De retour à Lüh et déjà elle repartait. Elle n’avait pas envie de rester ici. Elle s’était un peu amusée, avait beaucoup divagué, mais elle ne pouvait pas faire totalement abstraction de ce qui semblait la suivre depuis son enfance. Elle avait fait demi-tour prématurément, et peut-être qu’elle le regrettait un peu. De toute façon, elle n’était pas indispensable pour que ses affaires tournent, avec ce climat de conflits. Ni pour le reste. Un voyage de plus ou de moins n’allait guère changer grand-chose.  

Elle arrivait au port, alors que le soleil venait seulement de se lever. Les cheveux ondulant doucement au vent, elle regarda un instant les alentours, finissant par repérer le bateau sur lequel elle allait passer les prochains jours. Elle n’avait pris que son sac sans fond, comme à son habitude, et portait une tenue plutôt simple comparé à ce qu’elle pouvait porter d’habitude. Cette fois-ci, au moins pour la durée du voyage, elle n’inviterait pas Shénzi. Nérée avait senti que ce genre de moment ne lui était pas nécessaire. Elle voulait aussi lui parler seul à seul, et la présence d’autres voyageurs ainsi qu’un équipage n’aiderait en rien. Elle fut l’une des dernières à monter à bord du bateau marchand, qui faisait un long voyage vers Oagran. Elle avait pris avec elle les affaires chaudes qu’elle avait acheté là-bas car, même si l’était était présent, au nord de l’île cela n’y changeait rien. Mais pour le moment, il faisait bon, ce matin-là.

Quelques paroles échangées et déjà le navire quittait le port. Le capitaine du bateau semblait la reconnaître, mais cela n’avait guère d’importance. Ici, on payait simplement pour voyager, pas pour poser des questions. Le voyage allait être long. Nérée décida de se promener un petit peu sur le pont, levant les yeux vers les mats pour y trouver un possible coin tranquille. Elle n’avait pas le vertige. Elle arriva vers la proue du bateau, mais s’arrêta d’un coup.

Ses yeux se posèrent sur son dos pour ne pas s’en détourner. Était-ce seulement possible ? Nérée se fichait bien des Quatre, mais ces rencontres à répétitions commençaient à devenir suspectes. Elle n’avait cependant plus le temps pour ces idioties, ni l’envie. En vue de leur dernière séparation, il était évident qu’il n’y avait rien d’autre que de l’amusement, pour l’une comme pour l’autre. Un jeu sûrement malsain, qui semait un doute désagréable. Peut-être qu’elle ne voulait simplement plus avoir affaire avec elle, pour de nombreuses raisons. Elle avait eu le temps de réfléchir à tout ce qui s’était passé, depuis la dernière fois. De trop réfléchir, ce qui n’avait amené que du désintérêt pour tout ce qui pouvait se profiler. La jeune femme resta un moment à quelques mètres d’elle, dans son dos, un peu songeuse. Puis, elle finit par sortir de son sac sans fond un bout de tissu. Une cape. Celle que cette rousse qui ne faisait que de croiser son chemin avait oublié, il y a un moment déjà, chez elle.

Elle aurait déjà dû lui redonner, elle n’y avait juste pas pensé. Elle n’avait pas pensé à faire beaucoup de choses. C’était sûrement l’occasion. Elle fit alors quelques pas en avant, puis arrivée juste derrière elle, elle posa la cape sur la rambarde sur laquelle elle était accoudée.
Le voyage allait être long.

Nérée soupira faiblement. Il n’y avait rien de bon à faire ce geste, elle aurait sûrement dû rester dans son coin. Cependant, avec plusieurs jours sur le même bateau, elle ne pouvait l’éviter, alors autant forcer la confrontation dès le début, pour en finir rapidement. Non pas qu’elle y tenait spécialement, mais elle se doutait bien que cela serait le cas pour Rymaïn. Elle ne voulait pas l’importuner plus longtemps. Après tout, les retrouvailles n’étaient pas des plus joyeuses.

Elle resta à quelques pas d’elle, elle qui ne lui avait même pas offert un regard. Cela ne changerait rien. Ses yeux hésitèrent entre ce dos et l’océan qui s’étendait à perte de vue devant elle, pour s’y perdre finalement. Sa voix la piquait autant que l’air marin, lui donnant simplement l’envie de lui tourner le dos, comme elle l’avait fait. Sans rien dire, simplement. Au moins, elle ne l’avait pas ignorer. La cape posée sur la rambarde se soulevait un peu avec le vent. Maintenant, elle souhaitait qu’elle garde sa cape. Ce choix n’était pas vraiment compatible avec ce ton employé, mordant.

