Un clapier d'ahuris gesticulants. Cela lui semblait assez bien résumer la situation. Revna réprima une moue réprobatrice. Elle était venue rechercher une protection, pas candidater pour un poste de nourrice.
Lorsque la créature porta un intérêt ténu sur ses offrandes durement arrachées au désert, les doigts de la jeune femme se crispèrent sur l'herbacée rougeâtre. Avait-il la moindre conscience de la rareté de ces plantes ? Et de l'enfer qu'elle avait vécu au travers de cette fournaise pour arriver au Temple ? C'était une question rhétorique, bien sûr. Les demis-dieux ne jouaient pas sur le même plan que les mortels et ne pouvaient comprendre leurs menues douleurs.
Le Corbeau répondit aux salutations de la fillette par un mouvement de la main et un "bonjour" peu enthousiastes. Si cette bestiole aimait la douce compagnie enfantine, elle pouvait au choix être niaise ou sacrément tordue. Dans les deux cas, cela ne lui plaisait guère. Elle ne voulait pas s'occasionner puis de tracas qu'elle n'en avait déjà. Elle resta plantée sur place quelques secondes, sans piper mots, passant ses prunelles claires sur chacun des participants de cette grotesque farce. Pour une première épreuve, elle était servie. Le test avait peut être déjà commencé, mais s'en était trop pour elle. Entre la fatigue extrême issue du terrible voyage et les caquètements ambiants, elle avait l'impression que sa tête allait exploser.
"Je me suis perdue. Excusez moi." finit-elle par dire avec une amabilité forcée. Après tout, la créature semi-divine pouvait aisément la faire passer de vie à trépas, même s'il avait tout l'air d'être un imbécile.
Elle tourna les talons et rebroussa chemin. Hors de question de risquer sa vie pour en prime supporter des piaillements pareils. Tant pis. Un autre demi-dieu un peu plus sérieux devait bien errer en ces murs...
Les trois enfants observaient l'humaine. Anna souriait. Gibus, le nez éternellement bouché, se tenait là, bouche ouverte. Kerry, mains sur les hanches, attendait qu'il se passe quelque chose. Moi ? Et bien je tournais le dos à la visiteuse. Des plantes, sérieusement. Que voulait-elle que je fasse de ça ? Je suis pas une vache ! Pfff ! Oui j'étais déçu. C'est un moment que j'attends avec impatience que l'humain débarque avec un cadeau et elle... Bah... De l'herbe quoi. Oh peut être que je pouvais la fumer ? Mais elle m'a pas apporté de pipe. Nah j'étais déçu picétou. Il y eut un moment de silence puis elle déposa l'excuse bidon qu'elle s'était perdue et tourna les talons. Je me retournais et n'en croyais pas mes yeux : elle partait ! Comme ça, elle s'en allait ! Aaaah mais elle n'allait pas s'en tirer comme ça !
Elle me verra partout. Au pied de la colline, assis, à la regarder. À l'entrée du manoir. En haut de l'escalier. Dans des positions d'attente. Finalement elle me trouvera devant la porte de la cellule, couché dans une position de détente. Je lui barrais le passage, l'empêchant de sortir. Je relevais la tête et je la regardais droit dans les yeux. Magiiiie ! Les flammes flambèrent quelques instants avant que mon regard redevienne normal. Je pris alors une voix rauque, fatiguée et je lui lançais :
« Tu te présente chez moi sans t'annoncer, tu me déranges dans mon repos, tu t'en excuses avec des trucs ridicules, tu ne prends même pas la peine de te présenter, tu ne m'accorde aucune salutation véritable et tu crois que je vais te laisser partir comme ça ? »
J'accentuais chaque syllabe avec un fort accent plein de soleil imitant la façon de parler des grands parrains du crime de l'ancien temps. Bien sur, l'humaine ne pouvait pas avoir la référence. Je la fixais avec beaucoup de sérieux et de gravité... puis je pouffais.
« Sérieusement c'est n'importe quoi. Tu crois que j'ai pas senti tes sentiments négatifs dans ton odeur ? Tu fais semblant d'être aimable. Tu t'es perdu hein ? Dans le temple du feu ? Je suis prêt à parier que tu es entrée dans n'importe quelle cellule, la première sur ton chemin peut être ? »
L'amusement, la malice pétillait dans mes yeux. Ma queue s'agitait, trahissant mon émotion. Je ne marquais pas une pause suffisante pour qu'elle puisse me répondre :
« Tu as de la chance d'être tombé sur moi, tu devrais me remercier, d'autres t'aurait déjà bouffé. Ton offrande ne me plaît pas. Alors si tu veux sortir tu vas faire demi-tour et chercher quelque chose pour me faire plaisir... Et tu resteras le temps que j'en profite un peu. Je t'accorde deux essais... »
Je reposais ma tête sur mes pattes sans la lâcher des yeux. Je n'avais pas l'intention de l'humilier, pas encore du moins. Mais j'avais bien l'intention de la forcer à assumer et à m'accorder un peu de respect, et pas simplement de l'amabilité forcée. Qu'allais-je faire si elle échouait ? J'sais pas... M'amuser un peu ?
Le Corbeau coula un regard indéchiffrable vers le canidé flamboyant. Ainsi donc, il pouvait flairer les sentiments négatifs, sans doute à l'instar des autres enfants des Dieux. Voilà qui était une information utile, compensant un peu le prix du voyage. Elle ne souhaitait pas céder au chantage à peine voilé de Soki, mais il lui faudrait la jouer finaude pour sortir de cette pièce indemne. Revna ferma les yeux. La glace d'Oagran se décupla sous son regard, cristalline et rafraîchissante. Penser à quelque chose d'agréable amoindrirait sans doute la noirceur des sentiments suintant sur sa peau. La jeune femme rouvrit les paupières, cajolant le demi-dieu de ses iris glacées.
*La neige, la fraîcheur, l'hiver...* "Veuillez m'excuser, ô enfant d'Ignis. Je vous remercie de votre bonté et vais de ce pas vous chercher une autre offrande." dit-elle finalement d'une voix doucereuse.
Elle dévala la faible distance la séparant de la poignée de la porte de bois, qu'elle fit coulisser. Un intense sentiment de soulagement la saisit lorsqu'elle sentit que l'arche pouvait aisément s'ouvrir. Le renard ne la bloquait donc que visuellement. L'empoisonneuse s'était tout de même préparée un minima à cette épreuve, et savait pertinemment que ces bestioles étaient inoffensives hors de leur cellule. Le salut était donc à portée de main.
Toute flagornerie s'était évaporée de son visage lorsqu'elle enjamba le renard, prête à décamper. "Ah ouais, ça c'est de l'autorité menaçante dis moi... Bon allez, tu m'as bien fait rire mais j'ai mieux à faire que m'occuper de gamins. Au revoir."
Une lueur taquine vrilla sur ses traits.
"Je te laisse la porte ouverte ? Ah non c'est une mauvaise idée, le premier venu pourrait rentrer et mourir de rire." dit-elle d'une voix moqueuse.
Puis, dans un mouvement vif, elle ouvrit l'interstice et disparu dans les ténèbres.
Jouer. Il ne faut jamais perdre cette envie de jouer. Et il ne faut pas grand chose pour s'amuser, un simple caillou est suffisant. Ou un brin d'herbe... Ou tout simplement s'allonger et regarder la bêtise des humains.
L'humaine n'avait tout simplement rien comprit, rien. Elle n'avait aucune idée du danger d'entrer dans la cellule d'un demi-dieu pas encore libéré. Elle n'avait tout simplement pas prit la peine de comprendre où elle était et ce que j'attendais d'elle. Elle n'avait pas comprit que j'étais le maître ici et que je pouvais la tuer d'une simple pensée. Sérieux elle était super amusante cette humaine, la cible parfaite pour moi !
Elle fit tout simplement n'importe quoi, elle agit comme une parfaite idiote. Tout d'abord elle s'excusa avec beaucoup de douceur, beaucoup de manière. C'était faux bien sur ha ! En plus elle essayait de me prendre pour un idiot. Pff ha ha, super drôle ! Ah celle là il fallait pas qu'elle sorte tout de suite ! Et, ce que je cru être la cerise sur le gâteau, elle me fit la promesse d'aller de ce pas chercher une autre offrande. Je me moquais d'elle ouvertement en pouffant de rire dans le creux de ma patte... Puis elle dévala la distance vers la porte en bois, comme si elle pouvait être plus rapide que moi haha ! Mais je la laissais le croire. Oh bravo ! Tu as gagné ! Tu m'as eut ! Tu as atteins la porte !
Je n'étais pas un véritable danger pour elle à l'extérieur de ma cellule et, si j'étais lié par le Pacte, je n'aurais pas pu faire grand chose pour lui poser problème. Mais je suis dans ma cellule dans des conditions d'épreuve... Aaah quelle belle proie elle fait ! Je l'observais ouvrir la porte, sur l'obscurité de l'autre côté... Puis soudain, elle fit tomber le masque. Elle me railla et m'insulta d'être un gamin. Que ce fut difficile de ne pas pouffer ! Le museau dans le creux de ma patte, je me contentais de la regarder sans bouger. Ouais pense que j'ai perdu ! Je failli tout gâcher en lui demandant de fermer la porte... D'un mouvement vif donc, ouvrit la porte et disparut dans les ténèbres.
