Entre esprit et escrime, un duel
en toute inimitié?

Rymaïn & Qilin ∴ Lüh ∴ Ignis 59

⇒ Plus tôt dans la semaine... :

Qu'a-t-elle donc concédé? Et pour quoi? La houle de sa rage vient percuter ses tempes au rythme de ses pas. Elle regrette déjà cette perspective stupide, un duel avec un noble? Quelle perte de temps! La seule chose qui pousse son corps à avancer pour répondre à cela, réside dans l'idée de pouvoir cogner sur quelqu'un qui l'a irritée de façon légale. Et protéger l'honneur d'une femme dont elle a pourtant quitter le service quelques jours plus tôt... Certes guère par un biais très officiel. Le pli doit toujours reposer sur l'oreiller dans la chambre vide, la guerrière avait veillé à ce que la jeune noble ne soit pas à la capitale. Un détail soulevé dans un rire mesquin par le groupe auquel elle s'était confrontée. Dépourvue de tout sens social -noble de surcroît- Rymaïn ne pouvait saisir l'ampleur de l'intérêt que ces gens trouvaient à souligner l'absence de la duchesse lors d'un tel événement.

La distance entre la taverne, située à l'autre bout de la capitale, et la petite place du quartier noble où il a été décidé qu'aurait lieu l'affrontement, lui offre le luxe d'un temps et de réflexions bien désagréables. Sur l'horizon, une silhouette se découpe dans sons champ de vision et trottine vers elle. Un jeune homme, peut-être pas plus âgé de 20 ans, s'incline devant elle en reprenant son souffle, puis se présente et poursuit d'une voix rapide mais hésitante. "Ma maîtresse souhaite que je vous informe de... Certains détails, relatifs à vôtre prochain duel. Elle... Enfin, heu... comme vous n'êtes guère familiarisé avec ce milieu, elle tenait à ce que vous ne soyez pas prise au dépourvu juste avant le combat." La nordienne hausse un sourcil, avec suspicion mais curiosité également. Qui l'envoie? Il semble beaucoup trop maladroit et honnête pour être mal intentionné cependant. Sa voix cassante lui répond, alors qu'elle continue sa marche à ses côtés. "Soit! Essaye d'être bref et concis, je n'ai pas de temps à perdre en bavardages."

D'abord surpris pas la rudesse du propos, il se reprend rapidement et entame avec un entrain plein de professionnalisme, comme si une telle mission lui tenait particulièrement à coeur. "Sachez avant toute chose que le seigneur que vous avez offensé ne vous combattra pas... Directement. Il s'agit d'un homme d'affaire, non formé aux arts martiaux et il possède donc le droit de mandater un membre de sa famille plus... habilité en ce domaine." Elle entrouvrit la bouche, prête à mordre suite à cette révélation d'un système on ne peut plus stupide, et lâche, mais le garçon s'empresse de continuer, la forçant à se concentrer sur les informations qu'il lui apporte. "Il y aura du monde, une petite foule de nobles. Ce genre de chose les attire toujours et ils ne se priveront pas d'émettre des remarques. Tout peut rapidement basculer si vous y répondez, ignorez-les, concentrez-vous sur vôtre adversaire et... Ce que dira le juge présent, pour... Veiller à ce que tout se passe bien."

Il repris son souffle, avant de poursuivre, se dépêchant en constatant que la guerrière semble saturer de toutes ces données qu'il lui amène. "Au fait, c'est un membre de la Garde Dorée qui a été mandaté pour vous affronter. Soyez prête, il ne vous fera probablement pas de cadeaux, tout en restant 'bienséant' car il connaît le jeu et ses règles bien mieux que vous."  


Une nouvelle vigueur s'insuffle dans chaque parcelle de son corps, chaque fibre de ses muscles. Le coin gauche de ses lèvres s'ourle brièvement à l'écho du dernier propos tenu par le jeune valet. Ainsi elle aura le loisir d'abîmer gratuitement et sans restrictions un garde doré? Parfait! Transportée par cette énergie nouvelle et positive, elle porte à peine attention à la foule, effectivement présente, qui s'écarte pour la laisser s'avancer sur la petite place désormais en vue.

Simplement vêtue par ce temps assez peu propice à l'effort, Rymaïn porte son plastron de cuir sur une blouse sans manches, d'un bleu profond. Ses masses sont rivées à son harnais ceint à ses cuisses, sur le cuir souple d'un pantalon et des semi-jambières protègent ses tibias jusqu'à la base de ses rotules. Suffisamment flexibles pour lui octroyer une grande mobilité, mais assez solides pour minimiser le tranchant d'une arme. Elle porte également des gantelets de cuir léger, rehaussés d'une plaque étroite couvrant la partie supérieure de ses poignets. Quant à ses cheveux, un lien solide les maintient attachés en une queue à hauteur de sa nuque, bien que d'insolentes mèches flamboyantes encadrent son faciès déterminé.

Au centre de la place, se tient le couard incapable de l'affronter. Non loin, une personne d'âge plus mûr, le juge du duel sans doute. Ce dernier est en pleine conversation avec quelqu'un dont seul le dos est visible. Potentiellement son adversaire, vu l'arme dégainée et le cuir protecteur affiché. Adversaire dont elle analyse la silhouette fine et un rien plus petite qu'elle. Une femme? Bien que légère, l'armure arbore les dorures caractéristiques de la Garde. Lorsqu'un faible murmure commence à accompagner son entrée dans le cercle provisoirement formé par les nobles, la silhouette se retourne lentement dans sa direction. Figeant de cette anodine rotation de buste le corps de la nordienne sur place.

Quelques mètres les séparent, pourtant l'olive capte aussitôt l'ébène avec une acuité étonnante alors que son estomac se contracte l'espace d'une seconde. Sérieusement? Deux semaines peut-être s'étaient écoulées depuis leur rencontre au temple. Assez pour se débarrasser du souvenir... Ou pas. Un poids invisible l'écrase momentanément, alors que l'homme âgé s'avance dans sa direction. La colère gagne en intensité sous ses traits de marbre, puis... Son souffle quitte lentement ses poumons, relâchant la pression qu'elle ne souhaite laisser prendre les rênes ou l'impacter de la sorte. Après tout, elle va pouvoir se défouler. Ce n'est pas si mal finalement...

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De nouvelles informations parvinrent aux oreilles de la capitaine dorée les jours suivants. Le grossier personnage ayant blessé l'orgueil de son mandant était une guerrière du Nord. Entre une blonde épargnée et une rousse envolée, elle y vit une certaine justice. Sa nomination prenait sens. Ce duel offrait un nouvel éclat à son armure de soldate décorée dans la guerre contre le Keiser et les événements de Rorn.

Une pensée aimable de la part de Loas, mais inutile. Qilin se passait de toute intervention extérieure pour polir ses plaques. Une décision prise à sa place l'exécrait. Et elle décelait parfaitement l'intérêt égoïste de son cousin dans cette joute. La voir briller en défendant son honneur entaché lui octroierait une part de gloire. Une belle perte de son précieux temps en résumé. Au moins son plus jeune frère profiterait du spectacle. Il donnerait cher pour assurer lui-même le divertissement.

La jeune Lù quitta son domicile d'un pas pressé, Jie et Ember à sa suite. La présence de cette dernière, plus complexe, s'effaçait de sa conscience. Elle avait laissé ses armes et troqué sa tenue de maille pour du cuir, conformément aux règles du duel. La marche lui permit de mesurer sa respiration et chasser la hâte de ses mouvements. Avoir envie d'en finir rapidement concédait rarement la victoire.

