L'inconscience m'enveloppant dans son linceul, je ressentais à cet instant comme une sorte de quiétude, comme bercée par une nuage doux. Sans doute le plaisir de quitter ce monde plein d'anxiété, de frustration et d'injustice. Quant à mon repos, lui au contraire, n'avait pas été très serein. Sans me laisser aller a quelques grognements ou ronflements, mes traits n'avaient cessés de se crisper. Comme si, en rêve, je faisais face à tout mes démons. Cela avait été le cas, car chaque nuit depuis lors, je voyais son visage ainsi que ceux, réprobateurs, de mes parents. Le point de départ de toute ma vie revenait sans cesse. Si j'avais pu émerger à ce moment là, j'aurais sans doute craché au visage de cet homme bourru, toute l'amertume que je ressentais à propos de son geste. Qui était-il pour m'imposer de sombrer ainsi ? Personne.

Pourtant, mon éveil se faisait sur ce qui me semblait être une arrivée. Grimaçante et accompagnée de quelques gémissements discrets, j'ouvrais les paupières sur un village fortifié. Mais ce qui me mordait en premier lieu était le froid environnant. Un puissant frisson me saisit, avant de retrouver plus de lucidité, regardant tout autour de moi. Je notais des bras m'enlaçant, un regard en arrière me rappelait le visage de cet homme silencieux à la chevelure blonde. Ah, oui. J'étais captive d'un groupe de Nordiens. La barbe. En parlant de barbe, étrangement je me mettais à chercher un homme en particulier dont je repérais le dos un peu plus loin. Un légère grimace vient alors ternir mes traits si doux, avant de me recroqueviller pour tenter de conserver le peu de chaleur que mon petit corps produisait.

La suite des évènements se fait, bien malgré moi, assez naturellement. On me fait descendre, je repère tant bien que mal la manière dont on traite mes gens et jusqu'où on les mène. Quant à moi, on m'accompagne à travers le village en ébullition et en liesse de retrouver leurs combattants victorieux. Serrant mes bras autour de moi, je me sens pour ainsi dire, de trop ici. Ce n'était ni mon élément, ni le genre de personnes que je côtoyais à l'accoutumée. Conservant alors la mine basse et le silence, je me laissais entrainer, mise en attente, puis guider à nouveau. On me fait ensuite entrer dans un bâtisse de pierre, avant de me présenter à une petite pièce rudimentaire.

Interdite par le manque de confort, je reste plantée dans l'embrasure de la porte jusqu'à ce qu'un léger élan me soit donné d'une main dans le dos. Les bras croisés, je m'enserrais plus fort encore, plantant mes doigts dans le frêle tissu sous cette lourde cape. La porte se refermait derrière moi et à nouveau, je restais immobile au milieu de la petite pièce. Combien de temps exactement ? Je ne saurais dire, mais je finis par m'asseoir de tout mon poids sur ce lit de paille qui me pique les cuisses et les fesses. Je grimace mon inconfort, essayant tant bien que mal de trouver un moyen de ne pas m'abimer la peau.

Assise, seule et silencieuse, mon regard voguait dans la pièce, sans conviction. La solitude me permet alors de laisser à mon visage tout le loisir d'exprimer sa détresse. Plus que de la détresse, j'étais anxieuse, perdue et alarmée. Comment allais-je bien pouvoir me sortir de là sans encombre ? Le temps me laisse y réfléchir sans m'apporter de réelle solution. J'entends alors de lourds pas s'approcher de mon antre avant d'ouvrir la porte. Je reprends alors immédiatement contenance, me raidis le dos et pose mes mains sur la paille, croisant les jambes et arborant maintenant un visage détendu et complaisant.

Apparaît devant moi le porteur de barbe, vêtue d'une manière bien plus confortable que tout à l'heure. Conservant ma position, mon visage se lève vers lui, sans sourire ni bienveillance, mais avec largement de quoi démontrer que j'allais bien. A sa question, je me permets un léger rictus et un hochement de tête.

« Parfaitement Monsieur Hawkes. Par ailleurs, votre tenue est charmante. »

Je laisse planer le silence un bref instant, le fixant d'un air aimable. Ce n'était pas vraiment un mensonge, j'avais après tout plutôt du mal avec les armures de toutes sortes. Tant par celle de la milice qui m'avait arraché mon seul réel soutien que par la dorée qui faisait montre d'arrogance, a l'image de ce frère ingrat et fier.

« Qu'en sera t'il de la suite des évènements ? »

Une mine interrogative de circonstance parait maintenant mes traits, reprenant également l'air distingué qui ne me quittait jamais en public. J'avais évidemment toujours dans l'idée de discuter avec lui. Que dis-je ? De négocier ma libération et celle de mes gens, mais tout vient à point à qui sait attendre. Inutile de l'assommer dans l'immédiat, je saurais l’appâter et le faire venir, de lui-même, à moi.

Un léger rictus, digne d'un sourire des plus sincères, m'échappe en réponse à sa reprise. Une faute loin d'être condamnable, mais qu'il ponctue d'une once de moquerie qui ne m'échappait aucunement. Je concédais cependant mon erreur et l'acceptais volontiers d'un faible hochement de tête couplé d'un sourire.