Mais ce n'était pas la porte pour sortir de ma cellule. Elle fit deux pas avant de trébucher sur quelque chose, de se cogner le nez contre le mur, de glisser dans une flaque d'eau et de chuter. Ses appuis dans cette nouvelle position se retrouvaient dans quelque chose d'humide et épais. J'ouvris la porte pour laisser entrer de la lumière : elle se trouvait dans un petit cabinet de toilettes. Complètement bouché, il débordait de substance marron, d'eau, de papier toilette et d'autres trucs bien dégueulasses. La petite pièce était affreusement sale. Il y avait des trucs jusqu'au plafond. Quelques insectes aussi...
« Oh zut ! Tu es tombée ! Mais qu'est-ce que tu fais dans ces toilettes ? Je pensais que tu voulais t'en aller... »
Elle allait essayer de s'en aller naturellement mais d'un geste infiniment plus vif qu'elle, je la plaquais d'une patte contre le mur. Babines dévoilés dans un sourire moqueur, mais dangereux, mes crocs et mon souffle de prédateurs s'approchèrent beaucoup trop près de son visage.
« Tu es ici chez moi, dans ma cellule. Je fais ce que je veux. Tu sortiras quand je l'aurais décidé, pas avant. »
Je reculais. Mon regard n'était plus celui d'un gamin. Il était dur, chargé par le poids des ans. Je ne jouais plus.
« Si tu veux sortir de ma cellule, fais toi pardonner. Prends le temps de lire mes petites pancartes et trouves quelque chose qui me fera plaisir. Tu es maître de ton destin, si tu le souhaite dans dix minutes tu es dehors.»
Puis je claquais la porte, la laissant seule dans ces toilettes bouchées, dans le noir. Quand elle sortira, je serais couché dans un superbe coussin confortable à côté de l'escalier. Il lui sera tout simplement impossible de trouver la porte de sortie de la cellule. Toutes ses tentatives déboucheront sur le même genre de fiasco que celui des cabinets bouchés... Jusqu'à ce que j'en décide autrement.
Une affreuse douleur montait progressivement au milieu du visage de Revna. Son nez s'épanchait d'un liquide rougeâtre sur le sol d'une saleté repoussante, sur lequel elle était prostrée. Elle jeta un regard noir à son tortionnaire, avant qu'il ne l'enferme dans l'obscurité nauséabonde.
*Saloperie de bestiole de merde à la con...* ronchonna intérieurement la jeune femme en se redressant avec difficulté, à court d'autres qualificatifs pour le canidé. Une souffrance lancinante irradia sa cheville alors qu'elle tentait de se maintenir debout. Il ne manquait plus qu'une foulure pour peaufiner le tableau des horreurs, tiens ! Elle posa une main sur le mur, la retirant vivement à son contact poisseux. Par les Quatre, il n'y avait donc aucune décence dans cette farce perfide ? Le toutou avait du être bien vexé pour s'abaisser à une telle stratégie. Sa grandeur divine, si elle avait un jour existé, s'était éclipsée avec son cerveau.
Jurant et maugréant, l'empoisonneuse s'extirpa en clopinant de son cachot. Ses prunelles orageuses se posèrent avec dédain sur le demi-dieu engoncé dans son luxuriant couffin. Le choix était simple : s'assoir sur sa fierté ou rester emprisonnée à jamais. Bien qu'elle ne l'admettrait jamais au principal intéressé, sa pensée se déporta jusqu'aux prunelles émeraudes de Jade. Sa gorge se serra. Pour la première fois de son existence, il lui tardait de rentrer quelque part.
"C'est pas comme si j'avais le choix." cracha-t-elle du bout des lèvres, d'une voix trahissant un profond agacement.
Revna se dirigea vers les pancartes ornant le hall en claudiquant de plus belle, le visage fermé par la douleur. Elle n'offrirait pas la satisfaction au canidé d'exprimer verbalement son affliction. Le sol immaculé se peignait graduellement des immondices accrochées à ses vêtements. Tant pis pour lui. Mâchoires serrées pour ne pas laisser flirter le moindre grognement endolori, elle lut attentivement les pancartes. Que pouvait bien apprécier une créature vicieuse et immature ? Elle ne savait pas cuisiner, ce qui réduisait drastiquement ses possibilités. Cette histoire d'entrepôt ne lui disant rien qui vaille après la saleté dans laquelle elle avait plongée, elle soupira et avança avec difficulté jusqu'à la bibliothèque. Revna n'avait pas envie de lui faire plaisir, à cet abruti carnassier. La jeune femme se rassura comme elle le pouvait, se disant que Soka n'avait pas vraiment gagné, car elle recouvrerait rapidement sa liberté alors que le demi-dieu resterait crécher un bon moment dans cette cellule s'il en sortait un jour. Cette pensée ne lui accorda qu'un demi-réconfort.
Sa hargne s'estompa quelque peu en arrivant l'alcôve dérobée recueillant les ouvrages. Les rayons solaires filtrait au travers des carreaux colorés, offrant un spectacle de nuances dansantes tout à fait remarquable. Une odeur rassurante de vieux papier s'étiolait dans l'air, lui réchauffant quelque peu le cœur. Clignant des paupières pour chasser une poussière s'y étant logée, la jeune femme commença à déambuler dans les rayons. Elle ne se souvenait pas avoir déjà vu de bibliothèque aussi fournie. La jeune femme chercha le rayon relatif à l'herboristerie, dans l'espoir ténu d'y trouver quelque chose d'intéressant. Rien de neuf sous le toit d'Ignis. Elle ouvrit soudainement de grands yeux étonnés. Sur une cote brune était marqué en élégantes lettres dorées les mots suivants : Formae Montis. Autrement connue sous le nom de Beauté des montagnes, cette plante légendaire était la source de beaucoup de racontars plus abracadabrants les uns que les autres, mais aucun témoignage sensé n'attestait de son existence réelle. Revna essuya tant bien que mal ses mains souillées sur la petite portion encore propre de ses frusques, et se saisit de l'épaisse couverture de cuir. D'une manière révérencieuse, elle l'ouvrit et laissa les informations défiler. Elle y lut que la plante se trouvait sur la plus haute montagne de Zan, et qu'elle disparaissait à chaque hiver. Un plan détaillait précisément l'emplacement supposé de l'herbacée. Le Corbeau cligna plusieurs fois des yeux, croyant rêver à cette découverte. A n'en point douter, elle deviendrait extrêmement riche si elle pouvait mettre la main dessus.
"Bordel..." souffla-t-elle en s'approchant de plus belle des pages, jusqu'à ce que son nez soit presque accolé au papier.
Ses prunelles claires brillaient d'une lueur vénale alors qu'elle tendait la main pour arracher la page. Mais elle se ravisa en se rappelant du traitement que lui avait préalablement réservé le propriétaire des lieux. Il était illusoire de croire qu'il ne remarquerait pas ce larcin. La jeune femme fronça les sourcils, tentant pendant de longues minutes de retenir les détails quand à la localisation de la fleur. Enfin, dans un claquement sec, elle referma le livre. Il lui fallait maintenant se pencher sur le cadeau de la bestiole rousse.
Le Corbeau traîna sa carcasse endolorie et dégoutante au milieu des étagères, s'émerveillant de la densité des connaissances qui y était recueillies. Cela offrait un contraste marquant avec l'apparente bêtise de l'être semi-divin l'attendant au dehors. Enfin, un titre attira son attention au rayon enfant. Il s'agissait d'un ouvrage peu épais, auréolé d'or sur les arabesques encadrant son corps. "Les contes du renard perché" ? Cela ne lui disait rien, mais l'illustration ressemblait en tout points à Soka.
Elle ignorait si cela suffirait à apaiser son courroux et s'il escomptait réellement la libérer. Mais aucune autre option ne se dessinait dans son cerveau embrumé par la douleur. La jeune femme revint donc sur ses pas, serrant le petit livre rigide dans ses paumes abimées par la chute.
"Voilà pour toi." lâcha-t-elle d'un ton neutre, une fois arrivée à la hauteur du Demi-Dieu tout en lui tendant son présent. Elle était considérablement bien moins indisposée qu'auparavant à son égard. Si elle parvenait à mettre la main sur une Beauté des montagnes grâce à cette chose, elle lui pardonnerait presque l'affront subit en sa cellule.
Au fond je m'en voulais un petit peu. J'agissais comme un parfait gamin, encore une fois. Anna aurait eut parfaitement raison de me disputer. De toilettes bouchées... Kerray aurait été déçu : j'aurais pu trouver autre chose quand même sérieux ! Tout un monde de bêtise s'ouvrait devant moi et tout ce que j'ai trouvé c'est une chute dans des toilettes bouchées. Lorsqu'elle osa sortir de la dedans, j'aurais pu éclater de rire devant son état mais je n'en fis rien. Au contraire je lui étais reconnaissant : je profitais de mon coussin ! Je n'étais qu'un petit crétin mais je savais bien me tenir quand il fallait.
