O bjet. Je n'ai jamais ressenti le besoin d'utiliser ou de posséder des objets. Qu'en ferais-je ? Je n'ai aucun véritable besoin, mon corps transporte tous mes outils. Je n'ai pas connu les humains au début de l'existence de leur espère : mon habitat de l'époque était bien trop hostile pour eux. Depuis le premier instant passé avec l'un d'entre eux je n'ai pu m'empêcher de remarquer l'importance qu'ils accordaient aux objets, sur ce point ils sont mon opposé. Je n'ai jamais même ressenti le besoin de m'abriter : la pluie ne me dérange pas quant au froid j'ai vécu durant des temps immémoriaux dans la contrée la plus glacée du monde. Mais je ne restais pas indifférent devant la beauté de certains objets, la beauté de certaines utilisations. Ainsi j'adorais le rituel du thé chez mes amis moines par exemple.

Assis aux côtés de Valion, j'écoutais avec patience ses explications. Il ne me dit rien à propos du miroir, indubitablement magique j'ignorais tout de son utilité. Je m'en désintéressais. J'étais plus satisfait du contenu de la fiole. J’espérais que Valion n'aurait jamais à s'en servir.

Je me remis en chemin tout aussi difficilement qu'à l'aller. Le soleil me frappait douloureusement la tête, il m'assommait. L'eau que me proposa Valion à plusieurs reprises fut plus que bienvenue. Et puis il m'apprit quelque chose qui me surprit : mon halètement s'interrompit ainsi que ma progresse. Mon regard se braqua sur lui et je penchais la tête sur le côté : avais-je bien entendu ?  

Je n'avais pas oublié cette légère gêne qui s'était emparé de la lionne et moi lors de l'une de nos discussions sur le bateau tout comme je n'avais pas oublié les bons moments passés ensemble et notre complicité. Je me remis en chemin, reprenant le rythme perdu. J'avais le regard vague, j'étais perdu dans mes pensées, je savais que Valion respecterait mon silence.

J'attendis que nous ayons quitté le désert, que la fraîche douceur de l'océan caresse nos visages en guise de bienvenu pour m'asseoir. Nous n'étions plus très loin de la civilisation.

« Durant quelques secondes le malentendu s'est installé entre Sarabi et moi : j'ai cru qu'elle me proposait de devenir son compagnon. J'ai de l'affection pour elle et la complicité s'est installée entre nous... Tout est réuni pour que qu'elle rejoigne notre meute mon frère. Alors je ne comprend pas : pourquoi a t-elle refusé de quitter le temple avec toi ?  »

Il n'y avait aucun tourment dans l'océan de mes yeux, aucun regret, seulement de la perplexité.  

E lle cherchait un chef affirmé parce qu'elle avait besoin d'être guidé... Lorsque j'ai rencontré Valion, il était tourmenté par une profonde colère. Était-elle présente quand il se présenta devant Sarabi ? Si tel était le cas, je comprend pourquoi elle avait refusé, certainement avec beaucoup de douceur mais ce fut sûrement difficile pour mon frère de meute. Faisions nous parti de sa meute ou elle de la notre ? À mes yeux il n'y avait aucune différence... si ce n'est que l'expérience m'a apprit que les femelles ont toujours le dernier mot.

Il m'informa alors qu'elle avait été sa première partenaire divine. Pour moi c'était un symbole fort : la preuve que notre lien était puissant. Puis il me montra une pierre étrange, chargée de magie. Tout d'abord je ne compris pas : je ne connaissais pas ce genre d'objet. Il s'agissait d'une pierre de télépathie qui permettrait de communiquer avec Sarabi. Je trouvais l'invention formidable. Il me proposa alors de communiquer avec elle si l'envie m'en prenait.

Je le regardais intensément, les oreilles droites, la tête légèrement penchée sur le côté. Il avait l'habitude désormais de mon fonctionnement, prenant le temps qu'il fallait, aussi durant une quinzaine de secondes je ne bougeais pas, ne répondis pas. Puis mon regard se braqua vers l'horizon, vers le temple d'Ignis. Alors mes oreilles se plaquèrent sur mon crâne et le voile d'un profond chagrin passa sur mon visage, dans mes yeux. Une tristesse millénaire, très intense. Ma compagne était là bas, à l'horizon, dans ce bâtiment. J'aurais tant donné, tant sacrifié si j'avais pu avoir un objet comme celui ci dans l'ancien temps... Pour lui parler, juste quelques instants.