« Mes excuses, Monsieur Hawke. »

Concernant la suite de ses paroles, je ne pouvais en dire autant. Mon sourire disparaissait lentement, pas complètement cependant pour conserver un minimum de stature, mais je ne pouvais cependant pas retenir la sueur froide qui glissait dans mon dos. Il me forçait même à ravaler ma salive discrètement. Par les Dieux, je m'attendais évidemment à peu de considération de sa part, de leur part à tous, mais l'entendre de sa propre bouche était tout autre chose.

Leur manière ne m'était pourtant pas inconnu, depuis toute petite on me les comptais comme des fables destinées à remplir d'effroi les plus fragiles d'entre nous, ou à nourrir une certaine rancœur chez les plus téméraires. De tout temps, je ne m'incluais dans aucune de ses deux cases, mais aujourd'hui je n'en était plus vraiment sûre.

Cependant, je notais l'once de sournoiserie dont il faisait preuve, digne d'un aristocrate hypocrite. En d'autres circonstances et commençant à connaitre l'homme qui me faisait face, j'aurais pu en rire. A cet instant évidemment, l'envie me manquait. Je lui accordais néanmoins un sourire amusé.

J'inspirais discrètement par le nez, retrouvant mes esprits avant de poursuivre en suivant du regard les indications de son doigts. Ma geôle dépendrait donc de ma tenue. "Sage" ? Pourquoi donc étais-je intimement persuadé que le sens qu'il donnait à ce terme n'était pas le même que le mien ? Risible n'est-ce pas ?

« Soyez tranquille, je n'ai pas l'intention de crier. »

Un petit sourire, entre taquinerie et mesquinerie, étirait mes lèvres. Il en comprendra le sens qu'il souhaitera, de nombreuses possibilités s'offrait à lui et selon sa réaction, cela me permettrait même peut-être de jauger davantage le genre d'énergumène qu'il était.

Mes doigts pétrissaient toujours ma peau rose sous cette lourde cape qui ne suffisait pas à me réchauffer. Contenant mes tremblement du mieux que je le pouvais, mon regard n'avait jamais quitté le sien tout ce temps. Je me questionnais sur le moment le plus opportun pour lui faire part de mon offre. Assurément, ce n'était pas maintenant. Je n'étais guère en bonne posture et lui était bien trop imposant.

Prenant un air interrogatif et intéressé, je le questionnais sur un point en particulier.

« Abuserais-je de votre sollicitude en vous demandant le sort qui est réservé à ma présence, si chère ?»

J'insistais à ne pas finir sa citation. Car j'étais définitivement un avantage bien plus pécuniaire que voué à réchauffer des cœurs qui me semblaient déjà bien trop congelés. Je ne doutais pas qu'il en avait conscience, mais je tenais à lui rappeler qu'usé à bon escient, il ne pouvait qu'améliorer son rendement. Tout en m'assurant la vie sauve évidemment...

Visiblement, ma petite entourloupe avait fait mouche et suffisamment pour la bloquer quelques secondes. J'aurais bien pu en être fière, si il n'avait pas poursuivis avec un rire aussi bourru que lui. Comment aurais-je dû prendre cette réaction ? Si j'étais un peu simplette et appréciant les intérêts triviaux, j'aurais sans doute pu m'en offusquer, mais honnêtement, je n'en avais que faire. Car finalement il avait l'air de le prendre au sérieux et c'était davantage ce genre de réponse qui pouvait me faire perdre pied. Cela dit, c'était ce à quoi je m'attendais, alors ce frisson instinctif n'avait que faire ici. Je ravalais difficilement ma salive alors qu'il avait quitté la pièce, peut-être pour s'assurer qu'on ne le dérangerait pas. Quelle idiote je suis à ainsi user et abuser de stratagèmes alambiqués, avec ce genre d'énergumène je prenais bien trop de risque. Quoi que, le statut ne veut rien dire...

Il revient et se présente à moi sur un chaise, assis à l'envers, comme prêt à me dévorer du regard. C'est d'ailleurs ce qu'il semblait faire, plus que de m'écouter. Une lueur charnelle et ces mâles perdent instantanément tout discernement. Pire encore, voilà qu'il me demandait de parader comme une bête. Par les Dieux, qu'est-ce qui m'était passé par la tête ? Je serais la peau sous mes doigts, bien plus intensément que seulement par le froid et me levais sans broncher. Parader disais-je, me voilà en train de tourner sur moi-même lui offrant mon corps dans les moindres détails. Heureusement que la cape qu'il m'avait laissé en camouflait une large partie. Si mon regard avait conserver un maximum de sérénité jusque là, dos à lui, je me permettais de fermer les yeux et froncer les sourcils de crainte, avant de retrouver une neutralité sans pareil lui faisant à nouveau face.

