Cela ne menait à rien. Rymaïn lui avait répondu que c’était plutôt de sa propre faute ; elles étaient bien avancée. Cette réflexion lui fit échapper un faible soupir, presque résignée. Ce calme après la colère immense, elle n’arrivait ni à la suivre, ni à la comprendre. Elle n’arrivait plus non plus à se comprendre elle-même. Elle lui avait demandé de la regarder mais elle-même ne le souhaitait plus. A la place, une main s’était calée sur son visage, comme pour s’empêcher de regarder en sa direction. Qu’elle ne la regarde pas, alors. Elle tenait cependant encore sa main, faiblement, comme si elle ne voulait pas la laisser partir. Peut-être parce qu’elle pouvait partir pour de bon, et que cette simple possibilité, elle ne voulait pas la laisser prendre plus de place.

Son regard se déporta à son tour, vers le sol. Ses reproches étaient fondés, et la jeune noble n’avait pas grand-chose à répondre. Les mots ne suffiraient pas à lui faire comprendre ce qu’elle avait. Rien ne venait, comme si Rymaïn empêchait toute réflexion construite. Comme une tornade qui bousculait tout sur son passage, qui dérangeait plus qu’autre chose. Mais tout aussi nécessaire.

« Mais je ne sais pas comment me comporter avec toi ! »

Avec une même phrase, elle pouvait tout aussi bien l’énerver que la rendre indifférente. Nérée avait haussé un peu le ton, mais sa volonté de se prendre la tête avec Rymaïn retomba aussitôt.

« Je n’en sais rien… »

A bout de souffle, elle lâcha ces mots, lâchant aussi cette main, qu’elle retenait. En relevant la tête, elle avait attrapé ce regard, de nouveau, malgré tout.

« Tu n’en as pas envie, mais tu le fais quand même… »

Peut-être était-ce la même chose pour elle. C’était souvent impossible de faire autrement. Pour une raison inconnue, ou qui ne voulait être connu, elle ne savait guère. A vrai dire, Nérée ne s’en souciait plus. Cette main qui ne tenait plus la sienne ne retomba pas complètement, remonta même, jusqu’au visage de Rymaïn. Elle effleura sa joue, puis le toucher se fit plus franc. Dans un mouvement, elle la poussa légèrement, afin de ne plus voir ce dos à demi-tourné vers elle. Ce regard de biais ne lui plaisait pas. Peut-être qu’à la place des mots, elle devait être plus spontanée, à son image. Curieuse, elle allait essayer. Elle pouvait bien l’énerver, faire naître en elle des émotions qu’elle n’aurait même pas songé avoir, il y avait des choses qui ne pouvaient pas changer.

« Dire que tu ne m’importes pas est faux. »

Avouait-elle avoir menti ? Pas complètement. Il y avait des moments où Nérée ne voulait que tout laisser tomber, où elle ne voulait plus voir ce visage qui l’énervait, ne voulait pas écouter ces mots qui ne la laissaient pas indifférente. Rymaïn ne la laissait pas indifférente. Elle avait dit ses mots juste avant que ses lèvres touchent les siennes. Une fuite en avant, après tout, elle lui avait reproché de lui poser trop de questions.

Elle ne savait même pas pourquoi elle était allé si loin, tout d’un coup. Sûrement pour la faire réagir, elle, ou Rymaïn.

C’était une solution comme une autre. Une option qui lui était venue à l’esprit aussi soudainement qu’elle l’avait appliquée, sans vraiment réfléchir. Sûrement pas la meilleure qui soit, mais elle faisait au moins taire les quelques questionnements qui tournaient depuis bien trop longtemps dans sa tête. Elle en avait assez de les écouter, puisqu’elle n’arrivait à les partager avec elle. Peut-être était-ce une bonne solution pour communiquer. Elle aussi, elle avait envie de se taire. Passer d’un extrême à l’autre n’allait sûrement pas être des plus agréable pour Rymaïn, mais elle devait commencer à avoir l’habitude. Cette dernière finit cependant par lui répondre, passant doucement une main sur sa joue.

