Quand Ignis décline, l'humeur de Xion s'allège. Lorsque les abysses recouvrent le ciel, la surface devient plus familière. Tout ce temps passé à respirer l'air, à se servir uniquement des pattes pour avancer, la fatigue. Cela va mieux depuis que le clan a bâti Harask. Et la brume épaisse de la plaine ravit ses sens. Mais, l'étreinte de sa Mère ne possède nul égal, ni en ce monde, ni dans l'ancien.

À mesure que la luminosité diminue, l'enfant d'Aqua remonte vers les eaux claires. Son corps longiligne emprunte un courant vif. Elle frissonne, chatouillée par les ondulations caractérielles de la Téthys. Une odeur saisit soudain ses narines. Elle s'immobilise, en tension. Du sang. Plus haut. Intéressée, elle en cherche l'origine. Sa nage l'emmène non loin d'un naufrage. La chair et le bois sombrent, happés par la gourmandise et bientôt l'oubli.

D'agiles créatures fondent de part et d'autres du navire brisé. La curiosité l'invite à s'approcher davantage. Mais elle reconnait les prédateurs, déjà croisés. Ces reptiles piquent fort, c'est dangereux. Mieux vaut ne pas les déranger en plein repas. La voilà repartie à la dérive.

La truffe hors de l'eau, ses yeux dorés rivés sur le voile nocturne, pattes retroussées, elle pense. Lagertha se trouve dans une cité, peut-être la plus proche de sa position. Inconsciemment. Hors de sa portée, sa présence non désirée. Les vents soufflent contre sa crête. Désagréable. Elle plonge, agacée.

Des remous tentent d'influencer sa progression. Étrange. Tête penchée sur le côté, elle s'ouvre à l'océan. Un bateau. Les secondes s'égrènent. Il file droit vers le carnage devenu repaire d'animaux affamés. Quelle importance ? Boudeuse sans même comprendre pourquoi, elle s'enfonce davantage.

Puis sa conscience la tire vers le haut. Il s'agit peut-être d'alliés. Ou du bateau qu'emprunte son élue pour rentrer. Non. Elle l'aurait senti. Peut-être ? Xion pique une pointe de vitesse, avec une aisance et une facilité naturelle. Son visage carapacé émerge à bonne distance. On lui a appris à identifier l'allégeance des humains qui naviguent en regardant le "pavillon" du transport. Celui-ci est rouge et or. L'emblème de la Confédération. Ni ami, ni ennemi. Un second valse au gré du souffle d'Aer. Inconnu. Ça ne l'aide pas à se décider.

Finalement, elle avance. Comment les prévenir ? Elle n'a pas envie de crier. En faisant appel à sa magie, elle risque de les alarmer. Un divin les accompagne, elle le sent, mais ne souhaite pas être vue. Oui, ce serait plus simple. Peut-être. Elle secoue la tête. Mais c'est comme ça. Et s'ils décident de l'attaquer juste parce qu'elle se trouve là et qu'ils ne la connaissent pas ? "Tout le monde te connaît Xion. Je te rappelle que ta tronche est placardée dans toutes les villes princières." Ses yeux roulent vers le ciel. Ivar a raison. Mais est-ce une bonne chose ?

Un lourd soupir est expulsé. Frustrée. Elle songe à ses jours sous métamorphose humaine, au sein de Lüh. Elle n'a qu'à s'y prendre comme eux. L'enfant d'Aqua se colle à la coque. Elle pose une patte dessus pour se maintenir tandis que l'autre forme un poing. Puis elle frappe. Une fois. Pas de réponse. Une deuxième alors, plus fort. Et une troisième immédiatement, car elle vient de se souvenir qu'il faut distribuer plusieurs coups. Un seul ne signifie rien.  

En réponse à ses frappes, un premier regard accroche ses pupilles. Sa couleur navigue entre ciel et mer. Un deuxième suit, marqué par la surprise. Xion glisse un coup d'œil par dessus ses frêles épaules. Elle cherche à demi l'origine d'un tel étonnement, sans oser rompre le contact. La question récupère toute son attention.

Penaude, elle se laisse glisser dans l'eau. Seules les perles dorées et le haut de sa crête dépassent. Ses moustaches s'agitent d'un coup, sans heurter réellement l'onde, puis s'apaisent. De sa profonde moue naît un long soupir. Des petites bulles éclosent à la surface. Sa gueule ressort. Il faut tendre l'oreille pour percevoir son marmonnement.

« J'avais pas envie. »

L'étendue marine la happe à nouveau. L'agacement revient. Pourquoi les humains se révèlent si sourds au dialogue de sa Mère ? Nul besoin de parler pour se comprendre. Enfin, même le plus infime organisme aquatique de ce monde demeure silencieux. Elle avait espéré que cela soit temporaire, en sortant de sa cellule. Malgré le retour progressif de sa magie, elle demeurait seule dans les abysses.

L'autre enfant d'Aqua pénètre son champ de vision. Volontairement, il semble. Elle le sonde. Avec sa nyctalopie, elle distingue aisément l'orange vif qui zèbre sa peau. Un soupçon de curiosité caresse ses nerfs. Une étincelle s'illumine dans ses yeux. Son corps recourbé sur lui-même se détend lentement. Une once d'hésitation la traverse. Puis sa bouche s'entrouvre, arrondie. De sa gorge émane un cri. Il rebondit contre la coque du bateau, et sur l'être reptilien. Va-t-il lui rendre cette observation poussée ?