Ma situation était grotesque, mais je l'avais bien cherché. A quelle sauce me mangera-t-il ? Visiblement pas tout de suite en tous les cas. Je fronce légèrement les sourcils en l'entendant demander à ma geôlière de quoi m'habiller. Quel étrange note de sollicitude, j'en restais pantoise, me rasseyant lourdement à sa demande. Le regard au loin, j'observais ma garde s’exécuter sans broncher et m’interrogeais sur les motivations de ce Hawke une fois mon regard retombé sur lui. Une once de lucidité me transperçait alors et un léger rire s'en suivait. Allons Brisielle, pensais-tu vraiment que l'homme en face de toi pouvait se soucier de ton confort ? Tu n'es après tout qu'une marchandise, comme le reste. Ce qui l'inquiète réellement ne peut-être autre que l'état de ma valeur.

Je secouais imperceptiblement ma tête, me flagellant mentalement d'avoir pu être si sotte, même l'espace d'une seconde. Quoi qu'il en soit, je ne devais rien en montrer et lui offrait un sourire timide en remerciement, ainsi que de faibles mots, faisant mine d'être presque gênée.

« Merci... »

La réalité me retombe cependant un peu brutalement dessus. Un air malicieux ne me disant rien qui vaille illumine son regard, avant de me questionner. Bien, quelle était la meilleure réponse à donner ? Abuserais-je du jeu taquin qui nous liait jusqu'à présent, ou ferais-je plutôt preuve d'un peu d’honnêteté pour renouveler le rythme ? J'inspirais discrètement avant de prendre ma décision, faisant mine de réfléchir une seconde.

« Hm. En toute objectivité, je pense pourvoir prétendre à la liberté. Contre une belle rançon évidemment. »

Ponctuais-je en retrouvant son regard. Point de sourire ici, nous parlions affaire et le sérieux avait regagné mes traits. La solution d'attendre leur fête ne me paraissait pas des plus judicieuses, il fallait qu'il ai l'esprit clair au risque de ne pas tenir rigueur d'un quelconque accord au levé du soleil. Je me redressais alors un peu, légèrement affaissée jusque là par le poids de la cape.

« Cependant, Monsieur Hawke... En faisant preuve d'un peu plus de miséricorde encore, vous pourriez non seulement augmenter ce gain, mais également bénéficier d'une rentrée d'argent régulière. »

Bien, l'hameçon était lancé, ne me restait plus qu'à agiter un peu la ligne. Conservant mon air sérieux, je continuais.

« Dîtes-moi, combien pensez-vous tirer de vos futures ventes d'esclaves ? »

Point trop n'en faut pour le moment, je devais me concentrer sur la partie qu'il ne souhaitait pas garder. Pour négocier davantage, il fallait déjà qu'il envisage de me la céder. Il fallait aussi que je me renseigne sur son désir de vendre des calis ou non, mais sur cette partie, leur valeur m'était évidemment déjà connue.

« Et les calis ? »

Sans crier gare, un frisson s'empare de mon échine à sa réponse. Évidente pourtant, cela ne faisait aucun doute que j'essayais de négocier, mais... Était-ce la première fois qu'il m’appelait Brisielle ? Fronçant les sourcils et baissant un instant les yeux de réflexion, je me souvenais que non. A l'inverse des autres fois, c'était celle là qui m'avait interpellé, piquée même, sans savoir réellement pourquoi. Mon regard se teintait d'une dureté qui se souhaitait compenser mon inconfort. A l'instant, il m'était impossible de mettre le doigt sur son origine, même en y songeant intensément. Alors plutôt que de me perdre en réflexion, je m'investissais dans notre conversation.

Je me permets alors un léger sourire de convenance à la suite de ses propos, a la fois très vrais et peut-être même un peu trop, comme d'une évidence affligeante.

« Rien d'étonnant à cela si les Nordiens n'entrent en contact que par la force. »

Un léger sourire ponctue alors mes propos, je n'avais pas pour habitude de me laisser faire aux amalgames sans rétorquer. Qui sait, peut-être qu'en d'autres circonstances ma vie n'aurait pas été en danger et aucun besoin de négocier ne se serait élevé. L'un dans l'autre, nous étions tout les deux fautifs des stéréotypes, mais pour ma défense, c'est lui qui avait ouvert les hostilités. Je n'étais que contrainte de le suivre et rien d'autre.

Bien, ils allaient traiter convenablement mes calis, du moins, aussi bien qu'ils en étaient capables ce qui me laissait l'amer présage que ça ne serait pas suffisant. Étonnamment et pour la première fois, son trait d'humour ne me fait pas sourire, enfin, je ne le force pas. S'il se complaisait à nourrir les banalités d'usage à leur égard, grand bien lui fasse. Pour ma part, je n'avais guère envie d'y participer en cet instant. Étrange d'ailleurs, voilà fort longtemps que je n'avais forcé mes traits. Doux repos d'un seul instant, car déjà la suite attire un sourire complaisant.

Intrigué dit-il ? Si c'est réel, tant mieux. Sinon...

Un nouveau frisson, tout aussi étrange. Ses mots me piquent à nouveau, d'une manière qui m'étaient étrangère. Oh, ils étaient nombreux à avoir tenté flatterie et éloge, auxquelles je me pliais, jamais volontiers, mais tant qu'ils y croyaient cela me suffisait. Là, face à un « sauvage » comme il s'amusait à le répéter, il y avait quelque chose de déstabilisant. Il m'était impossible d'être certaine de l'intention derrière ces paroles. Si je me laissais prendre à son jeu, je pourrais penser que la franchise faisait parti de leur façon de communiquer, mais les habitudes ont la vie dure, alors je me retenais de me laisser prendre. De toutes manières, que pouvait-je bien en faire ?