Ma bibliothèque est pleine de trésors oui. Bon perso je m'en moque un peu de sa fleur machin poussant au sommet de sa montagne bidule. Disons... Que c'était un petit cadeau pour me faire pardonner ? Bah elle l'avait bien mérité de toute façon. Finalement, je me désintéressais d'elle. Pi' si elle croyait me déranger en salissant tout, la magie lava toutes ses saletés de toute façon, je profitais pleinement de mon coussin...
Elle me trouvera les quatre fers en l'air à son retour, dans une position de bien être absolu, trop heureux de profiter du confort de mon merveilleux coussin. Je me redresserais et poserais les yeux sur les contes du renard perché. J'en haussais les sourcils et j'éclatais de rire. Un choix absolument parfait ! Mais je me moquais pas d'elle hein ! Nah pas cette fois, juste je trouvais ça très drôle qu'elle me traite de renard perché en passant. Elle avait raison, c'est ce qui le plus amusant.
J'essuyais une petite larme avec ma patte et je lui dis :
« Tu sais ce qui me fais le plus plaisir ? Tout simplement qu'un humain vienne me voir et passe du temps ici. Cela me permet de profiter de tout ça. Ce que j'attendais c'est juste ça. Tu m'as vexé, offensé mais je reconnais que j'ai un peu surréagit. Si tu veux te laver, tu trouveras une salle de bain en haut à droite de l'escalier. Si tu veux sortir, et bien tu connais le chemin, promis ce ne sont plus des toilettes. »
Le choix lui revient donc. Si elle décide de sortir, et bien elle sortira tout simplement. Si elle décide d'aller se laver, elle découvrira une salle de bain luxueuse. Chaude, il y a une grande baignoire avec tout ce qu'il faut pour passer du bon temps ! De l'eau chaude, de quoi faire de la mousse, du savon, des sels de bain, des produits de beauté, des accessoires de beauté... Elle trouvera même ses vêtements fraîchement lavés par magie en sortant du bain. Quant à moi et bien je ne serais plus là à son retour...
La larme glissant des prunelles irisées du canidé la prit de court. Voir son tortionnaire se muer en fillette eplorée avait de quoi surprende. Qu'était-il advenu de la chose cruelle n'escomptant que l'humilier ? Elle resta pantoise, ne sachant que dire pendant quelques minutes. Ce demi-dieu était bien versatile... et lui ressemblait infiniment en ce sens. Elle avança une main fébrile vers le renard, puis lui tapota maladroitement l'espace situé entre les deux oreilles. La jeune femme frémit à ce contact à la fois doux et chaleureux.
"La solitude... je connais ça aussi. Ça peut nous faire faire des trucs bêtes. J'ai fait des choses bien pires que ça ne t'inquiète pas." finit-elle par lâcher d'une voix douce, le visage obstinément tourné vers le mur pour dissimuler la tristesse qui avait envahit ses traits.
Cette bestiole était insupportable, mais sa fragilité avait fait écho à son propre cœur, étranglé sous des couches de monstruosité. Elle se demanda alors si cette rencontre qu'elle avait classée comme une erreur de parcours n'était en réalité pas le fruit du destin. Le Corbeau hésita quelque instant, restant figée dans sa position, droite comme un pantin suspendu à une ficelle. Que faire ? Son cœur lui murmurait des choses contraires à la raison. "Et si.. je décidais de passer ton épreuve ?" finit-elle par dire du bout des lèvres, tout en étant intimement persuadée d'être en train de commettre la plus grossière erreur de son existence.
Elle enleva sa main blessée du crâne de la créature, la fixant de ses étendues outre-mer. Son ton se fit plus assuré lorsqu'elle repris la parole. "Je vais me laver. Si tu es encore là à mon retour, je considérerais que c'est une réponse positive de ta part."
D'un pas rendu chancelant par la douleur, l'empoisonneuse se rendit vers l'endroit indiqué par l'enfant d'Ignis. Ses prunelles claires brillèrent d'émerveillement lorsqu'elle découvrit la salle de bain luxueuse. Même la salle de bain d'Auguste Castechade, ce noble amant qu'elle avait été forcée de séduire, ne luisait pas d'un tel éclat. Elle fit couleur l'eau chaude, observant tous les produits étranges alignés sur les tiroirs en attendant que la large baignoire de marbre se remplisse. Puis, elle glissa avec bonheur son corps fatigué dans l'eau chaude. Le savon piqua quelque peu ses blessures, avant que ces dernières ne s'amenuisent. Revna poussa un long soupir de bonheur, tout en jouant avec la mousse d'un doigt distrait. Elle y resta jusqu'à ce que l'eau ne refroidisse, puis s'en extirpa avec un grimacement de douleur. Qu'il était dommage de gâcher tout cette propreté en enfilant des frusques immondes.. Lorsque la jeune femme voulu reprendre ses vêtements, elle constata cependant à son grand étonnement qu'ils avaient été lavés.
*Mignonne petite bestiole* pensa-t-elle avec contentement, alors qu'un demi-sourire se peignait sur son visage. Puis, elle entama lentement sa descente menant vers le hall, se demandant si le canidé l'aurait attendue.
Des trucs cool, y en a pleins dans la vie. Mais sérieux un câlin d'une fille c'est le top ! Les mecs on sait pas être doux comme ça. Chez nous il y a cette virilité, cette brutalité... Tiens Kerry par exemple c'est pas un tendre ! Même Gibus qui est tout gentil il fait pas les mêmes câlins que Anna. Alors ouais, bah ouais, quand l'humaine avança une main fébrile vers moi pour me tapoter maladroitement le front... Bah j'en fus content ! Mais genre vraiment.
… Mais en même temps cette humaine je la trouvais bizarre. Au début elle faisait semblant d'être aimable. Bon hey je peux pas trop critiquer parce que je sais très bien faire pareil ! Puis son masque est tombée dévoilant une personne insolente, arrogante, insultante... Et voilà que maintenant elle se montrait sous un jour fragile, blessée, manquant de confiance en soit. Sérieux je comprenais plus trop : c'était tout l'inverse de tout à l'heure ! Et puis voilà que maintenant elle avait envie de passer mon épreuve ? Sérieux j'étais perdu.
Je me désintéressais complètement d'elle. Hey je suis peut être un petit filou je sais quand même me tenir et les bases du respect : on dérange pas les filles dans la salle de bain ! Et nah j'suis pas un puceau qui n'ose pas ! Les filles m'aiment beaucoup j'vous f'rais dire, je suis fier de quelques petites victoires. Nah je m'en désintéressais parce que... Bah parce que j'étais paumé, voilà ! Dix minutes plus tôt, j'en voulais pas de cette fille. Sérieux elle aurait pu se noyer dans le chiotte bouché ça m'aurait fait une belle patte... … Bon... Je serais peut être allé la sauver quand même hein. Mais là maintenant... Si elle croyait que je n'avais pas senti la tristesse dans son odeur, si je ne l'avais pas déceler dans sa voix, si ma truffe n'avait pas repéré l'activité de ses glandes lacrymales. Et bah si, j'ai senti ! Du coup bah j'savais plus.
Je n'arrivais plus du tout à me détendre dans mon super coussin. Alors bah oui à son retour je n'étais plus là. En fait j'étais juste parti me dégourdir les pattes. Baway ! Je suis chez moi, j'ai tous les pouvoirs dans ma cellule quand je suis en mode épreuve ! Alors je suis allé me promener, picétou. Et puis ça m'aide à réfléchir. Donc nah, je n'étais plus là et franchement je ne savais pas si j'allais revenir. Je pris ma décision au dernier moment, vraiment, quand elle émergea enfin de la salle de bain.
J'attendis le dernier moment pour me manifester.
« Hey ! »
Elle allait certainement se retourner alors je ne pourrais pas empêcher ma queue, cette sale traîtresse, de battre un peu.
« Il faut qu'on parle tous les deux. J'aimerais lancer un petit sortilège qui nous empêchera de mentir, tout les deux. La magie nous obligera à nous ouvrir à cœur ouvert l'un à l'autre, toi comme moi. Mais pour ça j'ai besoin d'un petit quelque chose qui m'a été volé par les deux fermiers. C'est une gemme, tu verras elle est facile à reconnaître. La tâche est toute bête : avec mon aide et celle des trois enfants, il faut la récupérer. C'est toi qui commande, nous on est à tes ordres, on fera ce que tu nous diras, tu pourras tout nous faire faire... Même me demander de me rouler dans le fumier pour cacher mon odeur ! »
Je pouffais de rire. Ce serait rigolo qu'elle me demande de me rouler dans la merde après ce que je lui avais fait ! Je repris mon sérieux, je lui dis avec un regard amical :
« Aller, je t'attends là bas. »
J'aurais pu faire comme tout le monde : me lever, me retourner et m'en aller avec un majestueux mouvement de la queue. Ç'aurait été tout simple et classe quand même. Mais nah ! Hey sérieux, soyez pas rabat-joie : faut bien que je profite un peu des possibilités de la cellule dans ces conditions ! Mon corps s'embrasa, dévoilant brièvement ma forme originelle pas longtemps mais bien assez pour qu'elle me voit bien. Puis la flamme gagna en intensité jusqu'à me dissimuler et flop ! Dans un souffle chaud, tout s'éteignit et je ne fus plus là... Elle me retrouvera au bord du feu de camp, comme à son arrivée...
