Maintenant que ses pieds quittaient la terre ferme, le chasseur semblait mieux respirer. La sensation dura jusqu'à la disparition de l'élégante cité à l'horizon. Lüh s'effaçait mais le poids sur son cœur demeurait. Valion quitta le bastingage sans conviction, déçu ne pouvoir y trouver l'apaisement comme aux côtés d'Ezelya. Il rejoignit son compagnon divin situé plus loin sur le pont. Sa présence inspirait toujours le calme dans son esprit.
Le jeune homme avait longuement hésité avant de le consulter pour décider de la marche à suivre. L'affiche de chasse fraîchement dégotée avait conduit à un incident, idéal pour raviver de lourdes pensées. Slavko semblait réellement perturbé par le sort de l'orphelin et le comportement du marchand. Valion s'inquiétait donc de son propre manque de réaction, et questionnait le quotidien qui l'avait conduit à une telle acceptation.
Cette réflexion se superposait aux événements de l'île inconnue, toujours sous silence et guère digérés. Il souhaitait pourtant à tout prix en parler avec le Mange-lune, sans y être parvenu jusqu'ici. La rapidité d'exécution de la mission entrait en considération dans leurs plans. Aussi il avait fini par proposer la traversée en bateau au fils d'Aqua, sachant qu'elle risquait de l'indisposer. Même si le Loup avait consciemment opté pour la voie maritime, il se sentait coupable, à l'instar de chaque tracas incombant la divinité.
Maintenant il respirait difficilement et cherchait ses mots. Comment aborder le gouffre, les blessures du demi-dieu, la mort qui avait failli l'étreindre, l'injustice de leur monde ? Valion retint un soupir, songeant que peut-être il aurait dû laisser le Chanteur du Nord à sa quiétude. Ses iris acier tombèrent sur le collier ornant son cou. Un maigre sourire étira ses pensées au souvenir de l'épreuve et de la symbolique de cette fleur cristallisée. Autant commencer par un sujet agréable. Il s'adossa au bois du navire et trouva le regard ambré.
« J'ai remarqué que tu t'es beaucoup intéressé à Sarabi, durant notre dernier voyage. »
V oyager par voie terrestre n'est pas de tout repos. L'effort prolongé tout au long de la journée peut être épuisant surtout s'il est ajouté à un état d'alerte nocturne. Le voyage en bateau en revanche permet de se reposer et surtout de méditer. Même s'il n'est pas le meilleur choix pour la bourse de Valion, il s'agit à mes yeux de la solution de sécurité... Et de la meilleure manière de m'offrir du temps pour la méditation.
Mon esprit était tourmenté. L'incident avec l'orphelin et le marchand m'a beaucoup perturbé. Je n'ai jamais été concerné par la guerre opposant Demis-dieux aux humains, j'en ai même été préservé durant une grande majorité de mon existence. J'ai connu la cruauté humaine mais je n'ai jamais réussi à la comprendre. Ce n'est pas celle ci qui m'a le plus choqué : c'est la résignation de l'enfant. Il était surprit d'avoir reçu de l'aide et que je lui en propose, il considère qu'il ne doit pas en recevoir. La tristesse se serait emparée de Maitre Ya-tso et des moines. Eux pouvaient offrir un refuge à ce petit mais moi que pouvais-je faire ? Je me sentais impuissant.
Cette impuissance me rappelait les événements sur l'île inconnue. Je me sentais en situation d'échec, j'avais échoué à protéger Valion. J'étais profondément plongé dans mes pensées quand il vint me rejoindre, assis à l'avant du bateau en regardant l'horizon. Je lui adressais un regard calme et bienveillant que je dirigeais à nouveau vers l'horizon quand il me parla de Sarabi. Avec une tranquillité presque lente je soupirais.
« La vie circule en Aqua grâce à la douceur de l'astre d'Ignis. »
Ce sont ces mêmes mots que j'ai utilisé avec ma compagne il y a bien longtemps, j'ai vu son cœur fondre au fond de ses yeux comme neige au soleil. J'offris quelques secondes au souvenir.
« Il fut un temps... Ou je l'aurais courtisé. La mère des délaissés et un vieux sage isolé. » Petite pause. « Je devais laver le tourment que mon arrivée fit naitre dans ses yeux. Nous sommes devenus très proche, une forte amitié nous lie. »
Je soupirais à nouveau, trahissant tout le poids du tourment qui alourdissait mon cœur. Gravement, je repris :
« Valion, je te demande pardon pour l'incident avec le marchand. Je ne suis pas resté à ma place. »
C'est ainsi que je me plaçais sur le siège du coupable. L'insulte agressive du marchand et le regard de nombreux humains m'ont fait réaliser que je n'aurais pas dû m'occuper de cette histoire. Cela aggravais le tourment de mon cœur mais je me devais de le laver. Je me devais de demander pardon à Valion pour cette initiative qui l'avait lui aussi de toute évidence choqué. Pauvre enfant...
Les mots du fils d'Aqua glissaient tel le cours d'un calme ruisseau. Il s'agissait d'un véritable don, qui amenait toujours le jeune Lameblanche sur les rives de la réflexion. Ce dernier restait incertain quant à la portée d'une telle phrase. Elle revêtait un ton énigmatique, qui pouvait cacher un sens personnel comme une vérité universelle. Il ignorait l'un et l'autre, et souhaitait apprendre, espérant que son compagnon se découvre progressivement. Lui n'osait pas toujours poser ses questions.
Valion haussa les sourcils, surpris. Il n'eut pas le temps d'assimiler cette donnée que les émotions s'enchaînèrent. L'inquiétude et la curiosité face au tourment évoqué cédèrent place à la joie de les savoir en si bon rapport. Ses lèvres s'entrouvrirent mais l'occasion de répondre s'échappa à nouveau. Le Chanteur du Nord revint lui-même sur l'altercation avec le marchand.
Le visage de la douce Sarabi s'évanouit aussitôt. Les traits du chasseur adoptèrent également une pesante gravité. Il se décolla du bastingage et croisa les bras sur sa poitrine. Son regard bleu acier fixa l'ambre divin presque avec sévérité.
« Non, tu n'as pas à t'excuser. Je suis là pour t'accompagner au mieux dans la place que tu souhaites prendre. »
Tant qu'elle correspondait à ses valeurs, évidemment. À ce sujet le jeune homme ne se faisait aucune inquiétude. Ses iris s'ancrèrent dans les planches de bois qui formaient le pont. Leur éclat perdit en intensité.
« Tu as eu raison de t'interposer Slavko. C'est moi qui me sens bête de n'avoir rien fait. Personne ne devrait accepter cette situation. »
Cet acte de défiance lui avait permis si justement de le réaliser. Leur société recelait plus d'un tort, et l'envie de les rectifier le prit soudainement. Valion choisit de la laisse partir avant d'en retirer de la colère. Il en avait assez de subir cette émotion à tout va. Un long soupir accueillit sa résolution passagère, un écho à celui plus divin qui annonçait la venue d'un autre tourment.
Le jeune homme se tourna vers la Téthys cette fois pour se dérober à toute autre présence que la leur. Il posa ses avant-bras sur le bord du navire et chercha ses mots en silence. La culpabilité rendait la tâche plus difficile. Mais si Slavko était parvenu à s'exprimer sur ce qui le troublait, il lui devait la pareille. Au bout d'un certain temps, il parvint à formuler sa pensée plus précisément.
« Je voudrais aussi m'excuser, concernant notre expédition sur l'île. Je t'ai mis en grave danger, je n'ai pas mesuré les conséquences de mes actions sur les tiennes et tu as failli... »
L'émotion éteignit sa voix. Valion déglutit, chassant les désagréables souvenirs de la horde de manavores accrochée au pelage bleuté de son compagnon. Il secoua la tête.
« Tu as énormément souffert par ma faute. Je suis désolé. »
Enfin il osa se tourner vers le Loup des glaciers, la gorge nouée, dans la crainte de l'avoir déçu et profondément blessé. Au moins, les choses étaient dites.
