La jeune femme s’installa à son bureau. Elle inspira doucement, poussant d’une main les lettres qui étaient posées devant elle. Faire le vide dans sa tête, réfléchir, elle avait beaucoup de choses à faire en si peu de temps. Pourtant, elle lui en avait déjà trop pris.

Finalement, Nérée et l’homme qui s’invitait chez elle venaient de passer le pas de sa demeure. Sur le chemin bordé d’arbres, des regards interrogatifs des gardes, dans le hall d’entrée, un accueil de Maria, celle qui s’occupait tout ici. Après quelques échanges loin des oreilles du compte, la jeune noble le salua et le laissa seul en compagnie de la maîtresse de maison. Alors qu’un garde invitait Akelar à se délester de son arme apparente, Maria l’emmena dans la bibliothèque pour le faire patienter. Les pièces ne débordaient pas d’objets aux prix inestimables, mais il fallait avouer que la bibliothèque possédait un nombre conséquent d’ouvrages. Il y avait quelques fauteuils et table, pouvant ainsi servir de salon. Quelques parchemins n'étaient pas encore rangés ; on pouvait facilement imaginer que cette pièce était importante, surtout pour y faire patienter les invités. Nérée aimait la culture, après tout. Après quelques minutes d’attentes, Maria revint à sa rencontre.

« Veuillez me suivre, s’il-vous-plait. »

Elle l’emmena à l’étage, passa quelques portes pour s’arrêter devant la dernière du couloir. Elle invita silencieusement le noble à entrer dans ce qui semblait être le bureau de celui qui allait le recevoir.

Nérée avait appris beaucoup de choses, en échangeant innocemment avec le compte. Elle avait noté ces précieux souvenirs dans son carnet, fermé dans elle. Maintenant qu’il se présentait à nouveau devant elle, la vraie conversation allait débuter. « Vous qui espériez me revoir, j’espère que ce souhait est dorénavant comblé. » Peut-être espérait-elle en ces mots une confirmation qu’il se trouvait bien en face de la personne qu’il recherchait. Une personne de pouvoir, qui malgré lui avait déjà avancé ses pièces sur l’échiquier. Tout n’était pas joué, et si elle avait une petite avance sur les négociations, le jeu n’était guère finit ; surtout que ce contrat n’était pas inintéressant en soi.

« Installez-vous, soyez à votre aise en ces lieux. »

Un ton plus sérieux, nettement moins rêveur que celui employé à l'extérieur de ces murs. Nérée n'était pas qu'enfantine, après tout. Elle le laissa s’installer sur la chaise en face de son bureau, laissant doucement le silence retomber, impatiente qu’il démarre enfin la conversation pour laquelle il avait supporté son côté insouciant quelques temps auparavant.

Un sourire amusé face à sa surprise. Elle la comprenait parfaitement, elle ne lui tint alors guère rigueur de ce silence, de ces secondes qu’il laissa écouler. Le rire qu’il laissa échapper lui laissa au moins penser qu’il ne prenait pas du mauvais côté ce petit tour qu’elle lui avait joué. Ce n’était que partie remise. Ses mots restaient sincères. « J’ai pourtant pris beaucoup de plaisir lors de cette conversation au bord de l’eau. » Répondit-elle à ses mots. Dorénavant, ils pouvaient se consacrer au sujet principal de leur rencontre. La proposition du compte l’avait intéressée, chose pour laquelle elle avait acceptée de le recevoir. S’il avait apparemment besoin d’elle, elle aussi, au fond, elle n’avait pas de raison de refuser.

Nérée l’écouta reformuler une nouvelle fois sa demande, cette fois-ci d’une manière un peu plus formelle que lors d’une simple balade. Elle en profita pour sortir une carte de l’île, la déroulant sur son bureau. Il y avait plusieurs façon de rejoindre la région, plus ou moins évident avec un chargement. Il y avait beaucoup de paramètres à prendre en compte, la décision n’allait pas se prendre en cinq minutes.

« Avez-vous une idée de la quantité de bois dont vous avez besoin ? Et sous quelle forme ? »

Commencer par échanger sur les informations de base pour définir une proposition adaptée. Ses principaux partenaires étaient des constructeurs et des forgerons, et chacun avaient des besoins bien distincts en matière de bois. Si la jeune noble avait déjà quelques conditions en tête, elle restait assez libre quant aux volontés de ses partenaires.« Oh, pouvez-vous m’indiquer sur la carte l’emplacement de votre village ? »

Quelques questions pour commencer, doucement, mais sûrement. Elle ne devait pas sous-estimer l'homme qui se trouvait en face d'elle, ni inversement.

La jeune femme replaça correctement une mèche de cheveux bordant son visage, contemplant la carte de l’île. Sirk était un village plutôt reculé, avec peu de fréquentation sur les chemins balisés. Il n’y avait aucun gros village aux alentours, si ce n’était le domaine des Rochefort, un peu plus au sud. En vue des relations qu’elle entretenait avec la famille, cela faisait un allier de taille dans la région. Le principal problème était Nécra, un endroit qui pouvait cependant se contourner par la côte. Malgré tout, un convoi d’une telle ampleur demanderait ainsi plus de sécurité qu’à l’accoutumée. Dix mille unités était une base correcte pour les négociations ; il ne se présentait pas devant elle pour rien.

« Mh je vois… En général, je m’occupe de la livraison. Lors des gros convois comme celui qui se dessine aujourd’hui, je demande parfois quelques hommes à la charge du client en renfort, afin de ne pas risquer de trop grosses pertes en cas d’attaque. »

C’était surtout un moyen de ne pas porter seule la faute en cas de dommage, même si en général, on ne lui en tenait guère rigueur. Il suffisait d’accorder un rabais à la prochaine commande. Même si elle était parfois dure en affaire, la jeune noble savait fidéliser un client. Il était de toute façon bénéfique de commercer avec elle ; ou du moins son titre. Akelar aborda bien vite le sujet du prix, chose peu étonnante, mais il manquait encore quelques informations pour donner un prix exact à cette transaction.