L'épéiste ne détenait aucune idée des capacités martiales de son adversaire. Ce dernier travaillait pour la duchesse Hélireah. Curieuse donnée, difficile à caser. En bons termes avec la noble, elle ne s'inquiétait pas outre mesure de son implication. Celle-ci connaissait la bienséance et les issues réservées à son manquement. Mais qu'un garde du corps autre que doré accompagne ses pas avait piqué son propre intérêt.

Qilin atteignit le lieu de rendez-vous avec vingt minutes d'avance. Une petite foule occupait déjà la place. La partie offensée manquait à l'appel. Pour l'instant. Il était encore tôt. Elle en profita pour saluer les têtes connues. Son sourire charmant se combinait à merveille avec son assurance guerrière. L'arbitre désigné, un maître d'armes retraité, se fraya un chemin jusqu'à elle. Il lui tint la jambe au sujet de son père et la fierté éprouvée à son égard. Jusqu'à ce que la "sauvageonne" fasse son entrée.

L'esquisse du soulagement fut rayée par la surprise. Le poids du regard olive écrasa la poitrine de la militaire. Elle ne fit pas confiance à sa vue l'espace d'une seconde. Il s'agissait forcément d'une plaisanterie. À peine son existence reniée, cette femme se remettait sur son chemin. La situation prêtait à rire. Elle s'en serait moquée acerbement, sans audience pour lui faire écho. Un vulgaire contentieux pour une confrontation extraordinaire.

Les traits crispés, la jeune Lù garda leur familiarité secrète, évidemment. Deux des quatre miliciens réquisitionnés s'occupèrent de vérifier l'équipement de chaque participante. Ils assuraient globalement le bon déroulé de l'évènement. L'idée d'occire la rousse ravit les sens de la noble un instant. Un exutoire clair et simple pour le condensé émotionnel qui sclérosait sa psyché. Mais non. Trop simple. Et trop complexe à la fois.

Le juge s'avança. « Bien, maintenant que les deux participantes sont réunies, voici les règles du duel. D'abord, l'arme choisie par la partie offensée, comme de bon droit : l'épée. »

La soldate affairée auprès de Rymaïn lui demanda de vider tout attirail afin de lui remettre une simple lame.

« La victoire s'acquiert au premier sang. Seuls les coups portés avec votre arme sont autorisés. Attraper son adversaire est interdit. Un manquement à ces règles donne lieu à un avertissement. Deux à un malus. Trois c'est la disqualification. »

Concentrée, impassible, la fille Lù préparait son corps avec quelques étirements. Elle vérifia ses appuis puis adopta une posture souple. Son cousin se délectait du manège, ses iris sombres braqués sur la nordienne.

« Prêtes, mesdames ? »

La botte de Qilin glissa sur le pavé tandis qu'elle élargissait son centre de gravité.

« En garde ! »

Elle leva son épée, tenue en main gauche. Patiente, elle attendit la venue de son adversaire. Autant commencer par jauger sa dextérité avec une arme qu'elle ne lui connaissait pas.

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Au coeur de ce réel mondain et formaté qui échappe à ses sens sociaux bien pauvres, sa jubilation fut crevée en l'espace de quelques mots à peine. Bien que partiellement dédiée à son particulier adversaire, l'attention de Rymaïn nota les règles imposées pour ce combat à venir, qui n'en était plus vraiment un à ses yeux. Une vaste blague, assurément, épousant la présence indésirable dont s'était détournée la nordienne. La milicienne plantée devant elle lui demande avec obligeance de se dépouiller de ses armes, pour pouvoir lui remettre... Une épée, donc.

Ses doigts agiles défont les boucles de son harnais, son visage demeure fermé, mais la rage à repris ses quartiers et bouillonne dans ses veines. Le cuir lourdement armé glisse le long de ses jambes, elle avance d'un pas pour s'en désolidariser complètement. Son geste se veut plus incertain quant au sac sans fond qu'elle a saisit, où repose le bijoux vermeil ainsi à l'abri d'un mauvais coup. Hors de question que la milicienne le prenne. Une main se tend à ses côtés, Rymaïn croise l'azur vif rencontré plus tôt, responsable de sa présence ici en quelque sorte. Sans en connaître la nature, une confiance se tisse instinctivement, et ses biens sont à présent entre les mains de l'inconnue.

Elle saisit la lame tendue, ses prunelles l'observent pendant 2 infimes secondes hésitantes. La première, pour assimiler qu'elle a déjà perdu. La seconde, pour questionner quelle main directrice utiliser, vu son ambidextrie naturelle. Fluidement, la poignée vient prendre place au creux de sa main gauche, un choix dont l'origine se situe à l'orée de sa vision. Effet miroir, à défaut de connaissances spécifiques, son atout résidait dans la copie du jeu adverse. Un essai, du moins, nul doute que cela porterait peu ses fruits.

"Soit..." Le murmure s'apparente à un grognement et ne s'adresse qu'à elle même.


La rouquine s'avance sur la petite place d'un pas assuré, nulle seconde n'est allouée à une véritable hésitation, sa rivale n'a pas à connaître ses failles si rapidement. L'autre l'attend, vraisemblablement, n'escomptant pas faire le premier pas, afin de l'évaluer sans doute. Une excellente idée, vu que Rymaïn a eut la même. Pourtant, si contraignantes soient ces règles idiotes, elles sont peu nombreuses, facile à retenir, et rien n'indique la direction que doit prendre l'entame de ce duel.

C'est pourquoi elle garde son arme le long de son corps, la lame un rien relevée, la main crispée sur la poignée... Crispée?! Elle détend ses muscles, ce n'est pas une masse, sa poigne est trop forte. Elle respire avec calme et se déplace d'un pas à moitié latéral en observant sa proie. Oui, elle lui tourne autour, lentement, sans attaquer, à deux mètres de distance peut-être. Observe sa position, le maintient de son épée, une arme de prédilection pour Qilin. Son attention dérive, remonte sur le faciès qui semble concentré. Sa gorge se serre, quel gâchis, un affrontement de la sorte ne peut que ternir la rivalité martiale qu'elles ont connu. Qui les unit... Unissait, plutôt. Comme elle doit être sûre d'elle, c'était déjà le cas à l'époque, et, en cet instant, la nordienne se trouve coincée dans un jeu que la garde dorée maîtrise parfaitement.

La foule s'agite, des murmures parviennent indistinctement à ses oreilles, la masse est pressée, impatiente. Mais la guerrière se fiche complètement de chaque commentaire qui souligne son apparence ou sa sauvagerie, questionne sa présence comme sa position sociale... Elle ne doit pas se laisser détourner du danger omniprésent rivé à l'ébène qui attend un mouvement significatif de sa part. L'olive de ses prunelles trouve l'éclat de sa propre lame, les rudiments de son usage sont inscrit en elle, mais cela sera bien insuffisant.

Un premier flash. Une tignasse aussi flamboyante que la sienne, un roux plus profond cependant. Une voix ferme qui lui demande de se positionner autrement sur ses jambes. Sa main se crispe à nouveau sur le cuir enrobant le métal, tandis qu'elle poursuit sa marche, cerclant son adversaire. La meilleure épéiste du clan des Crocs Noirs détournerait le regard de sa fille avec honte, humiliée. Combien de fois est-ce arrivé?

Elle a baissé sa garde, ou plus précisément son attention, pendant un bref instant. Sans le réaliser, hantée par des bribes mnésiques s'infiltrant en elle comme un miasme putride. Une telle distraction peut se payer cher. Effectivement, la seconde suivante, la soldate fond sur elle. Rymaïn eut à peine le temps de relever son arme, prendre appui en glissant une jambe derrière elle et parer, ou non, un coup porté habilement.