A ccompagner dans la place que je souhaite prendre... Quelle place avais-je dans ce nouveau monde sinon d'être aux côtés de Valion ? C'était ma punition, ma tâche pour avoir abandonné le pôle. Mais que pouvais-je y faire ? Pourquoi y serais-je resté alors que je ne pouvais plus rien pour lui ? Depuis des siècles je m'interrogeais sur ce que j'avais mal fait et aujourd'hui encore je ne comprenais pas pourquoi les Dieux m'avaient puni comme les autres. J'avais raison de m'être interposé disait mon frère de meute. Je n'avais pas réfléchi et je pense que je n'aurais pas été capable de rester inactif pendant qu'un humain maltraite un enfant sous mes yeux : Valion aurait été obligé de m'ordonner de ne rien faire. Je fus surpris qu'il s'excuse de n'avoir rien fait. Mais pourquoi il avait fait ! Il m'avait soutenu.
Je relevais la tête et regardais au loin. Les mots suivant m'échappèrent :
« La place que je souhaite prendre... »
Ils furent dit d'un ton pensif, très lentement, pour moi même. Avais-je le choix de faire d'autres choses que d'accompagner Valion ? Pouvais-je me trouver un but, une tâche quand il ne pourra pas m'emmener ? Que ferais-je de moi s'il me laisse, me demande de ne pas venir ? Je n'osais pas retourner chez sa mère : j'avais trop peur d'être un fardeau pour elle, je ne voulais surtout pas la déranger. Sa maison n'était pas faite pour m'accueillir comme l'a prouvé les événements : je me souvins de mon dilemme avec l'os, du couloir trop étroit devant la chambre de Danae puis de ma chute dans l'escalier. La place que je souhaitais prendre...
Je repensais à cet orphelin. Je voulais l'aider lui et les autres enfants des rues mais que pouvais-je faire pour eux ? Avais-je seulement le droit de me promener seul dans Luh ? Avais-je seulement le droit de leur apporter de l'aide ?
Valion reprit la parole et je sentis une forte émotion s'emparer de lui. Mes yeux ambre, plus âgés encore que la pierre portant le même nom, se posèrent sur lui. Oui j'avais beaucoup souffert sur l'île, oui j'ai eu très peur de le perdre. Pourtant je n'avais pas une seule trace de négativité en moi concernant Valion, pas la moindre petite goutte. Je restais silencieux quelques secondes sachant qu'il me connaissait maintenant assez pour comprendre que j'aimais prendre le temps.
« Vie et souffrance ne sont pas ennemies, elles sont amies. »
Je marquais une pause, ayant appris au fil des années que les humains ont besoin de temps pour encaisser le flot de mon esprit.
« Le premier instant de vie d'un être vivant est un moment d'intense souffrance. Tu n'as aucun reproche à te faire Valion. L'un des humains de l'expédition a transformé la situation en chaos véritable et ce n'est pas toi. Bien au contraire, tu m'as sauvé en me renvoyant au temple. J'ai... eu très peur de t'avoir perdu, j'ai pensé que tu m'avais rejeté mais tu as fais ce qu'il fallait. »
Je me refusais de déposer un nom, d'accuser ouvertement quelqu'un mais je me sentais quelque peu fâché contre un humain en particulier. Je lui ai adressé la parole une fois ou deux mais lui ne m'a même pas rendu un regard, son comportement a mis tout le monde en danger, aurait pu provoquer la mort de tout le monde y compris la sienne. Je n'avais pas assez d'informations pour porter un jugement mais le peu que j'avais me suffisait pour ne pas avoir confiance en lui.
« C'est moi qui dois te demander de me pardonner Valion. Quand j'étais au temple, j'ai douté de toi. J'ai pensé que tu n'avais pas assez confiance en moi, que tu me punissais toi aussi, je ne comprenais pas. Ce n'est pas à toi de me présenter des excuses. J'espère que tu accepteras de m'offrir ton pardon. »
La place que je voulais prendre... Je ne voyais pas ailleurs qu'ici, aux côtés de Valion.
Une autre parole emplie de sagesse cueillit les doutes du jeune homme. Elle ne parvint totalement à les arracher mais les apaisa quelque peu. Il peinait encore à accepter ce concept de souffrance, tenant à l'idée de pouvoir en débarrasser ce monde au maximum. Et pourtant il la savait inévitable. La guerre entre les hommes, une histoire passée et présente, soulignait ce fait avec tristesse. La punition divine restait également un bon exemple.
« Je suppose, oui. »
Il lui faudrait en effet du temps pour assimiler les tenants d'une telle déclaration. La suite surprit le jeune homme. Malgré l'absence de communication, Slavko avait saisi ses intentions. Un grand soulagement effaça la tension de ses muscles et le poids sur ses épaules. Et rien ne chassa ce sentiment, pas même les regrets du Loup divin. Valion les entendit avec sérieux, pesant chaque mot pour dessiner une situation compliquée et douloureuse. Puis il les accueillit avec un sourire empli de tendresse.
« Bien sûr. Et je comprends. » Le chasseur décolla son corps du bastingage. « J'aurais eu très peur aussi, et cela m'aurait fait douter. »
Il s'approcha de son compagnon et glissa une main dans la fourrure qui couvrait sa tête. Ses doigts grattèrent doucement le pelage, sans plus se demander si le Mange-lune apprécierait le passage de ses phalanges caleuses.
« Ce n'est pas grave, mon ami. L'important est que tu chasses ce doute maintenant, car jamais je ne t'abandonnerai. »
Le jeune homme amena le visage lupin contre son torse et l'étreignit un moment. Les mots lui manquaient pour faire comprendre toute la force de leur lien. Aussi il espérait que son geste, peut-être audacieux -et certainement pour un timide comme lui, délivrerait le message. Le demi-dieu faisait partie de sa famille désormais. Il tenait à lui autant qu'à n'importe lequel de ses membres. Ils étaient, après tout, frères de meute. Et si Valion avait à cœur de lui laisser toute la liberté possible, il chérissait l'idée de le garder auprès de lui.
Peut-être qu'il aurait dû procéder ainsi avec Ruinn, pour éviter de le perdre. Une partie de lui réalisait à présent que ça n'était pas de sa faute. S'il avait eu tort sur certains points, la décision du griffon ne lui appartenait pas. Ni sa colère. Malheureusement. Il aurait aimé porter ce poids et faire doléance de ses erreurs, plutôt qu'accepter une séparation. Mais la détermination qu'il en tirait lui faisait prendre conscience de la valeur du lien. Le chasseur voulait en prendre le plus grand soin, et le protéger férocement.
Il relâcha enfin le fils d'Aqua, et plongea ses iris aciers dans l'ambre de son regard encore un instant. L'écho d'une réflexion familière lui revint à l'esprit. Un lourd soupir franchit ses lèvres. Voilà un sujet avec lequel il luttait toujours, et tentait de se raisonner au prix de nombreux efforts. Le fils Lameblanche reprit sa position et croisa les bras sur sa poitrine.
« Il est très difficile d'évoluer en équipe sans l'aide d'une hiérarchie posée et respectée. Après toutes ces années effectuées au sein de la milice, je ne m'y attendais pas. »
L'ancien brigadier-chef n'avait jamais opéré avec des civils. Il en avait oublié beaucoup de choses et c'était tout un monde qu'il lui fallait redécouvrir.
« Mais j'ai appris lors de ma première expédition qu'il est impossible de tout contrôler. Même si j'aimerais que ça se passe autrement, j'essaie de ne pas blâmer les autres. Ils sont ce qu'ils sont. Qui sommes-nous pour les changer ? »
Ainsi il en devenait impossible de changer le cœur des humains. La déception pesait sur cette perspective mais pas seulement. Il la redoutait, pour toute l'impuissance qu'elle générait en lui et qui lui semblait impossible à combler.
A qua m'a donné l'apparence du loup, avait-il construit mon esprit sur le même modèle ? Si tel est le cas, il s'agit d'une étrange cruauté : hautement social, je n'aime pas la solitude pourtant ma tâche fut solitaire. J'ai toujours chéri le contact social bien que je l'ai parfois accueillis avec réserve. Le loup aime le contact physique avec ses proches et j'ai appris à adorer les caresses humaines à l'orphelinat quand les enfants humains s'élançaient au galop à grand renfort de cris de joie pour se jeter dans les profondeurs de ma fourrure.