« Avec l’attaque de Rorn et le besoin urgent de reconstruction, les prix ont un peu augmentés. »

Les temps lui étaient favorables. Son carnet de commande était déjà bien rempli, chose qui n’arrivait pourtant pas en début d’année. Le malheur des uns faisait souvent le bonheur des autres. Nérée releva la tête de sa carte pour poser son regard dans celui du compte, en face d’elle.

« En l’état, je partirais sur une base de neuf tsuris l’unité. »

Négociable, bien entendu, mais la jeune femme préférait voir dans un premier temps la réaction du noble, avant de lui faire une proposition plus détaillée.

Ils entraient dans le vif du sujet. Le premier prix venait d’être mis sur la table, juste, mais comprenant aussi les réductions futures. Le compte n’était pas venu pour seulement accepter ce chiffre, courbant l’échine comme beaucoup le faisait. Ses doigts tapotaient doucement la surface du bureau, attendant sans impatience la réaction de son futur partenaire commercial. Sur ce point-là, elle ne doutait pas qu’ils arriveraient à un accord, tant cette affaire paraissait bénéfique pour l’un, comme pour l’autre. Négocier un prix n’était pas l’activité qui lui plaisait le plus dans son métier, mais la jeune femme appréciait tout de même cette guerre mentale qui se jouait dans ce lieu paisible ; le but n’était pas forcément de gagner, mais de ne jamais perdre.

Nérée écouta attentivement le discours du compte, avançant des informations bien intéressantes. Si les commandes allaient être régulière et de plus en plus importante, cela allait certainement en influencer le prix. Il fallait cependant s’assurer que ce bon client n’aille pas voir ailleurs après un temps, pour une quelconque raison. Cet homme avait de grands projets concernant Sirk, et Nérée sentait qu’elle ne devait passer à côté de cette opportunité.

Elle prit quelques secondes de réflexion, observant le compte Katar qui venait de donner quelques arguments non négligeables.

« Je comprends bien votre raisonnement. Et je comprends aussi qu’en ces temps difficiles, chaque tsuris compte. » Pour être le premier à reconstruire, au plus vite, avant la prochaine bataille, comme elle le voyait avec Rorn. Pathétique et enrichissant raisonnement. Elle reprit : « Si je suis assurée d’être votre seul fournisseur de bois, je peux en effet faire un effort et baisser le prix à l’unité, mais je ne peux vous vendre à perte non plus. Pour cette première commande, je pourrais descendre jusqu’à sept tsuris l’unité de bois… »

Elle laissa sa voix doucement retomber, se demandant si une réduction de cette hauteur lui serait suffisante. Bien entendu, des réductions plus conséquentes viendraient par l’avenir, si comme il l’avait énoncé, les commandes seraient régulières, mais elle ne pouvait guère descendre bien plus bas, au risque de devenir déficitaire sur cet échange si les choses tournaient mal pendant la livraison.

« Cela vous ferait donc une réduction de vingt mille tsuris pour cette première commande. Si vous avez besoin de temps, vous pouvez payer la somme en plusieurs fois, si vous le souhaitez. Le but n’est pas de mettre à mal vos finances, ni les miennes, mais bien de trouver un accord nous arrangeant, à tous les deux. »

Elle laissa ses mots tomber doucement, se demandant si cette offre suffirait à Akelar. La négociation n’était pas fini, après tout.

Un sourire, face à ses paroles. L’exclusivité du contrat était sienne, mais elle venait aussi faire en sorte de le faire tenir le plus longtemps possible. De ce fait, même si elle avait pour habitude de négocier au fur et à mesure le prix avec ses clients, elle se doutait bien que refuser sa demande n’allait pas lui être profitable.

« Vous m’en voyez ravie. Si vous souhaitez un prix fixe, cela n’est pas dérangeant, au contraire. »

Il avait appuyé une seconde fois le fait que ses commandes allaient être fréquentes. Quelle motivation poussait ce comte à vouloir autant s’investir à Sirk ? La région était pourtant éloignée des conflits, qui se situaient pour le moment au niveau de Rorn et du temple d’Aer. La vallée sereine, comme son nom l’indiquait. Mais pour combien de temps ? La jeune noble sortit de ses pensées lorsqu’Akelar lui posa une question, à laquelle elle répondit d’un haussement de sourcil, signifiant son intérêt et son attention. Sa demande était pertinente, et intelligente.

« Cela peut être intéressant, mais… » Nérée marqua une petite pause, sachant qu’il fallait faire extrêmement attention avec la formulation de sa prochaine phrase. Elle reprit : « L’idée de dépendre ainsi entièrement des gardes du Prince ne me plaît pas totalement. Je ne voudrais emprunter des forces qui pourraient servir à protéger la population. Je pourrais cependant remplacer une partie de mes hommes par des gardes dorées, ce qui allégerai le coût et aurait tout de même l’impact voulu. »

Si Nérée supportait désormais la présence d’Izaya, son escorte, elle n’aimait guère l’idée de surveiller, et d’être surveillée par les yeux du Prince. Du moins, pas complètement. Malgré tout, avec ce compromis, elle pouvait faire une nouvelle concession sur le prix, chose qu’espérait sûrement le compte en face d’elle.  

« Partons sur un prix de soixante-cinq mille tsuris pour cette commande. Cela vous convient-il ? »