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Mais la nordienne ne vint pas. Pas de charge furieuse, pas d’élan curieux. Juste ce prétexte circulaire qui servait à peine de mise en bouche. Qilin s’y plia afin de la garder dans son champ de vision. Elle attendait toujours l’offensive, sa méfiance accrue. L’attention de son adversaire fut aspirée ailleurs. L’épéiste bondit littéralement sur l’occasion. Rymaïn était une guerrière hors pair. Aucun cadeau ne lui serait fait.

Sa lame s’écrasa contre le plat de son homologue. La rousse recula de quelques pas sous la férocité de l’impact. Les appuis faiblissaient à la moindre distraction. La soldate dévora aussitôt les centimètres cédés.

« Réduis-la en miettes Qilin ! »

La frappe d'estoc chercha directement à mordre le cuir. Elle fut largement déviée. Trop, à la surprise de sa propriétaire, qui faisait maintenant face à l'épaule gauche de la nordienne emportée dans son élan. Une faille considérable si elle avait été en mesure de riposter. Qilin pivota contre ce corps quasiment offert et le fit avancer d'une poussée, omoplate contre omoplate. Elle se retrouva ainsi dans le dos de la guerrière.

Deux pas en arrière la mirent en sécurité. Ses sourcils se froncèrent légèrement. Quelque chose clochait. Avant d'en tirer des conclusions, elle retourna au contact. Ses frappes prirent un rythme mesuré. La rousse cherchait à la repousser, conduisant à un va-et-vient délectable pour l'audience. Qilin dansait sur le pavé avec aisance. Le rythme de ses attaques s'intensifia brusquement. Elles devinrent plus précises et surtout plus techniques.

La seule riposte efficace fut un coup de genou dans les côtes.

« Avertissement pour madame Cuchulayne ! »

La fille Lù recula de plusieurs pas. L'armure de cuir avait absorbé une partie des dommages. Pas tous. Des voix s'élevèrent dans le public. La discrétion n'était pas une obligation pour eux. Leurs commentaires constituaient une entrave officieuse. Les duellistes prouvaient leur mental d'acier en faisant abstraction du bruit ambiant.

Les participantes se tournaient de nouveau autour. Rien d'étrange pour un combat aussi codé où le rythme saccadé des offensives cassait intentionnellement l'animosité des combattants. En temps normal.

Qilin réfléchit tandis que la douleur s'évanouissait. Le faciès adverse reprenait les traits d'une sauvageonne flamboyante à la joue ensanglantée. Le passé la rattrapait. Elle cligna des yeux. Un faible mouvement de tête accompagna la fuite. Rymaïn s'était-elle empêtrée dans ces souvenirs ?

La différence de niveau ne faisait plus aucun doute après leur échange. Et l'épéiste savait d'ores et déjà la victoire sienne. La jouissance de cet acquis s'évanouit devant l'ennui qu'il suscitait. Aucun honneur à défaire un adversaire aussi maladroit avec une épée.

Mais il y avait autre chose. Et elle ne parvenait à discerner quoi, ni s'empêcher de chercher.

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Le choc assourdissant des deux lames résonne près de son visage et lui vrille les tympans. La rousse n'a guère le temps de se préoccuper de tels détails, elle encaisse le poids de sa rivale marié à son élan et pose un genou au sol. Un appui qui se révèle utile. Sans réfléchir davantage, son corps se détend avec une puissance caractéristique de sa physiologie comme de la rage qui consume tout son être. Le coup porté est amplement dévié de sa trajectoire initiale, la nordienne contrôle difficilement sa propre impulsion, l'épée est trop légère. La masse de son adversaire aussi.

L’habilité typique de sa rivale s'inscrit dans un mouvement rapide et circulaire, opérant une rotation avec le corps de Rymaïn comme support. Un frisson parcourt son échine. Bordel! Le contrôle qu'elle exerce sur son esprit ne peut donc endiguer les réactions corporelles induites par des souvenirs?! La colère se lie à la rage déjà présente alors qu'une poussée l'éloigne de Qilin à présent derrière elle. La nordienne fait volte face aussi rapidement et recule d'un bon mètre, l'épée levée devant elle.

La suite s'enchaîne sans qu'elle ne puisse rien y faire. Les attaques pleuvent, simples mais précises, rapides et fluides. Puis deviennent un rien plus techniques. C'est à peine si elle peut parer la moindre d'entre elles. Pourtant, nulle ne la blesse. Elle sait son opposante maline et calculatrice... Cela ne prend qu'une fraction de seconde à la nordienne pour réaliser que cette dernière la teste et fera probablement durer le plaisir lorsqu'elle comprendra que la victoire est sienne. Une pensée qui enjoint une réponse fulgurante, dictée par un ressenti agressif. Le genou fuse en direction des côtes, suite à une dernière offensive adverse, elle sent le cuir s'enfoncer sous la pression de son coup et l'autre recule sous l'impact.

En réponse à la remarque du juge, un rictus amer habille ses lèvres. Quelle importance? Avec ou sans règles puériles, les chances de l'emporter demeurent minimes si elle ne puis changer d'arme... Une lacune dont elle prend conscience et qui forme une noirceur au plus profond de ses iris. La responsable se découpe dans sa mémoire comme si Rymaïn dévisageait son reflet dans un miroir. Tant de similitudes et pourtant si peu de points communs. Ne parlons même pas d'affection ou de sentiment quelconque.

Une autre erreur se présente sous les traits d'un nouveau manque d'attention. La colère dédiée à son adversaire n'existe même plus, tournée vers le monde de la nordienne, qui voile son regard et lui fait subir un nouvel assaut. Quelques secondes plus tard à peine, la guerrière se retrouve au sol, une main tendue derrière elle pour amortir à peine le heurt avec la pierre. Elle s'est coupée des nuisances sonores, à l'apparence de rires moqueurs désormais, qui l'effleurent à peine, malgré la proximité de la foule depuis sa chute. Mais une voix, différente, chaleureuse, s’infiltre aisément dans son esprit. Derrière, une femme s'est accroupie et s'adresse simplement à elle.

"Considère l'épée comme un prolongement de ton bras, la lame frappera comme ta main frapperait ton adversaire... Et concentre toi sur tes atouts. Que fais-tu lorsqu'il ne te reste qu'une seule de tes masses en main?" La rouquine plisse les sourcils un instant, alors qu'elle se relève et desserre légèrement son emprise sur la poignée de cuir. Si seulement elle pouvait agresser Qilin avec sa main pour de vrai, elle ne se gênerait pas. Sans vraiment comprendre pourquoi ces mots ou cette voix font sens elle ajuste ses appuis, et commence à se déplacer autrement. A défaut de technique, elle connait les bases, elle peut au moins les exploiter correctement. Elle chasse le visage de sa mère, puis se concentre sur cette histoire de masse unique...


Inutile d'attendre que Qilin baisse sa garde, cela n'arrivera pas. Malgré son assurance, et le temps qu'elle semble prendre pour savourer le combat. Ce qui s'avère inconcevable pour la nordienne, acceptant avec beaucoup de mal que la soldate puisse trouver plaisir à tel affrontement. Mais que connait-elle réellement de cette femme, au fond? Rymaïn la charge soudainement, ramenant la garde de l'épée contre son propre ventre, venant saisir le manche avec son autre main. Comme pour mettre plus de force dans sa frappe. Ce n'est pas la réelle intention, cependant. Elle lève l'épée à deux mains et cette dernière fuse vers l'épaule droite de son adversaire. Puis, sans prévenir, elle fait glisser le manche de l'arme dans sa main droite. Son corps pivote avec fluidité, ce n'est pas de combattre avec une lame de ce type qui va entraver son agilité naturelle. Elle a appris à se mouvoir le plus aisément possible avec des armes lourdes, après tout.