Une gemme dévoilant les mensonges. Voilà qui était plus qu'intéressant. S'agissait-il d'un artefact magique fonctionnant également dans le nouveau monde ? Sans doute pas, enfin pas en l'état, mais cette perspective lui donnait enfin une raison concrète de vouloir se lier à ce chieur de renard.
L'optique de se mettre à nu était effroyable, pour une âme vivant par et pour le mensonge. Qui était-elle, une fois le voile levé ? Quels mots allaient sortir de sa bouche ? Une part d'elle en était tétanisée d'effroi, l'autre simplement curieuse.
Revna réprima un sourire carnassier à l'écoute de la requête du demi-dieu. Il escomptait sans doute l'effrayer avec une telle mission, mais n'avait pas la moindre idée d'à qui il s'adressait. Reprendre un objet volé était sans doute la plus noble tâche qu'on lui ait confié. Sans sa cheville blessée, cela aurait sans doute été un jeu d'enfant.
Elle avait ouvert la bouche pour parler, mais déjà l'élégante silhouette du canidé se préparait à partir. Le Corbeau resta silencieuse devant la forme longiligne se parant de flammes. Si Soka avait agit de la sorte pour l'impressionner, le résultat était au rendez-vous. S'il pouvait mettre son comportement puéril de côté... nul doute qu'il y avait moyen d'en faire une invocation puissante. Serrant les dents pour tenter d'oublier une nouvelle fois la douleur saillant sa jambe, la jeune femme se mit en mouvement vers la ferme qu'elle avait entraperçu à son arrivée. "Ils doivent rester en vie tes deux fermiers ?" lui demanda-t-elle, une fois arrivée à la hauteur de l'enfant d'Ignis.
Si la discrétion n'était pas de mise et que le poison pouvait agir sur les cibles - et s'il y en avait dans les parages-, elle trouverait bien un moyen de leur faire avaler quelque chose de son cru.
Pour moi la vie c'est juste un grand jeu. Récupérer la gemme chez les Crouzy c'est un jeu dont je me las pas ! C'est super amusant, le scenario est infini et c'est une super manière de tester l'humain. Et puis c'est aussi une super excuse pour aller dévorer une poule ou deux... Bah ouais j'suis un prédateur ! Alors les sourires carnassiers je connais bien. Mais je suis aussi un être ancien, très ancien.
J'étais content que l'humaine me rejoigne : c'est elle qui allait donner le top départ du jeu et en définir les règles. Je cherchais déjà le coq des yeux, mon adversaire personnel. LE problème majeur de notre petite mission. Bon... Le balai de la mère Crouzy il est pas mal non plus dans son genre comme élément perturbateur hein ! Je haussais les épaules à la question de la candidate -j'connaissais toujours pas son nom !
« On est dans ma cellule, je peux les ressusciter quand je veux.
-Soka ! » S'écria Anna, scandalisée.
« Hein ? Qu'est-ce que j'ai encore dit ?
-Tu vas quand même pas tuer les Crouzy !
-Ah moi non, c'est une affaire d'humains je m'en mêle pas. Mais c'est elle la cheffe, elle fait ce qu'elle veut. Et si elle a la fourche du père Crouzy sous la gorge bah... Va bien falloir que j'aille l'aider. J'y peux rien si je corps humain est fragile moi ! »
La fillette, fronçant les sourcils, posa les mains sur les hanches et me regarda d'un air sévère.
« D'accord. Mais je veux pas que Gibus voit ça.
-C'est cette dame qui décide Anna, c'est pas nous. »
Anna n'était pas d'accord du tout et Gibus était clairement inquiet, il avait même un peu peur pour le coup. Kerry lui était comme moi : content et impatient de passer à l'action. En plus j'avais repéré le nouveau coq ! Quoi qu'il en soit, à cette étape de la visite des humains c'était la règle : c'est le visiteur qui prends les rennes et qui décide, c'est elle la cheffe !
La réponse de Soka lui enleva un poids. Le voir faire si peu de cas d'une vie humaine, même si elle pouvait être ressuscitée à loisir, la confortait dans sa décision d'en faire son associé. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'une invocation fasse grand cas d'une vie mortelle; mais ce risque devait néanmoins être écarté avant d'envisager les prémices d'une collaboration. N'écoutant que distraitement les jérémiades de la dénommée Anna, elle plaça un doigt sous son menton dans une position réflexive. Par les Quatre, qu'elle détestait les mioches. Elle tenta de dissimuler son agacement en se tournant vers la petite, arborant un sourire faussement sympathique.
"Il n'y aura peut-être pas besoin d'en arriver là, fillette, si tu arrives à mettre la main sur un Fougus. C'est un petit champignon au chapeau rouge sombre et aux effets hallucinogènes, poussant habituellement uniquement dans la forêt de Sombrelieux, à cette saison."
Elle désigna Soka de la tête.
"Mais je suis sûre que ton ami peut se jouer de telles considérations géographiques et nous en trouver facilement."
Enfin, elle l’espérait. Dans son état physique actuel, se glisser furtivement dans l'habitation était hors de question. Encore moins envisageable était la possibilité d'en arriver aux mains, au vu de son gabarit de moineau. Oui, empoisonner même légèrement les fermiers était la meilleure solution à leurs problèmes.
Seth fut l'humain qui m'a le mieux connu. On était super proche, on se cachait rien du tout et nous avons eut pleins de discussions que je ne révélerais jamais. S'il y a bien un point qu'il ne comprenait pas chez moi c'est la valeurs que j'accordais à une vie humaine : la majorité j'm'en fichais complètement. Sérieux qu'est-ce que ça peut bien me fiche que le facteur du village machin soit mort croqué par des chiens hors de contrôle ? Bon je vais noté qu'il y a des chiens pas sympa là bas mais c'est tout. Et puis je vais vous dire : si les humains chiants de la ville voisine sont tués parce que ci ou ça bah tant mieux, ça va nous faire des vacances, on aura la paix. Bon c'est pas moi qui vais aller faire le sale boulot hein ! T'façon j'ai la ch'coumoune, je suis capable de rater mon coup. Moi la seule chose que je suis tout à fait prêt à faire c'est leur jouer des tours pour les embêter, pour me venger de tous les ennuis qu'ils m'ont fait. Bon par contre si c'est ce gentil garçon d'écurie qui me donne des bonbons, la cuisinière qui fait de super plats ou ce vieux noble qui m'offre des sourires qui se font tuer bah... Ouais je serais triste, ce serait pas cool. Mais c'est des affaires d'humains, ça me regarde pas et j'ai pas trop envie de m'en mêler.
...Bon okay j'avoue : quand des soldats sont venus dans le village et ont menacés la famille de Seth bah j'ai montré les crocs. J'en ai même mordu deux et c'est pas une mâchoire de chien que j'ai ! Mais j'suis pas un guerrier moi hein ! Je veux pas d'ennuis !
« Oh j'en ai vu un comme ça ce matin ! » S'écria soudain Gibus qui s'en alla au triple galop vers le manoir.
Il revint deux minutes plus tard avec un champignon au chapeau rouge sombre mais avec un pied violet fluo. Pourquoi violet fluo ? Bah parce que j'avais jamais vu un Fougus et que je trouvais ça rigolo cette couleur là. Le petit garçon, tout fier de lui, tendit sa trouvaille à l'humaine :
« Tenez madame ! »
Je m'approchais, dominant l'humaine de toute ma masse pourtant j'étais pas bien gros, massif, imposant... Roh j'étais juste mignon hein, picétout ! M'enfin quoi qu'il en soit je me plaçais à côté de l'humain, allant même jusqu'à frôler ses épaules avec ma fourrure. Je reniflais le champignon. Soudain j'éternuais à la manière d'un canidé et une flammèche s'échappa de ma truffe. Une toute petite flammèche mais qui crama une touffe d'herbe.
« Pouah ! Il sent pas bon ton truc ! »
Pour un humain il avait pas vraiment d'odeur en fait. Mais pour ma truffe... Bah il puait le bidule qu'il faut pas manger.
"Hé... Ne touche pas ses spores..." prévint mollement Revna alors que l'autre môme s'empressait de courir dans la direction opposée. Il n'avait pas l'air de l'avoir entendue. Bon, tant pis, au pire il aurait une sévère hallucination. Cela avait rarement tué qui que ce soit.
En moins de temps qu'il ne fallait pour l'écrire, le gamin était revenu avec un étrange champignon. Revna fronça un sourcil circonspect en détaillant son étrange aspect. Il ressemblait en tout points à un Fongus, hormis sa base pour le moins suspecte. Elle tendit la main pour recueillir prudemment cette copie onirique, prenant garde à se tenir à distance respectueuse du chapeau. "C'est un Fongus tiré de ton imagination j'imagine ?" s'enquit-elle auprès de Soka, qui n'avait pas l'air d'en apprécier l'odeur. Son simple éternuement avait manqué d'embraser la terre. Intéressant potentiel, vraiment intéressant.