« Garde pour toi cette exaspération, s’il-te-plait. »

Nérée n’en voulait pas. Elle, elle faisait au moins l’effort de lui parler calmement, malgré tout. Tout ce qui s’était passé et cette situation grotesque. Elle avait autre chose à penser pour se laisser distraire par ses états d’âme. Elle-même était décontenancée par cette rencontre soudaine, comme si on jouait avec leur destin pour les faire se rencontrer quand elles ne s’y attendaient pas. Ce n’était pourtant pas une raison pour revenir tout ce qu’il s’était passé ou dit.

« Je voulais simplement en profiter pour te la rendre. »

La jeune noble ne savait plus vraiment quoi penser de Rymaïn. Elle avait vécu les deux extrêmes avec elle et ne souhaitait pas particulièrement retourner vers l’un, ou vers l’autre. Elle reprit la cape qui risquait de s’envoler, la rangeant une nouvelle fois dans son sac sans fond pour l’oublier. On pouvait y perdre les choses, si on les oubliait. Peut-être qu’elle y arriverait.

Il n’y avait rien de plus à en tirer.

Elle se tenait encore ici et ne savait guère vraiment pourquoi. Elle avait tenté de lui rendre sa cape, elle avait refusé, il n'y avait rien de plus à dire. La jeune noble soupira à cette pensée, faiblement. Mais sûrement elle se tenait encore là puisqu'il n'y avait pas de départ possible. Sur un bateau, il était difficile d'ignorer les autres ; surtout Rymaïn. Cette présence devenait tout de même de plus en plus préoccupante.

Un reproche, un autre. Nérée ne comprenait pas d'où lui venait toute cette froideur à son egard, autant qu’elle se doutait bien de ce qui pouvait la pousser à réagir de la sorte. Après tout, elles en venaient à commencer une discussion houleuse alors que ni l'une ni l'autre ne songeait il y a cinq minutes à une potentielle rencontre. Tout était trop brut et rapide.

« Je ne sais pas. Ce n'est simplement pas à moi. »

Et elle ne trouvait aucun intérêt à garder et à faire attention à quelque chose qui ne lui appartenait pas. Le fait que cette cape soit à Rymaïn ne devait pas changer cela. C'était une mauvaise idée que de s'attacher à cette pensée. La jeune rousse avait repondu toujours sur ce même ton calme, presque détaché. Elle n'avait que dit ce qu'elle pensait, et agi en conséquence. Nérée ne voulait de toute façon plus hausser le ton avec Rymaïn, cela n'amenerait qu'à de la frustration supplémentaire à celle qu'elle avait plusieurs fois ressentie. Pour beaucoup de choses. Elle n'allait pas faire l'effort de lui expliquer le fond de sa pensée, de la raison pour laquelle elle n'y avait pas pensé lors de leur dernière rencontre.

« Je n'ai pas fais exprès de prendre le même bateau que toi. Tourne moi le dos autant que tu le veux, cela ne changera plus rien. »

Les deux jeunes femmes allaient devoir cohabiter un tant soit peu sur ce petit bateau marchand. A force de se voir et de se quitter brutalement, il y avait des liens qui se tissaient et se brisaient. Finalement, qu'elle lui tourne le dos ou non ne changerait presque rien ; pour ne plus rien briser il suffisait de ne plus rien créer. Elle restait pourtant encore la, quelques instants de trop.

Elle passa une main dans ses cheveux, dont quelques boucles s’envolaient avec ce vent marin. Finalement, son regard avait bien rapidement dérivé sur Rymaïn, pour ne plus s’en détacher. Elle allait après tout être l’attraction de ce bateau ; pour le meilleur et pour le pire. Au moins, elle n’allait pas s’ennuyer si le destin lui réservait autant qu’elle le lui avait offert en sa compagnie. Une poignée de jours, sans pouvoir vraiment s’ignorer, cela allait être long. Tout aussi long que les secondes qui s’écoulaient, lentement, alors qu’elle attendait une réponse, ou quoi que ce soit d’autre.

Soudain elle se retourna. Enfin. Une nouvelle fois son regard se plongea dans celui olive, sans animosité aucune. Nérée ne pouvait dire qu’il lui avait manqué, mais elle commençait à avoir l’habitude de ce visage. Cette rousse était bien vite passée de connue à familière, bien trop vite puisqu’il manquait des éléments nécessaires à dire qu’elle se sentait proche. En confiance.

