La fin de la journée se fit bien plus calme. Non pas qu’ils ne firent plus aucune rencontre, mais les deux jeunes femmes s’étaient murées dans un mutisme qui arrangeait tout le monde. Le groupe n’allait plus perdre de temps inutilement. Durant les quelques heures de marche, Nérée eut bien trop de temps pour réfléchir à la situation dans laquelle elle se trouvait et, malheureusement, elle n’arrivait à en tirer une conclusion satisfaisante. Elle en voulait tout comme elle ne souhaitait pas haïr complètement cette rousse qui se trouvait sur sa monture. Elle n’osait même plus poser son regard sur elle, comme si sa simple vision allait faire remonter des souvenirs désagréables. Certains, plus que d’autres.  

Alors que la journée touchait à sa fin, le groupe arriva enfin au village qui bordait le Désert Ambré. Il servait de point de passage pour bon nombre de voyage, qui venait s’y reposer avant, ou après la traversée de cette mer de sable. Voir enfin le désert fut sûrement la seule bonne chose positive de la journée. Ils passèrent enfin les portes du petit village. Hedret se dirigea sans attendre à la seule auberge du village, afin de trouver de quoi manger et se reposer. Ils l’avaient bien mérité, après tout. Le groupe attendit silencieusement son retour. Après de longue minute, il réapparu, la mine ni satisfaite, ni déconfite.

« J’suis passé à l’auberge, j’ai pris des chambres. Par contre, comme on arrive tard, y’en avait plus beaucoup. Va falloir s’serrer, j’ai que deux clés. Les filles d’un côté, les gars d’l’autre. »

Il tendit l’une des clés à Nérée, et garda l’autre. Elle la prit sans réelle motivation ; elle n’était vraiment pas enchantée par cette nouvelle. Elle appréhendait presque le fait de devoir se retrouver de nouveau en tête à tête avec elle. Elle se détourna sans un mot, se dirigeant vers l’auberge.

Avant que tout le monde vaque à ses occupations, le chef du groupe se rapprocha de Rymaïn, conscient que l’équilibre de son groupe restait fragile.

« Aller, repose toi c’te nuit. T’en as bien besoin. Tu décideras c’que tu feras demain. Et puis, ptete t’vas pouvoir te réconcilier avec. »

Oh, il n'était pas si bête qu'il en avait l'air, et il avait bien vu que la relation entre les deux femmes n'était pas au beau fixe. Il lui fit un clin d’œil à la fin de sa phrase, en espérant qu’elle ne lui en veuille pas trop pour ça. De toute façon, c’était ainsi, elle n’avait pas le choix et lui non plus. Lui, il avait ses intérêts financiers à garder son groupe entier. Il espérait que la nuit porterait conseil, comme disait le proverbe.

Nérée entra la première dans la chambre, à l’étage de l’auberge, assez modeste. Cela n’était guère important. Elle n’avait pas envie de rester plus longtemps avec les mercenaires, préférant le silence de la chambre pour le reste de la soirée. Elle posa ses quelques affaires sur l’une des chaises, se posant sur le rebord de la fenêtre. Son regard se perdit au dehors, qui donnait sur le désert, infini. Ce silence, il allait sûrement s’envoler, bientôt.

Rymaïn entra dans la chambre, un temps plus tard. Nérée ne pu savoir combien de temps elle était restée à regarder au dehors, ce désert qu'elle connaissait tant. Pour elle, le traverser ne relevait pas d'un exploit ou d'une corvée. Elle avait presque hâte d'être au lendemain, pour sentir cette sensation du sable s'enfonçant sous ses pieds. Cependant, elle avait toute une nuit à passer avant, en mauvaise compagnie.

Une compagnie au moins silencieuse, pour le moment. Elle entendit Rymaïn s'installer, et lorsqu'elle se retourna pour la regarder, elle la vit, allongée au sol, le visage fermée. La jeune femme soupira faiblement. Il n'y avait en effet qu'un seul lit double dans cette pièce assez chalereuse, mais aller jusqu'à s'en priver était idiot pour préférer la froideur du sol. Elle n'allait pas recupérer de sa blessure de la sorte. Nérée si fichait bien de dormir à ses côtés, malgré tous leurs différents.

