En avait-elle trop dit ? Pas assez ? La jeune femme n'avait l'habitude de s'ouvrir ainsi, de parler au même rythme que ses pensées, sans dissocier les deux. Peut-être même qu'en ce moment, elle n'y avait guère réfléchit, à ses mots. Si elle ne l'avait quitté des yeux, ce regard fuyant ne demandait qu'à S'il n'y avait personne envers qui s'ouvrir un peu, de toute façon, elle n'avait pas l'occasion de le faire. Sortir des sentiers battus, cela lui paraissait comme une évidence et pourtant, elle était parfois incapable de le faire elle-même. Ou presque.

Au moins, Rymaïn ne se laissa pas aller aux réactions qu'elle lui offrait parfois, violente et spontanée. C'était l'une des rares fois qu'elle osa lui parler sans détour, et la voir ainsi seulement gênée était sûrement un point positif. Positif, si seulement c'était cela qu'elle recherchait. Elle laissa cependant glisser la conversation sur quelque chose de plus concret, de moins dangereux pour l'une comme pour l'autre. Sur cette partie aussi, Nérée n'avait pas voulu passer par quatre chemins. Elle en avait assez.

A sa proposition, elle n'eut que peu de choses à y redire. Et elle l'accepta. A partir de cet instant, de nombreuses choses allaient changer, entre elles. Leur rencontre ne serait plus hasardeuses, au bon vouloir des Quatre. Leur relation allait se développer, assurément. Le voulait-elle seulement ? Avoir ainsi quelqu'un à ses côtés, sur lequel elle pouvait compter. Une confiance qu'elle lui accordait, mais bien fragile, pour l'instant. Il était difficile de ne pas suivre ses habitudes.

Sa rousse posa quelques conditions au contrat qu'elle lui proposait. Ce n'était d'ailleurs guère des conditions, puisqu'elle ne pensait de toute façon pas à la restreindre de la sorte. Si de son côté elle pouvait lui offrir une aide plus matérielle, de son côté, c'était surtout autre chose qu'elle cherchait. La protection n'était qu'une vulgaire excuse à cette volonté encore inavouée, inavouable.

« Je n'y vois aucun inconvénient. »

Étonnamment, la guerrière aborda la question du contrat. En effet, dans ce genre de situation, elle s'assurait d'avoir une trace écrite des accords. Allait-elle y gagner à s'afficher clairement avec le nom de sa famille ?

« Mh.. cela serait le mieux, en effet. Cela te sera utile. Il va être compliqué cependant de le faire ici... Nous pouvons attendre de nous revoir à Lüh. »

Rien ne pressait. La jeune noble avait toujours de quoi faire affaire avec elle, mais elle ne voulait pas de cela, avec Rymaïn. L'introduire à son monde et à au milieu de la noblesse serait plus facile à sa demeure que sur un vulgaire bateau.

Alors qu'elle pensait en avoir finit avec cette partie de la conversation, elle fut contrainte d'y revenir. C'était la première fois qu'elle s'excusait. Cela avait-il été si flagrant que cela ? Nérée ne pouvait le nier. Elle avait été blessée par ses mots, par une vérité bien trop souvent dissimulée sous des faux-semblants.

« C'est plutôt à moi de te remercier... »

Elle passa une main dans ses cheveux, légèrement gênée. Elle n'était pas habituée à ce genre de discussion.

« Tu sais, il n'y a pas beaucoup de monde qui ose me dire les choses. En face. Ce qu'ils pensent vraiment de moi. »Elle marqua une pause, hésitant à continuer, puis reprit finalement : « Alors... je suis contente que tu le fasses un peu avec moi. »

Contente était peut-être un bien grand mot, mais cela ne la laissait pas indifférente. La façon dont elle se fichait de son nom, de ce titre futile qu'elle portait et qui lui collait à la peau. Elle lui parlait simplement, à elle, Nérée. Une attention, si on pouvait la qualifier ainsi, qu'elle appréciait, un peu. Il fallait cependant que cette conversation s'arrête. Elle en avait trop dit, trop d'un coup, trop pour elle.

« Je vais aller me reposer un peu dans ma cabine. »

La demoiselle lui tourna le dos, hésitant un instant avant de vraiment s'en aller. Il lui fallait réfléchir maintenant. Elle tourna la tête en sa direction, lui offrant un dernier regard. Un dernier fin sourire.