Sans surprise elle prit rapidement le dessus, ce qui ne la gêna pas, bien au contraire. Elle avait déjà initié le mouvement, elle n’allait pas non plus tout faire. Nérée se laissa pousser en arrière, de toute façon bien trop occupée par ses lèvres, jusqu’à ce que son dos heurte le bois d’un des box de l’écurie. En général, elle n’appréciait pas de se sentir acculée de la sorte, mais il fallait avouer qu’en cet instant, c’était plus qu’agréable. Ou peut-être était-ce ce souffle chaud qu’elle sentait contre sa peau, qui l’était. Elle soupira faiblement d’aise alors qu’elle remontait déjà, jusqu’à son oreille. A sa menace, elle ne put s’empêcher de sourire, avant d’à nouveau s’emparer de ses lèvres.

Nérée avait bien retenu qu’il y avait des moments où il ne fallait guère parler, avec Rymaïn. C’était assez difficile de se retenir, surtout depuis qu’elle lui avait intimer de ne rien dire. Elle passa alors les mains autour de son cou, la pressant un peu plus contre elle, comme pour l’empêcher ses lèvres de quitter les siennes. Cela arriva malgré tout. Une voix s’était soudainement élevée vers l’entrée de l’écurie, ce qui avait fait reculer instantanément Rymaïn de quelques pas. Encore le souffle court, la jeune noble regarda vers l’entrée, voyant la silhouette de Dayne se découper dans l’obscurité. Les avait-il vu ? Si cela n’était guère important, le fait d’être dérangé de la sorte, une nouvelle fois, commençait à l’agacer. Un agacement bien différent que celui que pouvait créer la rousse. Elle passa ses doigts sur ses lèvres, pensive, alors que le mercenaire demandait ce qu’il se passait, ici. Beaucoup trop de choses.

La réaction de la nordienne fut tout de même surprenante. Après avoir mis en évidence la stupidité du mercenaire, elle tourna aussitôt les talons, les laissant seul. Nérée resta un moment silencieuse, son regard allant et venant entre ce dos qui disparu rapidement et ce visage, un peu décontenancé. Cet air changea d’ailleurs bien vite, lorsque le mercenaire fit vraiment attention à elle. Un regard étrange, tout autant que ses paroles.

« Oui. »

Ce fut la seule réponse qu’elle lui accorda, n’arrivant à connaître la pensée qui se cachait derrière ces mots. Cela ne pouvait venir de nulle part, surtout maintenant. Sans vraiment l’attendre, la jeune noble sortit à son tour de l’écurie, et le mercenaire lui emboita le pas. Arrivée devant sa chambre, Dayne s’arrêta, la dévisageant une nouvelle fois. Nérée le regarda, presque méfiante. « Bonne nuit » souffla-t-elle sans vraiment le penser, fermant rapidement la porte derrière elle.

Rymaïn n’était pas revenu. Sûrement avait-elle besoin d’un peu de solitude, tout comme elle. Nérée se laissa tomber sur le lit, enlevant mollement ses bottes et son bas de tunique. Elle resta là, le regard fixant le plafond, un peu perdue dans ses pensées. Peut-être qu’elle ne reviendrait pas. Il fallait s’attendre à tout, avec elle. Elle s’endormit sur cette dernière pensée.

Le sommeil se fit cependant de courte durée. La jeune noble se réveilla lorsqu’elle sentit une certaine pression sur le matelas. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle pu voir que Rymaïn était revenue, et s’était couchée, à ses côtés. Certes, au bord du lit, mais elle avait fini par abandonner l’idée de dormir au sol. De toute façon, le lit n’était pas bien grand, et elle pouvait facilement l’atteindre en tendant le bras. Rymaïn lui tournait le dos, lui offrant simplement cette chevelure de feu, tombant en cascade dans son dos. Sans vraiment s’en rendre compte, elle avait fait glisser sa main, prenant l’une de ses mèches entre ses doigts pour jouer avec.

Elle n’y avait pas vraiment fait attention jusqu’alors, mais ses cheveux étaient un peu comme les siens. Ce roux était bien plus marqué, mais ils étaient aussi longs et volumineux. Aussi doux, aussi, même si Nérée devait bien plus s’entretenir qu’elle. Il y avait sûrement encore une multitude de choses à découvrir, à propos de Rymaïn. C’était pourtant dangereux, de toujours avoir l’envie d’en savoir plus. Elle l’avait bien vu, que la colère l’attendait toujours au tournant. Elle aimait vivre dangereusement.