Elle ajouta : "Si tu as gardé ses propriétés originelles, il nous suffira de faire en sorte que les fermiers touchent les petits points que tu vois sur le chapeau rouge, ou encore mieux les mangent, et ils ne nous verront plus. Ils seront occupés à contempler un mirage."
Mais comment faire en sorte que cela se produise ? La jeune femme se tourna vers les enfants. Une idée lui vint, infiniment simpliste, mais la stratégie la plus complexe était rarement la meilleure.
"Pourriez-vous aller offrir une pâtisserie très spéciale aux fermiers, une fois que nous l'aurons concoctée?"
Pas assez vive l'amie, c'est ce que j'aurais pu dire à l'humaine quand elle voulu avertir Gibus de ne pas toucher aux spores. Hey sérieux va falloir qu'elle soit un peu plus vive que ça avec moi ! Même si j'suis un sacré paresseux, quand j'm'y mets ça déménage, tayaaah ! Donc ouais, c'était un Fon-truc tout droit tiré de mon imagination -j'suis dans ma cellule, je fais c'que j'veux ! Si je voulais faire apparaître une forêt d'arbres à bonbons je pouvais ! Han ouais ! Des arbres qui donnent comme fruits des cuisses de poulet grillées avec genre des feuilles saveurs frites mayo' ! C'est une trop bonne idée, pourquoi j'y ai pas pensé plus tôt ?!
Sérieux son explication je la trouvais géniale. Je suis pas un savant moi hein ! Oh je sais pleins de trucs mais je suis juste un gros renard sympa dans le fond... Avec des dents ! Du coup je regardais les petits points sur le chapeau et j'eus soudain une forte envie de les toucher. Mais j'suis pas complètement idiot, nah nah nah. En tout cas je trouvais ça génial et j'avais hâte de voir son effet.
Elle proposa soudain de concocter une pâtisserie... Pâtisserie ! Un gâteau ! Chouette chouette chouette ! Et puis elle demanda aux enfants s'ils voulaient bien l'apporter aux fermiers. Kerry et moi réagîmes en même temps :
« Nous ?!
-Eux ?! »
Il y eut une seconde de silence, puis le gosse et moi on éclata de rire ! Mais genre un vrai délire :
« Tu imagines Gibus débarquer la bas avec son petit panier ?
-La mère Crouzy va le forcer à manger des épinards !
-J'suis sur que la chèvre de l'autre fois va t'attaquer à vue ! »
Durant quelques secondes, le gosse et moi en pleurâmes de rire. C'est Anna qui expliqua gentiment à l'humaine :
« On est bien connu des Crouzy mais pas en bien. S'ils nous attrapent, ça va mal aller pour nous. Nous on veut bien mais... Débarquer comme ça avec un sourire fleuri, on risque de se prendre des coups de balais ou pire.
-On pourrait déposer le panier discrètement devant la porte.
-Gibus t'es un génie ! Mais tu n'y va pas tout seul, vaudrait mieux que Soka t'accompagne.
-Kwa ?! Maiiiiiis si j'me fais choper j'vais finir en carpette ! L'père Crouzy me pardonnera jamais pour la dernière fois. Eeeeeepi tu me connais, je vais forcément me retrouver bec à truffe avec le coq eeeet...
-Ah Soka ça suffit ! Tu as dit que c'était cette dame qui décide alors c'est elle qui aura le dernier mot. »
Je bougonnais naturellement. On se tournait tous les quatre face à l'humaine, dont nous ne connaissions toujours pas le nom, en attente de consignes.
Elle écoutait les élucubrations des enfants sans mot dire. Son regard clair se posa alternativement sur chacun d'eux. Lorsque l'un d'eux avait mis en exergue le fait qu'il risquait se subir des coups de balais, elle réalisa soudainement qu'ils pouvaient sentir la douleur. Pourtant, n'étaient-ils pas que des rêves façonnés par le demi-dieu pour échapper à l'ennui ? Jusqu'à où s'étendait cette farce macabre ? Les petits croyaient-ils sincèrement être des humains, capables de succomber sous les coups des fermiers ? Revna resta silencieuse à l'explication d'Anna, laissant planer ses iris outre-mer sur son interlocutrice. Elle n'écouta que distraitement les explications de la créature flamboyante postée à son côté.
*Est-ce que tu vas disparaître si je signe le pacte avec Soka ?* songea-t-elle en détaillant le visage juvénile. Cette pensée lui laissa un goût amer dans la bouche. Toute cette mise en scène débordant de joie, ne faisait que mettre en exergue l'insoutenable solitude qu'avait du ressentir la bestiole. Faire du bruit, trop de bruit, pour écraser le vide. Exactement comme lorsqu'elle se portait volontaire pour les missions les plus risquées, afin de ne pas rester seule avec son esprit. Il lui fallait toujours rester en mouvements pour ne pas se laisser broyer par les affres de l'isolement. Comme l'enfant d'Ignis, à n'en point douter.
Elle reprit la parole, d'un ton un peu plus enjoué. S'il s'agissait là du dernier jeu des jeunes rêves se dessinant sous ses yeux, il n'y avait pas de mal à ce qu'il soit mémorable. "Très bien, nous allons faire cette pâtisserie ensemble, suivez moi. Et vous irez la déposer tous les trois sous le porche des Crouzy. Quand à toi, tu ne bouges pas." dit-elle en ponctuant sa phrase par un regard appuyé vers le demi-dieu.
D'un pas moins leste que de coutume, le Corbeau se dirigea vers le manoir. Puis, une fois elle laissa la jeune Anna donner les instructions à un Kerry et Gibus, et ensemble ils parvinrent à élaborer quelque chose à l'aspect potable. L'odeur n'était fameuse, mais cela ferait l'affaire. La petite troupe revint sur ses bras, les bras chargés de brioche empoisonnée. "Allez-y" dit finalement Revna, en pointant la ferme du doigt. Elle était restée postée aux côtés du renard. Elle attendit que les enfants soient hors de portée de sa voix, pour lui demander d'un ton calme :
"Tout est une oeuvre de ton esprit, ici, n'est-ce pas ? Les enfants, les fermiers ? Savent-ils qu'ils n'existent pas réellement ?"
Quant à toi, tu ne bouges pas. Et bim dans la truffe ! J'ouvris tout d'abord la gueule pour répliquer mais le regard appuyé me clouer le bec alors je la refermais en gonflant légèrement les joues... Puis je décidais de profiter quand même de ce petit moment. Au début je me suis dit que j'allais descendre jusque dans la prairie pour poursuivre les papillons. Et je me rappelais : la consigne c'était de ne pas bouger ! Je piétinais quelques secondes et je me décidais pour une sieste à l'ombre de l'arbre, tranquilou. Un vrai petit plaisir de la vie !
Les enfants se dirigèrent vers la ferme. Gibus avec le panier au bras avec la brioche et tenait la main d'Anna. Kerry lui avait les mains dans les poches. Assis à côté de l'humaine, je les regardais s'en aller. Je répondis à sa question avec un certain sérieux :
« Ce ne sont que des fantômes, des souvenirs. Ils n'ont pas conscience de leur état ni de leur avenir. Ils représentent les plus belles années de ma vie. Je les ai vu grandir, vieillir et mourir. Gibus tenait ma patte dans ses mains lorsqu'il rendit son dernier souffle, nous étions entouré de sa femme, de ses trois enfants et de tous ses petits enfants. C'est moi qui ai prononcé l'éloge funèbre d'Anna. »
Je soupirais. Le renard joyeux était bien loin à ce moment là, plongé dans des souvenirs d'un autre temps.
« Normalement ils sont quatre. Seth devrait être avec eux. C'était le meilleur ami que j'ai eu. »
En parlant de lui, je relevais brièvement le museau vers le lointain. Dans mes yeux brillait le mélange de joie et de chagrin de mes vieux souvenirs :
« Sérieux Seth c'était un type incroyable. On passait notre temps à rire et faire des conneries. C'était un génie de la connerie ce gosse ! Mais je n'arrive pas à... Je n'ai jamais réussi à lui redonner vie comme ces cinq là. Tu sais, l'immortalité c'est pas un super cadeau. Ce que je regrette, mais genre vraiment, c'est de ne plus pouvoir aller sur sa tombe. »
C'était trop douloureux picétou. La mort de Seth je pouvais rien y faire. C'était comme ça picétou. Il a grandi, vieilli et... Bah il était mortel. Ouais c'était une blessure qui n'avait jamais cicatrisé. Elle était refermée mais toujours suintante, douloureuse. Les trois enfants arrivèrent à la ferme en prenant toutes les précautions qu'ils pouvaient imaginer. C'est que j'y tenais moi à ces mômes. Du coup, l'humaine pourra peut être le remarquer, je les surveillais. Et j'étais prêt à intervenir au moindre dérapage. Je voulais pas d'ennui mais pas question de laisser les copains se faire laver le derrière à coups de balais !
Revna écoutait attentivement le demi-dieu. Sa peine, sincère, était presque douloureuse à entendre alors qu'elle aurait cru se ficher comme d'une guigne des états d'âme d'un enfant divin.
