Oblivion essuya la sueur de son front en avisant le Temple. Enfin la voilà arrivée. Cela lui avait pris six heures pour venir, même si en bateau, elle avait gagné quatre heures bienheureuses en comparaison d'un trajet par la terre. Pourquoi était-elle ici ? Escorte d’un noble de Lüh qui voulait passer l’épreuve d’un demi-dieu d’Ignis. Quelle plaie. Le noble en question, troisième fils d’un Duc sur le déclin, se voyait déjà Prince à la place du Prince. Et il s’était assuré pendant toute la traversée que tout le monde serait bien au courant. Il avait été parfaitement imbuvable. Les six heures qu’avaient duré le trajet de la capitale à Al-Hazred, le village au pied de l’édifice-prison divin, lui avaient semblé être les plus longues de toute sa vie.

Point positif, s’il devait y en avoir un, c’est que le fils de nobliau n’avait pas souhaité se reposer avant de passer l’épreuve. Il avait exigé d’aller au Temple tout de suite. Le voici donc, accompagné par son escorte constituée de Karl et Oblivion, arrivé à destination.
Sans même adresser un regard aux deux Gardes Dorés qui cuisaient littéralement dans leur armure, il entra dans l’édifice en leur ordonnant d’une voix nasillarde de l’attendre et disparu à l’ombre de la prison.
Les deux compères attendirent un peu afin d’être sûrs que le fils au sang bleu n’allait pas revenir, puis ils échangèrent un regard complice.

“Obli, je sais pas toi, mais moi c’est hors de question que j’reste là à poireauter pour attendre Boucle d’Or.”

C’était le surnom que le fils de Duc avait obtenu. Le Garde Doré à la flamberge aimait rabaisser l’élite avec ce genre d'appellations de son cru. Et depuis quelques temps, Oblivion n’avait plus vraiment le coeur à le gronder pour cette habitude qu’elle jugeait de moins en moins mauvaise ou inappropriée.
Elle hocha même la tête en croisant les bras sur son torse.

“Je suis d’accord avec toi Karl. On devrait lui laisser un mot et redescendre l’attendre à l’auberge autour d’une bonne bière fraiche. Et par les Quatre, après avoir enlevé nos armures… Je vais finir complètement rôtie à ce rythme.”

Exhumant de sa besace un morceau de parchemin et un morceau de charbon, Oblivion nota le nom du noble en gros puis un rapide billet l’informant de leur décision avant de le nouer autour d’un pilier de l’entrée, bien en évidence.
Elle s’apprêtait à se détourner quand un éclat furtif attira son attention. Posant son regard à l’entrée du Temple, elle plissa les yeux avant de secouer la tête doucement. Elle avait sûrement rêvé.

Mais à la réflexion… Et pourquoi pas ? Regardant fixement le couloir qui amenait aux cellules semi-divines, Oblivion hésitait. Elle avait déjà bien sûr une Invocation en la personne de Wazzi. Mais cela faisait depuis quelques mois qu’elles ne s’étaient pas croisé. Plus depuis leur aventure à Kelder en réalité. Ca s’était bien passé, et le petit panda avait été un soutien inattendu mais bienvenu. Mais depuis… La Garde Dorée avait la sensation que leur lien s’était distendu. Peut-être parce qu’elle n’avait pas assez emmené la fille de Terra avec elle au cours de ses missions, ou bien parce qu’elle avait peut-être trop respecté sa promesse de ne pas la mettre en danger ?

Toujours était-il qu’aujourd’hui, il lui semblait que devoir se passer d’un demi-dieu pour l’aider était de plus en plus compliqué. Les temps étaient durs et elle n’aurait pas dit non, non plus à un confident. Simon ayant disparu de la circulation, elle n’avait plus aucun ami proche. Elle avait pourtant des alliés : Valion, Geoffrey, Galifey… Xion. Mais ils avaient tous trop à faire pour s’occuper d’elle et de ses états d’âme, et soit dit en passant, elle ne leur en voulait pas.

Inspirant, Oblivion prit sa décision. Se tournant vers Karl, le regard résolu, elle ouvrit la bouche et il leva une main pour l’interrompre. D’un ton mi-amusé, mi-résigné, il déclara :

“Ne dis rien. A ton regard je devine que j’vais boire ma bière tout seul. Tu sais où me trouver. Mais sois prudente. Et surtout, tu reviens.”

Sur ce bonnes paroles, Karl se mit en route et Oblivion entra dans le Temple d’Ignis. Après à peine quelques pas à se perdre dans les couloirs, elle fut tout à coup éblouie par une porte. Dorée. Immense. Elle ne savait pas si c’était un signe ou l’humour spécial des Quatre qui envoyaient une Garde d’élite face à une porte visiblement d’or massif mais elle décida d’y croire et de s’approcher.