Peut être aurais-je chassé le capitaine de ce navire, peut être l'aurais-je menacé d'un coup de croc mais j’appréciais que Valion égare ses mains dans mon épaisse mon fourrure fait pour résister à des températures de plusieurs dizaines de degrés en dessous de 0. Aussi fus-je même heureux et n'apportais aucune résistance lorsqu'il attira mon front contre son torse, je fermais les yeux et me laissais emporter dans cette étreinte. J'y trouvais une certaine forme d'intimité, elle était la preuve de la force du lien qui nous unissait. Il n'y avait pas besoin de mot, ce geste à lui seul le démontrait. N'importe quel autre humain n'aurait pas osé ou reçu une réponse négative, sauf peut être la famille de Valion. Je profitais de chaque seconde, trouvant dans ce geste le réconfort dont j'avais besoin après l'épreuve que nous avions traversé.
Me redressant, je l'écoutais avec cet air paisible qui m'étais propre. Il fallu quelques instants pour que ma réponse arrive mais pour quelqu'un comme moi c'était comme ci elle était arrivée aussitôt :
« Observe l'eau et ce bateau Valion, visualise les courants. Arrives-tu à voir ce combat permanent ? Si l'équipage cesse ses efforts, nous irons nous écraser sur les rochers ou serons emportés loin au large ou vous, humains, mourrez sans mon aide. C'est grâce à un effort prolongé que nous pouvons survivre et nous rendre approximativement à l'endroit de notre choix. Pourtant quoi qu'il arrive, ce qu'il se passera ici n'aura aucun impact sur le bâtiment qui évolue à l'horizon. »
Un bateau quasiment identique au notre se trouvait très loin, presque à la limite de la perception humain. Il faisait partie de notre cadre de vie présent tout en n'en faisant pas partie en raison de la distance. Je le regardais en silence de telle manière que Valion l'observe lui aussi avant de reprendre :
« Tout dans ce monde est une addition de détails simples. Ce bateau est une addition de bois et de pièces de métal, mes paroles ne sont qu'une suite de sons, cette gourde que tu portes n'est finalement remplit uniquement que de gouttes d'eau. Tu ne peux pas impacter l'humanité entière mais chacune de tes actions a une influence sur la vie d'une ou plusieurs personnes qui eux mêmes influencerons la vie d'autres individus... Tu ne peux pas remplir l'océan mais tu peux contribuer à améliorer la vie de certains de ses habitants. »
Je soupirais, dirigeant mon regard vers les vagues générées par le vaisseau. Je n'arrivais pas à formuler le reste de mes pensées aussi j'abandonnais, me laissant paisiblement bercer par les roulis du navire et profitant de ce précieux instant.
Tourné vers la Téthys, Valion observait la coque glisser sur l'onde marine. Son regard ciel dériva au gré des flots et de leur couleur sombre. Ils masquaient leur fond et pourtant, à chaque remous, laissaient espérer un dévoilement. Ainsi le jeune Lameblanche fronçait les sourcils, tentant de saisir les propos du fils d'Aqua.
La mécanique de l'équipage ne lui échappait pas, contrairement à son impact sur le second navire. Si le Loup parlait du bâtiment en soi, il comprenait. Mais si leur moyen de transport coulait, les hommes au loin interviendraient sûrement, pour les aider ou les enfoncer. Même s'ils paraissaient être des commerçants, le chasseur restait méfiant sur les mers. Il ne connaissait que trop bien les tactiques des pirates.
Ses yeux s'attardèrent un instant sur la silhouette de bois. La grand-voile, gonflée par le souffle d'Aer, creusait sereinement la distance. Cette courbe fière et imperturbable lui rappela Ezelya, et ses pensées s'égarèrent un instant. Elle lui manquait.
Les mots suivants résonnèrent avec plus de clarté. Certains le rassuraient, d'autres renforçaient ses doutes.
« J'espère le pouvoir. Tant de gens souhaitent rester tels qu'ils sont. Qu'est-ce qui prouve qu'ils ont tort ? Ne sont-ils pas libres de choisir ? Et qu'est-ce qui assure que j'ai une bonne influence ? Qu'est-ce qui m'autorise à intervenir ? »
Un lourd soupir franchit ses lèvres. Il soulagea ses poumons autant qu'il révéla l'ampleur de son trouble. Un sourire ténu prit la suite. Cette fois, Valion ne tira aucune peine de ses incertitudes. Il leva son regard vers l'horizon, rempli de merveilles encore inconnues. Le voyage qu'il avait entrepris ne faisait que commencer. Toutes les réponses ne pouvaient être trouvées si vite. Peut-être que les chercher s'avérait plus important encore.
Le jeune homme se tourna vers Slavko avec confiance, et reconnaissance.
« C'est si difficile de trouver sa place. Mais je sais qu'avec toi, je suis sur le bon chemin. »
Il glissa sa main sous la mâchoire du Loup et lui sourit.
M on regard d'ambre, plus ancien encore que certaines étoiles dans les cieux, était posé sur l'humain. Sans jugement. Avec patience. Je reconnaissais chacune des quatre questions, particulièrement la dernière. Qu'est-ce qui m'autorisais à intervenir entre cet enfant et ce marchand ? Après tout, mes relations avec eux étaient totalement neutre avant l'incident, je ne les avais jamais vu. De plus, l'affaire ne me regardait pas, peut être n'aurais-je pas dû m'en mêler, comme tout les autres. Mais alors, aurais-je laissé cet enfant se faire maltraiter, frapper et que sais-je encore pour le simple fait d'avoir voulu se nourrir d'une pomme qui, si elle avait été perdue lors du transport, n'aurait manquée à personne ? Quel jugement aurais-je eu de moi si j'avais laissé une pareille chose se produire ?
Trouver ça place. Voilà un tourment typiquement humain qui pourtant me rattrapais aujourd'hui. Au début des temps, Aqua m'avait donné une tâche, un lieu ou exister pour l'accomplir, il m'avait donné une place en ce moment. Désormais, ma place était auprès de Valion, nul part ailleurs. Mais que ferais-je de moi lorsqu'il ne me voudra pas à ses côtés, quand je ne pourrais pas l'accompagner ?
« Mon cher ami... Ces questions que tu te poses se sont invitées dans mon esprit bien avant la création de ton espèce. »
Levant les yeux, mon regard se perdit dans l'océan quelques instants tandis que je plongeais dans l'abîme de mes souvenirs. Et puis soudain je ricanais :
« Comme maitre Ya-tso se moquerait de moi s'il me voyait assis là avec toi à me tourmenter de questions vieilles comme le monde. C'était un homme extraordinaire, tu l'aurais aimé frère. Je me souviens de notre première rencontre : nous sommes arrivés en même temps à la rivière et nous sommes installés l'un à côté de l'autre sur l'un des rochers au bord de la cascade pour la méditation du matin. Il n'a pas cessé de sourire puis après quelques minutes il m'a posé une question : «Vous qui vivez depuis la nuit des temps dites moi, bientôt c'est quand ? ». Une folle hilarité l'a emporté devant ma confusion. Nous avons passé la journée à débattre de la question, sur ces rochers, en plein milieu de la rivière, éclatant de rire régulièrement sous l'oeil ahuri des enfants et des autres moines. »
Mes yeux pétillaient de la joie de ce souvenir. Je me tournais vers lui, heureux d'être là :
« Nous n'avons jamais trouvé la réponse à cette question. Ne crains pas de t'égarer frère, nous sommes ensemble sur le chemin. »
Est-ce que Maitre Ya-tso était comme Valion en étant jeune ?...
Que Slavko s'interroge sur de telles préoccupations conforta le jeune chasseur dans ce partage. Il n'était plus seul dans ce voyage. Un précieux sentiment de liberté et de confiance l'étreignit. Tout sujet semblait pouvoir être traité avec le Mange-lune, sans jugement. Dans cette optique de compréhension, Valion se demanda s'il y avait une seule question à laquelle son compagnon quadrupède n'avait pas réfléchi durant sa longue existence. Le hasard pourrait se jouer d'eux en les y amenant un jour.