Le bras désormais armé accompagne le mouvement cyclique et vient asséner une frappe de revers en direction de la hanche gauche de Qilin. Un coup relativement simple à parer, initialement. A condition de savoir de quel côté il serait porté, une donnée qu'elle avait inversée à la dernière seconde en changeant de main directrice. Sans parler de son intention première, qui n'avait servi qu'à faussement orienter sa rivale.

Elle recule aussitôt, pour éviter toute réplique et garder les iris ébène dans son champ de vision le plus souvent possible. Bien que la vue lui arrache par moments des sensations autrefois éteintes, ravivées ici par cette présence continuelle. Sa respiration s'est légèrement accélérée, elle s'épuise plus vite en ne maîtrisant pas bien ses actions. Elle n'a aucune envie de faire durer le plaisir et se demande s'il ne serait pas plus simple d'aller chercher la disqualification. Ce qui, au passage, lui permettrait de cogner sur la garde dorée sans retenue.


Dans le public amassé derrière la soldate qui vient, enfin, d'essuyer une vraie attaque, les murmures vont bon train. Mais ne s'attardent en aucune façon sur la fille Lù...

"Quelle sauvage! Il est évident qu'elle ne sait pas se battre correctement. Il lui faut un coup de chance pour réussir une attaque, mais elle se fait écraser au fond." La voix nasillarde tinte un peu plus fort que le reste, mais un ton ferme, aussi féminin, lui offre une étrange réprimande. "Cessez vos conclusions hâtives dame Sophia. C'est précisément sa sauvagerie qui revête de l'intérêt. La chance n'y est pour rien, elle est imprévisible, comme un animal. Ce n'est pas sa place un duel si sophistiqué, je serais curieuses de la voir jouer avec ses masses lourdes qu'elle portait en arrivant. Et d'ailleurs... La duchesse ne l'a probablement pas engagée sans raison, malgré son penchant pour les excentricités, ahah. Je doute que ses services se limitent à la conservation de son intégrité physique. La femme, qui doit avoisiner la fin de la quarantaine, marque une brève pause, puis étire un sourire pincé avant d'ajouter. "Je ne dirais pas non si j'avais une petite sauvageonne de la sorte pour agrémenter mes nuits. Combien croyez-vous qu'elle la paie?" Le ton est à la fois empreint de mesquinerie, mais aussi de jalousie et d'envie. Les autres s’esclaffent, certains s'indignent, ou s'abstiennent de réactions, mais tous trouvent cette conversation divertissante sans le reconnaître. Décidément, la noblesse de Lüh regorge de spécimens plus détestables que d'autres.

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Encore. Rymaïn se perdit. Qilin s'engouffra dans la faille de son esprit. La frustration naissante face à ce trouble insaisissable lui ôta toute hésitation. La perspective de réunir leur corps l'attira comme un aimant. Peut-être consciemment.

Son bras nu glissa sous la garde de la sauvageonne, écartée avec une facilité déconcertante. Si les coups directs restaient interdits, le contact reposait sur des subtilités parfaitement autorisées. Les habitués s'en jouaient avec délice, la foule s'en régalait. Ainsi elle applaudit en voyant la jambe de l'épéiste entraver celle de la nordienne et la main posée sur son buste l'encourager à basculer.

Il avait disparu. Cet éclat léger et ardent, qui dansait avec elle cette nuit-là. La fille Lù s'attarda un instant devant l'adversaire au sol, dans l'espoir de le retrouver. Comme avec ce coup de genou traître, si caractéristique. Puis elle reprit position plus loin. Son regard d'ébène enregistra le faciès inconnu penché vers la guerrière. Une milicienne s'était approchée pour faire reculer la dame mais, voyant qu'elles semblaient se connaître, se récria. Un petit discours de motivation personnel ou une remarque avisée avait sa place dans un duel.

Il était probablement temps d'en finir. Finalement lasse de chercher une explication, ou suffisamment raisonnée pour s'en passer, Qilin arma son bras. Tiens. L'offensive ennemie retint son intérêt. Une lecture du mouvement évidente, trop pour correspondre à la rousse. Sa lame chercha à bloquer le coup par précaution. Un mauvais choix, car il ne s'agissait ni de sa meilleure main ni de sa meilleure arme pour parer. Prise de court par la dextérité de Rymaïn, elle pivota au dernier moment pour éviter le nouveau point d'attaque. La lame lécha tout de même le cuir de son flanc gauche.

Un sourire fugace étira les lèvres de la brune. Il trouva son écho dans le public, pourtant incapable de le capter à cette distance.

« Haha bien joué la rousse ! »

L'envie de se jeter sur la nordienne la saisit avec avidité. Elle la laissa donc se reculer en paix. Enfin. Un frisson imperceptible gagna son échine. Mais était-ce suffisant ? L'épéiste menait toujours la danse, et la faveur de l'arbitre malgré cette belle feinte. Cela méritait-il plus d'efforts ? Maintenant qu'elle s'était engagée, pourquoi pas.

Chacune reprenait son souffle. La chaleur estivale s'insinuait doucement sous l'armure de la capitaine. Il en fallait davantage pour lui arracher un peu de sueur.

Inconsciemment, son attention rivée sur la sauvageonne se fondit dans une plus grande. Le sifflement lui arracha un rictus invisible. Qilin s'autorisa une petite pause, gageant que ledit animal n'en profiterait pas si lâchement. Main droite sur sa hanche légèrement relevée, elle embrassa la foule du regard avec un sourire. Elle fit mine d'échauffer ses poignets comme si l'affrontement venait à peine de commencer. Les perles de jais se plantèrent sur la compagne de dame Sophia.

« Trop cher pour vous. »

La voix douce, enrobée de sa précédente arrogance, trancha la langue pendue de sa lame glacée. Le premier sang coula de l'air faussement amusé. Les iris perçants de la fille Lù retournèrent se poser sur leur cible originelle. Leur satisfaction suintait derrière son masque aimable. L'étrange liaison entre la première fortune de l'île et sa garde rapprochée se tapit dans l'ombre de son esprit.

Sans plus penser au cercle voyeur, ni même à la nécessité d'une victoire et d'une défaite, elle s'élança. Son corps se pressa contre celui de son adversaire, puis s'en détacha avec fluidité. Une première déchirure emporta un lambeau de cuir. Puis une deuxième, à l'échange suivant. Que l'armure chauffe et embrase la rage de sa propriétaire. C'était leur jeu à elles, et personne d'autre.

L'épée crissa contre sa jumelle à quelques centimètres du visage de Rymaïn. Le timbre enjôleur glissa contre sa joue balafrée.

« Devrais-je abréger tes souffrances ? Ou comptes-tu t'en charger ? »

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Sa rivale se situe trop loin, pour que le propos qu'elle adresse à la foule fasse sens chez Rymaïn. Elle n'en comprend pas l'origine, probablement une réaction quelconque du public, qu'importe. Cette brève pause lui suffit pour prendre sa décision, mais quand la garde charge dans sa direction, elle ne peut s'empêcher de relever son arme dans un réflexe, pour poursuivre le duel engagé. Quelle idiote, qu'est-ce qui la pousse ainsi vers elle? Le contact soudain de leur corps la prend presque au dépourvu, comme si Qilin était venue le chercher volontairement, alors qu'il n'est pas nécessaire, au vu de sa supériorité. Avec fluidité, l'adversaire s'écarte l'instant d'après, laissant à la nordienne un goût amer au bord des lèvres. L'amertume est emportée par la pointe agile de l'épée qui vient taillader son cuir. Une première fois, puis une deuxième... A la troisième la rouquine réussit à bloquer la lame et les deux épées crissent dans un échange strident. Le visage pâle qui se penche vers elle souffle une chaleur inattendue sur son propre faciès. La nordienne frissonne, elle manque de déglutir.