Examinant la porte, elle lut l’inscription en son centre. Rao. Cela ne lui évoquait rien. Donc peut-être était-ce le nom du demi-dieu emprisonné ici ? Gardant l’info dans un coin de sa tête, elle chercha une poignée qu’elle ne trouva pas. Mais les interstices n’échappèrent pas à ses talents d’enquêtrice et elle comprit vite qu’il lui faudrait pousser sur le battant pour l’ouvrir.
Alors elle tenta. Une fois, deux fois. La porte vibrait mais ne cédait point. Soufflant, Oblivion prit le temps de retirer son armure, de boire un peu d’eau, de se frotter les mains moites à cause de la chaleur sur sa robe bleue et retenta.

Verrouillant ses pieds au sol, utilisant le dallage un peu aléatoire, elle posa une épaule et pesa de tout son poids et de tout ses muscles sur le battant d’or massif.
Pourquoi s’acharnait-elle ? Aucune idée. Mais elle était venue jusque là et elle n’allait pas repartir avant d’avoir donné tout ce que son corps pourrait. Question de principe.
Après plusieurs minutes éreintantes à pousser le battant, millimètre par millimètre, enfin un déclic se fit entendre et la porte fini le travail en coulissant vers la droite. Oblivion quand à elle était épuisée. S’appuyant au chambranle, elle prit quelques secondes pour récupérer son souffle et assez d’énergie pour ramasser son armure et son sac et s’avancer de quelques pas faibles à l’intérieur de la cellule.

L’épreuve, la vraie, commençait enfin.

Oblivion fit quelques pas. A peine le temps que son cerveau type l’alarme rouge. Mais que faisait-elle ? Sans armure, sans arme, dans une cellule divine ? Si elle avait eu de la chance avec Wazzi, elle ne savait que trop bien à quel point les demi-dieux pouvaient être violents dans leurs épreuves. Forte de cette conclusion, rapidement elle remit son plastron en quelques gestes éclair. Il faisait chaud, mais il le fallait.
Elle faisait tout ça quasiment à l’aveugle car tout ce qu’elle voyait pour l’instant c’était du doré. Partout du doré. Peut-être même qu’il y en avait trop. Après tout, elle n’avait trop aimé le doré, elle préférait l’argent. Mais elle s’était habitué à ce métal à cause de sa fonction.

Au moment où elle posait sa main sur son pommeau de claymore, un rugissement terrible, gargantuesque, effrayant retentit, aussitôt Oblivion dégaina et se mit en position de garde. La lame au niveau du visage, ses prunelles d’Aqua se mettant enfin à voir de nouveau, elle fit face à un énorme… Demi-dieu.
Elle ne pouvait pas se tromper, d’autant plus qu’il lui parla, après un éclat de rire profond. Elle mit un instant à intégrer que le rugissement… N’avait été là que pour plaisanter ?
Abaissant lentement sa lame, Oblivion finit par la rengainer en voyant que l’énorme félin divin ne semblait pas agressif.

Puis elle s’inclina de façon un peu raide. Comme face à un noble lorsqu’elle est en service. Parce qu’elle le devait, plus que par réelle déférence. Quoique ce demi-dieu avait son respect mais disons qu’elle goutait assez peu à sa plaisanterie. D’ailleurs c’est d’un ton un peu crispé qu’elle répondit :

“Oui en effet, votre rugissement m’a surpris. Il a néanmoins eu l’effet de m’aider à me reprendre. Vous savez que votre porte est horriblement lourde à pousser ?”

La phrase s’était achevée sur un accent clairement grognon, la mauvaise humeur caractéristique de la Garde Dorée venant recouvrir sa honte de s’être laissée aller pour conserver un semblant de dignité. D’ailleurs le menton de la jeune femme se releva plus que de raison, dans un élan de fierté un peu mal placée et la posture devint martiale, droite et digne, la main posée sur son pommeau de claymore.
Rao, puisque c’était son nom, avait désormais devant lui la Garde Dorée dans toute sa splendeur, si l’on omettait le rouge de ses joues et la sueur qui coulait de son front. Il faisait décidément trop chaud ici.

Après un hochement de tête plus sec, Oblivion fait un salut militaire et déclama de son ton rigide de fonction :

“A votre service, Rao, enfant d’Ignis. Je suis Oblivion El’Galas. Garde Dorée. Je suis en quête de puissance pour protéger les terres du Prince ainsi que ses habitants. Et je pense que vous êtes tout à fait dimensionné pour une telle mission. Est-ce que ça vous intéresse ?”

Oblivion se rendit un peu trop tard qu’elle avait tellement souhaité reprendre de la dignité qu’elle parlait à l’engeance divine comme si elle recrutait un manant pour la défense officieuses d’Arcane. Se fustigeant intérieurement, elle ne revint toutefois pas sur ses propos, qui, au fond, étaient tout à fait sincères. Enrobés de fioritures mais sincères.

Bon ensuite, peut-être qu’elle parlerait de son besoin de confident… Mais du peu qu’elle avait vu du demi-dieu, il ne semblait pas forcément très en considération pour les humains. Autant ne pas avancer d’argument inutile voir contre-productif.
Elle n’ajouta donc rien de plus et attendit.