Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

De retour au Roc d'Eluan, la soirée clôture cette escapade en terre familière. J'aurais aimé resté bien plus longtemps. La brume de la plaine où nous sommes installé a quelque chose d'amer. A la regarder. Elle nous camoufle certes, mais nous cache bien des choses également. Je m'y ferais, mais le paysage des Landes Nord me manque terriblement. J'en ai pris douloureusement conscience. Nous devons malgré tout rentrer, cela fait trop longtemps que nous sommes parti.

Pourtant, le bateau qui rejoindra Oagran ne partira que demain. Nous voilà donc à devoir patienter encore un temps dans cette auberge un peu malfamée, comme tout ce qui animait le Roc en vérité. Une seule chambre, par soucis d'économie. Amalrik dort par terre comme il le fait souvent et laisse au Tréant le deuxième lit. Pour ma part, le sommeil n'est pas de mise et pour cause.

En arrivant au Roc, comme on l'avait fait pendant les prémices de la révolte à Rorn, un homme m'avait percuté en laissant un papier derrière lui. Une invitation y était manuscrite, à le rejoindre à une tardive dans la salle du rez-de-chaussée de l'auberge où nous étions. J'espère que ce n'est pas le même, auquel cas je rebrousserais chemin aussi sec.

Je quitte alors mon lit, dans lequel je suis presque toute habillée, enjambe Amalrik et attrape ma cape accrochée au mur. J'enfile mes bottes, aussi discrètement que possible et alors que j'enclenche la poignée de la porte, les ronflements du Protecteur s'arrêtent net, moi avec. Il chuchote à mon encontre.

❝ Où tu vas ? ❞

Il me répond d'un bref grognement digne d'un ours et se rendors de plus belle. Autant qu'il le peut du moins. En tant que Protecteur du Tréant, il n'était jamais assoupis complètement. La preuve en est. Je referme donc la porte derrière moi. Ne disposant plus de la dague du Démon, c'est une hachette qui pends à ma ceinture, au cas où.

De quelques pas, j'arpente l'escalier et me rapproche du bruit ambiant des buveurs du coin. L'avantage du Roc comme de Oagran, c'est qu'évoluer encapuchonné n'attire pas l'attention plus que ça. Personne n'a vraiment fait acte de ma présence jusque là de toute manière, si ce n'est mon rendez-vous qui ne saurait tarder. Normalement.

Je balaye la salle des yeux, note une silhouette chétive dans un coin et me demande ce qu'une cible si facile fout là. Très peu pour moi. L'auberge n'est pas grande, il y a à peine une dizaine de table dans la salle et la moitié d'entre elles sont complètes. Je commande donc une bière auprès de l'aubergiste et m'installe, moi aussi, dans un coin.

J'attire quelques regards et rumeurs sur le chemin. Oui. Même ici ma réputation pourrait me précéder. Moins qu'à Kelder sûrement. Peu importe, j'ai autre chose à faire qu'à rétorquer. Assise en silence, j'attends en avalant quelques gorgées et observe distraitement. Un peu plus intensément la frêle silhouette qui me fait face au loin. Le temps avance lentement, pas le taux d'alcoolémie ambiant. Les voix éclatent, les rires gras les accompagnent. Rien d'anormal. La suite non plus.

Un gars un peu bourru, pas très grand, châtain et barbu se lève de sa chaise. Motivé par sa tablée, il s'approche de la cible facile. Mes dents se serrent autour du bois de ma choppe, vissant mon regard sur ses agissements. Je n'avais pas discerné de quel genre elle était, mais lui si visiblement. Après l'avoir reluqué pendant de longues minutes.


Un rire gras à gorge déployée s'invite à son entrée. Il tire la chaise devant lui dont les pieds grincent sur le sol boisé. Il la tourne et s'installe lourdement dessus, reposant mollement en avant sur le dossier.


Il approche son visage du sien, sans délicatesse et mène sa main jusqu'à sa capuche, avec la ferme intention de découvrir les traits en dessous. A ses côtés, je surgis et le surplombe, dardant sur lui un regard sombre sous l'ombre de ma capuche. J'ai traversé la salle d'une traite après avoir déposé bruyamment ma choppe sur la table. Dans ces moments là, me contenir est difficile.


Camouflant mon arme, j'étais prête à lui sectionner le poignet d'un coup de hachette. Ce genre de nuisibles, moi je les découpe et les fait supplier ma clémence. Il n'en a probablement pas conscience en l'instant. Agacé par mon intervention, il grogne, se lève et me fait face. A peine plus grand que moi. Sans ciller, je garde le silence jusqu'à ce qu'un de ses congénères vienne à sa rescousse. Il l'attrape par le bras et le ramène jusqu'à leur table, lui soufflant un avertissement que je n'aurais mieux évoqué moi-même.