Les mots résonnent dans son crâne, la provocation la touche à peine. Seule la sensation s'inscrit en elle, pourquoi s'entêter? Elle s'apprête à mordre avec son fiel usuel, quand une autre voix porte jusqu'aux duellistes.



« Sors Ishael de ta tête! Elle ne te mérite pas! »
En d'autres circonstances, cette simple allusion à sa génitrice l'aurait déstabilisée complètement. Mais le propos dénote de ce qu'elle a l'habitude d'entendre. C'est la première fois qu'on prononce le nom de sa mère sans la porter aux nues, bien du contraire, la voilà rabaissée plus bas que sa fille. Rymaïn repousse brutalement la soldate, en glissant subtilement sa main libre entre elles pour appuyer sur son buste. Elle peut jouer, elle aussi, l'observation demeure un de ses points forts. Alors que Qilin recule sous la force de la poussée, la guerrière flamboyante fait deux pas en arrière pour s'écarter encore plus. Le temps de lever sa lame et d'observer cette dernière une fraction de seconde. Son reflet brille un instant sous ses yeux.

Elle est incapable de manier habilement une épée...

...En vérité, ce fait est purement ambigu. Car il est tout aussi vrai... Que faux.

La nordienne charge à son tour. La lecture des précédentes attaques de Qilin s'avère à la fois une source immédiate et un miroir. Bien sûr qu'Ishael l'a entraînée pendant des mois. Bien sûr que la fierté de celle-ci ne se serait jamais satisfaite du lui inculquer les rudiments de cet art qu'elle maniait à la perfection. Ce n'était jamais assez bien. Alors Ishael s'est acharnée, et l'enfant à été brisée... Un peu plus. Incapable de manier une lame sans perdre ses moyens, incapable de combattre de cette manière sans être écrasée par le poids de réminiscences des critiques perpétuelles. Toujours exigeante, la femme de ses souvenirs ne lui laissait aucun répit.

Mais Rymaïn dissocie abruptement sa préceptrice de ses enseignements. L'estime gonflée par cette remarque inopportune change radicalement la donne. Si la pratique quotidienne demeure inexistante, sa mémoire musculaire est intacte. Les coups sont désormais vifs, adroits, portés avec une technique précise. Sa gestuelle se calque tour à tour sur celle de sa rivale, puis sur celle de ses souvenirs. Les mouvements sont gravés dans sa chair, les pas, la danse, les subtilités, les bottes... Et, finalement, les deux bretteuses se retrouvent dans une position inverse, après que Rymaïn ait réussi, non sans mal, à entamer une fois le cuir de la garde dorée, la prenant probablement par surprise. Les lames croisées, la rouquine possède l'ascendant et appuie doucement contre le blocage de Qilin.

Elle approche son visage de cette joue désormais immaculée, dont seul subsiste l'écho d'une marque éphémère. Quelques secondes à peine... Pour qu'elle soit d'abord ramenée dix ans en arrière avec une douceur incroyable à cette pensée. L'instant d'après, elle est propulsée brutalement deux semaines plus tôt, alors qu'un simple "Oui..." confirme que leur échange fut une erreur dans la vie de Qilin. Sa confiance s'effondre littéralement. Les traits d'Ishael se superposent soudain à ceux de la jeune femme, elle ne voit plus qu'elle et ses bras comme ses mains commencent à trembler.

Son ton est bas, mais emporté et mauvais. Il ressemble sensiblement à celui de l'adolescente frustrée et humiliée. "Je sais que je ne serais jamais à ta hauteur! Cesse de me le répéter!" Elle s'écarte violemment de l'épéiste aguerrie quand elle retrouve ses traits propres et son regard d'une obscurité étincelante. Rymaïn ne réalise pas vraiment ce qu'il vient de se produire, ses pensées s'emmêlent. Elle n'a conscience que d'une chose lorsqu'elle jette son arme au sol. Le bruit métallique retentit avec fracas, mais sa voix surplombe ce dernier.

"J'en ai plus qu'assez de cette farce stupide. Emporte donc ta victoire proprement réglementée auprès de tes semblables, cela m'importe peu. J'ai connu des combats où le feu et la glace se mêlaient avec bien plus de noblesse et d'authenticité. Grisants, délectables, ... Susceptibles de marquer la chair aussi bien que l'âme."

Son buste opère une rotation, elle se dirige vers la foule. Lentement, son cerveau assimile ce que ses lèvres viennent de laisser échapper à son contrôle. Emportées par un écho lointain, qui aurait du rester cloîtré au plus profond de son coeur.


Elle atteint l'homme soit disant offensé et chope son col avec fougue. "Sachez que je ne suis plus au service de quiconque et que je ne représente personne." Elle resserre subtilement sa poigne, avant d'ajouter d'une voix glaciale. "Cette pathétique victoire ne fait sens que dans le monde puéril au sein duquel vous évoluez. Vôtre couardise ne mérite aucunement d'être défendue par une guerrière de talent." La nordienne ne se retient pas pour relâcher sa prise d'une poussée brusque, avant de se détourner pour partir.

Son propos primaire n'est guère passé inaperçu parmi la foule. Si bien qu'un vague murmure satisfait s'élève, mais impossible de savoir ce qu'il en est vraiment. La noble fort bavarde, dont la lame de l’épéiste à tranché si subtilement la langue plus tôt dans l'heure, se penche vers son valet et chuchote quelque chose à son attention.

L’écœurement et la colère rongent la nordienne. Elle veut oublier ces gens et ces bienséances exécrables. Elle veut que Qilin sorte de sa tête. Elle veut que Nérée sorte de sa tête. Et effectivement, surtout, qu'Ishael en sorte aussi. Elle manque de heurter un homme au teint revêche et pâle, planté devant elle, une gourde à la main. Il bredouille, puis se ressaisit rapidement. "Mademoiselle, permettez un instant. Ma maîtresse souhaite s'entretenir avec vous, je... Oh, mes m'excuses, je vous apportais avant toute chose de quoi vous rafraîchir. Ce soleil de plomb a du être indisposant pour combattre, tenez, je vous en prie." Il lui offre la gourde pleine et ouverte, qu'elle saisit sans réfléchir. Son cerveau est embrumé, la rage la consume, elle a soif maintenant qu'elle en prend conscience, et s'approprie une rasade d'eau fraîche. Cela lui remet légèrement les idées en place. Assez pour lui refourguer la flasque d'un geste brutal en la poussant contre sa poitrine, tout en lui répondant. "Je ne suis pas intéressée." Le timbre est sec, déterminé. Mais une voix s'élève dans son dos.

"C'est aussi ce que je craignais. Pourtant, nul doute que je sois en mesure de piquer vôtre attention, miss Cuchulayne." La rouquine fait volte-face en entendant, une fois encore, le nom de sa mère usité pour l'interpeller elle. Trop rapidement, peut-être? Ou bien le flou étincelant qui brille devant ses prunelles ne relève en rien de ce mouvement brusque ou de son état émotionnel à la limite de l'implosion? Rymaïn porte une main à son front en fermant les yeux, une sensation de perte d'équilibre soudaine, l'embrasse fugitivement.

