Un jour calme, parmi tant d'autres. Malgré ce que l'on pouvait croire, le quotidien de la jeune noble ne se résumait pas à ses voyages et péripéties en tout genres. Elle passait la plupart de son temps à la Capitale, que cela soit à son domaine où au quartier Princier. Parfois elle travaillait, parfois, elle passait son temps libre à ne pas faire grand chose, comme la plupart des nobles. Elle y vivait des jours tranquilles, loin de toute agitation, sans réelle préoccupation. Du moins, en apparences.

Elle organisait une petite réception, ce soir. Chose rare en soit, car elle préférait être invitée que l'inverse ; il fallait cependant parfois faire des efforts dans la vie. Elle n'avait invité que ses plus proches collaborateurs, ce qui en faisait tout de même une bonne poignée. Ainsi, la matinée s'était résumée aux préparatifs, à régler les derniers détails avant la soirée sûrement bien trop longue. Là, elle devrait rester jusqu'à la fin. L'après midi se fit plus calme, la jeune noble pouvant vaquer à ses occupations maintenant que tout était prêt. Malgré tout, il y avait toujours des imprévus. Ce jour-là, il s’appelait Rymaïn.

Nérée se trouvait dans son jardin lorsque l'un de ses domestiques vint l'informer qu'un invité s'était présenté devant sa demeure. Il était pourtant bien tôt pour que cela soit ceux de sa réception. Lorsqu'il lui dit son nom, elle ne put que sourire intérieurement. Elle lui avait demandé de passer la voir, lors de leur dernière rencontre. Elle l'avait attendu, au fond, sans pour autant compter les jours. Fort heureusement, les gardes à l'entrée l'avait laissé passer, et elle demanda à Igor de l’amener ici. Les deux femmes devaient signer le contrat qui allait les lier officiellement. Mais qu'en était-il de l'officieux ?

Elle arrosait ses différentes plantes avec application, alors son esprit pensant à tout autre chose. Pour la première fois, ce n'était pas les Quatre qui avaient décidé de leur rencontre. Cela faisait cependant un moment qu'elle avait envoyé Igor chercher Rymaïn. S'était-il perdu en chemin ? Elle se redressa alors, presque décidée à aller la chercher, lorsqu'en posant ses yeux sur l'entrée de sa serre, elle posa ses yeux sur elle. Depuis quand était-elle là, immobile, à l'observer ? La jeune femme passa une main dans ses cheveux, se recoiffant légèrement.

« Tu peux entrer, tu sais... »

Elle avait dit ces mots sur un ton amusé. Il faisait légèrement plus chaud dans la serre, le soleil ayant rayonnée une bonne partie de la journée. Nérée reporta un moment son attention sur la fleur dont elle s'occupait, attendant que Rymaïn s'avance un peu.

« J'aime passer du temps à m'occuper de mes plantes... Cela a un côté apaisant. »

La saison était d'ailleurs propice à cette occupation alors, elle en profitait dès qu'elle le pouvait. En général, on n'osait la déranger, ici. La noble se tourna complètement vers Rymaïn, posant son regard sur elle.

« Comment vas-tu ? Cela n'a pas été difficile pour venir jusqu'ici ? »

Elle était heureuse d'être dérangée ici, pour une fois.

La jeune femme s'attendait à tout, sauf à cela. Etait-ce là un trait d'humour ? Rymaïn, humour, voilà deux mots qu'elle n'aurait pas associé auparavant. Son regard se teinta d'étonnement, alors que, gênée, sa rousse se reprenait, pour un peu plus s'enfoncer dans sa critique. Cela ne fit qu'étirer un peu plus son sourire et, au bout de quelques instants, son doux rire raisonna entre les parois de la verrière. Voilà qui débutait parfaitement leur conversation.

« Contente que tu aies trouvé facilement ton chemin. »

Si cela pouvait avoir son côté amusant, il y avait aussi un côté plus sérieux dans ce qu'elle lui avait dit. Il était vrai, on pouvait facilement penser que tout ceci était de trop. Cette bâtisse avait été léguée par son défunt père, connu pour son goût des jolies choses, entres autres. Une bibliothèque où s'entassait des centaines de livres, des dizaines de chambres d'amis, des salons et bien sûr, tout un tas d'objets précieux présentés ici et là, au détour d'un simple couloir. Avec toutes les richesses qu'elle avait accumulée ici, elle aurait très bien faire vivre un village entier pendant plusieurs années. C'était, en soit, inutile. Aux yeux de la noblesse cependant, c'était différent. Cet endroit était respecté, c'était un honneur de pouvoir poser le pied en son sein, tant pour voir la duchesse que la pupille princière qui y habitait.

« Tout cela peut te paraître inutile, mais pour d'autres, ce n'est pas aussi simple. Si on parle simplement de grandeur, je ne suis pas la seule à vivre ici. Pour la discrétion, mon rang ne le permet de toute façon pas. Mais il serait long de t'expliquer les nombreuses qualités de... tout ceci. »

Son avis cependant, elle décida de se le garder pour elle, pour le moment. Peut-être que si Rymaïn y portait un intérêt, elle lui partagerait plus en détail son point de vue. Après tout, elle venait d'aborder un point important, celui de sa vue, celui pour lequel elle l'avait fait venir ici. Elle allait devoir y porter un intérêt, un jour, si elle souhaitait toujours conclure cet arrangement.

