elle passa du ravissement à l'agacement en un éclair. Brut. Honnête. La brune assise en face s'en délecta avidement. Elle attendit.

Si ce n'était l'expression de son ego enflammé, une conviction muette lui indiquait un retour tout aussi fulgurant. Et, en effet, l'ancienne soldate prit finalement place à sa gauche. Le regard sombre ne quitta pas son pair outremer, qui happait les courbes de son corps avec appétit. Les apparentes comme les sous-entendues. Elle, avait déjà eu l'occasion de souligner ses muscles saillants depuis le balcon. La distance restait dommageable. Pour l'instant, cela lui convenait.

Ce changement d'avis s'accompagna d'un air naturellement défiant. Le coin de sa bouche s'étira avec amusement, un brin jugeur. Qilin resta silencieuse. Elle porta lentement le verre à ses lèvres si joliment courbées, et but la dernière gorgée. Les iris de jais s'attardèrent sur le fond cristallin, qu'elle fit valser d'un geste maniéré. L'un de ses sourcils se fronça légèrement, l'autre se souleva. En inspirant, elle lâcha un faible soupir. Son timbre hasardeux creusa publiquement les méandres de sa mémoire.

« Et… quelle était votre proposition déjà ? » Elle marqua une pause, reprit avec négligence : « Ah, oui. Quelque chose comme astiquer mon armure. »

La main posée sur le sofa manifesta le même dédain. Son rire à la fois suave et hautain ne dura que quelques secondes. La noble jeta brièvement son attention sur sa compagne de table. L'évidente allusion fut coupée par un sérieux cassant.

« J’ai des domestiques pour cela. » Puis elle glissa sur le précédent terrain avec son agilité d'épéiste. « Si c’est là votre seul intérêt, Braith, il s'avère un peu trop modeste pour moi. »

Elle dut retenir un coup de langue, afin de ne pas trop appuyer son prénom. Mais elle enchaîna, subtilisant savamment toute opportunité. « Enfin, nous verrons. »

L'ébène scintillant plongea soudainement dans les abysses maritimes. Il s'y accrocha avec un éclat perçant. Les flammes peintes sous ses yeux intensifiaient aisément l'échange.

« Vous souhaitez ce deuxième verre, puisque vous m'accordez à nouveau votre temps. Faites donc signe au serveur, qu'il vous l'apporte. »

Braith capterait plus facilement l'attention du personnel, de sa position.

La répartie aguicheuse de la guerrière se montra à la hauteur du temps où elle était garde. Emplie de fierté, pour la première. La désignation par son grade l'intrigua, sans vraiment la surprendre. La force de l'habitude ou du respect ? Qilin n'en prit pas ombrage, au contraire. Ce simple mot alluma une étincelle au creux de ses reins. Elle éclaira en partie son choix.

La seconde s'avéra plus cinglante. Elle pouvait déjà s'offrir n'importe qui ici. Aucun intérêt ne résidait dans l'idée de la payer également. Le tout s'acheva sur la ligne de ses jambes, dévoilées par le tissu sombre. Qilin suivit son regard, toujours amusée sans le montrer. Cette attitude seyait merveilleusement au jeu de la noble. Un sourire éclaira les perles de jais. Nulle déception n'entravait ce début de soirée.

Son intérêt ? Oui, bonne question. Pourquoi elle ? Une ancienne soldate formée dans sa garnison. L'amie de Jie. Une femme dont elle connaissait certains fondements psychiques. Un plan professionnel et personnel entremêlé. Quelle stupide idée. Or Braith était aussi brute, honnête, fière, cinglante, aguicheuse, joueuse. Tout ce qui pouvait lui servir en l'instant.

« Non, ce n'est pas l'ennui. »

Une négation assurée, presque implacable, qui s'ouvrit considérablement, distillant un peu de chaleur dans son timbre mystérieux. La guerrière à la lance aurait peut-être aimé une précision. Tant pis. Elle ne l'avait pas invitée dans le but généreux de satisfaire sa curiosité, mais la sienne.

Malgré son attitude imitant la sienne, jusqu'à plonger inconsciemment dans sa gestuelle, les intentions de la fille Caelum restaient claires. Tant mieux. Lorsque cette dernière saisit à nouveau son verre, les doigts fins de la gradée s'interposèrent. Délicatement, prenant soin de ne pas toucher sa main, ils subtilisèrent l'objet. Qilin le porta à ses lèvres pour en humer le parfum.

« Attirée par la douceur ? »

Question rhétorique, puisque sa voix portait déjà la trace de la déception. Un sourire plus évident marqua ses traits sibyllins. Ses iris se gorgèrent d'une ombre maligne, qui se faufila jusqu'au regard outremer.

« Vous souhaitez que je reste votre capitaine ce soir ? »

Moins docile qu'en début de conversation, la lancière se défendit d'une telle accusation. Ses réponses flattèrent l'ego de la bretteuse, floutant agréablement la barrière entre partenaire et adversaire. Braith relevait ses choix avec justesse, et intérêt. Est-ce qu'elle se laissait guider consciemment sur le chemin tracé du fil de son épée ? Quoiqu'il en soit, la noble éprouvait une satisfaction croissante.

Soudain, un contact. Étonnamment, Qilin ne le fuit pas. Elle laissa faire. Il fallait bien, un peu. Le jais sombra dans l'océan sans gêne. Cet effleurement offrait les prémices du plaisir, et ces mots une promesse sensuelle. Un léger frisson sinua entre les vertèbres de la soldate. Une malice complice sembla étirer ses yeux comme ses lèvres.