"Qu'est-ce que..."


L'ombre du dragon se faufile derrière ce dernier avec une furtivité exemplaire. Si bien que quiconque autre que Qilin, et son sang-froid exemplaire, sursauterait à la perception du murmure qui se glisse auprès de son oreille.


« J'ai vu son laquais verser quelque chose dans la gourde. A titre purement informatif... Evidemment si c'est du poison c'est peut-être un peu tard. »
Le timbre désinvolte accompagne son retrait semblable à une envolée subtile et rapide. C'est déjà là bien trop d'efforts et de compassion, du moins, si ses impressions ne trompent guère la jeune femme métamorphosée.


Rymaïn vacille, le second valet de la noble se porte à son aide pour la maintenir debout. La femme intervient aussitôt d'une voix attentionnée et dépitée à la fois. "Pauvre enfant, ce doit être une insolation. Quelle idée, combattre sous une telle chaleur. Mon second fils, médecin, est justement en séjour au pavillon familial. Ce n'est pas très loin de la place nous allons vous y faire mener. De l'ombre et du repos, voilà qui vous fera le plus grand bien." Elle adresse un regard à son premier serviteur. "Wennet, allez chercher ses affaires et revenez nous aider à la transporter." L'homme affiche une mine hésitante, tourne brièvement son regard vers une partie de la foule qui les entoure, croise le bleu azuréen et déglutit en revenant à sa dame. "C'est que... C'est la baronne Blanchecime qui les a." Sa maîtresse se penche dans sa direction afin qu'il soit seul à l'entendre. "Wennet, achetez vous une paire de couilles et allez me les chercher si vous ne voulez pas être renvoyé! Et n'oubliez pas mon rang, imbécile."

Complètement imperméable aux propos alentours, la nordienne ne remarque qu'une seule chose, cette main qui se porte à sa taille, ainsi que la seconde, tentant de faire passer son bras autour d'épaules inconnues. Malgré un esprit et des sens de plus en plus confus, elle extirpe un murmure audible, le contact involontaire avec autrui lui est insupportable. "Ne... Me touchez pas." Sa raison se laisse dominer par l'accablement qui l'afflige. Sa tête la lance et elle perd un peu plus le contrôle de son corps.

Wennet se trouva fort dépourvu, lorsque la Baronne Blanchecime s'en fut allée avant qu'il ne l'atteigne. Cette dernière a glissé précédemment les masses, puis le harnais de la guerrière dans le sac sans fond, et se dirige vers Qilin. Elle la salue respectueusement d'un mouvement de tête, puis lui offre le sac, ne doutant pas que celle-ci s'en saisirait. Une simple phrase accompagne son geste.


« Certains biens sont trop précieux pour tomber entre de mauvaises mains. »
Elle s'éloigne alors, après lui avoir adressé un fin sourire énigmatique.

Codage par Libella sur Graphiorum
Crédits img : Lily Abdulina

Entre esprit et escrime, un duel en toute inimitié ?

Encore cette femme énigmatique. Qui était-elle ? Et qui était cette Ishael ? Des liens inexplicables flottaient hors de sa portée. La fille Lù se mettait généralement au défi de les saisir et les tirer. Ici elle détestait cette vision éthérée où les dix ans séparant leur premier duel reprenaient consistance. La vie de la nordienne restait, après tout, un mystère complet pour la sudiste. Son adversaire répliqua aussitôt, comme revigorée par cette intervention. Et le temps s'effaça à nouveau.  

La main de Rymaïn trouva aisément le chemin de sa poitrine, dégagé par toutes ces pensées parasites. Sa consistance à peine reformée, l'épéiste subit un assaut implacable, enfin digne de la guerrière aux masses. L'exigence de cette nouvelle passe d'armes monta si vite qu'elle se fit dépasser. Pourtant ce niveau n'atteignait toujours pas le sien.

Qilin était perdue. Elle retrouvait une partenaire martiale, dont la présence trop vive s'avérait déstabilisante. Les coups bloqués par instinct entamaient sa réserve d'adrénaline. Son expression restait impassible grâce à sa concentration. Les muscles de sa mâchoire se crispèrent lorsque le cuir fut déchiré. Ce n'était pas assez pour la sauver.

L'ascendant lui fila entre les doigts. Cette fois, l'autre ne chercha pas l'égalité. Sa force supérieure écrasa la garde de la soldate dorée. La lame flirta avec sa joue dans une provocation teintée d'ironie. Le fiel se déversa sur son visage de neige, plus acide encore qu'à l'accoutumée. L'ébène s'agrandit sous l'incompréhension. Elle céda sous le poids et finit brûlée.

Le sentiment quitta difficilement ses pupilles fébriles. Elle avait mal évalué la profondeur du marais qui embourbait la rousse. L'éclat de l'acier contre la pierre la ramena à ses sens. Le discours véhément acheva d'ancrer son esprit à l'instant présent. Ou presque. La flamme s'évanouit. Mais quelque chose la brûlait encore.

La capitaine hocha la tête devant l'harangue de la nordienne. Un éclat de colère rugit au fond de ses iris noirs. Dans une ruelle, à l'abri des regards, il se serait exprimé. Il aurait réclamé cet affrontement élégant et sanglant, qui lui échappait en l'instant. L'incompréhension saisit la foule face à l'abandon d'une des participantes.

La noble ferma les yeux et remit l'une de ses mèches ténébreuses en place. Elle effleura le lobe de son oreille au passage et décrocha une goutte singulière. Finalement elle défit sa coiffure afin de laisser ses longs cheveux respirer. L'agitation causée par Rymaïn récupéra son attention. Elle manqua de lever les yeux au ciel. Quelles manières bruyantes. Une femme exécrant les jeux, qui clamait sa haine sur la scène même où ils se déroulaient.

L'un des miliciens atteignit l'assaillante au moment où elle se retirait. L'homme agressé à une seconde reprise perdit son calme en exigeant une arrestation. Le juge tempéra leur fougue d'une voix puissante.

« L'issue du duel a été déterminée. La victoire revient au Capitaine Qilin Lù, qui obtient réparation pour messire Loas Lù. »

Sans égard pour le constat, les perles de jais cherchaient la tignasse flamboyante, étouffée par les réjouissances du public. Elles gagnèrent seulement des pierres familières, accompagnées d’un sourire provocateur.

« Quelle surprise ! » Les sourcils de l'interpellée se froncèrent brièvement. « Elle a failli t'avoir. »

Le souffle retenu s'extirpa avec une condescendance teintée d'amertume.
« Failli étant le terme qui caractérise ce duel. »

Leur cousin profita de cette proximité pour s'y mêler. Il se montra immédiatement généreux en compliments, puis en critiques. Jie répondit à ses dernières avec défaveur, arguant que la sauvageonne marquait un point. La mèche allumée pour exposer la couardise embrasait son esprit rebelle avec facilité.

Qilin se distança quelque peu, sondant toujours la foule d'un œil acéré. Il se planta sur une cible ennemie bien définie, à défaut de trouver l'originelle. Un souffle délicat caressa soudainement sa nuque. Ember. Ses mots lui arrachèrent un étrange frisson, qu'elle dissimula habilement. Sitôt la métamorphosée envolée, Loas eut l'ambition de prendre sa place. Elle lui coupa l'herbe sous le pied.