"Ce n'est pas une très bonne idée pour un divin de s'attacher à des mortels, c'est évident" lâcha-t-elle, alors que les petites silhouettes des souvenirs arrivaient à la hauteur de la ferme.
"Mais c'est une encore plus mauvaise idée de vivre dans le passé. Il faut les laisser partir, Soka." ajouta-t-elle, en se demandant d'où lui venait cette inspiration soudaine a se la jouer psychologue de comptoir.
Partie pour partie, autant mener cette conversation gênante à bout. "Si tu deviens mon invocation, tu ne les verras peut être plus jamais. Est-ce que c'est réellement ce que tu veux ?"
Allons bon, pourquoi tant de mièvrerie, c'était à vomir....
Dernière édition par Revna le Lun 29 Aoû 2022, 21:15, édité 2 fois
Les laisser partir. Ne plus jamais les voir si j'accepte de sortir. Elle mettait le doigt sur l'un des plus difficile dilemme de ma vie. Hey c'est une décision pourrie qu'il faut prendre ! Genre soit j'accepte de devenir l'esclave de cette fille qui ne m'avait toujours pas dit son nom, qui s'était même moqué de moi un peu plus tôt. Genre elle pourra faire tout ce qu'elle veut de moi, même me corrompre pour me transformer en bête de guerre... Ou rester là, dans une cellule nue toute moche tout seul pour l'éternité. Sérieux c'est l'enfer !
Toute la joie disparu de mon regard. Toute la bonne humeur s'en alla, remplacé par la tourmente, la tristesse de tout ce que j'ai perdu, l'hésitation. Ouais j'avais envie de sortir, ouais je voulais pas rester là, ouais je m'ennuyais au point d'avoir envie d'en mourir, ouais je m'accrochais au passé autant que je le pouvais. Mais ouais j'avais peur de sortir aussi.
Et puis je souris de nouveau. Un sourire de filou, un sourire de roublard. Je pointais le museau vers elle et lui donnait un gentil coup de truffe sur l'épaule :
« Toi, tu essayes d'échapper au sortilège de la gemme ! »
Je pouffais de rire. Mon hilarité fut brève, je redevins sérieux :
« Ce que je veux est sans importance, c'est l'humain qui décide. Je ne serais finalement qu'un esclave au service de son maître. Nous en parlerons tout à l'heure. Regarde, les gamins reviennent ! »
Effectivement plus bas, les trois enfants placèrent le panier devant la porte : Kerry montait la garde. Puis ils toquèrent et s'enfuirent en courant dans notre direction. Gibus était tout heureux, tout fier de lui. Il sourit à l'humaine. Nos quatre regards étaient tournés vers elle : maintenant on fait quoi ?
Revna resta de marbre lorsque la créature lui asséna un petit coup du bout de sa truffe. Elle lui coula un regard pensif. La jeune femme comprenait qu'il ne veuille pas répondre, mais avait espéré ne pas avoir à gérer les états d'âme de la demi-divinité qui allait lui coller au train. S'il se contentait de faire des plaisanteries au lieu de se morfondre, cela irait, mais combien de temps cela durerait-il ? Ne valait-il pas mieux lui laisser l'opportunité de vivre pleinement ce deuil qu'il n'avait de toute évidence jamais fait, pour éviter des surprises à l'avenir ?
"Ok" répondit-elle sobrement, ne relevant pas la boutade relative à la gemme, avant de focaliser de nouveau son attention sur les enfants. Elle aurait eut des milliers de choses à lui répondre, en s'appuyant notamment sur son expérience personnelle, mais la pudeur et la prudence lui commandaient de ne rien en faire. Ils ne se savaient rien l'un de l'autre, après tout. Elle ne croyait même pas lui avoir donné son nom. Et il ne fallait pas compter sur la jeune femme pour faire tomber le masque aussi aisément. "Nous allons attendre qu'ils mangent la brioche, puis cela ne sera l'affaire que d'une petite trentaine de minutes. Je vais les surveiller."
Elle resta un instant silencieuse, laissant son regard clair vagabonder alternativement sur chacun des enfants, puis sur le divin.
"Soka a des choses à vous dire." dit-elle finalement, tout en coulant un regard lourd de sous-entendu à la créature flamboyante.
Ce n'était sans doute pas le mouvement le plus adroit que l'on puisse imaginer, mais elle était sincère dans sa volonté d'aider le renard à formuler correctement ses adieux. Plus dans son intérêt personnel qu'autre chose, mais c'était là un autre sujet.
Décidément cette humaine avait bien besoin d'apprendre à sourire et rigoler, il fallait absolument lui offrir un sens de l'humour ! Sérieusement souris quoi, en plus t'es jolie. Rigole par mes moustaches ! Tu verras ça fait du bien ! Pfff ! De toute façon je savais déjà qu'elle était une super cible pour lui jouer des tours, quelqu'un de super rigolo à embêter. Il y avait quelque chose d'intéressant derrière ce masque. Sérieux la fille qui s'affiche au grand jour je l'aime pas trop. Mais l'autre, celle qui est tout au fond là bas, celle là je crois que je l'aime bien. Je crois j'ai dis oh ! Faut pas tirer des conclusions hâtives hein !
Trente minutes qu'elle a dit. Pfff... Donc trente minutes à attendre et s'ennuyer. Je suis peut être un demi-dieu avec des millions d'années de vie derrière moi les tâches de patience bah c'est pas trop mon truc. Puis soudain, elle déposa que j'avais des choses à dire au enfant.
« Kwaaaa ?! »
Mes mâchoires en tombèrent. Hey sérieux c'était quoi ce coup là ? Han c'était une vraie attaque sournoise ça ! Mais mais mais mais mais ! Ah là ouais j'étais super déstabilise ! Humaine 2, Soka 1 ! Naturellement les trois enfants se tournèrent vers moi. Et puis je souris. Nah elle allait pas s'en tirer comme ça. Je pense que je comprenais pourquoi elle voulait que je fasse des adieux à ces mômes mais le faire maintenant c'était accepter de sortir avec elle. Et pour l'instant c'est non picétou. Nah elle allait pas s'en tirer comme ça...
« Je voulais vous dire que je vous aime et que je suis fier de vous.
-Oh mon Soka ! » S'exclama Anna.
La fillette ouvrit grand les bras et plongea dans le fourrure de ma nuque bientôt rejoint par Gibus et Kerry. Nous étions là, tous les quatre, heureux à nous câliner tandis que l'humaine était seule, là bas. Alors je relevais la tête et lui lançais un regard à la fois sérieux et malicieux. Humaine 2, Soka 2, égalité, balle au centre.
Et puis j'en rajoutais une couche. Au bout de trois secondes, Gibus se décolla de nous et alla prendre la main de l'humaine tout doucement, tout gentiment pour l'attirer vers nous. Kerry et Anna tendaient une main vers elle. Le choix lui appartenait : rester seule dans son coin loin de nous ou accepter de fendiller son masque un peu plus et venir faire un câlin. Elle l'avait dit plus tôt : la solitude elle connaît et ça lui fait pas du bien.
Revna poussa un grognement étouffé. Elle ignorait pourquoi la vue mielleuse du renard et de ses petits souvenirs la mettaient si mal à l'aise. La créature flamboyante n'était pas décidée à lui faciliter la tâche, et au lieu d'effectuer des adieux corrects aux fantômes du passé, se contenta de s'empêtrer dans une embrassade dégoulinante d'affectation. La jeune femme fronça le nez lorsque le renard lui adressa un regard... complice ? moqueur ? Elle n'arrivait pas à analyser l'émotion se dépeignant dans ses iris chatoyantes. Dans le doute, elle préférait croire qu'il s'agissait d'une raillerie, car au moins savait-elle gérer pareille situation.
Le Corbeau regarda avec horreur les enfants s'avancer vers elle. Ah non, le canidé pouvait toujours se brosser s'il voulait l'inclure dans sa ronde machiavélique.
"Je dois surveiller les fermiers." répondit-elle froidement, en repoussant sans ménagement le petit garçon. Son revers de main fut ferme, sans être violent. Elle ne s'adonnait jamais aux démonstrations physiques de malveillance, préférant formuler ses revendications de manière plus sournoise. Ce n'était de toute façon pas comme si elle aurait pu gagner un combat à la loyale, chétive comme elle l'était. Revna ne voulait en rien s'impliquer dans la farce macabre avec laquelle le renard se leurrait. S'il croyait que câliner des souvenirs d'enfants morts allait l'attendrir... Elle trouvait cela plus effrayant que mignon.
Son attention fut soudainement détournée par un mouvement près de la ferme. Un mastodonte doté d'une fourche passa l'embrasure boisée de l'habitation rudimentaire, et se pencha vers le panier, qu'il renifla. Il observa les alentours d'un air circonspect, puis croqua un bout de brioche. Le Corbeau cligna des paupières, médusé. Allons-bon, cela ne pouvait pas être si simple. Le renard faisait-il en sortie qu'elle réussisse l'épreuve ? Elle l'observa furtivement, se demandant ce qu'il pouvait bien se dérouler dans sa caboche.