Ses doigts jouaient toujours avec l’une de ses mèches, qu’elle avait attrapée. Elle fit attention à ne pas trop tirer dessus, mais visiblement, ce simple touché suffit à la faire réagir. Un murmure, montrant qu’elle était autant réveillée qu’elle.

« Sûrement… »

Encore un peu l’esprit embrumé par le sommeil qu’elle venait de quitter, elle souffla ce simple mot. Demain une longue journée allait l’attendre, la traversée du désert n’était pas une chose aisée à faire. Cela allait aussi être le cas pour Rymaïn. Sa blessure compliquait bien des choses. Pouvait-elle seulement continuer le voyage en leur compagnie ? Elle lui avait fait part de son doute, il y a quelques heures. Ce doute n’avait pu s’envoler durant ce court laps de temps. Sa main relâcha la mèche de cheveux qu’elle était en train d’emmêler entre ses doigts, la laissant à côté.

« Tu ne continueras pas, demain ? »

Elle se doutait bien que la réponse serait positive. Il ne pouvait en être autrement, avec cette blessure handicapante. Finalement, Dayne avait peut-être un peu raison. C'était dommage.

Sa réponse vint rapidement confirmer cette appréhension qu’elle ressentait un peu. Tout allait se finir demain. Nérée souhaitait rejoindre Layane, mais elle s’était faite à l’idée que ce voyage se ferait en compagnie de Rymaïn. Les mercenaires ne l’intéressaient pas. Elle aurait même plus vite fait d’appeler Steesha ou Shénzi pour traverser le désert. Soudain, la rousse s’arrêta au milieu de sa phrase, ce qui attira un peu son attention qui divaguait, entre le sommeil qui l’attendait, et cette chevelure de feu. Vraiment, elle avait l’impression qu’elle se faisait bien trop de soucis pour elle.

Rymaïn finit par se redresser, peut-être elle s’était-elle fait à l’idée qu’elle ne dormirait pas pour le moment. La nuit était déjà bien avancée, l’auberge était silencieuse. La jeune noble ne s’en voulut cependant pas de la tenir ainsi réveillée, alors qu’elle lui avait elle-même conseillée de se reposer le plus possible. Le conseil qu’elle formula, elle, la laissa songeuse.

« J’ai égaré un objet qui m’est cher. Une broche. Je l’ai sûrement oublié à Layane, lors de mon dernier voyage là-bas. Ce n’est pas réellement une question d’urgence, je souhaite simplement remettre la main dessus. »

Nérée se portait bien, et dans le pire des cas elle serait légèrement fatiguée le jour levé. A première vue, ce n’était pas des conditions défavorables à un voyage. Quelles étaient celles de la rousse ? Elle devrait arriver à Layane au bout de quelques heures, voir plus en cas de mauvaises rencontres. Une fois là-bas, elle pourrait enfin remettre la main sur ce cadeau que lui avait fait son père, il y a longtemps.

Cependant, si elle avait toujours la même volonté de rejoindre au plus vite sa ville d’enfance, la jeune noble ne ressentait cependant plus la même urgence de le faire. Si elle continuait, cela se ferait inévitablement sans Rymaïn.

« Je devrais… » Elle devrait beaucoup de choses, selon Rymaïn. Selon elle aussi, il y avait beaucoup de choses qu’elle devrait faire, que cela soit aujourd’hui ou demain. En effet, cela ne serait peut-être pas plus mal de suivre ces conseils. Mais Nérée n’était pas du genre à être si facile.

« Ce n’est cependant pas compatible avec ce que je souhaite, en ce moment. »

Elle ferma les paupières, prenant une lente inspiration. Elle trouvait cette nuit longue et à la fois courte. Il y avait des choses qui la poussait à vouloir être au lendemain, mais d’autres, qui ne voulaient qu’arrêter la lune pour que jamais ne se lève le soleil. Cependant, Rymaïn déséquilibra un peu plus la balance, lorsqu’elle parla de sa broche, avec une précision surprenante. Elle rouvrit les yeux, regardant Rymaïn assise à côté d’elle, captant ce regard olive, malgré la pénombre. Elle hocha silencieuse la tête, surprise, confirmant sa description. Elle devait vraiment l’avoir su sur son bureau à Lüh et pourtant, elle, elle l’avait cherché là-bas.

Ce questionnement se rajouta à celui concernant l’entêtement de la rousse à vouloir l’empêcher de continuer ce voyage. Si elle ne voulait pas la voir continuer, elle pouvait au moins faire l’effort de le lui dire clairement.