« Ce fut un plaisir cher cousin. Pardonnez mon empressement mais puisque votre affaire est conclue, les miennes reprennent cours. »

Une délicieuse révérence l'excusa. Son frère l'imita et s'engagea à sa suite. La garde dorée fut interrompue en pleine traque quelques mètres plus loin. L'étrange complice de son adversaire disparue lui remit les affaires de celle-ci. Elle ne masqua pas son mécontentement. L'audace, camouflée dans l'énigme, l'agaça davantage. Le visage de cette femme se rappelait vaguement à sa mémoire. Impossible d'éclaircir les contours. Et sa fierté l'empêcha de demander un portrait distinct.

« Qui était-ce ? »
« Je l'ignore, mais je l'ai déjà vu avant. »
« Elle a un port guerrier. »
« Oui, et pas seulement. »

Le duo adopta une mine pensive, qui assurerait leur lien fraternel à un regard externe. Celle de l'aînée s'effaça en apercevant enfin la rouquine dans une étonnante posture. Ses traits se crispèrent. Sa mâchoire se serra. Elle porta une main à sa taille. Y était sanglé uniquement le sac magique de Rymaïn. La soldate força la détente de son corps avant de s'immiscer dans le petit cercle de quatre personnes, non loin de la foule. Son teint de porcelaine fut recomposé tout en douceur.

« Comtesse de Barjois, quelle surprise de vous voir en si charmante compagnie. »

Un sourire aimable fendit ses lèvres. Derrière elle, Jie leva les yeux au ciel. Puis il avisa la guerrière en mauvais état. Étrange. Sa sœur l'avait pourtant ménagé. Ses fins sourcils se froncèrent. Son ton grondant se diffusa dans un timbre plus grave.

« Est-ce qu'elle va bien ? »

Il voulut s'avancer pour vérifier mais Qilin le retint discrètement. La comtesse susnommée expliqua alors un cas d'insolation, et sa volonté de faire examiner la combattante. Le jeune homme hocha la tête et jugea sa participation dans cette histoire complètement inutile. Il ne décelait aucun problème et, le cas d'erreur, savait sa sœur en parfaite mesure de le régler. Penché vers son épaule, il communiqua ses intentions :

« Je vais tâcher de me renseigner sur l'autre femme, je reviens. »

Elle acquiesça en silence. Bien, elle pouvait à présent déployer tout son art.

« Il s'avère que je connais un excellent médecin. »

« Mon second fils est aussi pratiquant. Il se trouve à quelques rues seulement, c'est pourquoi je me suis permise d'intervenir. »

« Oh oui, votre dernier né. Heath, c'est cela ? N'était-ce pas lui qui souhaitait intégrer l'Institut ? » La troisième fille des Lù évoluait à son aise, brillante de ressources. Son regard de jais ne lâchait pas la noble. « Mon ami, Ari Kor'lenter, est l'un des fondateurs. »

L'hésitation ouvrit la bouche de son interlocutrice. Aucun son n'en sortit. L'enfant de Marquis saisit le silence en plein vol. D'un pas léger, elle se dirigea vers le domestique qui tenait entre ses mains une gourde.

« Puis-je ? Cet affrontement, sous une telle chaleur, m'a assoiffée. »

Dans son dos, la comtesse adressa au dénommé Wennet des yeux sévères arrondis par l'urgence. L'incertitude paralysa l'homme qui se laissa prendre l'objet. Qilin le déboucha lentement. L'intention s'arrêta à ses lèvres, et elle huma le breuvage tandis qu'on l'arrêtait.

« Non ! Je vous le déconseille. L'eau est aussi chaude que le soleil ardent. Vous n'en seriez que plus assoiffée. »

L'odeur végétale saisit ses sens mais délaissa son esprit. Malheureusement, seules ses sœurs n'avaient aucun secret pour les herbes et plantes de l'île. Et elle n'avait jamais fait usage de poison. Le bouchon en place, elle mit la gourde dans la besace sans fond. Sa silhouette gracieuse pivota vers l'aristocrate trapue. Une vision hautement désagréable étreignit les pensée de la brune. L'idée que la rousse puisse finir entre ces mauvaises mains décocha un bref rictus à ses traits figés.

« Partons-nous dans ce cas ? Je pourrais en profiter pour introduire votre fils, s'il souhaite nous rejoindre. »

Une note dissonante sinua dans son timbre suave. La de Barjois hocha la tête d'un air distingué au possible. L'attitude de la prestigieuse gradée la fit réfléchir. Ce regard sombre et indéfectible plia la courbure de son dos. La menace grondait dans ce visage aimable, à la bienveillance traître. Sa voix siffla finalement une décision.

« Ce ne sera pas nécessaire mademoiselle Lù, je vous sais parfaitement capable de prendre en charge cette sauvageonne sans moi. Je vous remercie pour cette offre généreuse. »

La comtesse s'inclina sensiblement avant de se retirer. Qilin lui témoigna pareil respect puis chercha son frère des yeux. Ils captèrent son attention, ainsi que l'ambre d'un regard attentif. Le second domestique de la maison Barjois lui remit lentement l'évanouie. La garde dorée tressaillit au contact de son corps chaud. Elle attendit péniblement le soutien de son cadet, qui ne tarda guère.

« Pffff elle est plus lourde que toi. Pourtant elle est pas grosse. Elle a bouffé que du cruentur avec la duchesse ou quoi ? »

La duchesse. Rymaïn n'était donc plus à son service. Cette révélation l'absorba quelques secondes avant d'être chassée d'un revers. Le dessin de ce complexe tableau d'ensemble attendrait. La brune relativement humaine à sa hauteur, elle lui adressa un air reconnaissant.

« Ember, je te remercie. Pourrais-tu... » Une certaine gêne ralentit sa demande. « …laisser Amko'Unn prendre le relais je te prie ? »

Tandis que la fratrie se déchargeait, le plus jeune demanda enfin l'explication qui ne venait pas. « Elle a été empoisonnée. »

Les yeux du cadet s'agrandirent sous la surprise. « Quoi !? Par la de Barjois ? » Un simple acquiescement lui répondit. « Vraiment pourris jusqu'aux derniers ces culs bénis. »

« Langage. » Le garçon émit un râle agacé. « Mère n'est pas là tu sais. » La capitaine releva un sourcil. « Et ? » Il leva les yeux au ciel avec lassitude. « J'ai mieux à faire que de toujours surveiller qui pourrait m'entendre. Ça m'épuise rien que de te voir aux aguets. C'est pas un mot qui causera ma mort, mais une belle lame ! »

Ce fut au tour de l'aînée de rouler des yeux. Il la regarda grimper sur le dos de l'invocation d'Ignis, fier de lui et amusé.
« Bon et sinon, la femme de tout à l'heure, il s'agit de la baronne Blanchecime. C'était une sacrée duelliste il y a une dizaine d'années. Les gens ne savent pas grand-chose de plus à son sujet, mais je ne pense pas que ce soit une ennemie. »

Sa sœur expira longuement en se calant sur sa monture simiesque. « Non, en effet. »

Jie lui adressa un regard perplexe en se reculant. Il ne pensait pas que la bretteuse s'occuperait personnellement de son adversaire, étant donné l'effort à l'épargner.

« Pourquoi tu l'aides ? »

Un premier sourire sincère, évidemment ténu, émergea sur les lèvres de l'épéiste. Une parole chevaleresque lui revint en tête. Elle avait détesté l'entendre. Peut-être.