Un nouveau sourire teintait mes traits, accordant à mon visage un air doux et fier à la fois.

« Si c'est mon avis que vous souhaitez, elle n'a pas de prix. Mais rassurez vous, les Luhiens sauront lui en donner un. »

Pas les miens, pas ma famille. Sur ce point je pouvais suivre ses stéréotypes et même y adhérer complètement. Ils n'étaient que des Luhiens pour moi aussi. Avec tout ça, j'en oubliais presque la nature de ma négociation, du moins, je l'avais mise de côté un instant. Et contre toute attente, je la laissais là, sans y revenir de moi-même. Ainsi, je pourrais mesurer l'intérêt qu'il disait lui porter pour m'y ajuster.

« Et vous Monsieur Hawke, a combien estimez vous vos efforts ? »

En réalité, derrière cette question, il n'y avait aucun objectif. De la curiosité peut-être, en réponse à sa question surtout. Voir pour faire la conversation. Étonnant. Voilà qui me sortait de mes habitudes.

Pourquoi diable rit-il si fort ? Une légère crispation tire mes trais quand j'entends ses éclats bourdonner dans le creux de mes oreilles. Cette propension qu'il avait de si facilement laisser ses émotions s'exprimer avait réellement quelque chose de déstabilisant pour moi, par manque d'habitude certainement. Quoi qu'il en soit, sa réponse n'était pas des moins intéressantes pour moi, au contraire. Lui offrir quelque chose qu'il obtiendrait sans effort captera inévitablement son intérêt, j'en étais maintenant persuadée. Alors un fin, si ce n'est indiscernable, sourire étire mes lèvres.

C'était sans compter la réapparition de ma geôlière qui attire mon regard et mon attention avant qu'ils ne reviennent sur M.Hawke, déroulant son corps massif jusqu'à se redresser entièrement, suivi de haut en bas par yeux avant de s'en détourner et accueillir les vêtements qu'on me tendait sans mesure. Les tenants fermement sur ma poitrine, il était absolument hors de question que je me change à la vue de ces deux là. L'insistance et la légère sévérité de mon regard à M.Hawke suffirait, je l'espère, à lui faire entendre cela.

Sortir de ma cage dorée ? Ces mots me laissaient perplexe. Parlait-il de ma prison actuelle, qui n'avait rien de rutilante, ou de ma vie en générale ? Je gardais cette interrogation pour moi-même avant qu'il ne ferme la porte. Je penchais pour la seconde option naturellement et ne m’empressai guère d'enfiler les guenilles qu'il m'avait si généreusement offert. La caresse de la soie quittait ma peau pour accueillir la rugosité du lin, de peau mal traitée et autre matière dont je ne préférais même pas connaître l'origine. Je n'avais pas de miroir, mais n'en avais aucunement besoin pour deviner l'allure hideuse que cela devait m'octroyer. Je pestais et grondais nerveusement, mais tout aussi discrètement, pour peu qu'on m'entende, avant de me rasseoir lourdement sur ce qui me servirait de lit ce soir.

Je ne saurais dire combien de temps j'avais patienter, mais la porte s'ouvrant me fait me redresser prestement, m'offrant la vue de ma garde et d'un inconnu qui me sommait de le suivre. J'étais méfiante évidemment, mais n'avait aucun intérêt à me montrer récalcitrante à ce moment là, alors sans broncher je les suis, la tête basse et l'air quelque peu miné. Il ne faudrait pas qu'on me croit trop confortable à cette situation. J'essayais d'observer autour de moi, mais ne discernais rien d'exploitable si ce n'est le froid qui mordait et faisait rougir mes pommettes et le bout de mon nez. Mon souffle était palpable et visible, comme une traînée de fumée et je me serrais pour me réchauffer. Pas étonnant que son corps soit si massive, avec une telle température, il valait mieux avoir de quoi protéger ses organes.

Nous arrivons alors vers une grande bâtisse d'où provenait des éclats dignes de festivités qui m'étaient inconnues. Des grossièretés, des fracas de choppe tintaient sans retenue et je raclais ma gorge pour contenir les préjugés que je pouvais avoir de tout cela. Je n'étais pas particulièrement favorable aux faux semblants de Lüh, mais l'opposition ici était trop brutale. J'entrais donc maintenant dans ce qui semblait être un grand hall et rapidement mon regard captais les cages qui enfermaient mes gens. Peu voir aucun d'entre eux n'avaient pour l'instant repéré mon entrée, il était donc plus que temps de changer de méthode. Si je m'étais montré docile jusqu'ici, il fallait que je sauve les apparences et jusqu'à mon approche de l'estrade, je m'évertuais de ralentir notre avancée, protestais sans en faire trop et tentais d'arracher mes bras aux grandes mains qui les retenaient captifs.