Hey sérieux c'était quoi son problème à la petite là ? Fallait qu'elle s'enlève son balai du cul hein ! Elle devait surveiller les fermiers... PFFF ! C'est n'importe quoi ! J'croyais qu'y fallait attendre trente minutes, ça faisait pas trente minutes ! À la limite qu'elle soit froide et raide comme un piquet j'm'en moque. Mais ce qui passait pas, mais alors pas du tout, c'est qu'elle rejette Gibus d'un revers de main comme ça. Elle ne fut pas violente, elle ne le frappa pas, ne le poussa pas : juste elle le rejeta d'un revers de main.
Un grondement trouva naissance dans le fond de ma gorge et s'envola en direction de l'humaine. Gibus grimaça au début mais il n'était pas du genre à se tourmenter pour ça : tant pis pour elle, il revint dans les bras d'Anna. Je fusillais l'humaine du regard. D'un regard de volcan.
Effectivement, le père Crouzy récupéra la brioche. Il en croqua un bout et l'emporta à l'intérieur. Moins d'une minute plus tard, la mère Crouzy aussi en aura croqué un morceau et dans les cinq minutes ils se retrouveront tous les deux à table pour la déguster. Quant à moi je me levais et bousculais l'humaine de la patte pour la forcer à se tourner vers moi. Un geste qui n'avait rien de violent non plus mais avec une certaine force. Je lui collais mon museau proche de son visage.
« Écoute. Que tu te mettes un balai dans le cul pour te protéger des gens, à la limite je pense que je peux le tolérer, tu m'expliqueras tout à l'heure. Mais que les choses soient claires entre nous : je suis pas un méchant, j'ai jamais tué un humain de toute ma vie. Mais si tu lève la main sur Gibus, si tu menace la sécurité d'un enfant, souvenirs ou pas, fantômes ou pas, maîtresse ou pas, les conséquences seront pire qu'une chute dans des toilettes bouchées. »
Sérieux profitez bien de l'image. Parce que me voir aussi sérieux, aussi menaçant qu'un volcan qui gronde bah c'est vraiment pas souvent ! Je la plantais là, l'abandonnait toute seule avec son balai dans les fesses.
« Soka. Mais qu'est-ce qui s'passe? » Me demanda Kerry.
« Elle m'énerve. » Lâchais-je dans un souffle en m'asseyant.
Revna resta un instant figée, contemplant le renard de ses iris claires sans mot dire. Puis, soudainement, elle éclata d'un rire tonitruant, à en déplacer des montagnes. Elle avait si mal aux côtes qu'elle devait se plier en deux pour rester debout. Au bout de quelques minutes, elle se redressa avec difficulté, essuyant des larmes de rire. Elle ne se remémorait plus la dernière fois qu'elle était partie dans un fou rire pareil. Cela faisait du bien, et elle se sentit instantanément moins lourde. "Menacer la sécurité d'un enfant ? Par un revers de main aussi léger qu'une plume ? Mais mon pauvre ami, je te souhaite de ne jamais sortir d'ici ! Tu deviendrais fou en deux secondes !" dit-elle d'une voix railleuse, dans laquelle pointait encore les échos du rire.
Elle étouffa avec difficulté un nouvel éclat. Quelle situation hilarante ! ça, elle ne l'avait pas vu venir ! L'ancien monde était-il donc peuplé d'agneaux pour que ce canidé trouve que l'acte qu'elle venait de commettre portait atteinte à la sécurité de Gibus ? La jeune femme repris rapidement contenance. Cela était fort dommage, mais le comportement de fillette du demi-dieu ne pouvait correspondre avec sa vie. Il ne pouvait correspondre à la réalité de l'existence sur Arcane, tout simplement, où les monstres pouvaient débarquer pour tuer des gamins à tout moment, et où se faire latter les os était monnaie courante peu importe son âge. Lorsqu'elle recroisa le regard ambré de Soka, ses iris semblaient encore plus glaciales qu'a l'accoutumée.
"Là d'où je viens, les gosses peuvent se faire frapper à en bouffer leurs dents que tout le monde s'en carre. Ça a été mon cas, et ça m'a pas tuée. C'est simplement la réalité du nouveau monde. Cette réalité, elle m'a "enfoncé un balai dans le cul" comme tu le dis, elle m'a rendue froide, cruelle, elle m'a brisée, mais je préfère encore cela que de vivre bercée d'illusions débiles comme tu le fais. Ces gamins sont morts, enfant d'Ignis. Si tu ouvrais les yeux, tu verrais que tu es tout seul dans une cellule vide et qu'il n'y a personne à y violenter, à par toi même." cracha le Corbeau avec une hargne rare.
Sur ces mots, elle entama le chemin la séparant de la sortie. Sans regarder en arrière, elle déclara à la créature flamboyante :
"Reste seul dans ta cellule pour toujours, Soka, avec tes jolis petits rêves. Je te le dis en toute sympathie : tu n'es pas prêt pour ce qui t'attend dehors, alors n'essaye plus de sortir. Je renonce à passer ton épreuve."
Un truc génial inventé par les humains c'est les anniversaires. C'est super un anniversaire ! C'est une fête en notre honneur avec pleins de cadeaux ! C'est vraiment trop cool ! Mais comme je suis né bien avant les humains bah j'ai jamais su quel jour. Du coup avec Seth on s'est amusé à m'en donner un. Mais parce que j'ai été créé très longtemps avant les humains, à l'époque où on ne comptait pas les jours mais les saisons (et encore!) bah... Je sais pas quel âge j'ai. Des millions de cycles de saisons ? Sérieux je sais plus. En tout cas une chose est sur c'est que je me suis très rarement mis en colère, vraiment rarement.
Alors premièrement nous n'étions pas amis. Ensuite je n'avais jamais dit qu'elle menaçait la sécurité d'un enfant ou qu'elle avait levé la main sur Gibus, je l'ai mise en garde de ne pas le faire. Et puis elle eut le culot de me donner une leçon de vie, de m'expliquer la vie et de me dire qu'il fallait que j'ouvre les yeux, que je n'avais aucune conscience de la réalité de la vie. Je n'étais pas prêt pour la vie dehors, pour la vie réelle dit-elle. Ha ! Et c'est une humaine qui n'a aucune douceur, aucun humour, aucune notion d'affection qui me dit ça. Une humaine qui n'a même pas un demi-siècle avec un cœur plus glacial encore qu'un glaçon.
Un mur de flammes lui barra soudain le chemin. Des flammes blanches, bleues, oranges, vertes... D'une chaleurs extrême. Les flammes de la purification. Dans la seconde suivante, un déluge de feu commença à s'abattre autour d'elle. Des boules de feu commencèrent à tomber du ciel, chacune la visant clairement, la forçant à danser pour les éviter. Je me dressais derrière elle, lui barrant le chemin, sous ma forme originelle : le pelage de flamme, irradiant la puissance. Une désagréable chaleurs s'empara soudain de sa bouche et paralysa sa langue, un sortilège sournois qui la tourmentera jusqu'à la sortie de la cellule. Je fis un mouvement et soudain je fus sur elle. D'un coup de queue je la fis tomber puis je posais une patte sur sur torse, griffes sur la base de sa gorge et rapprochais vivement mes crocs de son visage dans l'intention très claire de la mordre. J'interrompis mon geste au dernier moment pour claquer des mâchoires suffisamment proche de son nez pour que ma truffe frôle son front.
Incapable de parler à cause de mon sortilège, un instant de silence s'installa entre nous au milieu du chaos des flammes. Je lui grondais au visage :
« Ce n'est pas à moi que tu vas apprendre la vie, fillette. J'étais là quand ton espèce a été créée. J'ai participé à votre création et tu n'as pas une goutte en toi de ce que je vous ai offert. Tu oses me donner des leçons de vie quand ton imagination est incapable de concevoir mon âge.Tu n'as pas compris ce qu'est un demi-dieu, tu sembles n'avoir aucune idée de tout ce que nous avons vécu. La vie, je la connais mieux que tu ne la connaîtras jamais. Tu dis que je suis seul, tu te trompes. Mes amis sont toujours dans mon cœur, comme le prouve ce souvenir. Ils sont morts oui mais dans mon cœur ils vivent toujours. Je ne serais jamais seul et tu es incapable de le comprendre. C'est toi qui est seule, incapable de te faire aimer par un être aussi gentil que Gibus, incapable de comprendre la valeur d'un souvenir, incapable d'apprécier le bonheur d'un sourire, incapable de comprendre l'amitié véritable, celle que jamais tu ne connaîtras. Tu as une vie misérable, tu es misérable. La souffrance fait partie de la vie tu as raison. Mais si tu crois que la vie n'est que souffrance c'est que tu n'as rien compris. Et tu sais quoi ? Je préfère rester dans ma cellule à faire la sieste dans le calme et la paix. La paix est plus précieuse que le triomphe. J'ai pitié de toi, vraiment. »
Soudain je réalisais et me calmais. Ouais j'avais pitié d'elle finalement. Ouais j'étais malheureux tout seul dans ma cellule mais j'avais la paix et tout mes souvenirs pour me réchauffer le cœur. Alors qu'elle n'avait que la glace du sien. Elle était condamnée à être malheureuse. Soudain le décors disparu laissant place à la nudité de ma cellule. Les flammes s'éteignirent. Mon regard se fit plus doux, plus calme.