Les pensées fourmillèrent dans l'esprit du garçon, comme si les portes de sa solitude s'étaient ouvertes pour ne plus jamais se fermer. Son éternelle curiosité voulait tout aborder. Il retrouvait l'enfant calme qui aimait lire et poser des questions, délaissé par l'homme d'action qu'il était devenu. Tout cela attendrait, car manifestement, le fils d'Aqua éprouvait la même joie à relater sa vie.
L'éclat de rire contamina ses propres traits. Valion s'y livra avec sincérité, puis s'interrompit presque brusquement à l'entente du terme "frère". Un frisson électrisa son échine. Le mot était sorti si naturellement que le Loup d'Aqua ne s'y attarda même pas. L'anecdote lui parvint d'une oreille distante bien qu'attentive. Il digérait toujours l'impact et le bonheur qui en émergeait. Un sourire un peu niais naquit sur ses lèvres et ses iris bleu acier se mirent à briller.
Le chasseur se reprit tranquillement au fil de l'histoire. Un rire doux accompagnait ponctuellement celui du Loup. Ce maître Ya-tso avait marqué l'existence du Chanteur du Nord, vu le nombre de fois où ce dernier le mentionnait. Peut-être le fait qu'il se soit lié à un humain dans le passé, avant l'existence du Pacte, lui apportait du recul et le rendait capable d'estimer leur race ? Ce n'était pas le cas de tous les demi-dieux, en particulier cet autre lupus de la déité Aqua qui en semblait purement incapable. Son esprit revint naviguer dans les eaux bégnines.
« Tu as raison. Je commence à me dire que trouver la réponse prendra du temps. Et ce n'est pas grave. »
Malgré les doutes et les erreurs, l'avenir semblait porter l'espoir d'un monde meilleur, aux côtés de Slavko.
Valion détailla finalement sa rencontre avec Sarabi, ou plutôt son épreuve. Le chef qu'elle désirait s'était donc révélé en la personne d'Akelar Katar. Pour la place maternelle qu'elle occupait dans son cœur, il lui faisait confiance. Slavko au contraire, témoigna d'une profonde méfiance envers le noble. Le fils Lameblanche conserva cette retenue dans un coin de sa tête.
Le voyage ne durerait pas longtemps. Il en profita tout de même pour se retirer dans sa cabine faire une sieste, afin d'être opérationnel dès leur arrivée.
Le jeune homme avait informé le demi-dieu de la présence d'une branche maternelle de sa grande famille ici, à Layane. L'aînée de ses cousines avait eu droit à une présentation plus élaborée. Lorsqu'ils débarquèrent, Valion fit part de sa réflexion. La suite de leur voyage se modulait selon une organisation réellement stratégique.
« Nous nous arrêterons chez ma famille au retour si cela te va. J'ai peur qu'on ne nous laisse pas partir facilement si nous y allons dès maintenant… »
Ses deux tantes se montraient toujours généreuses mais trop fouineuses au goût de leur neveu un peu timide. Au moins, si tout se passait bien, il aurait au retour l'excuse d'avoir une poche d'acide toute fraîche à ramener à la pupille princière. Les ragots iraient bon train et le duo pourrait, il l'espérait, s'éclipser tranquillement.
R ester tranquille et ne rien faire sont deux activités tout à fait différentes. C'est la première que j'effectuais quand Valion rejoignit sa cabine, assis à l'avant du bateau sans bouger le regard semblant plongé vers l'horizon. Je méditais sur tout ce qu'il s'était passé aujourd'hui, notamment de notre relation commune avec Sarabi. J'étais heureux de savoir que nous partagions tout les deux des sentiments positifs pour la lionne mais plus inquiet de son humain. Je devais avouer ma surprise que Valion se soit présenté dans sa cellule en même temps que le compte, une telle coïncidence ne s'était jamais produite pour moi. Je nourrissais une profonde méfiance pour cet homme : il est à l'origine du chaos qui a failli tous nous coûter la vie sur l'île et son comportement général ne m'inspirais qu'une perplexité négative. Je lui ai adressé la parole, je lui ai proposé du soin mais je n'ai reçu que manque de respect par récolte d'ignorance. Sarabi l'avait préféré à Valion qui lui faisait confiance, peut-être me trompais-je ?
Je notais que la température grimpait : nous allions nous rendre dans le désert. Valion avait-il conscience qu'il s'agissait d'un environnement opposé à celui qui m'était familier ? Glace, océan ralenti par le froid, vents glacial, voilà ce que j'ai connu durant tant de millions d'années. Ici soleil, chaleurs et poussière nous attendait. Malgré tout mon savoir, jamais je ne m'étais approché d'un désert, peut être devrais-je avertir Valion ?
Déjà le bateau manœuvra pour pénétrer dans le port, j'observais avec une curiosité de louveteau les marins s'activer. Je ne pu m'empêcher de trouver merveilleux ce balai orchestré avec soin. Il me paraissait confus pourtant chacun savait précisément ce qu'il fallait faire et le navire répondait au moindre de leur geste. La voix du capitaine tonnait, imposant son autorité à tout le bateau.
Valion m'avait informé de la présence d'un branche de sa famille que je me réjouissais de rencontrer. Il ne s'agissait que d'un village mais il me semblait être très actif.
« Maitre Komatetsu disait qu'il faut profiter de toutes les occasions que la vie nous offre de prendre du plaisir et de voir ses amis. Maitre Nitano lui répondait qu'il faut d'abord terminer ses corvées du matin. »
Je ne ressentais pas la gêne que j'avais ressenti à Luh, néanmoins j'étais plus en alerte que d'habitude. Pas véritablement stressé, par véritablement inquiet, juste... attentif à mon environnement.
Un éclat de rire sincère accueillit le parallèle établi par son compagnon divin. Celui-ci s'était entouré d'humains emplis de sagesse et de bon sens, dans l'ancien monde. Il s'agissait peut-être d'un reflet de sa propre personnalité ? Un trait de caractère attirait son semblable, comme Valion avait entendu dire. Impossible de se souvenir s'il l'avait lu quelque part ou entendu dans une conversation proche de la philosophie de comptoir.
À moins que ces moines aient initié le demi-dieu à la spiritualité, et non l'inverse. Cette pensée étira son sourire plus longuement. En se remémorant Slavko tenter d'attraper les poissons sautant par-dessus le pont, l'hypothèse prenait du poids. La scène et les fragments du passé du demi-dieu prouvaient que la sagesse ne s'accompagnait pas toujours du sérieux. Une leçon que le jeune homme tentait d'intégrer depuis son départ de la milice.
« J'aurais probablement été l'élève de Maître Nitano, si j'avais vécu à cette époque. »
Après avoir mis un genou à terre et vérifié son équipement, Valion sortit une fiole de Dessolation, fraîchement achetée à Lüh. Si la lotion magique le protègerait des affres désertiques, il n'en allait pas de même pour le Mange-lune. Aqua dominait Ignis, mais la présence de l'eau dans les profondeurs sableuses ne suffirait peut-être pas. Son regard inquiet chercha l'ambre alerte.
« Est-ce que ça va aller ? Pour le désert je veux dire ? »
Le chasseur versa le liquide dans ses mains, et rajouta tout en désignant le contenant à moitié plein.
« J'ai ça pour me protéger, mais je ne pense pas que cela fera effet sur toi… » Le tout appliqué sur sa peau à découvert, il se releva. « En revanche, j'ai une gourde magique dont l'eau ne se tarit jamais. Si tu as besoin de boire ou autre, n'hésite pas à me demander. »
Toujours inquiet malgré cette possibilité, il proposa une alternative avec un sourire bienveillant : « Tu peux attendre que je revienne chez ma famille sinon. »
Le fils Lameblanche se doutait qu'elle ne plairait pas, mais ne souhaitait en aucun cas forcer le fils de la Glace à l'accompagner, même si le désert s'avérait trop dangereux pour une personne seule et sans monture.
Q uel moine aurait fait de Valion son disciple ? Difficile à dire. Pour un humain, la durée de fréquentation d'un monastère s'élève au maximum à quelques décennies et rares sont les moines s'élevant au rang de maitre. Ainsi certains n'ont connu que les trois que j'ai cité jusqu'à présent. Pourtant j'en ai connu des dizaines, des centaines. Certains ont été très proche de moi quand d'autres n'ont jamais partagé la méditation du matin avec moi. Alors quel moine aurait fait de Valion son disciple ? Je vois plusieurs candidats : Maitre Ya-tso aurait été heureux. Maitre Nitano ? Oui ils partageaient tout les deux le même goût pour la discipline. J'en voyais d'autres mais qu'il était inutile de citer sur l'instant car encore totalement inconnu Valion.