« En effet. Laisse moi quelques minutes, et je suis à toi. »

La jeune noble se tourna alors vers le pot dont elle était en train de s'occuper. Le travail était mieux lorsqu'il était accompli. Ne voulant pas faire retomber un silence trop pesant, elle décida de poser une de ses nombreuses questions en tête.

« Ton voyage à Oagran s'est bien passé ? »

Oagran. C'était grâce à ce village que les deux jeunes femmes avaient pu se rencontrer. C'était là aussi qu'elles s'étaient séparés. Sans doute, il s'était passé de nombreuses choses depuis leur dernière rencontre, et c'était le cas. Nérée écouta avec attention les quelques brides de ses aventures, de cet homme aux apparences d'idiots pour tenir tête à sa rousse. Elle-même savait que s'y risquer n'était pas sans conséquence, même si cela ne l'en empêchait pas le moins du monde.

« Eh bien... tu n'as pas dû t'ennuyer au moins. »

Il était rare que tout se passe comme on le souhaite. C'est ce qui rendait la vie amusante, après tout. Alors qu'elle allait rebondir sur cet étrange homme, Rymaïn changea subitement de sujet, passant d'un superficiel à un beaucoup plus profond. Elle ne lui avait jamais parlé de sa famille, pas encore. En général, Nérée n'abordait jamais ce sujet. Elle posa le pot qu'elle tenait entre ses mains, se les essuyant avec un petit tissu.

« Non. »

Une réponse courte et simple, bien qu'un peu froide. La jeune femme n'était pourtant pas gênée d'en parler, elle n'en avait simplement pas l'habitude. De toute façon, dans son entourage, on était déjà au courant de ce genre de choses. Etre une personnalité public avait parfois ses mauvais côtés.

« Je suis fille unique. Lors de mon adolescence, ma mère a disparu lors d'un voyage. Mon père est mort il y a maintenant plus d'un an. »

C'était une description assez succincte mais elle n'en restait pas moins vrai. Elle ne voulait pas entrer dans les détails, pas tout de suite. Elle se retourna, s'adossant contre la table de travail en faisant face à Rymaïn, qui s'était baladé dans sa serre. La voir ainsi montrer un certain attrait pour son petit jardin secret n'était vraiment pas déplaisant, en soit, alors elle lui donna quelques explications supplémentaires.

« Mais comme je te l'ai expliqué plus tôt, ce n'est pas pour autant que je vis seule ici. La plupart de mes domestiques ont leur chambre. Tu croiseras peut-être Maria, c'est celle qui dirige la maison lors de mon absence. Mais je pense que tu auras davantage l'opportunité de faire connaissance avec Zachary, un homme de confiance qui travaille pour moi. Si tu as de la chance, tu pourras aussi croiser Evanna Rochefort, qui a ses propres quartiers. C'est une noble et pupille princière, mais son histoire est bien trop complexe pour te la raconter ici. Disons qu'elle est ma... colocataire. »

Elle avait fait à peu près le tour des personnes importantes vivant sous son toit. Elle n'avait pas fait mention de sa tante et cousins, mais elle ne les portait guère dans son coeur ; il était donc inutile de les introduire à Rymaïn, elle ne les verrait sans doute jamais.

« Toutes ces personnes... Je n'irais pas jusqu'à dire qu'elles font partie ma famille, mais je les considère comme tel. Elles sont importantes à mes yeux. Elles vivent sous mon toit, après tout. »

La jeune femme se redressa, intiment silencieusement à Rymaïn de la suivre. Elle en avait fini avec son jardinage. Marchant tranquillement vers la sortie de la serre, elle attendit que sa rousse la rejoigne pour reprendre sa marche.

« Ellyne t'as peut-être déjà montré ta chambre. Souhaites-tu que je te fasse visiter ma demeure, ou tu es peut-être pressée ? »

Après tout, la première fois qu'elle était venue ici, elle n'avait pas dû bien voir grand chose. Au moins, elle ne pourrait plus se perdre dans son bureau, si elle en connaissait le chemin.

La jeune femme, de nouveau à côté de Rymaïn, emprunta le chemin menant vers sa demeure d'un pas lent et tranquille. Il n'y avait pas de raison de se presser, maintenant qu'elle venait de lui confirmer qu'elle n'avait rien d'autre à faire que d'être ici. Elle allait ainsi pouvoir prendre le temps de lui expliquer certaines choses, de l'introduire dans son monde très spécial qu'était celui de la noblesse. Si elle voulait se tenir à ses côtés, elle devait apprendre la façon d'y arriver correctement. Elle ne sous-estimait pas ses capacités d'adaptations, de toute façon.