« On se revoit plus tard. »

Que cela soit sur le bateau, ou plus tard. Maintenant, elle pouvait dire ces mots avec assurance.

Finalement, le temps ne passait ni plus vite, ni plus lentement, sans la compagnie de Rymaïn. Elles se trouvaient sur le même bateau et pourtant, elle n'avait cherché à lui reparler, le lendemain. Il n'y avait pour le moment rien de plus à dire, et au fond, la jeune femme sentait qu'elle ne devait pas non plus en dire plus. Elles s'étaient quittées pour une fois dans le calme, peut-être était-ce là une bonne chose. Mais après tout ce qui avait été dit, le doute commençait à s'installer quant à leur futur discussion. Cet endroit n'était pas propice à ce genre de choses. Elles allaient devoir se revoir, plus tard, sûrement à Lüh.

Nérée n'avait pas fait grand chose durant la journée. Elle s'était reposée, la plupart du temps dans sa cabine, se baladant quelques fois sur le pont du navire. Quelques rares fois elle avait aperçu du regard la silhouette de celle qui allait maintenant travailler pour elle, sans chercher à retenir ce bref contact. Le temps viendrait, inutile de le forcer davantage.

Une nouvelle nuit arriva. Comme à son habitude, la noble n'avait pas l'habitude de s'endormir tôt, ainsi elle décida à une heure déjà tardive de sortir de sa cabine pour profiter de l'air marin. Elle n'avait même pas pris la peine de prendre une tenue chaude, elle n'allait de toute façon pas rester longtemps à l'extérieur. Après tout, demain, elle retoucherait la terre ferme. Elle allait devoir intercepter Rymaïn avant que le bateau n'accoste pour convenir de leur prochain rendez-vous. Finalement, elle ne savait si cela avait été une bonne idée ou non de lui proposer un tel marché. Il y avait bien des côtés négatifs.

Elle sourit finement lorsqu'elle posa ses prunelles sur elle. Elles avaient les mêmes habitudes, à en croire sa présence ici. Rymaïn profitait de l'air marin. Il n'y avait presque personne à par elle et puis, il était de toute façon facile de la reconnaître malgré la pénombre qu'offrait la nuit. Sans vraiment y réfléchir, Nérée s'avança vers elle, s'arrêtant à ses côtés. Elle lui offrit un regard, puis le tourna vers la mer.

« Moi qui pensais être seule à cette heure... »

Peut-être était-ce le cas pour Rymaïn aussi. Elle laissa le silence s'installer quelque peu, profitant simplement de la vue qu'offrait la mer, à perte de vue. Puis soudain, elle se tourna légèrement vers sa rousse.

« Tu n'as pas changé d'avis ? »

Il faisait frais, mais guère assez pour inciter la jeune femme à rentrer dans sa cabine. Du moins, pas sur l'instant ; non, elle souhaitait rester encore un peu. La nuit ainsi en pleine mer avait quelque chose de paisible et inquiétant à la fois, une vue qu'elle aimait contempler à ses heures perdues. Elle aimait cela, observer la nature, elle le faisait depuis qu'elle était enfant, même si les motivations n'étaient les mêmes à cet âge. C'était dans ces moments de solitude qu'elle réfléchissait le mieux. Mais il y avait Rymaïn, ce soir. En effet, elle n'était plus seule à présent.

Elle répondit à sa question par une autre. Regrettait-elle sa proposition ? Pour le moment, non. A l'avenir, non plus. Nérée n'était guère le genre de personne à revenir sur ses paroles, ni à ne pas en assumer ses conséquences. Elle n'eut cependant guère le temps de lui répondre que sa rousse soupirait déjà. L'avait-elle froissée ? La raison fut tout autre.

A ses mots, Nérée ne put retenir le fin sourire se dessinant sur ses lèvres. Elle s'inquiétait beaucoup, pour peu. Si cela ne lui importait que peu, elle n'était tout de même pas insensible à ses mots. La réflexion qui suivit l’acheva et elle ne put retenir un petit rire amusé.