Je l'observais avec une certaine curiosité placer une substance sur sa peau, ce que je comprenais parfaitement : les humains de l'ancien temps utilisaient une lotion similaire nommé « crème solaire ». Un nom qui m'a toujours amusé soit dit en passant... Je m'assis pendant qu'il se préparait.
Valion me demanda si ça allait aller pour moi dans le désert. Je suis forcé d'avouer que l'idée de me rendre dans un tel environnement pour y effectuer une chasse ne m’inspirais aucune véritable envie. Il me proposa de rester chez sa famille pour l'attendre au frais. Je piétinais un peu le sol de mes pattes avant pour montrer mon léger mécontentement mais je répondis sans une trace de négativité :
« Et te laisser affronter les dangers du désert seul ? Nous sommes frères de meute. Tu n'iras pas là bas sans moi. »
Mon regard se planta dans la sien, il pu y lire toute ma détermination. Il pouvait facilement avoir le dernier mot oui mais je ne négocierai pas ce point. Je me tournais vers le ciel, en direction de l'astre d'Ignis :
« Ma compagne est... » j'eus une hésitation « … était fille du soleil. Je me suis déjà aventuré dans le désert lorsque j'étais à sa recherche. Ne crains rien, je sais à quoi m'attendre. Je serais peut être gêné mais tout ira bien. »
Le désert... Un endroit parfait pour le temple d'Ignis. Je ne savais pas s'il était loin mais je ne pu m'empêcher de me poser la question à cet instant : est-ce qu'elle est là bas, dans une salle de pierre à attendre ?...
Valion se passa une main dans les cheveux à la réponse de son compagnon divin. Touché et gentiment recadré, il comprit devoir s'abstenir d'une telle proposition à l'avenir. La surprise adoucit les durs traits de son visage. L'existence d'une demi-déesse chère au cœur du Mange-lune lui était connue, mais l'histoire n'avait toujours pas été contée. Elle attendrait encore un peu.
« D'accord. »
Le trouble guida le regard de Slavko. Malgré sa curiosité, le chasseur ne souhaitait pas l'y enfoncer, surtout à l'aube d'un affrontement. Le désert nécessiterait toute leur attention pour éviter d'y succomber. Le duo se mit en route. Après en avoir fini avec leur proie, ils pourraient peut-être évoquer la suite de leurs tourments et trouver un moyen de les supporter ensemble.
Grâce à la lotion magique, la chaleur du désert cueillit les sens du jeune homme sans les étouffer. Ses iris ciel s'attardaient fréquemment sur le fils d'Aqua pour vérifier son état. Peut-être un poil trop, aussi il tenta de se faire plus discret. Une courte pause lui permit de boire et de se délecter d'une tranche de bibi séchée et de quelques graines de soleil. Il en proposa à Slavko, puis le duo s'enfonça plus profondément dans le désert. Layane n'était plus qu'une vague silhouette et celle du Temple d'Ignis se dressait fièrement au loin.
Valion jugea bon de détailler leur cible, simplement évoquée durant la traversée, et peut-être établir une stratégie d'attaque. Ses connaissances théoriques ne renfermaient en revanche aucune idée pour la débusquer. Il possédait un appât, mais craignait d'attirer un plus gros prédateur en les utilisant.
« La Carmina est une sorte de plante carnivore. Elle possède un long bec et manipule l'essence végétale de Terra. Elle crache aussi un acide, pas très dangereux pour les humains. Mais tu devras faire attention, et peut-être rester à distance ? »
Son désir de protection se mêlait à la crainte d'éventuelles séquelles de leur dernier combat. Seuls les Quatre savaient le potentiel destructeur des manavores sur le long terme. Slavko ayant été leur principale victime, il redoutait un affaiblissement de son essence, même si ce dernier n'en montrait aucun signe.
« Comment tu te sens depuis l'île ? »
Le jeune homme l'interrogea prudemment, sans anticiper. Son regard balayait les environs, alerte. Bouclier attaché à son bras gauche, lance en main droite, il se tenait prêt. Excepté fixer le moindre bout vert dans leur champ de vision, il ne savait trop quel comportement adopter. Si son frère de meute avait une idée sur le sujet, il se ferait un plaisir de la suivre.
J e n'aime pas le sable. Il est abrasif, agressif. Il s'infiltre partout entre les poils, même la neige est plus douce. Il n'offre aucune adhérence : il est impossible de galoper, facile de glisser. Mes pattes s'y enfonce et je me déplace parfois péniblement. Je n'aime pas les fortes chaleurs. Elle nous assomme, tape sur les têtes, menace mes cornes qui résistent uniquement grâce une alimentation en magie durant des millions d'années. Elle étourdi, affaiblit les sens et donne affreusement soif. Impossible d'être discret : une langue impressionnante pendait de ma gueule et je haletais fort trahissant ma présence. Je n'aime pas les déserts. Ils réunissent tout ce que je n'aime pas. L'addition du sable, de la forte chaleurs et de l'étourdissement des sens me donne une impression de faiblesse, de handicap. Pire cela provoque le phénomène des mirages, des illusions parfois traîtresses. Je sais que la vie se cache là, dans le sable, quelque part pourtant à mes yeux, l'endroit n'est que mort et désolation.
Je ne pouvais pas m'empêcher de regarder de temps en temps le temple d'Ignis. Hélène était là, au sein de ces murs. Je suivais Valion en haletant. Je l'écoutais avec attention : ainsi nous nous attaquions à une plante ? En plein désert ? Son cuir sera certainement dur mais plein d'eau. Je soupirais à la question de Valion :
« Je me sens fatigué. Je peine à récupérer ma magie, à trouver le repos. Je pense que l'effet passera avec le temps. »
Un gros lézard prenant la fuite me coupa la parole, je marquais une petite pause dans mon allure pour l'observer puis je repris la route.
« Rester à distance est une bonne idée : ma magie et ton arc nous offrirons l'avantage. Je ne porterai pas plus d'un coup magique, j'utiliserai mes crocs pour le coup de grâce. »
Mes difficultés à retrouver ma magie étaient-elles dû aux morsures des Manavores ? Je ne voyais pas d'autres hypothèses. Je me sentais mieux jour après jour mais la fatigue me harcelait. Le sommeil et la méditation n'étaient pas suffisant pour recouvrer pleinement mes forces. Est-ce que je m'inquiétais de mon état de santé ? Oui un peu mais je n'en laissais rien paraître. J'avais récupéré assez de mana pour pouvoir protéger Valion. Bien qu'ayant travaillé la patience durant des longs siècles, j'avais hâte de quitter cette zone...
Sourcils légèrement froncés, le chasseur relâcha sa respiration avec difficulté. Il espérait que son compagnon ait raison. La ride formée sur son front s’effaça à demi. L’inquiétude se réfugia dans un coin de sa tête auprès de ses consœurs. Il revenait de cette expédition avec un poids plus lourd à porter qu’à son départ. Le sort du Manavore et celui de Slavko lui faisaient presque regretter sa participation. Le temps trancherait certainement le sujet. L’interruption du demi-dieu attira son attention sur le reptile fuyant. Il rebondit plus légèrement sur leur discussion stratégique.
« Je ne suis pas un très bon archer, mais à nous deux nous pourrons peut-être le tenir à distance en effet. Et sinon, j’ai de quoi l’occuper avec ma lance sans trop me mettre en danger. »
Enfin, ils pouvaient établir un plan aussi précis qu’ils le souhaitaient, un combat restait imprévisible et insaisissable. Poser des bases le confortait toutefois dans son fonctionnement militaire.
Une pointe d’excitation titilla l’échine de Valion. La bonne entente entre soldats renforçait leur performance sur le terrain. Sa complicité naturelle avec le Mange-lune devrait conduire à un puissant duo. Le début d’une légende s’écrirait peut-être en ces terres désolées, songea-t-il dans un discret sourire. Il savait qu’un barde en particulier s’en chargerait avec joie. Si cette escapade lui permettait en prime de prendre sa revanche sur un élémentaire de feu, il serait un homme comblé.