Un éclair éblouit son esprit. Xion émerge brusquement. « Il y a un naufrage plus loin. Le courant vous porte droit dessus. Je vous le déconseille, il y a plein de… » Elle s'interrompt. Ses yeux dérivent à la recherche du nom de ses poissons au long nez pointu. « Plein d'espadons. »

La surprise sur le visage de l'homme se répercute dans les yeux de la renarde. A-t-elle dit une bêtise ? La femme entend. Sa réaction la conforte. Elle ignore précisément en quoi. L'échange semble long pour son humeur capricieuse. Il se poursuit au-delà de sa personne comme de son intérêt.

Xion se laisse flotter à la surface, sur le dos. Les pupilles dorées s'accrochent aux étoiles, une par une. L'obscurité céleste lui fait penser à la couleur des écailles de Pru'ha. Elle aimerait la revoir, écouter ses récits et profiter de sa sagesse. Un souvenir vague lui rappelle que ses conseils n'ont pas toujours porté leurs fruits. Mais c'est probablement parce qu'elle les appliquait mal.

La voix d'Ikalios renvoie sa mémoire dans les profondeurs marines. La tête de l'enfant d'Aqua valse entre lui et l'humaine qu'il désigne. Elle hésite. Un tas d'inconnus peuplent le bâtiment. Elle préfère évidemment évoluer parmi les courants qu'au-dessus. Mais les Skoggandr ne possèdent pas de bateau. Elle n'a jamais mis les pattes sur une telle construction, la seule capable de voyager sur le domaine de sa Mère. Un constat impressionnant pour des êtres à peine capables de nager.

La curiosité finit donc par s'exprimer sur un ton enjoué. « Je peux monter ! » Son corps longiligne rebascule à la verticale, sous la surface. Sa puissante queue se positionne de manière à la propulser sur le pont. Elle s'interrompt soudain. La peur frêne l'excitation de la découverte. Son regard lumineux cherche les billes orangées.

« Tu viens avec moi ? »

Le reptile acquiesce. Xion bondit de joie, et atterrit sur le navire avec souplesse. Le bois craque à son arrivée. L'eau dégouline de sa peau. La présence humaine s'avère moindre que pressentie. Un frisson de soulagement dresse sa crête. D'un pas mesuré, elle s'avance, tête haute, museau en avant. Le clair de lune dessine de jolis ombres à travers les grands pans de tissu. Le vent les gonfle dans un agréable frémissement, à l'image de ses caresses contre ses écailles.

La renarde s'interrompt plus doucement cette fois. Elle cherche le regard de celle l'ayant indirectement invité ici. « Tu veux discuter ? » Aucune déception ne la saisit devant l'idée d'attendre pour découvrir, comme un plaisir qui se distille.

Étrange. D’ordinaire, seules Lagertha et Rym lui posent ce genre de question. La différence entre une demande et une directive reste ténue, sinon. Les pupilles lumineuses dérivent. Le besoin de satisfaire sa curiosité l’entraîne loin. Il faut se concentrer pour une discussion. Le doré revient au bleu clair. Xion acquiesce. Son postérieur rencontre le bois.

Calme et posée, elle réfléchit. Sa psyché retrace aisément la scène encore fraîche. Un gémissement pensif précède sa réponse. « Je suis restée sous l'eau, alors je n'ai pas bien vu le bateau. Je crois que l'avant est cassé parce qu'il n'était pas aligné avec le reste, il plongeait en premier. » 

Son regard vogue d'un point à l'autre au fil de ses pensées. « J'en ai vu quatre, au moins. Les humains je ne sais pas, j'ai pas fait attention. S'ils sont tous tombés dans l'eau c'est fini, les reptiles les transperçaient très vite. »

La tête de la renarde s'agite vivement pour appuyer ses dires. Le timbre enfantin dénote certainement de sa réputation carnassière. La fierté d'avoir établi un rapport aussi fidèle gonfle légèrement son poitrail. Ses paupières s'ouvrent en grand. Zut, elle a oublié un dernier élément. « Ah oui, et j'ai- » Un bruit l'alerte soudain. Son corps se tend. Ses moustaches s'élèvent, comme saisies d'un frisson invisible. Son museau pivote et renifle, à la recherche de l'intrus. Une fois trouvé, elle ne le lâche pas.

Le sens des mots lui échappe, mais elle en perçoit l'émotion. Cette colère à l'encontre de son pair l'interpelle et la rend confuse. Une poigne ferme étouffe cet éclat. Xion a du mal à comprendre la situation. Elle conscientise tardivement l'attention qui lui est de nouveau portée. Incertain, son regard saute d'un humain à l'autre.

Ce Sigmund et Ikalios obéissent à la femme. Son esprit tente en parallèle de remonter la discussion. Elle se redresse, dos arrondi. « Heu… j'ai senti l'essence d'Aqua. » Pourtant, l'être orangé est lié à l'humain. Elle s'en éloigne lentement, en le gardant dans son champ de vision. Sentir sa Mère dans son domaine n'a rien d'une information. Elle précise. « Chez les nez pointus. »

La renarde a contourné la blonde pour se rapprocher du bastingage. Les pupilles brillantes s'attardent sur cette dernière. « Tu es le maître dans ton clan ? » La question innocente se mue immédiatement en réplique boudeuse. « C'est pas moi le danger. Pourquoi il dit ça ? » Évidemment, il vient juste d'arriver, alors il ne peut connaître le vrai danger qu'elle a évoqué. Mais le constat ne l'apaise qu'à demi.