« C'est dommage. Mais ne t'en fais pas, je ne meurs pas pour si peu. »

C'était vrai, elle avait connu pire, comme situation. Au moins, cela répondait aussi à ses interrogations. Son sourire s'effaça peu à peu lorsque Rymaïn se dévêtit de sa cape, passant dans son dos pour l'accrocher à ses épaules, doucement. Une chaleur l’engloba, cependant incertaine qu'elle provenait réellement de ce bout de tissu dorénavant sur elle. La considération allait peut-être un peu loin, tout comme l'ambiance qui avait subitement changé. Presque, c'était ses mains posées là qui la faisaient frissonner. Nérée se retourna alors, la regardant un instant dans les yeux.

« Tu as raison. »

Après tout, il se faisait tard, et il ne faisait pas particulièrement chaud. Surtout que maintenant que Rymaïn lui avait prêté sa cape, plus rien ne couvrait ses propres épaules. Elle reprit alors.

« Mais cela vaut aussi pour toi. Il se fait tard. »

Elle posa une de ses mains contre la sienne, puis, se reculant un peu, l'empoigna plus franchement et commença à l'emmener vers l'entrée de la cale du bateau. La jeune noble ne lui laissait ainsi guère le choix. Elle n'allait pas la laisser derrière.

Voulait-elle seulement la laisser ? Après tout, elle ne savait pas quand allait-elle la revoir. Cette pensée la traversa, alors qu'elle marchait silencieusement dans le couloir silencieux de l'intérieur du bateau, tenant toujours Rymaïn par la main. Elle jeta un oeil par-dessus son épaule, croisant un instant son regard. Puis elle s'arrêta, se retournant complètement.

« Reste avec moi cette nuit. »

Elle accepta sa demande. Après quelques secondes d'hésitation, peut-être, pour le lui dire d'une façon bien amusante. Il était vrai, elle avait ses caprices. Ses envies subites, parfois irréfléchie, comme une enfant. Mais Rymaïn aurait très bien pu lui refuser sa demande, comme elle lui avait déjà refusé bien des choses. C'était d'ailleurs pour cela que la jeune femme prenait le temps de le lui demander. Elle n'allait se permettre de faire quelque chose contre son gré.

« Oh, tu as toujours le choix. » Répondit-elle simplement, un peu amusée, en la guidant vers sa petite cabine. Elle avait payé plus cher le voyage afin de pouvoir en profiter, mais elle ne le regrettait pas. Dormir avec des inconnus était tout de même incommodant et, il fallait avouer, Nérée était habituée à un minimum de confort. Elle pouvait faire sans, mais lorsqu'elle en avait la possibilité, elle ne se privait pas.

Les deux femmes arrivèrent dans sa cabine, et sans plus de paroles Nérée déposa ses affaires dans un coin de la pièce. Elle finit en première et se glissa ainsi dans les draps plus ou moins propre de sa couchette, observant sa rousse silencieusement. Avoir de la compagnie lui plaisait. Pour une fois. En temps normal, elle n'aimait pas partager ses nuits. Elle aimait ces moments de solitude, où il n'y avait personne pour la déranger. Rymaïn s'installa après un temps à ses côtés, s’exécutant quant à sa simple demande. Le bateau qui tanguait légèrement offrait un doux bercement pour cette nuit qui s'annonçait calme.

Cela avait quelque chose d'apaisant. Rymaïn s'était allongée contre elle, sa peau caressant la sienne doucement. Elle se laissa faire, lorsque sa main s'aventura jusqu'à la sienne. Il n'y avait pas besoin de plus. La jeune femme soupira faiblement, presque d'aise, fermant les paupières, bien qu'elle n'avait pas encore sommeil. Cependant, après un moment, elle éleva de nouveau la voix. Faiblement, un chuchotement dans le creux de son oreille, qui la fit presque frissonner. Cette fois-ci, elle nota cette différence, lorsqu'elle s'adressa à elle. Et son prénom, qu'elle utilisait enfin. Elle ne lui répondit pas sur l'instant même, profitant de ce contact sur sa peau, du silence, aussi. Elle se retourna alors, posant son front presque contre le sien, hésitant quand à sa réponse. Elle savait, elle avait appris, il fallait bien les choisir avec elle. Ce qu'elle lui avait dit cependant la fit réfléchir quelques instants. Finalement, le reproche qu'elle lui avait fait plus tôt en devenait presque un remerciement. La façon dont tout avait commencé en devenait presque amusante.

« Et je resterai là. »

Après tout, cela n'allait pas s'arrêter au jour suivant. Pour elle, Rymaïn était devenue quelqu'un qui lui était cher.