La jeune noble se détacha de la fenêtre, détachant la cape qui reposait sur ses épaules. Elle enleva ses bottines, regroupant toute ses affaires au niveau de la chaise. Elle se rapprocha du lit, et s'y assit, en tailleur.

Elle resta là, songeuse. Peut-être que prendre la parole n'allait que rendre cette situation un peu plus insoutenable. La jeune femme aurait payé cher pour une nuit tranquille, seule. Mais elle se retrouvait de nouveau en compagnie de cette rousse, et ne pouvait que se laisser aller à la tentation, peu à peu.

Elle posa son regard sur elle. Lorsqu'elle était ainsi, semblant endormie, elle semblait presque agreable. Elle ne doutait cependant pas que le sommeil ne l'avait pas encore emportée.

« Viens au moins te reposer sur le lit. »

Une réflexion hasardeuse. Elle n'avait cependant pas dit avec de mauvaises intentions, comme elle l'avait pu le faire, dans l'après-midi.

Après un temps, Rymaïn lui repondit enfin. Nérée ne savait pas vraiment si la discussion était une bonne chose, si le silence n'etait pas la meilleure solution pour passer une nuit tranquille. Tranquille, elle ne pouvait malgré tout pas l'être pour le moment.

Elle disait que ce n'etait pas nécessaire, qu'elle avait l'habitude. Cela n'etonna pas la jeune noble, qui imaginait bien que sa vie quotidienne était bien différente de la sienne. Elle ne pouvait de toute façon qu'effleurer cette pensée, la chose qu'elle pouvait deviner étant ses origines nordiques. Du moins, elle l'avait trouvé a la limite de ce nord si attirant et dangereux a la fois.

Changer ses habitudes avait parfois du bon. La jeune femme se garda toute réflexion à se sujet, se doutant bien que cela n'allait pas la faire changer d'avis. Nérée avait bien compris qu'il ne servait à rien de discuter de la sorte. Rymaïn lui tourna le dos, lui intimant de dormir. Le soleil venait à peine de se coucher, et cette première journée n'avait été guère fatiguante ; physiquement, en tout cas.

« Je n'ai pas envie de dormir. »

Un peu gênée par les morceaux de cuir qui renforçaient sa tunique, elle les défit un par un, jusqu'à ne se retrouver qu'avec un simple chemisier blanc sur le dos. Elle les posa au bord du lit.

« Tu as déjà traversé le désert ? »

Son regard s’était posé sur ce dos, pour ne plus s’en détourner. Au moins, elle ne lui répondait pas avec cette agressivité qui la caractérisait souvent. Nérée savait qu’il n’y avait pas que cela, qu’il y avait parfois autre chose. Elle ne voulait guère creuser plus loin, malgré tout.

Le désert pouvait se montrer accueillant tout comme il pouvait être cruel. La jeune noble était bien placée pour le savoir. Rymaïn, avec cette jambe blessée, dont elle n’avait même pas pris le temps d’en changer le bandage, risquait déjà bien assez. En même temps, avec ces paroles coupant de temps en temps le silence, Nérée n’aidait pas non plus à trouver le repos.

« Alors tu devrais savoir qu’un mauvais repos peut être fatal. »

Sûrement le savait-elle déjà. Elle en revenait à ses tout premiers mots, mais d’une manière plus délicate qu’en lui exposant simplement qu’elle devait changer ses habitudes. Si le confort de cette pièce lui permettait de se reposer convenablement, il n’y avait pas à le refuser. Elle n’allait cependant pas insister plus longtemps.

Cette attention la surprit elle-même, tout d’un coup. Elle se rendait presque à cet instant qu’elle allait laisser sous-entendre qu’elle se préoccupait d’elle ; ce qui était vrai, au fond. Lorsqu’elle se retrouvait ainsi, avec Rymaïn, c’était toujours un extrême ou l’autre.

Le petit soupir que fit la rousse ne pu que s’entendre, dans cet endroit relativement calme. On n’entendait que vaguement le brouhaha venant de la salle principale, en bas, et l’étage était relativement calme. Tout comme l’était leur discussion, étrangement. Peut-être que ce soupir était sa réponse quant à l’évidence qu’elle venait de dire.