Elle l’écouta, notant que sa froideur dans sa voix avait un peu baissé. A force de recevoir des mots acerbes, d’entendre cette voix tantôt froide, tantôt énervée, la jeune noble commençait à se repérer dans ce terrain toujours inconnu. Elle fit tout de même une petite moue songeuse à la suite de sa question. Oh, elles pouvaient changer beaucoup de chose, à commencer par le fait de s’adresser la parole. Rymaïn lui répondait toujours, après tout. Elle aussi.

Nérée haussa un sourcil, baissant son regard sur cette main tendue. Elle ne comprendrait jamais. Sa main vint alors jusqu’à la sienne, non pas pour reprendre son bijou, mais pour refermer la paume de Rymaïn dessus. Elle releva ses prunelles sur son visage.

« La différence entre toi et moi, c’est qu’au moins lorsque je fais quelque chose, je le fais clairement. »

Rejeter n’était pas donner. Elle n’était sûrement pas irréprochable sur ces mots, mais pour le moment, elle était la seule à avoir fait ce geste de lui laisser volontairement quelque chose entre les mains. Nérée n’allait pas revenir sur cette décision, même si prise sur un coup de tête.

On pouvait aussi voir les choses différemment. Il y avait la destruction et la création, mais après tout, lorsqu’il n’y avait plus besoin de créer, il n’y avait plus besoin de rien. Si le destin les forçait à se rencontrer de nouveau, pourquoi dénigrer ce fait ?

« Je te l’ai dit, je pense qu’à ce point, quoi qu’on fasse, cela ne changera plus rien. »

Nérée se répétait un peu, mais elle le pensait. Il s’était passé bien trop de choses pour en finir en tournant simplement le dos. Ignorer, fuir, c’était bien trop facile et impossible ; elles étaient punies par cette nouvelle rencontre. Mais il y avait aussi un point non négligeable à prendre en compte.

« Et puis, Je n’ai pas envie d’en finir. »

Ce contact avec sa main étrange, autant que le fait qu'elle ne l'ait pas encore laché. Nérée n'était pourtant guère tactile. Elle n'était pas spécialement attirée par le fait de la toucher, mais quelque chose retenait encore cette main un peu plus longtemps. Rymaïn était vraiment particulière, même si cela était difficilement avouable. Elle avait pris une bien trop grande place dans son esprit et allait sûrement l'occuper bien plus encore durant le voyage en bateau. Haïssement ou intérêt, elle était tout de même là, malgré tout.

Elle avait déjà entendu cette phrase sortant de ses lèvres. Ce n'était pas la première fois que la rousse la traitait d'aveugle, et elle s'en fichait. Elle ne lui offrit qu'un haussement de sourcil comme réponse, ne voulant pas s'attarder sur le sujet. Rien n'était clair. Nérée laissa sa main retomber lorsque Rymaïn rompit enfin le contact, pour raccrocher sa broche autour de son cou. Au moins elle ne l'avait pas jeté par dessus bord. Il était à sa place.

Nérée replongea de nouveau son regard dans le sien, dans celui qui la regardait aussi. Il était à certains points attirant. Il y avait pourtant cet étendue bleu, magnifique elle aussi, mais Rymaïn était désagréablement monopolisente. Mais la jeune femme s'y était fait, et n'y voyait après tout aucun mal à cela. Ces hauts et ces bas qui mettaient un peu de couleurs dans sa vie, oui, c'était attirant.

Lorsqu'elle mis des mots sur ce ressenti, la réaction de Rymaïn ne se fit attendre, ni manqué puisque la jeune noble la fixait. Une réaction qu'elle avait eu de nombreuses fois. Elle se retourna lui demandant la raison non sans une pointe d'agressivité dans le fond de sa voix. Nérée savait qu'elle allait sur un terrain quelque peu glissant mais n'avait que faire de ces réactions puériles. Comme elle lui avait dit, lui tourner le dos n'y changerait rien.

« Tu ne donnes pas l'impression de le vouloir. »

Elle s'avança à son tour, s'accoudant à la balustrade, regardant un instant Rymaïn en biai, puis le portant sur l'océan devant elle. Elle allait finir par se lasser de ce genre de fuite, elle le savait. Peut être même qu'elle l'était depuis cette nuit-là.

« Parce que. Aussi détestable que tu puisses être, j'apprécie ta compagnie. »

C'était un fait, sinon, elle ne serait pas à ses côtés en ce moment précis.