Toujours plantée à l'intérieur du box, la nordienne semblait s'être perdue dans l'incompréhension. Certains esprits constateraient un juste retour de situation. Le sourire de Qilin s'atténua lentement. Elle savait la nordienne apte à répliquer verbalement, mais ne désirait nullement rebondir sur cette étrange interruption.

Accordant beaucoup de soin au traitement de son corps, elle s'attaqua délicatement à la paille intrusive. Un petit savon reposait non loin, sur les remparts de pierre. Elle s'en saisit pour agrémenter le nettoyage de son derme. Laissant ses pensées dériver loin de sa conscience, elle resta accrochée à Rymaïn. Ses lèvres pulpeuses s'étirèrent indiciblement. Absorbée par son absence, elle l'entendit à peine approcher.

Le temps de réaction lui permit seulement de relever le fief avant d'accueillir un doux baiser. Son abdomen se souleva jusqu'à comprimer son diaphragme. L'instant dura moins d'une seconde. Ce fut suffisant pour vider les poumons et l'esprit de l'épéiste. La rousse s'agenouilla dans son dos. Le contact la fit frissonner. Son être se crispa sensiblement. Un curieux écho attrapa sa psyché. La voix caressa chaudement sa nuque. Une teinte carmine colora subtilement ses pommettes.

Qilin la laissa faire. Le silence les berça toutes deux. Chaque toucher éveillait son appétit et l'apaisait simultanément. Ce désir serein allongea sa respiration et détendit progressivement ses muscles. Rymaïn était trop inaccessible à son goût, mais elle s'en contenta. Sa main gauche vint enserrer son genou, l'autre lui servit d'appui, et la jambe correspondante s'étira de tout son long. Un soupir satisfait conclut sa posture.

L'interrogation attira son regard sur une pierre de lave servant au système de filtration. Sans la voir, ni s'en décrocher, il plongea dans les méandres de l'eau devenue ancrage mémoriel. Qu'aimait-elle faire, enfant ? La fille Lù revisita ses années d'entraînement martial. Satisfaisant mais sans intérêt, la nordienne avait probablement vécu pareil mentorat. Et puis, elle touchait déjà à l'adolescence.

En remontant plus loin, les souvenirs s'avéraient plus ténus. Certains détails ressortaient avec force, et silence. Les leçons de sa mère comme de ses précepteurs. La compagnie taciturne de Kersès. Quelques tentatives d'escalades. Le défilé des mondanités. L'ignorance de ses sœurs. Les murmures des servantes. Les fumets des cuisines. Les vapeurs d'alcool et de tabac. Les rideaux pourpres. Les longues heures à être coiffée. Les doigts tâchés de peinture. Elle lâcha inopinément, au bout d'un certain temps.

« Observer. »

Puis émergea de sa léthargie.

« Pourquoi cette question ? » Le buste de la noble pivota. Rymaïn figurait à présent au coin de son champ de vision. Les lèvres de la brune s'étirèrent à demi. Ses paupières se plissèrent. D'abord innocent, son timbre se para de malice et prit de la hauteur au fil des mots. « A-t-elle un rapport avec les deux enfants venus me zigouiller ? »

Empreinte d'un mystère où se distillait savamment la malice, la réponse à son interrogation excita aussi bien ses sens que ses nerfs. Un rictus courba brièvement l'arrête de son nez. Attiré par la main de sa belle, Qilin offrit un brin de résistance malgré elle.

La morsure joueuse aiguisa son désir d'un coup tranchant. Son corps accompagna soudain l'initiative. Maintenant agenouillée face à la nordienne, leurs visages à quelques centimètres, l'épéiste valsait des lèvres carmines au regard olive. La respiration courte, dans la chaleur de sa paume, elle percevait les pulsations de son cœur avec force. Chaque battement se détachait lentement, capté et maintenu en suspend par l'onde verdoyante.

L'envie de la posséder et de succomber à ses caresses grondait. Un sentiment différent comprimait sa poitrine. Un éclair de lucidité paralysa son être une seconde. Rien ne faisait et ne ferait jamais le poids. Ce sentiment était unique, suffisamment sourd pour taire le reste. Une seconde question la faucha plus délicatement, comme une fleur cueillie. Le silence fut happé, puis relâché dans un souffle pesant mêlé d'un étrange éclat rieur.