D’un coup, Rymaïn se retourna. Presque la jeune noble eut envie de détourner le regard, qui se fit cependant bien vite happer par celui olive. Alors qu’elle ne s’attendait pas à revenir sur le sujet, elle lui offrit une réponse, cette fois-ci plus explicite. En effet, avec une jambe dans un tel état, il était difficile de dire si la traversée du désert n’allait pas relever d’une simple folie. Fallait-il encore en prendre soin. Elle posa un instant son regard sur le bandage légèrement carmin puis, revint sur ce visage qui ne la fixait plus.

« Et ton or ? »

Elle lui avait dit qu’elle en avait besoin. La jeune noble eu l’impression qu’elle ne pouvait y renoncer facilement. Avait-elle pensé au reste du groupe, lorsqu’elle s’était séparé d’eux, risquant autant sa vie que la leur ? Il était un peu tard pour y penser, après cette blessure.

Sa dernière question lui demanda cependant un instant de réflexion. Elle ne pouvait guère lui répondre qu’elle n’en savait rien, et qu’elle n’avait cherché à le savoir réellement. Sa curiosité naturelle prenait souvent le pas sur le reste.

« Je ne sais rien de toi, finalement. »

Et c’était peut-être mieux ainsi. Mais finalement, n’était-ce pas normal de vouloir connaître plus quelqu’un qu’on côtoyait, volontairement ou non ? Aussi, elle cherchait à comprendre la raison de cette attirance. Non physique, autant présente que cette envie de la fuir à chaque fois qu’elle se trouvait à proximité. Elle garda cependant cette partie de réponse pour elle, pour le moment.

Sa question sembla la faire réfléchir un instant ; pour une fois qu’elle prenait la peine de le faire. Au final, il n’y avait plus vraiment cette tension entre les deux rousses, même si elle n’était jamais bien loin. Ce soir, après les cris de la journée, elles réussissaient à parler plus ou moins calmement, sans ne rien dire cependant. Chacune des deux répondaient sans répondre ; mais prenaient au moins la peine de répondre.

Nérée se doutait bien qu’il pouvait y avoir des choses plus importantes que l’or, pour Rymaïn. Pour elle aussi. Avoir de l’argent ne faisait pas tout, et elle était bien placée pour le savoir.

Pour sa dernière question, la jeune noble s’attendit à une pique, mais elle fut bien moindre qu’escomptée. Elle lui avait qu’elle ne lui intéressait pas. C’était vrai, face au comportement et aux propos qu’elle avait adopté. Mais dans cette chambre, il n’y avait eu, pour le moment, rien qui puisse l’agacer une nouvelle fois. Rien qui puisse la faire se désintéresser d’elle complètement.

Elle posa une autre question, à laquelle il était plus facile de répondre. Nérée choisit cette facilité, elles reviendraient sûrement sur l’autre sujet de discussion, peu importait. Elle se redressa, regardant son sac sans fond, à l’autre bout de la pièce.

« Je crois, oui. »

Elle se leva et alla vérifier. Heureusement pour Rymaïn, il lui en restait encore un peu. Elle revint vers cette dernière, le bandage ainsi que de quoi laver et désinfecter la plaie en main. Entre temps, elle avait décidé d’enlever son pantalon, découvrant des jambes toutes aussi marquées que le reste de son corps. Elle perdit un instant son regard dessus, puis se mis à agir.  

Comme elle l’avait fait plusieurs fois pour elle, la jeune noble n’allait pas la laisser se débrouiller avec ce qu’elle avait amené. Il était toujours plus difficile de se faire un bandage à soi-même. Nérée la fit s’asseoir sur le lit, afin de faciliter son intervention. Elle aurait tout le loisir d’y redescendre, si elle tenait réellement à rester au sol. Une fois fait, elle s’assit au sol, en face de la rousse, regardant un instant ce bandage qui avait viré au carmin. Lorsqu’elle l’enleva, la blessure qui se trouvait en dessous n’était vraiment agréable à regarder. La chair avait été arrachée, et perlait encore par endroit. Cela allait sûrement lui faire mal.

Après de longues minutes à nettoyer puis désinfecter du mieux qu’elle pouvait la blessure, elle finit enfin d’entourer sa jambe du tissu propre. C’était vraiment plus efficace que ce qu’avait essayé de faire ce Dayne, tout à l’heure.

« Voilà. »

Elle souffla ce mot, ne sachant pas trop quoi dire de plus. Elle alla se laver les mains, puis retourna s’asseoir au bord du lit, à côté de là où Rymaïn ne se trouvait encore, ou non.