« Ce serait une première pour vous, d'obéir aux ordres de la Garde Dorée. »

Puisque la guerrière avait changé de position, elle fit de même. Verre toujours en main, son bras gauche glissa le long du dossier. Il se tenait à quelques millimètres des doigts de Braith. Son buste pivota sensiblement vers elle. Et sa jambe droite, support de sa précédente posture, inversa la tendance. En passant par-dessus sa paire, elle s'aventura vers le large pantalon de la jeune femme. Le bout de sa botte noire remonta lentement vers son aine.  

« J'aime l'idée… » Et s'arrêta juste avant. « ...d'avoir à vous plier. »

Le cuir dévia sa course pour finir sur les abdomens impeccablement dessinés. De son talon, la capitaine appuya jusqu'à faire reculer son vis-à-vis, qui s'était rapprochée pour saisir son bien un peu plus tôt. Lorsque le sofa magenta accusa le poids de ce corps savamment musclé, elle relâcha la pression.

Qilin expira doucement, en achevant de croiser les jambes. Le sourire dessiné sur sa pulpe orangée ne s'envola pas. Le jais de ses iris perçants non plus. Il n'y avait pas besoin de plus. Elles pouvaient monter à l'étage dès à présent, ou même s'en passer. Mais, en digne félin, elle n'avait pas encore assez joué. Dans l’attente se trouvait un délice certain, quand le résultat était inéluctable.

Son timbre ferme imprégna leur alcôve avec autorité.

« Commandez-moi quelque chose à boire. Sans alcool. »

Braith s'exécuta sans rompre leur échange visuel. Aucune des participantes ne cilla. La faim lue dans les iris marins avait aiguisé celle de la capitaine. Mais la soif serait la première satisfaite. Peut-être. Le jeu se poursuivait.

Puisque leur langage se parait encore de mots, la conversation reprit. Même si la guerrière tenterait sûrement de riposter à son petit manège. Sa vantardise remonta naturellement à la surface. L'amusement de la gradée s'accompagna d'un bref et discret soupir. Il recelait tant qu'il ne laissa rien deviner.

Elle observa ensuite, un sourcil levé par intérêt, la jeune femme s'imposer comme serveuse, et personnaliser sa commande avec soin. Les perles de jais suivirent précisément ses gestes. Cette création émanait de son expérience, forte d'un penchant pour la boisson, ou d'un talent pour l'alliage des goûts en bouche ? Elle chassa la question de ses pensées.

Portée par l'audace, Braith se rapprocha. Le doux revêtement en cuir ne manifesta aucune opposition à l'avancée de son genou. L'habituelle méfiance de la fille Lù se tut, noyée dans le désir. Qilin resta également silencieuse. D'ordinaire, les bavards l'agaçaient. Le lieutenant Udnat ne gagnait pas tout le temps sa patience, par exemple. Ici, la situation lui convenait. Aucun obstacle ne se dressait devant le charme qui, en cernant le besoin de résistance, s'avéra habilement tissé.  

Sans l'ennui pour la freiner, elle acquiesça, curieuse. Un tel degré de mise en scène attisait les attentes. Ce second contact la crispa sensiblement, puis envoya une décharge le long de son échine. Son souffle chaud caressa le pouce en début de retraite. La noble récolta gracieusement le liquide de sa langue, et ferma les yeux pour le savourer. Exquis. La surprise manqua de céder un faible gémissement.  

L'ancienne soldate conserva son bien. Un juste retour. Elle tenait agréablement la cadence, pour quelqu'un ayant passé des années à gâcher son potentiel. Son invitation baignait dans l'arrogance. Qilin sentit la frustration pointer le bout de son nez. Un plaisir.

Profitant de la taquinerie, elle détourna le regard pour étudier l'espace à sa disposition. « Je ne suis pas sûre que vos initiatives auraient plu. »

L'ébène fixa le liquide rougeoyant avec intensité. Une attention vite déversée dans l'outremer. « Vous avez toujours été téméraire. » Son corps gracile vint chevaucher la lancière en la touchant le moins possible. Elle maintint sa position en appuyant sa main droite sur le sofa. « Mais décidément, vous n'allez pas jusqu'au bout des choses. » Verre d'alcool dans la gauche, elle prit une gorgée.

La puissance des arômes distilla une chaleur enivrante dans tous ses membres. Elle la garda en bouche et reposa l'objet sur la table derrière. Ses yeux pétillèrent d'une malice et d'une excitation gourmande. Du pouce et de l'index, elle se glissa délicatement entre les lèvres de sa cavalière, et délia ses canines. L'humidité gagna sa peau de lune, galvanisant ses sens dans une fébrilité contenue.

La pulpe orangée effleura la plus cuivrée, et libéra lentement le flot prisonnier. Leur propriétaire joua de son équilibre pour récupérer sa main gauche et subtiliser son propre breuvage. L'échange terminée, l'agile bretteuse se recula prestement et s'assit sur la surface en bois. Ses jambes se recroisèrent par automatisme, sans atteindre le sol.

« À votre soirée, Braith. »

Elle dégusta la commande de sa partenaire sans effacer l'insolence de ses traits. Puis conclut avec un timbre affolant de volupté.

« Vous avez bon goût. »