« Oui j'ai pitié de toi. C'est toi la plus à plaindre, tu ne sais même pas rire correctement ma pauvre. Je te plains, je te plains sincèrement. Aller... »
Alors je me fis un grand plaisir : je lui donnais un coup de langue sur le visage. Et sérieusement, j'y mis toute l'affection dont j'étais capable pour une petite peste dans son genre... et beaucoup de bave aussi ! Et ouais c'est le prix à payer. Puis j'ouvris la gueule et je la ramassais en gueule, comme un père ramasse son renardeau. J'ignorais complètement ses potentiels coups, haha comme si une petite humaine comme elle pouvait me faire le moindre mal, je la soulevais et me dirigeais vers la porte de ma cellule. Je la déposais devant et d'un coup de queue je la poussais dehors. Pas assez fort pour lui faire du mal mais assez pour la déstabiliser et la forcer à me quitter en trébuchant... Puis je claquais la porte derrière elle.
Le mouvement de la caravane s'interrompit brusquement, tirant Seo-Jun du demi-sommeil dans lequel il avait glissé. Il ouvrit péniblement les yeux, grognant sous l'impact de la chaleur. Chaque respiration lui brûlait la gorge malgré l'étoffe noire recouvrant son visage, ne laissant apparaître que ses yeux noirs. Il avait eut l'impression que cette protection lui avait épisodiquement facilité la respiration, mais maintenant elle l'étouffait, et il la dégagea à l'air de son index. La mélopée du souffle d'Ignis se mêlant à celui d'Aer dansait à ses oreilles, l'emportant dans une transe fiévreuse qu'il lui tardait de quitter. Le corps du noble était résistant, mais il supportait difficilement l'inconfort. A cet instant, il ne rêvait que de retrouver la quiétude de sa chambre, pour pouvoir peindre en toute quiétude dans la fraîcheur de la saison du vent. Seo-Jun soupira, et s'extirpa difficilement du convoi affrété par son père. Ses bottes noires s'évanouirent dans l'ambre chaud, et il redressa sa haute stature pour mieux contempler l'oasis d'Al-Hazred. Malgré l'inconfort, le sourire du jeune homme s'épanouit à la vue de cette cité qu'il avait maintes fois arpenté dans sa jeunesse. Sa famille se rendait en effet chaque année dans les environs pour offrir ses respects à Ignis, Dieu qu'ils croyaient responsables du succès éclatant du Duché Hwang.
"Je m'occupe de vos affaires, Monsieur. L'auberge est réservée, si vous souhaitez y aller de suite."
Le jeune homme aux cheveux noirs observa quelques secondes le domestique qui venait de prendre la parole, tentant de se remémorer son nom. Il se sentit gêné de constater qu'il n'avait pas pris la peine de lui demander son nom tout au long du trajet, qui avait tout de même duré quatre jours.
"-Oui, l'auberge c'est très bien, merci."
Seo-Jun pris garde à ne pas croiser le regard de son suivant, profondément honteux de ne pas lui avoir accordé la plus simple des considérations de demander son nom au début du voyage. Voilà ce qui arrivait lorsqu'il se perdait dans ses nombreuses rêveries.
Le cheminement au sein des artères d'Al-Hazred lui procura une délectable sensation de fraîcheur. L'héritier des Hwang parcourait l'ensemble des structures du regard, heureux de constater que rien n'avait bougé depuis sa dernière visite. Comme toujours, il ressentit l'envie de figer un nouveau détail de l'oasis dans une peinture. La pensée de son matériel de dessin le suivant dans les bagages portés par le domestique le rasséréna : il pourrait au moins tirer une esquisse ce soir. Cela lui changerait les idées avant d'aller affronter une épreuve pouvant lui coûter la vie.
Ils parvinrent enfin à l'établissement choisi, un bâtiment un peu frustre pour quelqu'un possédant autant d'argent que lui, mais c'était là qu'il avait l'habitude de se rendre avec sa famille. Et le jeune noble aimait les joyeuses habitudes, celles dans lesquelles il pouvait se lover avec confort. Une femme replète à la peau tannée par le soleil leur ouvrit la porte et offrit un sourire éclatant aux deux hommes.
"Monsieur Hwang, quel plaisir de vous revoir ! Entrez, je vous ai réservé votre chambre habituelle."
La réserve quitta enfin un peu les traits du jeune homme, pour s'illuminer d'un regard franc et chaleureux. Il conversa quelques minutes avec la tenancière, lui donnant quelques nouvelles de ses sœurs et de sa fille, puis monta dans sa chambre après avoir mandé un bain chaud. Il sentait le besoin de se délasser les muscles après ce long voyage. Lorsque le baquet d'eau chaude fut monté, le jeune homme se délesta des vêtements légers incrustés de sable qu'il avait porté tout au long du périple, puis laissa son esprit divaguer au gré des effluves de l'eau. Que cela faisait du bien d'être seul. Son index dressa des dessins abstraits sur la surface aqueuse, tandis qu'il s'enfonçait dans une torpeur confortable. Lorsqu'il sortit enfin du bain, il se sentit trop épuisé pour lutter le sommeil, et sa tête alla trouver l'oreiller avant même qu'il n'en prenne réellement conscience.
Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Seo-Jun rouvrit les yeux. Il regarda quelques longues minutes l'astre luire depuis sa lucarne. La fatigue l'étreignait toujours, mais il lui fallait agir aujourd'hui sous peine de ne pas pouvoir rentrer à temps pour la fête donnée en l'honneur de l'anniversaire de Jian. Non pas que cela ait une quelconque importance s'il mourrait dans le Temple d'Ignis. Le jeune homme se redressa sur son séant en grognant et massa sa nuque endolorie, puis enfila la tunique qu'il avait préparé pour l'occasion de cette épreuve. Elle mêlait les couleurs or et rouge du Dieu du feu au noir de sa famille, et semblait donc parfaite pour rendre hommage à l'un de ses enfants. Le noble noua sa longue chevelure d'ébène d'un lacet rouge, puis descendit les marches. Après avoir avalé un petit déjeuner frugal, il fit signe aux deux gardes de son père qui attendaient sur le seuil de le suivre. Le chemin jusqu'au Temple se fit dans le silence. Seo-Jun ne pouvait s'empêcher de voir le visage de Sintharia de Val, une amie très chère, et de Jian, sa fille, se dessiner devant ses yeux. Il espérait qu'elles lui pardonneraient son acte inconscient de vouloir tenter de délivrer une demi-divinité. Le jeune homme savait pertinemment qu'il s'agissait de la seule solution pour affirmer sa position d'héritier du duché, et qu'il n'avait donc guère le choix.
Lorsqu'il fut arrivé à l'orée dans grandes marches de pierre noire, le jeune noble se retourna vers les gardes.
"Inutile de m'attendre. Si je ne reviens pas d'ici, disons une semaine, c'est que je serais décédé. Et si je reviens j'aurais une invocation pour me défendre. Si je ne survis pas, dîtes à Jian que l'aime. Et donnez à mon amie Sintharia de Val la lettre que j'ai laissé pour elle sur mon bureau à l'auberge."
C'est donc seul que Seo-Jun grimpa jusqu'au temple, conscient de sa petitesse face à la grandeur de la construction. Le rouge brillant de la structure était d'une beauté si marquante qu'il en oublia presque la chaleur qui devenait de plus en plus intense. La fournaise s'éteignit heureusement subitement lorsque le noble poussa la grande porte noire ouvrant sur le hall empli de ténèbres du Temple. Ses pas le menèrent paresseusement le long des portes. Sa mort ou sa victoire dépendrait donc de la chance, car certains demi-dieux étaient définitivement plus roublards que d'autre. Il décida que son instinct le porterait naturellement vers la cellule lui étant destinée. Son regard accrocha de nombreuses devantures, sans succès.
Enfin, l'une des interstices retint son attention. Le nom inscrit était un peu long, mais il chantait à ses oreilles. Alors, s'armant de courage, le noble décida de tenter l'impossible. Il cligna des paupières pour s'habituer à la nouvelle luminosité des lieux, et s'étonna de distinguer les contours d'un manoir. Il n'y avait par contre pas d'âme qui vive. Le silence était particulièrement pesant, et le moindre petit bruit prenait des atours grandiloquents. Quelques pancartes étaient disséminées dans le hall, indiquant en somme qu'il devait apporter un cadeau aux maîtres des lieux. Seo-Jun regretta de ne pas avoir apporté son matériel à dessin. Il erra dans la bibliothèque, l'entrepôt et le musée, sans trouver chaussure à son pied. Il trouva néanmoins le musée charmant, et s'enthousiasma du goût pour l'art de son hôte. Mais pour le cadeau, rien ne convenait mieux qu'une œuvre d'art de son cru. Peut-être pouvait-il demander de quoi dessiner au maître des lieux ?
"Hmm... Est-ce que pourriez faire apparaître de quoi peindre, Messire Soka'Okara'Kanira ?" demanda-t-il au vide, ignorant si l'enfant du divin pouvait l'entendre.
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