Puis mon regard retomba sur Valion, mes oreilles se redressèrent, le chagrin s’atténua, comme si quelque chose l'apaisait. J’acquiesçais et il m'expliqua comment utiliser la pierre. Je m'accordais une minute de réflexion puis je l'utilisais :

« Que cette pensée te caresse le cœur ma sœur. L'absence de pacte divin n'y change rien : tu fais parties de notre meute.ressens notre affection.»

Et notre sœur de meute répondit :

« Slavko mon ami, quel plaisir d'entendre ta voix dans mon esprit. Remercie Valion pour moi, de te laisser utiliser cette pierre et transmet lui toute mon affection. »

Ma queue balaya le sol quelques instants, recevoir ces quelques mots de Sarabi m'avait fait le plus grand bien. Je dirigeais mon regard vers l'océan.

« T'ais-je dis que j'ai une compagne ? Son nom véritable n'est pas prononçable dans cette langue, elle se nomme Hélène. C'est une fille du feu. Elle était... aussi vive qu'un petit oiseau, aussi belle que l'aurore caressant la neige du matin. Sa voix était comme le chant des oiseaux au printemps, elle te caresse l'âme, son rire... » Un petit rire m'échappa, le simple fait de parler d'elle me rendait heureux.  « Son rire arrêtait le temps et me donnait envie de me rouler par terre. Sa fourrure, aussi blanche que la neige vierge d'hiver recouvrant la pente sud de la montagne endormie bercée par le soleil avait la douceur de celle d'un nouveau-né. Elle était aussi malicieuse qu'un petit loup et tout aussi bienveillante que Sarabi. Nous aimions chanter sous l'aurore boréale, jouer dans la neige. Je mérite la punition divine Valion. Quand nos pouvoirs ont diminués, j'ai tout abandonné et je suis parti à sa recherche. Voici peut être trois milles ans que nous sommes séparés... peut être plus, j'ai perdu la notion d'écoulement du temps dans ma cellule. Elle est là bas, dans ce temple. Je suis si proche et je ne peu pas l'approcher. La présence de Sarabi me réconforte, me fais du bien. Ta présence à mes côtés est un baume pour mon vieux cœur. Merci mon frère. »

Au fur et à mesure que je parlais un sourire rêveur, l'incarnation du bonheur apparu. Pour les deux dernières phrases mon regard se posa sur Valion. Nous étions frères, plus le temps passait et plus notre lien se renforçait. J'étais aussi paisible qu'un lac de montagne en cet instant.

Point de vu. Une même situation peut être approché de différentes manières pouvant complètement changer l'idée que l'on se fait d'une situation. J'aimais beaucoup assister à la leçon des moines à ce sujet : ils séparaient les élèves en deux groupes qu'ils plaçaient de chaque côté d'une table et posaient une seule et unique question. Toujours une dispute éclatait entre les deux groupes qui n'arrivaient pas à se mettre d'accord. Ce n'est que lorsque la dispute monta jusqu'à une apogée que les moines intervenaient, demandant à chaque groupe de changer de place avec l'autre. Alors la colère devenait éclat de rire : il suffisait de changer de point de vu pour comprendre l'autre.

Méritais-je la colère divine ou non ? Et bien oui et non, Valion avait raison. J'étais dans mon droit, il était parfaitement compréhensible que j'abandonne tout pour retrouver celle qui possède mon cœur, surtout en prenant en compte le fait que je n'étais plus capable d'effectuer la tâche confiée par les Dieux. Mais d'un autre côté : je n'ai rien fait pour empêcher la création des humains, pire j'ai été proche des responsables de la destruction du monde. D'un autre point de vu encore : un haut gradé a positionné le petit soldat que je suis quelque part avec une mission et j'ai choisi d'abandonner mon poste et ma mission.