Quelques regards captaient le mien, ils étaient apeurés pour la plupart, épuisés pour la majorité. De l'empathie et de la détresse émanaient du mien. J'étais après tout prisonnière comme eux, maltraitée certainement, du moins il fallait le faire croire. Mon attention est soudainement rattrapée par l'apparition du chef des opérations, dont le regard pétille étrangement et face auquel j'éteins toute fougue avant de m'en détourner. Je l'observe néanmoins faire son petit discours, arranger ses troupes, se pavaner et rire de moi. Mes yeux roulent mais l'observe sévèrement. Il était incisif et piquant et à ce moment là, j'en étais presque vexée. Peu importait cependant, le voilà qu'il revenait vers moi pour me tendre une main que je refusais simplement en détournant le regard.

Invitée à m'asseoir à ses côtés, j'y allais sans trop broncher cette fois. Me plier aux exigences de mon ravisseur n'aurait rien d'étonnant, surtout ainsi encerclée par tout son clan. Prenant place aussi gracieusement que possible avec ces vêtements et ce siège inconfortable, mon visage était à présent terne et fermé d'une humeur morose, croisant les bras en me tenant les épaules. Je n'avais ici aucun intérêt à me montrer digne, mais l'effort que je déployais à me détourner de son regard était évident.

« Égal à vous même. »

Pour ce qui était de la première partie de sa question. Une réponse qu'il prendrait comme bon lui semble, bien ou mal, tout dépendait de lui et de l'appréciation qu'il avait de sa propre personne.

« Non merci, je n'ai pas faim. Si vous en avez terminé avec votre petite exhibition, j'aimerais retourner dans le débarras qui me sers de couche. »

Ce ne serait certainement pas ici que j'allais lui proposer ce que j'avais à lui offrir. J'étais beaucoup trop à découvert et des oreilles pouvaient traîner un peu partout. Il ne fallait cependant pas que je tarde trop, ou il perdrait patience et serait fermé à la moindre option, aussi alléchante soit-elle.

Aucune réponse a ma demande ne vient. Par les Quatre, pourquoi tenait-il autant à m'exhiber de la sorte ? J'avais bien conscience de n'être qu'une sorte de trophée, mais tout de même. Cette place m'était particulièrement inconfortable. Non pas que j'avais subitement perdu l'habitude d'avoir l'attention braquée sur moi, mais... Attendez. En y regardant de plus près, aucune paire d'yeux n'étaient tournées vers moi en réalité. Les miens balayaient la salle silencieusement, gardant mon incompréhension pour moi. Bien que peut-être, un léger rictus m'échappe.

Mes iris noisettes perçoivent cependant l'arrivée d'une jeune homme, voir d'un enfant. Du moins, son allure était juvénile et il s'avançait vers non. Enfin, vers lui. Un rapide coup d’œil mécanique en sa direction, s'attardant à peine avant de me détourner complètement. Cette discussion ne me concernait en aucune façon et accentuait l'incompréhension d'être assise ici. Évidemment, je ne peux qu'entendre malgré moi.

Est-ce que c'était son fils ? Une étrange curiosité animait désormais mon attention, qui balayait l'espace en naviguant d'un protagoniste à l'autre, sans insistance, lentement pour ne pas paraître déplacée. Mes sourcils se fronçaient légèrement, à peine à dire vrai. Il était plutôt de coutume chez moi d'en montrer le moins possible, surtout lorsqu'il s'agissait d'inconfort. Son attitude laissait entendre qu'il pourrait être son géniteur, du moins de ce que je savais de lui, mais physiquement il n'avait rien à voir. A moins que la mère soit complètement différente.

Pourquoi ces questionnements ? Je n'en avais réellement rien à faire après tout. Les laissant finir, je détournais le visage dans un mouvement délicat. J'inspirais alors discrètement par le nez, profondément avant de laisser s'échapper un faible soupir. Combien de temps allais-je rester ici ? A cette place mais aussi dans ce camp ? Ah, mais il n'y avait pas que moi. Un peu plus et j'oubliais la présence de mes propres gens, enfermés dans les cages un peu plus loin. Je devrais montrer que leur sort m'incommodait. Je porte alors mon regard vers eux, autant que je le pouvais, arborant une mine touchée par la situation. Quelques uns regardent dans ma direction. Peut-être serait-il bon de commencer à évoquer leur sort. Je ne l'entends plus boire, alors me tourne vers lui, les lèvres entrouverte, prête à parler avant de m'arrêter.

Il me fixe et je le fixe aussi, sans comprendre pourquoi lui le faisait. Demeurant pantoise quelques secondes, je fronce légèrement les sourcils et referme mes lèvres qui étaient restée ouvertes. D'autres secondes s'écoulent silencieusement. Son regard était tellement aussi perçant que déstabilisant, bien que je préférais rien n'en montrer. J'avais l'inconfortable impression d'être jauger comme du bétail.

« Y a t-il un problème Monsieur Hawke ? Je vous trouve bien silencieux tout à coup, ce n'est pas vraiment dans vos habitudes. Enfin... »

Je détourne le regard et le visage en concluant dans un murmure.