Sa rousse ne lui posa pas plus de question sur sa famille ; peut-être n'osait-elle simplement pas. Elle pouvait comprendre que la façon dont elle lui avait exposé les choses avait pu être assez froide, mais elle n'avait qu'exposer les faits dans la manière la plus simple. Sûrement, elle lui en reparlerait un jour. Les deux femmes arrivèrent devant la porte arrière de sa maison, où un domestique les salua poliment à leur passage. Nérée lui répondit tout aussi poliment. Après tout, même s'ils travaillaient et entretenait l'endroit pour elle, cela ne devait pas l'empêcher d'être agréable. Elles arrivèrent rapidement dans le hall d'entrée. Rymaïn lui avait fait part de sa volonté de rencontrer ces personnes au fur et à mesure. Elle n'allait de toute façon pas les convoquer pour si peu. Tous étaient déjà au courant qu'elle allait travailler pour elle, et que, dorénavant, elle faisait partie de la famille Helireah.

« Pour Evanna, je ne pense pas que cela soit possible aujourd'hui. Zachary n'est pas encore là... Je suppose que tu les rencontreras le moment venu. »

Rien ne pressait. Elle lui indiqua brièvement l'emplacement des différentes pièces du rez de chaussé, avec par exemple la cuisine, une salle à manger et de réception, et plein d'autres pièces, avant de prendre la direction de l'étage. Il y avait là beaucoup d'autres pièces, mais elle pris la direction de son bureau. Avec la conversation qu'elles avaient eu auparavant, elle finit par arriver à une certaine réflexion, qu'elle lui partagea.

« Je ne pense pas me tromper en affirmant que tu ne connais pas grand chose au monde de la noblesse. » Elle avait tourné un moment son regard vers elle, avant de se reprendre : « Oh, ce n'est pas un reproche, loin de là. C'est normal. Je pense juste que tu y gagnerai à en connaître... quelques facettes. »

Nérée n'était pas un exemple, en termes de noblesse ; surtout lorsqu'elle était avec elle.

« Si cela t'intéresse, bien évidemment ? »

Elle ne voulait pas la forcer, après tout. A ces mots, la jeune noble s'arrêta, se tournant vers Rymaïn.

« Il y a des choses qui t'intéresse, d'ailleurs ? »

La jeune femme guidait sa rousse à travers sa demeure, se dirigeant vers son bureau. Après quelques formalités administratives, elle pourrait entrer dans le coeur du sujet et l'introduire un peu plus dans son monde. Un monde qui n'était pas foncièrement différent, mais dont il en fallait connaître quelques secrets au risque de s'y perdre.

A sa question, elle n'y répondit pas. Elle ne savait y répondre, plutôt. Nérée la regarda sans jugement, haussant légèrement un sourcil alors qu'elle détournait le regard, assurément gênée par sa question. Peut-être avait-elle touché un point sensible, mais c'était sa manière pour en apprendre plus sur elle. La jeune noble ne faisait pas dans la dentelle lorsqu'il s'agissait de tisser des liens plus important que ceux pour son travail, et, ainsi rare, il y avait parfois des ratés. Souvent, avec Rymaïn. Plus encore, elle lui retourna la question. La jeune noble pris quelques secondes de réflexion et finit par lui répondre doucement.

« Si tu ne sais pas quoi répondre, ce n'est pas un mal et cela ne veut pas dire que cela sera toujours le cas. Il n'y a que les idiots qui ne changent pas avec le temps. »

Loin de la traiter d'idiote ; même si parfois, elle pouvait être amenée à le penser. Nérée voulait simplement lui dire que ce n'était pas une chose importante. Cela ne sembla cependant pas suffisant. Ce qu'elle avait ajouté, avant qu'elle ne puisse répondre, montrait qu'il y avait des choses encore incertaines ; une chose normale, finalement. Comme si elle avait enfoncer une petite aiguille dans une brèche, une fissure venait d'apparaître, soudainement. Elle allait devoir répondre avec délicatesse.

« Et bien et bien, je t'ai connu plus combative. »

Une délicatesse pour le moins impertinente. Nérée la pris par la main, l'emmenant avec elle pour faire les quelques pas qui les séparait de la porte de son bureau. Pourtant, l'intention était là. Si elle comprenait son hésitation, elle ne voulait cependant pas la prendre au sérieux. Elle savait la rousse compétente. Elle savait surtout que cela lui serait bien plus bénéfique que d'errer sans but ni maison. Elle ouvrit la porte de son bureau, l'invitant à entrer.

« Je pense que tu conviens parfaitement. Si tu ne te trouve pas adéquate pour ce rôle, il va simplement falloir travailler un peu plus, c'est tout. Mais si tu ne veux pas, c'est tout autre chose. C'est toi que je veux à mes côtés, mais c'est aussi à toi de choisir si tu veux tracer ton chemin avec moi ou non. »

La porte était ouverte, il ne restait plus qu'à la rousse de la passer, ou non. Pour ce qui était des compétences, tout s'apprenait. Mais y avait-il la volonté ? Nérée ne voulait pas non plus la forcer, elle n'allait pas décider à sa place.