Je me tournais à nouveau vers le temple :

« Je n'ai jamais su ce qui lui est arrivée. J'ai passé des décennies à sa recherche sans aucun succès, aucun indice. Aujourd'hui j'en ai un : c'est une fille d'Ignis et son temple est là, à l'horizon. Il m'est beaucoup plus facile de la rechercher : soit elle est dans ce temple, soit elle est quelque part sur cette petite île. »

C'est le regard plein d'affection que je restais assis, les yeux loin à l'horizon. Ce durant deux longues minutes.

« Tu as été dans l'armée, tu sais comment cela fonctionne. Imaginons... Un commandant a donné des ordres et s'est absenté. À son retour, il est forcé de constater que sa caserne est dévastée parce que ses soldats ont fait la fête et perdus le contrôle. La majorité sont partis, dans des tavernes, voir la famille ou que sais-je encore. Comment crois-tu qu'il réagirait ?... Mal. Et il ne prendrait pas le temps d'écouter les raisons de ceux qui l'ont fait pour une raison qu'ils jugent bonne. J'ai abandonné  ma tâche pour une bonne raison mais la colère d'Aqua est justifiée. Je mérite ma punition et je suis heureux de l'effectuer à tes côtés. »

La fourrure dansant dans le vent marin, j'ai dis tout ceci tranquillement, sans me presser. Les humains sont des créatures impatientes, surtout les jeunes. Mais certains connaissent la patience, condition indispensable pour tenir une discussion avec moi, voilà pourquoi j'ai choisi ce chasseur.

Une part de moi maudissait ce désert, œuvre d'Ignis et si hostile à ma glace. Il était chaud, sec, abrasif, tout en lui semblait me repousser, me donnait envie de le fuir. Même le sol. Sableux, mes pattes s'enfonçant à chaque pas, glissant un pas sur deux.Tout à l'exception d'une seule et unique chose. Une fourrure blanche comme la neige du matin, des yeux comme un océan de bonheur. Elle était fille d'Ignis et possédait mon cœur. Elle était là bas, à l'horizon, dans ce bâtiment majestueux. Mais alors que j'étais si proche, je ne pouvais l'atteindre.

Il est inutile de se tourmenter pour quelque chose que nous ne pouvons changer. La course du soleil continue, la danse des vagues aussi, la vie ne fait pas de pause. Je jetais un dernier regard au temple d'Ignis à l'horizon avant de reprendre ma route.

L'apparition des murailles de la ville furent comme une bénédiction : la promesse de l'eau, de la fraîcheur. J'étais prêt à accepter la contrainte de la foule pour pouvoir plonger la truffe dans l'océan. Je m'assis le temps que Valion pioche une portion du liquide vie dans sa gourde. Je refusais poliment, savourant par avance le délice de l'eau de mer. Je lui répondis :

« Tout possède un début et une fin alors qu'est-ce que l'éternité ? Le ruisseau de ta vie est loin d'être asséché, nous avons le temps. »

Je repris la route d'un pas un peu plus rapide, motivé par l'appel de l'océan. Nous traversâmes les portes ensemble, nous aventurâmes dans les rues de la petite ville ensemble jusqu'au port. Une fois arrivés sur les quais, je dis :

« Nos corvées du sont terminés, suivons le conseil de Maître Komatetsu ! »

Et sans autre avertissement, je sautais soudain du quai, arrachant un hurlement de surprise à une femme. Quel bonheur de sentir l'eau danser sur ma fourrure, j'évoluais dans l'océan, entre les navires comme un véritable dauphin. Je nageais ainsi quelques dizaines de secondes avant de grimper la pente douce d'une cale, la fourrure dégoulinante d'eau. La femme était là, mains sur les hanches, hésitant entre un sourire et un air autoritairement fâchée. Je m'adressais à elle et Valion :

« Accepteriez vous de pardonner l'incorrigible chiot que je suis resté ? Te rappelles tu du conseil de Maître Komatetsu mon frère? »

Je m'ébrouais mais pas comme un chien c'est à dire brutalement en éclaboussant tout sur mon passage. Non. Je m'ébrouais avec délicatesse, chassant l'eau de ma fourrure en prenant soin de ne pas infliger du tourment à qui que ce soit. La joie d'avoir retrouvé l'océan pétillait dans mes yeux ainsi que la vitalité d'un chiot heureux d'avoir jouer.