« Ce n'est pas comme si je vous connaissais. »

Plus que son regard, c'était la situation dans son ensemble qui était inconfortable pour moi. Je n'étais pas libre de mes mouvements, il y avait de l'enjeu autour de nous. Je ne pouvais pas me permettre de me montrer entreprenante alors que mes gens pouvaient observer la scène. Mon corps se met alors à gesticuler, essayant de trouver une position plus agréable, mais rien n'y faisait. Entre la dureté de l'assise et la faible facture des vêtements, je n'y trouvais vraiment pas mon compte. Et soudain, mon estomac se fait entendre.

Mes yeux basculent vers lui et s'écarquillent. Il faut dire que cela fait un moment que je n'ai pas mangé avec tout ces événements, j'avais un faible appétit, mais là j'aurais préféré qu'il se taise. Mes lèvres se pincent et mon visage se détourne, sentant le rose me monter aux joues. Ce n'était pas vraiment distingué comme attitude.

Lui, qui était d'un naturel si bavard et bruyant, prenait souvent plaisir à opter pour le silence ou quelque chose s'en approchant à chacune de mes questions. Ou au contraire, à se moquer ouvertement de moi. Il était clair que sa façon d'être n'avait rien à voir avec les habitants du sud, sans équivoque ni délicatesse, à l'image de sa rustre stature. Ce qui avait, évidemment, le don de m'agacer et je peinais de plus en plus à le cacher. Une mine renfrognée venait donc ponctuer mon opinion, bien que je me sentais saliver intérieurement de voir des mets m'être proposés de son imposante main. Il pourrait me soutirer la vie avec une seule des deux s'il le voulait.

Quelles macabres pensées. Pas assez pourtant pour me défaire complètement de ses mots. Mes traits se froncent amèrement en m'observant avant de l'observer lui. Était-ce une critique ? Je n'avais pas pour habitude que l'on juge mon physique ou mon poids et lui le faisait ouvertement. Il est vrai que lui, au contraire, avait de quoi se tenir chaud dans cette région des plus froides. On pourrait dire alors que ma faible teneur en graisse n'était clairement pas un point fort ici, mais je n'allais pas prendre le temps de changer la donne, même avec cette assiette fièrement tenue devant moi, qu'il me soutire avant même que je ne me décide.

Là encore, il m'était difficile de retenir la frustration qu'il faisait naître. La faim associée à la fatigue n'était clairement pas en ma faveur, il fallait que je me ressaisisse si je voulais obtenir gain de cause. Mon silence, jusque là, était sans équivoque, me contentant de l'observer parler, fort, se déplacer et m'inviter à demi mot à le rejoindre en bas. Ses mots concernant mes gens avaient simplement glissés sur ma peau, à peine entendu et assimilé que leur importance était déjà loin. Je n'avais que faire d'eux, mais il ne le savait pas et personne ne devait le savoir.

Il me faut tout de même quelques instants avant de me décider. Après tout, il serait aisé de justifier un comportement accommodant. Rien de plus facile même, il était de mon devoir de me rapprocher de nos ennemis pour obtenir ce que je désire, par la souplesse et non la force comme lui le faisait. Nous étions si différents que le seul moyen d'avoir un quelconque poids était évidemment de me montrer courtoise. Sans aller jusqu'à dire que j'avais de la chance, comme il le prétendait, il avait au moins raison, d'une certaine manière. Ce n'était pas dans ma petite cage que j'allais pouvoir faire quoi que ce soit.

Bien, c'était décidé, j'allais me joindre à lui. Je me lève alors, portant un dernier regard à mes gens bien plus facile à atteindre depuis l'estrade. Surplombant ainsi la foule bruyante, mon air résigné ne pouvait intimer que l'impression d'une totale absence de choix. S'ils ne le comprenaient pas tout de suite, ce serait le cas avec mes explications. M'avançant lentement, je descends l'estrade dont la hauteur était bien plus inconfortable pour moi que pour lui. Pas de quoi trébucher et mes aptitudes en équitation me permettaient de conserver un maximum de prestance.

L'avantage était évident maintenant : moins en vue, mes manœuvres seraient déjà plus aisées et mon air reprends distinctement des traits déjà bien plus gracieux. Je m'avance alors vers lui, sinueusement entre chaque natif qui se mettait sur mon chemin. A pas de calis et camouflée par le brouhaha ambiant, je doutais qu'il m'entende arriver. J'en profitais alors pour attraper un fruit dans l'assiette qu'il tenait encore. Le portant à mes lèvres, mon regard balayait autour de moi, attendant qu'il se tourne ou non vers moi. J'étais une grande habituée des mondanités, la foule n'avait pas de secret pour moi, même si celle-ci était d'un genre complètement différent. Mais comparé à la minute d'avant, il était clair pour qui pouvait le remarquer, que j'étais plus à l'aise. D'autant que la grande majorité n'avait que faire de ma présence. Maintenant, il était plus que temps de capter l'attention de celui qui représentait la clé de mes ambitions.

« Je crois que vous ne comprenez pas ce qui pourrait se jouer réellement. La chance n'a rien à voir là dedans. »

J'aurais plutôt aimé lui dire qu'il était plus bête qu'il en avait l'air, mais cela n'aurait évidemment pas été très constructif.