« C'est une guerrière de talent. Il serait dommage de laisser gâcher un tel potentiel. »

Le chercheur de reflets s'élança enfin. Les battements du coeur de Qilin l'incitaient à lui demander d'accélérer l'allure. Elle n'osa pas les verbaliser. La présence du fils des lumières l'apaisait autant qu'elle l'indisposait. Le silence accompagna leur marche, hormis les directions données. Elle ne souhaitait pas s'ouvrir. Ni partager. Cet enchaînement d'évènements se cumulait à la présence de sa métamorphose et la laissaient dans une profonde incertitude. Le parfum sauvage qui chatouillait ses narines ne l'aidait pas à souffler. Sa prise sur la crinière argentée se resserra. Elle ferma son esprit. L'histoire n'était pas finie.

À leur arrivée, la rouquine fut rapidement prise en charge. Descendue du confortable dos d'Amko, Qilin lui adressa ces quelques mots.

« Merci. Je t'appelle si nécessaire. »

Puis elle s'engagea dans le bâtiment. Un homme la héla. Il la rattrapa dans les couloirs où elle s'engageait déjà.

« Mademoiselle Lù ! » Puis il avisa l'armure de cuir aux couleurs et dorures caractéristiques. « Pardonnez-moi, Capitaine Lù. Messire Kor'lenter vient tout juste de partir. »

La jeune Lù resta impassible. Son ton se fit plus autoritaire qu'à l'accoutumée en ces lieux. « J'ai simplement besoin qu'on s'occupe de cette femme. »

Son interlocuteur s'exécuta. Le statut de "femme fréquentée par le patron" comblait l'écart entre le domaine médical et militaire. Qilin n'en avait jamais usé jusqu'ici. Une fois Rymaïn installée sur un lit, elle fut tenue à l'écart par le personnel qui l'examina. Elle tira la gourde de la comtesse et la donna à une femme qui en versa le contenu dans un récipient en verre. Des feuilles pourpres se mélangeaient au liquide.

« Du MistyMind. C'est la base de tout cocktail visant à incapaciter quelqu'un. On va regarder tout ça pour déterminer précisément ce qu'elle a bu. Aucun tremblement, aucune rougeur ni gonflement. Surtout de la fièvre. Elle n'est pas en danger, ne vous inquiétez pas. »

Le Sanza Royal leva le menton dans un discret soupir. Il faillit sortir les griffes à la mention d'une éventuelle inquiétude puis se ravisa. La détente de ses épaules à cette annonce suffit à calmer son ego. Ses pupilles fendues fixèrent la solution transparente préparée par la médecin. Le produit avalé par l'inconsciente, celle-ci se retourna vers la soldate.

« Je lui ai administré de quoi atténuer les symptômes les plus graves.
Il n'y a pas grand chose à faire excepté attendre que la fièvre redescende. »

Le félin s'interposa en la voyant préparer un linge humide. « Je vais le faire, merci. » Il y avait eu assez d'inconnus autour de la guerrière aux masses pour un mois entier.

La femme acquiesça avant de s'éclipser. Elle prit soin de fermer la porte de la petite chambre, les laissant seules à l'intérieur. Qilin s'assit au bord du lit et posa le sac à ses pieds. Rymaïn avait été dépossédée de son armure et de ses bottes. Une main fine releva la température de son front avant d'y apposer soigneusement le tissu humide. Les étranges peintures ornant son corps se révélaient davantage avec sa tunique bleue. Sa gorge avait été découverte pour dégager ses voies respiratoires.

Au bout de quelques silencieuses minutes, de longs doigts s'aventurèrent à dégager son visage balafré. Puis à détacher ses cheveux. Ils rencontrèrent une aspérité inconnue. La noble reposa le linge pour faire délicatement pivoter sa tête. Un étrange symbole garnissait la nuque de la rousse. Un autre mystère gravitant autour de sa singulière personne.

Le tissu recueillit à nouveau les infimes gouttes de transpiration qui naissaient sur la peau joliment hâlée. Installée ainsi, avec l'inconscience pour seule compagnie, la fille Lù jouissait d'une étrange sérénité. Elle se laissa guider par des souvenirs épars, déliés afin de ne rien peser. L'ongle de son index glissa sous le haut foncé et traça une cicatrice invisible sur la hanche immaculée de la belle endormie.

La peintre contempla son œuvre dans un sourire songeur. Le pinceau reprit son chemin plus haut, et suivit avec douceur les motifs déjà présents. Un faible gémissement perça la bulle de l'artiste, qui retira immédiatement ses doigts.

Codage par Libella sur Graphiorum
Crédits Image - Zezhou Chen

Entre esprit et escrime, un duel
en toute inimitié?

Rymaïn & Qilin ∴ Lüh ∴ Ignis 59

Une voix familière retentit, indistincte, qui éveille le sel de l'amertume au même titre que la douceur d'un plaisir éteint. Puis, le sol se dérobe sous ses pieds. Dans une dernière envolée, le décor fait une embardée violente, avant de déposer un linceul d'une profonde noirceur sur le moindre de ses sens.

Sans conscience aucune, la nordienne passe d'un corps à un autre. Le grand singe ajuste avec douceur et habilité l'être à la chevelure aussi flamboyante que les rayons de son père. Placée sur son dos, elle se trouve à présent maintenue par la présence de Qilin qui s'installe derrière. A l'écho ténu de battements plus hâtifs, son pas s'accélère sensiblement, conservant une même fluidité pour le confort de ses charges. Si le fils du feu ne possède des événements qu'un souvenir dépourvu de couleurs, un intérêt se faufile au coeur de ses pensées. Une curiosité. Le silence qui les lie semble... Les délier. Finalement, l'enfant divin se fait reflet identique de la divine enfant. Imperméable. Distant. Ses raisons sont autres, mais qui sait vraiment?


Quelques rares bribes de réalités incertaines s'infiltrent en elle. Des sons, des voix, des images... Son esprit ne répond plus à aucun de ces derniers. Sa tête lui paraît lourde, puis soudainement lointaine, comme détachée de son propre corps. Quelqu'un l'allonge sur un lit, son armure lui est retirée. Mais rien de tout cela ne pénètre l'obscurité épaisse du gouffre dans lequel la rouquine à chuté.

Peut-être que la fraîcheur sur sa peau brûlante finit par apaiser ses maux ? Ou peut-être pas, mais causer un début de... Lucidité ? Non, aucune donnée ne prend forme concrètement, les événements récents ont été rayé de ses souvenirs. Tapis, dans l'ombre d'un délire progressif qui ronge tout son être enfiévré. Une douceur particulière effleure son corps, impalpable, au départ. Mais la douleur qui étreint sa chair à cause de la drogue se manifeste, et soudain se mêle à la sensation ténue, pour créer un alliage étrange qui ouvre ses sens au réel... Pas vraiment, le réel dans lequel son esprit est plongé demeure opaque et décalé.

La sensation est agréable, réconfortante, elle dissimule presque son mal. Elle donne naissance à un éveil progressif où se délie la caresse de souvenirs singuliers. Sa main s'est lentement levée, avec une force à peine recouvrée, l'espace de quelques instants. Le temps de saisir, du bout des doigts et avec une douceur infinie, le poignet qui s'éloigne de sa peau. L'appel du murmure résonne faiblement dans l'atmosphère feutrée de la pièce vide.

"...Nérée?"

Les doigts relâchent aussitôt leur prise, effleurant la peau au passage, dépourvus d'énergie. Rymaïn plonge dans un état semi-conscient, les paupières closes. Son souffle est irrégulier, elle a la sensation que chaque fibre de son corps lui fait mal. Elle remue de temps à autres, comme saisie par de légères douleurs, on peut aisément la croire aux prises avec un cauchemar qui se fait rêve par moment.

Codage par Libella sur Graphiorum
Crédits img : Lily Abdulina