Après une quinzaine de minutes, le jeune homme refit une pause pour boire. Il ne prit qu’une petite gorgée pour rester hydraté sans alourdir son estomac. Une touffe végétale capta son regard ciel à une trentaine de mètres. Il s’en approcha et mit un genou à terre pour l’étudier de plus près. Il sortit son herbier de poche et fit signe à Slavko d’approcher, sachant sa soif de connaissances égale à la sienne.
« Je n’y connais rien en plantes alors j’ai acheté ce livre la semaine dernière. Ça dit qu’il s’agit d’un Hot Boiling. Un Chaud Bouillant. Il peut tenir chaud pendant presque un mois, davantage en le rempotant. »
Son accent laissait franchement à désirer. Seuls les érudits et chercheurs s’orientaient vers les études de langue ancienne. Il en restait si peu de traces que même les nobles ne s’y intéressaient guère en général. Valion avança sa main pour le saisir. Il la retira immédiatement en aspirant son souffle. Une fausse toux étrangla sa bêtise relativement innocente. Il marmonna dans sa barbe inexistante :
« En effet c’est très chaud… »
Le chasseur prit un tissu de son sac sans fond et s’en servit d’une main pour empoigner la plante. De l’autre, il tira sa dague de son fourreau pour la déraciner. Le tout soigneusement rangé dans le contenant magique, il remit l’arme en place.
En se relevant, il aperçut un point à l’horizon, grossissant lentement mais sûrement. Il dégaina son arc et encocha une flèche par précaution. Il glissa une question à son frère de meute sans quitter la chose des yeux. Sa vue surpassait probablement la sienne.
« Est-ce que ça ressemble… à une plante agressive ? »
M e plaindre des grains de sable qui me chatouillais entre les coussinets ? Non je ne le ferai pas. Je secouais de temps en temps une patte avant de la poser au sol mais je ne dis pas un mot à ce sujet. Me plaindre de mes difficultés à me mouvoir dans le sable ? Non je ne le ferai pas. J'avais des difficultés à trouver des appuis stables, je glissais souvent, chaque pas me demandait un effort supérieur à ce qui m'était habituel. Pourtant aucun mot à ce sujet. En revanche mon corps de canidé trahissait ma souffrance à cause de la chaleurs : gueule ouverte, langue pendante, je haletais. Mais pas un seul moment il ne me traversa l'esprit d’émettre une plainte, pas un seul moment je ne fis un geste de demi-tour. Seul le temple d'Ignis attirait mon regard...
Je m'approchais quand Valion mit un genou à terre pour étudier une plante de plus près. Jamais je n'avais vu pareil plante de ma vie, il faut dire aussi qu'au pôle la vegetation est quelque peu... absente. Je restais cependant à une distance respectable du végétal qui me paraissait hostile : l'histoire me donna raison puisque mon humain se brûla.
« Je ne pensais pas qu'il pouvait exister pareil végétal. Au pôle il n'y avait que des plantes aquatiques. »
A ma grande surprise, Valion déracina la plante et la rangea avec soin dans son sac. J'étais sur le point de signaler mon inquiétude pour ce qui est des autres objets, notamment de sa nourriture, lorsqu'il attira mon attention sur un point à l'horizon. Redressant la tête, je remarquais effectivement une sorte de plante vivante qui s'approchait de nous. Elle avait de toute évidence repérée une proie : mon humain.
« Laissons le approcher. Laisse moi porter le premier coup... »
Est-ce que Valion pouvait sentir la charge de magie ? Le regard fixé sur le monstre, j'attendais qu'elle soit assez proche pour faire un maximum de dégâts. J'invoquais la glace et choisi la facilité : les gouttelettes d'eau de mon haleine se transformèrent en glace. Plus le temps passa, plus les glaçons grossissaient en masse et en nombre. Valion pouvait les voir grandir à vu d'oeil devant moi. Pointus et tranchant. Ayant parfaitement confiance en mon frère de meute, je savais qu'il choisirait le meilleur moment pour lancer son attaque.
La plante se rapprochait de plus en plus. Quand elle ne fut plus qu'à une quinzaine de mètres, je relâchais la magie : les cristaux de glace s’élancèrent telle une volée de flèche vers la créature. Certains la transpercèrent, d'autres la tranchèrent, le choc la déstabilisa : elle chuta ! Mais il n'était pas encore temps pour moi de bondir, Valion devait attaquer d'abord...
Valion acquiesça aux indications de son compagnon. Son esprit tactique les rejoignait avec justesse. Ses traits durs s'assombrirent sous le coup du sérieux. Il planta son bouclier dans le sable afin qu'il tienne droit, et sortit arc et carquois du sac sans fond.
Le tout équipé et remis en place, le chasseur encocha rapidement une flèche. Son regard acier reprit contact avec l'être sylvain qui s'était considérablement rapproché. Cette proximité confirma qu'il s'agissait d'une Carmina. Sa taille semblait atteindre voire dépasser le haut des cornes de Slavko. Ce dernier avait chargé sa magie. Le jeune homme essaya de ne pas se laisser distraire par les impressionnants pics de glace.
L'attaque magique fusa vers le monstre dès qu'il fut assez proche. Le corps longiligne s'effondra. La tête disparut du viseur de l'archer. Tant pis. Il baissa ses mains et tira dans l'amas de verdure sans dissocier de point faible. Il arma à nouveau son arc. Le sol se mit à trembler sous eux. Valion se jeta sur le côté. D'énormes épines sortirent du sable. L'une d'elles jaillit entre ses jambes. Une autre parvint à transpercer son compagnon divin. « Slavko ! » L'inquiétude perça sa voix d'une note rauque.
Deux yeux bleus globuleux fixaient le duo avec férocité. La plante peinait encore à se redresser malgré sa riposte. Toujours allongé, le chasseur tenta de se lever. Le sable traître glissa sous son poids, lui faisant perdre un temps précieux. Quelques flèches étaient tombées de son carquois. Il en prit une et s'accorda à la réaction du fils d'Aqua, nettement plus rapide que lui. Si sa vue était dégagée, il tirerait depuis sa position. Sinon, il prendrait le temps de se relever pour obtenir un meilleur angle de tir.
Monstre Carmina : Glace 2 de Slavko -10pts Tir de Valion -10pts (-1 flèche simple)
P rédateur. Mon corps est taillé pour la prédation : pattes longues et puissantes, griffes acérées, crocs fait pour attraper et déchiqueter. Dans mes gênes se trouvaient tout les outils comportementaux, toute la séquence comportementale de prédation. Ainsi quand le monstre chuta, l'instinct de chasseur me hurlait que c'était le moment de lui sauter dessus mais le côté meute et l'expérience me soufflaient d'attendre. Alors j'attendis avec le plus grand calme, le regard grave, sans l'ombre d'une froissure aux babines.
La flèche de Valion siffla dans les airs, atteignant sa cible : c'était le moment de bondir ! Mais le sol se mit à trembler, déstabilisant mes appuis. Je ne pus faire autrement que de rechercher mon équilibre, que de tout faire pour ne pas chuter. Mon frère de meute se jeta sur le côté mais je ne pu rien faire pour esquiver ce qui se passa ensuite : d'énormes épines jaillirent de ce traître de sable. Un couinement de douleur m'échappa : l'une d'elle me transperça profondément le flanc, je me retrouvais littéralement empalé. Je perdis quelques précieuses secondes à lutter pour me libérer, laissant sur l'épine un flot de sang et de chair. La douleur était puissante mais je ne pouvais pas la laisser m'affaiblir : Valion avait besoin de moi.
Ignorant la douleur et le trou sanglant qui avait besoin de soins, je bondis sur le carmina. Nous roulâmes ensemble sur une dizaine de mètres. Les vingt terribles secondes suivantes ne furent qu'une lutte à mort au corps à corps, une lutte sans merci ni d'un côté ni de l'autre durant laquelle je récoltais de nouvelles blessures plus superficielles qu'autre chose mais impressionnantes pour un humain.