« Et je n'irais pas jusqu'à dire que vous êtes généreux, si l'on prends en compte la quantité de chose dont vous m'avez allégé. »

S'il était tourné vers moi, il ne verrait aucun sourire, mais un regard vissé dans le sien alors que je piochais une fois de plus dans son assiette avant de porter un deuxième fruit à mes lèvres, mastiquant avec délicatesse et silence, sans déroger à l'attention que je lui portais. Il était tellement plus grand et imposant. Pourtant, il ne distinguerait aucune intimidation dans mon regard. J'en avais vu d'autres.

« C'est peut-être vous qui avez laissez passez votre chance de me congédier. »

C'était peut-être un avertissement sincère, ponctué d'une certaine malice arborée discrètement. A cet instant, on aurait pu croire que je le dévorais du regard. J'avais précisément pris la place de la chasseuse qui n'attendait qu'une erreur de sa proie pour conclure. Point trop n'en faut cependant, j'étais certaine qu'il avait l'égo fragile tant il était facile à gonfler. Honnêtement, je ne savais réellement comment m'y prendre avec ce rustre, mais j'avais l'intime conviction qu'une illusion de défi le stimulerait. Si cela traînait trop, il faudrait sans doute que je songe à demander une entrevue. Il était clair que je n'allais pas négocier au milieu de toutes ces paires d'oreilles. C'était lui et lui seul qui était la clé, nul besoin de spectateur.

Je m'immobilise instantanément lorsque ce grand homme, massif et effrayant en cet instant, me fait face et se rapproche de moi. Un pas de recul m'éloigne de lui, mais mes mouvements contraints par la foule nous encerclant ne me permettront pas la fuite tant désirée. Pourtant, je garde mon calme, dans un premier temps et soutien son regard du mieux que je le peux. Il est sans doute vrai que j'avais surestimé ma valeur, même monétaire, à ses yeux. J'étais après tout en terrain ennemi à essayer de chatouiller l'égo d'un nordien impulsif. Brisielle à l'avenir, s'il t'en reste un, il vaudrait peut-être mieux temporiser tes manières dans pareille situation.

Mon cœur bondit quand ses lourdes mains frappent mes épaules. Ce n'était pas le cas, mais le ressentis était tel. Il envoi mon corps, raidit par l’appréhension, dans les bras d'autres personnes. Leur contact mord ma peau à travers l'épaisse fourrure qui, je l'espérais au fond de moi, me protégerais plus que du froid. Mais ce n'en était rien. Tout s’enchaîne sans que je puisse y faire quoi que ce soit.

« Non, s'il vous plaît. »

Un murmure à peine audible au milieu de leur vacarme. J'essaye de me défaire de leur poigne, de leur arracher mes membres, sans succès. La nervosité s'empare de moi. J'aimerais tous les envoyer au loin, mais je n'y arriverais pas. Mon regard commence à perdre ancrage et cherche à s'enfuir, mon corps l'espérait aussi. Plus que de raison. Chaque main posée sur moi se transforme en décharge. Ma respiration s'accélère. Mon cœur bat si vite, si fort. Même lui ils ne l'entendraient pas. Je sens mon corps m'échapper complètement, comme une poupée de chiffon qui se vide.

« Arrêtez ! »

Ma voix s'éraille. Elle ne porte toujours pas assez. Mes poings se serrent alors qu'on m'embarque dans une gigue qui fini de me faire perdre l'équilibre. Mais ils me tiennent toujours, c'est bien tout ce qui me retiens. Je perds la notion du temps, mes poings se serrent tellement que mes ongles rongent mes paumes. Puis mes doigts s'écartent et tremblent, convulsent même, entraînant mes bras puis mes épaules. Je peine maintenant à respirer, je m'essouffle. Ma nuque se raidit et mes dents se serrent douloureusement. Mes yeux passent frénétiquement d'un endroit à un autre, partout et nul part. Vers le sol, vers le plafond, je ne trouve aucun ancrage. Rien.

Je veux me recroqueviller, là maintenant, mais aucun d'entre eux ne me libère. Je respire de moins en moins, je suffoque, ma tête risque d'éclater à tout instant. Mes yeux piquent et je sens qu'ils s'humidifient. Par un instinct primaire que je connaissais depuis longtemps, mes membres raidis se délassent à mesure que le temps s'écoule. Molle, je passe de bras en bras. Ma tête se met à tourner et je ne distingue plus que de vagues formes humanoïdes autour de moi.

« Laissez-moi... »

Je ne m'entends même plus moi-même. Un premier sanglot déchire ma gorge, mes oreilles me brûlent. Un frisson perpétuel s'est emparé de mon corps. Par vague, il me blesse et je perds toute volonté. Je sens alors à peine qu'on me soulève pour me déposer sur une table. Quelque chose se brise en même temps que cette soudaine liberté. Pas même debout, j'éclate en mille morceau.