La noble se défit difficilement de l'étreinte visuelle. Les pupilles sombres naviguèrent autour de Rymaïn sans parvenir à s'ancrer. Ses doigts lunaires, en revanche, longèrent les bras de la puissante guerrière avec sensualité. Elle se rapprocha en demandant sur une note taquine :

« S'agit-il d'un échange équitable ? Une question chacune son tour ? Que je sache dans quoi je m'engage… »

Sa poitrine effleura sa jumelle. Sa main trouva prise sur la nuque de la rousse, l'autre siégea sur son épaule. Ses lèvres dévorèrent les millimètres restants… puis se stoppèrent. Malgré elle. Qilin se recula pour observer calmement la nordienne. Le silence reprit ses droits. Elle dégagea plusieurs mèches derrière son oreille, caressant sa tempe au passage. Ses phalanges empruntèrent la ligne moins dure qu'il n'y paraissait de sa mâchoire. Du bout des ongles, elle s'attarda sur sa cicatrice sans l'éprouver.

« Tant de choses. »

Le murmure à peine audible échappa de justesse au timbre rauque. L'ébène intense plongea dans la canopée de ce regard si généreux. La fille Lù enchaîna plus haut, la voix presque distante, pleine de douceur.

« Au-delà la violence, de la confusion… derrière tout ce chaos… il y a quelque chose de pur en toi, Rymaïn. » Qilin inspira.

Mais elle ne semblait posséder assez de souffle pour finir. Elle combla l'espace séparant leurs lèvres. Sur ce baiser tendre et appuyé, elle se retira. « Assez de questions. » Première surprise par la sécheresse de sa réplique, la soldate détourna le regard. Noyée dans l'onde aqueuse, elle ne masqua pas la faille ténue, fébrile, dans sa voix. « Je t'en prie… »

Rattrapée en pleine fuite, Qilin succomba au confort de cette prise. Son regard chancelant se lia aisément au bienveillant. L'esquisse d'un pardon fronça ses sourcils bruns. L'incompréhension scella ses lèvres le temps que l'excuse arrive à son terme. Les émotions de sa belle sauvage, relativement enfouies plutôt que dissimulées, ricochèrent sur les siennes.

L'entendre se blâmer autant électrisa l'intégralité de son système d'une décharge impérieuse. Elle outrepassa le chaos de ses propres sentiments pour la rassurer d'une voix suave. « Rymaïn, non…  » Ses lèvres gagnèrent leur paire. Elle saisit la main aux infimes cals dans la sienne pour la serrer fermement. Il fallait absolument la défaire de cette culpabilité. « C'est faux ! Je… » t'interdis de dire ça.

L'écho la frappa en pleine poitrine. Son esprit cessa de fonctionner. L'odeur de la mer imprégna l'atmosphère. Le roulis des vagues implacables montait jusqu'à ses oreilles. La fille Lù inspira. Paupières closes, elle expira longuement avant de les rouvrir un court instant. Sa paume libre glissa sur le faciès incertain de la rousse, puis sur sa nuque. Son front se cala lentement contre le sien. Douce mais engagée, sa voix s'éleva. « Ce n'est pas de ta faute, d'accord ? » Sa respiration, rendue audible par leur proximité, paraissait lutter. « C'est moi qui… »

La conclusion tomba dans le silence, avec un soupir pesant. Sa tête tangua légèrement de chaque côté. La soldate ne s'avouait pas vaincue pour autant. La fatigue ne bridait pas sa détermination.

« Je te l'ai dit. Tu es parfaite. »

Elle embrassa la nordienne tendrement, se dressa pour prolonger l'échange avec fougue, retrouva sa cavalière pour une danse passionnelle. Et se recula vivement. D'un geste habile, Qilin envoya une gerbe d'eau sur son amante. Un sourire coquin étira le coin de sa bouche pulpeuse.

« Je t'aide. Tu en as bien besoin vu toute la paille qu'il te reste. »