Finalement je plaquais la créature sur le ventre, l'écrasant de tout mon poids, mes crocs se plantèrent dans sa nuque. Ma concentration était totale, toutes mes forces étaient mobilisées pour immobiliser la créature qui hurlait et ne savait comment se débattre pour m'échapper, ma morsure infligée de telle façon qu'elle limité considérablement ses mouvements, chaque geste renforçait ma prise ou aggravait la blessure. Néanmoins je n'allais pas tenir longtemps, j'étais incapable de modifier ma prise pour la tuer ni d'avertir Valion que c'était le bon moment. J'avais une confiance aveugle en lui, je savais qu'il allait comprendre, saisir l'occasion de porter le coup de grâce...
Aucune fenêtre de tir. Le chasseur se remit sur pieds, difficilement. Il n'accorda aucun regard aux flèches éparpillées au sol ni à son bouclier à moitié enseveli. Tandis que le loup et la plante se battaient pour l'ascendant, il grimpa en haut d'une petite dune. Là, le panorama lui offrait une vue parfaite. Il arma son tir.
Une grimace fendit la bouche du jeune homme. La lutte entre le demi-dieu et le monstre l'empêchait de définir une cible. Un bon archer aurait pu se satisfaire d'une ou deux secondes. Lui, peu à l'aise avec cette arme, avait besoin de plus. Il ne baissa pas les bras pour autant, confiant que son frère de meute lui obtiendrait ces précieuses secondes supplémentaires.
La mâchoire de Valion se crispa en voyant le long bec entailler la chair de Slavko. Ses doigts se resserrent nerveusement sur l'empennage. Il força son calme en expirant un souffle pénible. Maintenant ! Le fils d'Aqua avait réussi à immobiliser la créature sous lui. Ses crocs plantés dans la nuque le mettaient hors de portée de la gueule pointue.
Par peur de toucher son compagnon divin, il dévia sa trajectoire plus que nécessaire. Le sifflement trancha l'air et finit sa course dans le sable, à quelques millimètres de la Carmina. Étouffant un grognement, il encocha aussitôt un nouveau trait. Celui-ci atteignit sa cible affaiblie, et l'acheva sur le coup. La corde de l'arc glissa par précaution le long d'une troisième munition.
En voyant le Mange-lune se dégager, il eut confirmation de sa mort. Le chasseur descendit du petit mont sableux en passant l'arme dans son dos. Il se précipita vers le demi-dieu et mis un genou au sol pour étudier ses blessures.
« Est-ce que ça va !? »
Le couinement de douleur ne lui avait pas échappé plus tôt. Son regard clair balaya le pelage bleuté avec agitation. La faille se trouvait sur le flanc. Quelques lacérations superficielles barraient le haut de ses pattes avant. Il se fit violence afin de ne pas s'en préoccuper également.
« Comment tu te sens ? Tu peux utiliser ta magie de soin ? »
S'il n'avait jamais vu telle énergie émaner de son frère de meute, il se souvenait de l'offre généreuse faite au comte lors de l'expédition sur l'île. Au cas où, émergeaient déjà de son sac des bandes de tissu et une fiole de Curaga.
« Sinon ça devrait pouvoir t'aider. Ne force pas. »
Entre les conséquences de l'île et son naturel inquiet, Valion préférait que Slavko s'économise. Rien n'équivalait la magie purificatrice, mais ses objets pouvaient le soulager.
Monstre Carmina : Attaques de la Carmina sur Slavko -7pts Attaques de Slavko -8pts Tir de Valion -10pts (-2 flèches simples)
L a première flèche de Valion manqua sa cible mais je n'avais pas le temps de pester : ni extérieurement, ni intérieurement. Immobiliser la créature mobilisait toutes mes forces, je ne pouvais pas me déconcentrer. Je devinais pourquoi il avait manqué sa cible : il visait large pour ne pas me toucher par accident. Je lui en était reconnaissant mais je n'allais pas tenir bien plus longtemps : bien que je soit un demi-dieu j'avais beaucoup perdu de ma force d'autrefois. Une seconde flèche siffla et arracha un râle d'agonie au carmina. Je maintiens ma prise jusqu'à ce que je sois sur que le monstre s'était enfoncé dans les havres obscurs et ténébreux de la mort.
J'avais serré les mâchoires tellement fort qu'il me fallut un petit effort pour me dégager : j'avais la langue et le museau couvert de sang, mes crocs en étaient colorés également. Mon frère de meute se précipita pour se renseigner sur mon état, prendre de mes nouvelles. Le sang gouttait de mon flanc d'une plaie qui aurait été fatale pour un humain. Il me proposa d'utiliser ma magie de soin et une fiole dont j'ignorais tout. Je m'assis, afin de récupérer mon souffle.
« Une belle opportunité représente la créature affaiblie par son dernier combat. Le chemin est long jusqu'à la civilisation, alors seulement je me soignerai par magie. D'ici là, je conserverai ma mana pour te protéger. Conserve cette fiole pour toi. »
Je frottais alors mon museau dans le sable pour le laver de tout ce sang. L'odeur de se dernier ainsi que la douleur attira mon regard vers ma blessure :
« En revanche... Je pense qu'il serait intéressant de me bander le flanc pour stopper le saignement qui pourrait attirer d'autres prédateurs sur notre piste et te mettre en danger. Puis-je te demander de gâcher quelques bandages ? »
Cette blessure était loin de m'impressionner : elle guérirait rapidement. En revanche ma mana était trop précieuse, trop importante en cas de danger pour l'utiliser. Je me considérais comme secondaire : la sécurité de mon Valion passait avant la mienne.
Émis en douceur, le refus de Slavko attira tout de même un froncement de sourcils chez son frère de meute. Le flegme du demi-dieu lui échappait, son raisonnement aussi. Pour autant, il comprenait l'intention, et tiendrait le même propos si les rôles étaient inversés. Dans les deux cas, cet opinion restait à ses yeux une erreur.
Valion soupira, légèrement contrarié. Il sortit sa gourde intarissable en voyant le fils d'Aqua se laver la truffe avec le sable. « Tiens. » Délicatement, le chasseur versa le contenu de la gourde sur le museau du Mange-lune. Il entreprit ensuite de nettoyer son pelage tout en réfléchissant. Son argument enfin dressé, il le partagea sur un ton posé.
« Ta blessure est assez profonde. Je ne suis pas certain qu'un simple bandage arrêtera le saignement. Qui plus est, certains prédateurs possèdent un odorat particulièrement développé. »
En attendant que le sort de cette plaie soit décidé, il banda les pattes avants de son compagnon, coupant le tissu nécessaire avec sa dague.
« J'ai plein d'objets qui me permettent de ralentir un ennemi, de me soigner, de courir plus vite, et même de disparaître. Et si nous devons fuir, je n'aurais qu'à grimper sur ton dos. Mais mieux vaut pour ça que tu sois en état de courir tu ne crois pas ? »
Le garçon regarda autour d'eux, en quête d'une éventuelle présence indésirable. Puis il soupira de nouveau.
« Je dois ramasser mes affaires et dépecer cette bête. En théorie je vois où se situe sa poche d'acide, mais j'ignore combien de temps ça va me prendre de la récupérer. J'ai besoin de toi pour faire le guet en attendant. Si tu es blessé, tu seras moins attentif. »
Des propos aussi pragmatiques ramenaient ses années en tant qu'instructeur sur le devant de la scène. Valion ne s'imaginait pas donner des ordres au fils d'Aqua tant il avait de respect pour lui. Il ne remettait d'ailleurs pas son potentiel en question. Mais il ne pouvait s'empêcher d'essayer de le convaincre. Son frère de meute devait lui faire confiance, y compris sur sa capacité à se protéger seul.
« S'il te plaît Slavko, si tu le peux, soigne-toi. Ou laisse moi le faire. »
D ispute, désaccord, malentendu... Trois notions qu'il est facile de confondre pourtant bien différentes. Valion et moi n'étions pas d'accord ce jour là et, paisiblement avec un immense respect mutuel, nous nous affrontions. À mes yeux l'utilisation de la magie était une mauvaise idée pour l'instant : je voulais la conserver pour protéger Valion. Mais en refusant de me soigner je prenais le risque d'attirer des prédateurs... Or en me soignant je diminuais le risque de les attirer mais je diminuais mes capacités de défense, de riposte.