« NE ME TOUCHEZ PAS !!! »

Mon corps, entièrement, de ma tête à mes orteils, vibre et résonne dans le bois sous mes pieds. Les larmes coulent, abondamment, sans s'arrêter. Pas de sanglot, elles se déversent silencieusement, mêler de ma respiration désordonnée. Toute notion de temps, d'espace, disparaît. En cette instant, je ne sais même plus où je me trouve, ni qui je suis. Mon corps lui sait et se met en marche, il faut s'échapper. Fuir. Je m'écroule maladroitement de la table, me relève aussitôt et cours. Comme dans un champ de rondouillet géant, je percute absolument tout le monde sur mon chemin, bifurquant à l'opposé à chaque fois, manquant de trébucher à tout instant, comme acculée par des démons qui me poursuivent.

Ma fuite est chaotique, mais mon seul objectif était de sortir. De partir. De fuir. Je n'avais plus que ça en tête, c'était la seule chose qui me contrôlait. Mes bras s'agitent et repoussent ce qui se mets en travers de mon chemin et enfin, enfin, j'arrive à l'extérieur. Je cours encore, droit devant sans m'arrêter, jusqu'à un autre bâtiment devant lequel je m'écroule à genou, les mains mordant la terre. Face au sol, j'inspire à plein poumon, revenant à la surface de cette mer agitée dans laquelle j'ai failli me noyer. Et là, tout me revient en plein cœur. Je m'effondre plus encore et me recroqueville. Mon corps tremble toujours et se raidit, rétracté sur lui même. Mon esprit n'est pas encore revenu et mes paupières se serrent. Je demeure ainsi, pendant un temps qui m'échappe complètement, sans parvenir encore à la raison. Seulement là, seule, avec moi même.

Recroquevillée, tel un petit animal que l'on aurait pris en chasse pendant des heures, ma respiration ne se calme pas. Je tremble et la condensation qui s'échappe de mes poumons envahis mon regard. Je tressaille, mais pas que de la morsure du froid. Pourtant, elle qui me semblait m'avait échappé depuis ma sortie commence à lécher mes joues et mes doigts. Ils rougissent. Je ne les vois pas, mais les sens douloureusement.

Mes oreilles étaient toujours très embrumées et je n'entends pas l'homme qui se rapproche de moi. Ses paroles sont indescriptibles, je les entends comme si je me trouvais au fond de la mer et lui sur terre. Mes yeux imbibés ne captent même pas sa présence. J'ai l'impression qu'il y a quelqu'un oui, mais je n'en suis même pas certaine. Je sens alors une épaisse couche me recouvrir, me réchauffer et m'apporter une réconfort infime. Dans un souffle plus long que les autres, mon corps se détend à peine, continuant de trembler malgré cet ersatz de confort. A nouveau, un son aux mots inaudibles. Je n'ai pas réellement conscience de ce qui se passe et demeure ainsi, enroulée sur moi même.

Soudain, une sensation m'arrache de mon immobilisme. Un choc, sur mon bras, une déflagration sur ma peau. J'avale mon air bruyamment dans un éclat effrayé, écarquille les yeux et mon corps se retire, recul sur une courte distance, se traînant au sol du mieux qu'il le pouvait. C'était encore lui qui contrôlait mes mouvements, cela avait au moins eu le mérite de me redresser. Les jambes pliées, posées sur le côté et les mains sur le sol me soutenant à peine, j'étais assise à moitié, sans vraiment l'être. Mon corps essayait surtout de se maintenir, prêt à repartir s'il le fallait.

Mes yeux nimbés de larme fixent d'abord les deux personnes qui se trouvent là, frénétiquement, l'un après l'autre et inversement. J'ai l'air apeuré. Je suis effrayée. Que me voulaient-ils, eux aussi ? Je n'avais absolument pas entendu les mots de la femme et n'arrivais pas à me rappeler qui ils étaient. Mais là, je sentais mon corps fatiguer. Je n'avais pas assez mangé et la crispation avait été telle qu'elle avait puisé dans mes dernières forces.

C'est ce qui me permet, finalement, de trembler un peu moins. Je n'en étais plus tout à fait capable. Je ne savais pas quoi leur dire. J'étais là, face à eux, pitoyable, abîmée et sale, mais ne cessant de les fixer, pour peu qu'ils leur viennent à l'idée de me faire plonger encore plus bas. Ah. Je crois que je retrouve un peu de réflexion, mais les mots ne suivent pas.

« Qu'est...que... »

Soit respirer, soit parler. Je ne pouvais visiblement faire les deux pour l'instant. Alors je fini par baisser les yeux, à peine, préférant les garder dans mon champ de vision par sécurité et j'essayais tant bien que mal d'apaiser mon souffle. Mes inspirations étaient difficiles et chevrotantes. Mes soupirs étaient plus fluides que cela. J'attrapais alors le manteau de fourrure entre mes doigts pour le refermer davantage autour de moi, comme seul bouclier face à tout le reste.

Mon regard se relève vers eux et les fixe à nouveau. Les secondes qui passent parviennent à adoucir mes respirations, quelque peu du moins. Pour autant, je ne disais toujours rien, je n'essaye même pas à vrai dire. J'étais intimement convaincue qu'il était trop tôt et je ne savais réellement pourquoi.