Vivre ta vie en couleurs

Voilà un ciel éclatant, pour une divinité aérienne, adulée en ce jour, fêtée, révérée... Et tous ces mots en "é", gnégnégné! Ma carcasse simiesque parcourt avec aisance les toitures de la capitale. Bâtiments hauts, larges, étroits, solides ou fragiles, peu me chaut. L'agilité et la souplesse divine qui me caractérisent, ne laissent nul bruit, nulle marque. L'habile légèreté de mes mouvements me porte sans heurt, sans accroc maladroit. Jusqu'aux grandes portes de la cité.

Ah! Les voici! Mais non, enfin, pas les portes! Qu'est-ce que j'en ai à fiche des portes de la capitale, aussi? Deux énormes planches de bois, ça ne vaut guère le détour. Mais, regardez donc par ici. Non, pas par là, là haut, à hauteur de mon regard d'argent. Qui glisse avec avidité sur les sonneurs de cors. Pas n'importe quel son, de véritables nuages colorés. Une poudre extatique.

Je pose mon esprit un instant. Le corps immobilisé sur un toit avoisinant. Réfléchit Amko' ... Mmm, non, je ne vois dans mes perspectives nulles atteintes à ma liée et son image. Que du contraire. Un rien de frivolité ne devrait lui causer de tort, huhu! Ni une, ni deux, réflexion faite, je me déplace avec expertise jusqu'aux musiciens. Plus exactement, deux hommes, prenant quelques moments de répit. Hé oui, c'est qu'il faut du coffre et de l'endurance pour souffler dans ces machins là. Heureusement qu'ils se relayent de temps à autre.

J'approche un petit homme assis, au regard d'un vert eau, qui s'éponge un rien le fief. Mon pas mesuré, accompagne un salut cordial. Le timbre de ma voix grave se fait aimable, comme rassurant. Certains ne sont pas friands de mon engeance. Que voulez-vous, un être doté de magie et d'une puissance particulière, cela n'a rien de rassurant. Mais, mon image se fait connaître depuis peu, et rares sont ceux qui s'inquiètent de ma présence, connaissant ma liée. La capitaine Lù. L'héroïne de Rorn -en train de parader, pour son plus grand bonheur, quelque part dans les rues de la ville- et, d'autant plus, troisième fille des Lù. Une noble et distinguée famille.

Bref. Tout ce blabla pour dire que je ne me soucie pas trop de la tête des gens qui croisent la mienne. C'est d'ailleurs un sourire discret qui m'accueille, ainsi qu'un retour aimable. Son collègue demeure plus distant, mais paraît intrigué.

"Ah! Bien le bonjour, citoyens. J'espère que les festivités n'usent pas trop de vos forces!" Je laisse ces derniers répondre, surtout le petit, posé en tailleur. Qui ne sera pas mécontent de prendre son après-midi, dit-il. Bien, bien. Je lève l'index, un fin sourire sur les babines. "J'ai une meilleure idée! Que diriez-vous de prendre congé plus tôt? J'ai grande envie d'essayer l'un de ces magnifiques cors, et pourrais tenir bien plus longtemps, sans prendre de pause."

Un soupçon de perplexité et d'étonnement me répond. Certes, inévitable. Mais laissons agir les graines plantées dans sa cervelle un bref instant. Il y a là de multiple avantages. Et puis, des précautions à penser... Oui, le voilà qui esquisse un sourire à son tour.

"Ma foi, messire divin, ce serait avec plaisir. Vous me déchargerez d'un poids. Mes poumons n'ont plus l'habitude."  Il se redresse en saisissant le long tube fait de corne et s'approche pour me le tendre. Tout en m'indiquant par la suite où se trouve les réserves de poudres colorées, ainsi que la manière de s'y prendre. Pour les disposer adéquatement dans l'instrument, comme la position la plus idéale à adopter pour souffler dans celui-ci. Ravit, je m'empare de l'instrument, écoute assidûment, et le laisse s'en retourner chez lui avec un large sourire.


Ah! Voilà un réel plaisir, ahah! Cela fait déjà deux ou trois heures que je remplace mon bon ami inconnu. Oui, en gigotant un peu plus que ne le demande ce poste. Quel intérêt de rester en place, aligné? J'ai, jusqu'à présent, battus le record de tous les autres souffleurs. Prenant position en divers lieux des hauteurs de la capitale. C'est hilarant. Surtout lorsque les festivaliers ne sont pas vêtus de blanc. La plupart d'entre-eux, ne souhaitent probablement pas être ainsi aspergé de la tête au pied, héhé!

Je redescends sur le bord d'une toiture à peine pentue. Une maison à plusieurs étages, qui m'offre belle vue. En voilà un autre, qui n'a pas jugé intéressant de se vêtir telle l'immaculée blancheur de certains ciels d'Aqua. Il porte du violet, de somptueux vêtements, à l'évidence. Le teint basané ne suffit guère, je pense que quelques notes colorées lui iront à merveille.

Et d'un souffle puissant, j'expulse un mélange explosif d'orange criard, de bleu vif, de rose pastel et de vert émeraude. Pouf! Tout retombe avec éclat sur son fief et ses frusques. Un rire à peine retenu s'éclipse de ma bouche, alors qu'une larme d'hilarité me monte à l'œil, face à sa réaction. Un soupçon de familiarité aussi, maintenant que je reprends un peu plus conscience de mes sens... Tiens, tiens, c'est un de mes semblables.

Vivre ta vie en couleurs

Pas content, pas content. Voilà qui sied à mon objectif premier! C'est qu'il me traite d'odieux, le gentleman? Attends voir, je vais te montrer toute l'étendue de ma politesse, cher confrère. Toi qui m'a l'air aimer donner des ordres, héhé.

L'habilité qui me caractérise me porte ci et là, au gré des mes amples et souples mouvements, afin de redescendre. En faisant un détour, bien évidemment. Histoire de passer devant divers spectateurs un rien ahuris qui ont remarqué l'échange. Tirant la langue et grimaçant à souhait. Cela ne fait pas rire tout le monde. Que voulez-vous? Les humains ont parfois encore peur de nous. Pourtant, ce ne sont ni mes singeries, ni son altesse poudrée qui l'inspirent, pouvez me croire.

J'atterris avec une classe modérée un bon mètre devant ma proie, à laquelle je révèle délicatement mes canines dans un bref sourire de façade. Qui disparaît sous l'élan d'une révérence modeste, mais crédible. Autant que le timbre léger, aux atours de sincérité, qui enrobe mon propos.

"Mes plus royales excuses, cher confrère. De loin, je vous ai confondus avec l'un de ces bipèdes pédants. Maintenant que je respire pleinement votre essence divine, je vais corriger cette attitude."

Je me redresse, un rien courbé, comme à l'habitude. Plus haut que lui, je toise son fief l'air neutre, voire doucement affable. J'avise rapidement et discrètement son habit, comme ses manières. Le reste de cette journée va me plaire plus que j'aurai pu l'imaginer. Une offre se faufile entre nous, d'un calme proche de l'enjouement et de la malice. Un cran ou deux plus bas, bien entendu.

"Souhaitez-vous un guide pour profiter des largesses du festival, sans... Avoir à dépenser le moindre tsuris humain?"