« Ça ne m’aide pas… »

Elle souffla ses mots, un peu pour elle-même, ce doute commençant à être agaçant. Il y avait ce contrat qui la liait avec les mercenaires, cette broche qu’elle voulait retrouver, et Rymaïn. Ce dernier point commençait à prendre une importance qu’elle ne contrôlait pas vraiment. Elle lui demanda d’ailleurs ce qu’elle souhaitait.

« Tu sembles vraiment vouloir me faire changer d’avis concernant ce voyage à Layane… »

C’était après tout l’impression qui lui restait, après tout cet échange. Sûrement parce qu’elle le trouvait hasardeux, voire inutile, lui ayant informé que sa broche se trouvait finalement à Lüh. Elle n’avait aucune raison de douter de ses paroles, alors Layane devenait de moins en moins intéressant. Même pas du tout. Si sa broche était à Lüh, elle voulait y retourner. Sûrement aussi parce qu’elle s’en faisait pour elle. Ce qu’elle lui avait dit dans l’écurie, elle ne l’avait pas oublié.

« Voudrais-tu retourner à Lüh avec moi ? »

Une simple question, mais qui impliquait beaucoup de choses.

« C’est ce que je souhaite, pour l’instant. »

S’il n’y avait aucun intérêt à aller à Layane, elle allait alors retourner à Lüh. Elle n’avait que faire de changer son itinéraire en plein voyage, ces idiots de mercenaires étaient de toute façon payé pour la suivre. Si la jeune femme devait aussi se rendre à Rorn, retrouver sa broche était un peu plus important que ces histoires de contrat. Elle venait de proposer à Rymaïn de la suivre, elle qui comptait les quitter dès le lendemain. La plaine de la traversée de la rivière blanche était bien moins dangereuse que le désert. Cette dernière venait d’ailleurs de lui demander la raison de sa proposition, un peu surprise.

« Pour récupérer ma broche. »

Elle répondit du tac au tac. C’était évident. Il y avait aussi une raison plus réfléchie ; sa surprise était justifiée. Tout aussi simplement qu’elle venait de le dire, elle voulait le faire avec Rymaïn.

Tout finissait cependant par se compliquer avec elle. Nérée aurait dû le sentir venir, l’étrange calme de leur discussion ne pouvait que cacher quelque chose. Alors qu’elle refermer les yeux, ils revinrent se fixer subitement sur Rymaïn, alors qu’elle revenait sur le sujet de la broche. Elle en savait beaucoup à son sujet, presque un peu trop. Lorsqu’elle la vit détourner le regard, cela ne fit qu’accentuer un soupçon, qu’elle confirma, juste après. Elle se redressa, l’air hagard, comprenant qu’il y avait une bonne raison quant à la disparition de ses bijoux. « Une babiole… ? » Souffla-t-elle, n’en revenant toujours pas. Elle n’avait pourtant pas dit cela avec de la colère, comme elle aurait pu facilement s’y laisser prendre. Une pointe de tristesse, peut-être.

Elle lui avouait cela avec une facilité déconcertante. En était-elle fière, de lui avoir caché la vérité de la sorte ? La jeune femme se sentit réellement idiote. Elle l’observa détacher un collier de son cou, qui était caché sous ses vêtements. Son regard se posa sur sa broche, un moment, alors qu’elle était posée juste à côté d’elle. Depuis quand portait-on, de toute façon, une babiole autour du cou ?

Nérée se rallongea, tournant le dos à Rymaïn. Elle n’allait pas lui faire le plaisir de s’énerver une nouvelle fois contre elle, ce qui n’allait de toute façon rien changer à la situation, ni à ce qu’elle avait fait. Elle ne voulait pas non plus lui offrir ce visage déçu, qu’elle n’arrivait plus vraiment à cacher. Plus que ce qu'elle avait fait, c'était la manière dont elle le lui avait annoncé qu'elle n'arrivait pas à accepter. Finalement, Rymaïn devait n'en avoir rien à faire d'elle.

« Si tu tiens tant que ça à avoir un dédommagement pour tout ce que tu fais pour moi, tu peux simplement me le dire. »

Maintenant, elle n’avait plus envie de rien. Ni de l’entendre, ni de reprendre voyage, que ce soit pour aller à Lüh ou Layane.

« Garde cette babiole. »