Je vais raconter une histoire triste qui pourrait expliquer pourquoi je suis l'homme que vous voyez aujourd'hui. C'est ce que vous voulez, non ? Une preuve que l'humain ne peut être naturellement mauvais. Dans mon aussi grande que rare clémence, je vous épargne la cruauté de l'attente. Dès l'instant où je me suis senti faible pour la première fois, j'ai voulu être fort. Plus fort que les autres. Tout simplement. Il n'y a pas de traumatisme quelconque, j'ai simplement réalisé et accepté qui j'étais relativement tôt. Ainsi j'ai devancé les autres pour me hisser au sommet. Et par Aer, que j'aime la vue !

Il était une fois un enfant nommé Kassius, seul garçon parmi la progéniture du chef de clan. D'un naturel bon et enjoué, il assuma un caractère de dirigeant très tôt. Les autres bambins le suivaient jusque dans la poudreuse la plus profonde. Son règne futur promettait à ses sujets une gloire à la hauteur de son courage et de son esprit éclairé.

Sa bravoure se doublait d'une solide gentillesse. Il persistait à intégrer ce camarade plus grand et plus mince que lui, qui venait d'une famille désertée par la richesse comme le sang noble. Elle avait perdu sa fortune, une mine d'argent, aux mains ennemies deux générations auparavant. Des marchands devenus combattants sans talent par manque de choix et par devoir envers le Keiser.

Étant le seul à ne pas se moquer du maigrichon, qui répétait à qui voulait l'entendre qu'un jour il serait plus fort que tout le monde, il s'attira vite sa sympathie. Le duo devint inséparable. Et les gens commencèrent à prêter attention à ce Maar qui traînait dans les pattes de l'héritier. Ils remarquèrent donc son tempérament agité et sa présence récurrente dans les petites bagarres.

Un jour, lors d'une aventure audacieuse digne de véritables fils du Nord, la gel trop fin de la rivière Larmeglace céda sous le poids du plus costaud des deux. Pour la première fois, la carrure détestée de Maar se transforma en avantage. Kassius mourut. Sa nature si bonne ne le sauva même pas.

De retour au village, seul et silencieux, Maar fut banni. Véritable pestiféré, il erra au port trois jours sans manger, à boire l'eau glacée de l'océan. Sa famille ne possédait aucun moyen de l'aider, et prenait peur de représailles rien qu'à l'idée d'essayer. Il parvint à se faufiler dans un petit navire commercial en direction du Roc d'Eluan. Les contrebandiers le débusquèrent le deuxième jour de la traversée. Son bagout lui évita d'être jeté par-dessus bord de justesse, et en échange de récurer l'intégralité du bateau, il put rester.

Ses parents moururent au front la même année, aussi personne ne regretta l'orphelin problématique. Avait-il des frères ou sœurs ? Peut-être une donnée en mariage quelque part, peut-être un parti pour une vie moins triviale. L'homme qu'il devint ne prit pas la peine de le mentionner et encore moins de les reconnaître.

Arrivé au Roc d'Eluan, l'adolescent déjà homme prit le nom de Markus. Il s'y fit une place encore plus difficilement qu'au sein de son ancien clan. Mais il n'avait plus rien à perdre, et gagna beaucoup grâce à sa ruse et sa débrouillardise. Il intégra un équipage de contrebandiers, puis de pirates, et apprit la vie maritime. Argent, conquêtes, réseau, tatouages, cicatrices... Il jugea avoir obtenu ce qu'il voulait à ses 23 ans, soit sept ans plus tard. La gloire l'attendait ailleurs et il comptait bien la saisir.

Avec un groupe d'humains, la loyauté acquise par le charisme, l'argent ou la faveur, il revint au sein du clan. Le chef, aigri par l'absence d'héritier masculin, avait perdu en ambition et en prestance, et avec ça une bonne partie de la confiance des siens. Il accorda à peine sa bénédiction pour le séjour de ces compatriotes pro-Keiser. Et un soir, il fut défié selon les lois.

"Les van Silfr ont versé leur sang pour ce clan, pour cette terre. Leur fils héritier te défie pour le titre de chef."

Piqué dans son orgueil, face à cet homme trapu et pas si jeune, le père de feu Kassius céda à la provocation. Son épée et son bouclier en mains, il accepta et s'avança avec confiance. L'autre resta pourtant immobile et désarmé. Des murmures étonnés envahirent l'assemblée, masquant aux oreilles du vieux guerrier l'avancée d'un autre homme derrière le plus petit.

Hache en main, Markus, du haut de ses presque deux mètres, toisa l'imprudent. Comme un lupus sénile, l'homme résista à ses attaques. Mais la lame finit par se planter entre ses côtes avec gourmandise. On dit qu'une parole l'atteignit avant qu'il relâche son dernier souffle. La seule que tous entendirent clairement fut celle-ci :

"Ne jamais accepter un défi à la légère. Je suis Markus van Silfr, et je remporte le défi lancé en mon nom. Je suis désormais votre chef."

La loi clanique restait de son côté, malgré cette sournoiserie. L’invocation étant liée au cadavre fut pathétiquement rappelée à son Temple. Une énième preuve de leur nature infidèle, comme leurs chers maîtres. Depuis le Roc, tout sentiment à leur égard s'était évanoui.

Aucun membre du clan n'était en mesure de se rappeler précisément la famille van Silfr, aussi, dans l'immédiat, l'opération fut un succès. Contestations il y eut, départs également, selon les bribes d'honneur et de loyauté restantes. Les plus virulentes furent tues dans le sang. Finalement il ne resta plus personne pour le défier, et il finit par être accepté.

En s'imposant comme excellent stratège et marin, il redora au fil des ans et de ses victoires le blason du clan, rebaptisé Hawke suite à son prétendu triomphe solitaire d'un Griffon. Le nouveau chef assura qu'il s'agissait de la traduction du nom de l'animal dans une langue perdue. Il attira plus de membres, puis l'intérêt du Keiser. Jusqu'à lui fournir aujourd'hui le gros de ses navires et le conseiller sur leur usage. Et maintenant il mange à sa table. Enfin.