J’appréciais grandement le geste de Valion de m'offrir un peu d'eau de sa gourde pour me laver le museau mais je combattis le puissant réflexe qui me donnait envie de m'ébrouer. Je le laissais s'occuper de moi en écoutant ses arguments avec attention. Il avait raison et ses arguments égalaient les miens, les surpassaient même. Pourtant je ne voulais pas prendre le risque de diminuer mes capacités pour le défendre. Finalement il se comporta en leader : fais le ou laisse moi faire.
Durant 3 ou 4 longues minutes je restais silencieux à le regarder, réfléchissant à mon rythme, cherchant la meilleure solution pour sa sécurité. Et puis je m'inclinais : mon pelage bleu s'illumina de magie, mes blessures se refermèrent pour finalement disparaître. Même les poils arrachés repoussèrent, le combat n'était plus qu'un mauvais souvenir.
Je fis alors quelques pas pour me placer en hauteur. Il n'y avait rien à l'horizon sinon le temple du feu. Encore une fois mon cœur se serra mais je me forçais à ne pas y penser. Attentif je semblais n'accorder aucune attention à Valion du moins du regard : s'il m'observait il pourra voir que l'une de mes oreilles fut toujours tournée dans sa direction.
Seul le silence répondit, dans un premier temps, à sa demande. Valion ne s'en offusqua pas. Il soutint le profond regard ambré deux minutes avant de ranger ses affaires. Le fils d'Aqua opérait ainsi. Il accordait à chaque décision un temps précieux et mesuré. Son compagnon humain y était habitué depuis l'épreuve passée au sein de sa cellule.
Finalement, l'être divin obtempéra. « Merci. »
Cette situation réglée, le chasseur ramassa les flèches éparpillées dans le sable ainsi que son bouclier à moitié enseveli. Il replanta ce dernier dans le sable, à ses côtés, et remit arc et carquois dans le sac sans fond. Il tira à la place sa lance, qui lui permettrait de mieux réagir à une attaque surprise.
Puis il tira la dague de son fourreau afin de sectionner chaque pétale de la Carmina. Enroulées soigneusement dans un tissu, ils rejoignirent le contenu infini de la besace magique. Le prochaine étape serait la plus complexe. Valion inspira avant de commencer la dissection. Son regard ciel déviait de temps à autre sur le carnet ouvert, posé contre plusieurs bandes de tissus.
Voir la créature de près, et notamment la taille de son bec, lui confirma qu'un assaut à distance restait la meilleure stratégie. La poche ventrale sectionnée, le chasseur laissa son contenu se répandre dans le sable. L'odeur de végétal pourri lui décocha un rictus. Il avait senti pire, mais jamais un tel effluve.
L'espace dégagé, il repéra assez facilement la poche d'acide. Mais la décrocher sans la percer lui prend une bonne vingtaine de minutes, pendant lesquelles il s'aspergea régulièrement le visage d'eau, et laissa la gourde à disposition du demi-dieu. La saison d'Ignis, même avec la protection d'une dessolation, menait la chaleur à la limite du supportable.
Ses gants retirés pour éviter de les exposer à l'acide, Valion avait toutefois les mains légèrement irritées. L'opération terminée, il glissa la poche fragile dans un bocal vide, refermé avec force. Le tout à l'abri dans son sac, l'ancien soldat se releva après avoir récupéré son bouclier et vérifié qu'il ne manquait rien. Il essuya la sueur de son visage d'un revers de manche.
« C'est bon. On peut rentrer. »
Sa main caleuse glissa brièvement dans le pelage bleuté.
Butin récupéré : Poche d'Acide - 300Ŧ (botanique) = commande de chasse Pétales de Carmina - 210Ŧ (botanique)
C hasser est un art. Un art avec différentes étapes, qui se doit d'être soumis à quelques règles. Valion et moi n’échappions pas à tout ceci. Après la traque, le combat, la mise à mort, l'heure était au dépeçage. Nous avions le choix entre consommer notre proie sur place ou bien emporter le butin de notre choix, c'est cette seconde possibilité qu'il nous fallait. Le propriétaire d'une proie ne le reste pas toujours et doit parfois la défendre. Je n'avais aucun intérêt à consommer cette créature : mon rôle était celui du guetteur.
Je mis ce temps à profit pour réfléchir à cette petite altercation avec mon frère de meute. Ce n'était pas une dispute seulement un désaccord. Je ne partageais pas l'avis de Valion... Pourtant nous avions tout les deux raisons et tords en même temps dans nos arguments. Valait-il vraiment que nous allions jusqu'à nous grogner dessus ? Non. L’intérêt d’obéir à la demande de Valion était surtout social : il était préférable que je sois au top de ma forme avec un peu moins de mana et qu'il n'y ait aucune interaction négative entre nous deux.
Je tournais régulièrement la tête d'un geste lent et tranquille, sans me presser ni me stresser. Rapidement un éclat attira mon attention à quelques mètres, mon regard s'attarda quelques instants : ce n'était pas vivant donc cela pouvait attendre. Les minutes passaient, le désert semblait aussi calme qu'un rocher. La seule trace de vie était Valion qui travaillait et moi qui haletait à cause de la chaleurs.
Je fis oui de la tête quand Valion se présenta à mes côtés mais je ne pris pas la direction d'où nous étions venu : je me dirigeais vers l'éclat brillant. Je le reniflais puis :
« Il y a quelque chose ici... »
Il s'agissait d'une boite en bois, magnifiquement sculptée et décorée. Elle contenait un magnifique miroir magique. À ses côtés du cura, tout deux à moitié enterrés dans le sable...
Objet : Cura et miroir de communication mortuaire (obtenu lors de l'escape game de l'été).
La douce fourrure du demi-dieu fila entre ses doigts. Valion haussa un sourcil intrigué en le voyant s'engager dans la direction opposée. Il attendit patiemment et l'observa creuser le sable avec soin. À l'indication du fils d'Aqua, il se rapprocha, s'agenouilla et prit l'objet découvert entre ses mains. Ses yeux s'écarquillèrent brièvement. Le bois était joliment sculpté. Son vernissage l'avait relativement protégé du sable.
À l'intérieur reposait un miroir, également de belle facture. Peut-être que tout ceci appartenait à une personne aisée, qui l'avait perdue durant la traversée. Il eut un sourire en pensant à une certaine noble qui, plus jeune, perdait sans cesse ses affaires dans Layane. Celui-ci s'effaça en songeant au destin probablement plus funeste de ce propriétaire.
À côté se trouvait une fiole remplie d'un liquide noir. Le chasseur la déboucha précautionneusement et en renifla le contenu de loin. Du Cura, un puissant remède magique. Il montra l'objet à Slavko en expliquant son usage, sans savoir s'il le connaissait déjà.
« Ça peut soigner les blessures graves, comme les brûlures et les plaies ouvertes. Mais il faut attendre un moment avant que ça fasse effet. »
Le fils Lameblanche jeta un regard alentour, puis creusa davantage. Il n'y avait rien d'autre, pas même de squelette. Il rangea les objets dans son sac sans fond et remercia son compagnon pour son œil avisé. De retour en ville, il ferait rapidement le tour du marché pour savoir si quelqu'un avait perdu son miroir.
Avant de se remettre en marche, Valion but à nouveau, après en avoir proposé au Mange-lune. Il se remit une couche de Dessolation, sentant la chaleur marteler sa peau plus vite que d'habitude. La saison d'Ignis réduisait le temps d'efficacité de cette protection magique.
Dans cet horizon ensablé, le duo ressemblait à deux animaux haletants, dont les pattes s'enfonçaient désagréablement dans le sable traître. Gourde en main, le jeune homme s'aspergeait régulièrement le visage, n'hésitant pas à arroser le semi-divin s'il le demandait. S'il appréciait la compagnie du silence, il choisit d'ouvrir la conversation. Son esprit pourrait ainsi échapper en partie à la température ardente. Et puisqu'il ne risquait pas de se déshydrater avec son contenant intarrissable, autant en profiter.
« Je ne crois pas avoir eu l'occasion de te le dire mais, j'ai tenté l'épreuve de Sarabi, il y a quelques mois. »
Enfin l'enfant des glaciers n'était peut-être pas en mesure de parler. Son frère de meute pivota vers lui pour vérifier son état.
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