Je suis leur retraite du regard et les fixent un instant. Oui. Même ici, ma réputation peut précèder. Faire dévorer vivant un ennemi avait de quoi faire jaser. Pas sûr que ça sera toujours à mon avantage. Je relâche quelque peu la poigne sur ma hachette, sous ma cape, mais pas mes yeux vers eux. Le temps qu'ils finissent de se détourner complètement.

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

Gonflée par l'orgueil de mes prouesses macabres, j'en oublie presque la présence de la cible facile non loin. Ses courts remerciements provoquent une sorte de sursaut imperceptible, reprenant subitement conscience de son existence. Ne lui accordant qu'un rapide regard, je préfère m'assurer que les ivrognes n'en profitent pour une attaque en traître. Pas tout à fait habituée à avoir cet effet sans violence, je compose avec prudence. Demeurant donc dans le même positionnement, Je croise mes bras sous ma cape et réponds d'un ton probablement un peu sec, à la demoiselle qui s'aventure seule en ces lieux mal fréquenté.


Quelque peu maternaliste, voir excessivement. La probabilité qu'elle sache se défendre m'échappe totalement. Et pour cause, face à son soupirant, elle n'avait pas rétorqué le moins du monde. J'avais donc quelques réserves la concernant. Pourtant, son accent semble familier. Elle n'est sans doute pas étrangère à la réputation de ce patelin pavé d'épaves. Qu'elles soient de chair ou de bois. Alors pourquoi risquer sa vie pour un moment de solitude ?


Il y avait peut-être une pointe de curiosité, mais bien peu suffisante pour me faire rester. En réalité, la raison de ma présence est simplement la probable idiotie de partir. Voler au secours d'une inconnue et, la seconde qui suit, la laisser à nouveau seule ? Comme si un simple avertissement suffisait à tenir éloigner tous les salopards du coin ? L'ennui, c'est qu'avoir mis le pied dans le plat ainsi, j'en sortirais sans doute difficilement.

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

Je sers nerveusement les dents, sans que le rictus sur ma mâchoire ne se perçoive sous l'ombre de ma capuche. Oui, j'étais intervenue et à l'avenir, il faudrait peut-être que je m'abstienne. Des ennemis, je m'en fais à chaque pas, je n'ai pas besoin de petites frappes dans le dos. L'ennui, c'est que c'est souvent plus fort que moi. Comme cette fois là à Oagran. Erin, ou encore Arianna. Des souvenirs un peu lointains, mais pas si vieillissant pour autant.

Un sourcil se soulève et une moue tord mes lèvres. Vingt. Elle me surestime. Mon attention se détourne de la tablée pour pointer mon vers elle, qui n'a pas tord. Il vaudrait mieux s'éloigner d'ici cela dit, Amalrik et Dankrad sont là. Il fallait quoi qu'il en soit que j'y revienne. Mais elle ? Est-ce que j'allais devoir l'accompagner jusqu'à ce qu'elle soit en sécurité ? Ma respiration se bloque une seconde quand elle s'invite plus près de moi. Je me braque, la suis du regard. Puis un soupire fataliste s'arrache de mes poumons, avant de la suivre.

Jetant un œil derrière moi, je traverse l'encadrement de la porte à sa suite. Je croise alors mes bras sous ma cape et jauge l'horizon au silence nocturne. J'assouplis légèrement ma nuque avant que mon visage ne pivote vers elle. Fronçant les sourcils, je peine à comprendre où elle souhaite en venir. N'a t-elle pas entendu l'avertissement du congénère de son soupirant ? Ma babine se retrousse.


Littéralement, ce n'est pas moi qui dévore qui que ce soit. Mais elle fait peut-être référence aux bruits de couloirs concernant les Nordiens. Cela m'importe peu.


C'était déjà beaucoup. J'ai rendez-vous ici et même si je n'en connaissais pas l'importance, je n'avais pas particulièrement envie de le louper. Surtout pour une énième prise de position comme celle-ci. A nouveau, mon regard navigue dans l'horizon. L’atmosphère du Roc n'était jamais confortable et que ce soit elle ou moi, même à deux, il ne valait mieux pas rester planté. Je capte un instant son attention et l'invite à se mettre en marche d'un bref mouvement de tête.

Pas particulièrement avenante, depuis un temps je me méfie de tout le monde et elle ne fait pas exception. Ma tête valait son pesant de tsuris après tout, avec des inconnus rien n'était moins sûr.

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

Un voyage ? Quel voyage ? De quoi parle-t-elle ? La mine froncée et incommodée par le flou qu'elle me sert, je me tourne vers elle en quête de réponse. Sans lui servir les miennes. A mesure que ses paroles énigmatiques s'écoulent, je comprends que je ne lui suis pas étrangère. Elle aussi m'a reconnue ? Mes babines se froncent dans une grognement sourd. Il faudrait peut-être que j'envisage de porter un masque en public, maintenant que mon visage était trop connu. Comme Ezelya qui avait l'avantage d'avoir caché sa véritable identité jusque là. Est-ce que dans l'autre sens cela serait aussi efficient ? Le regarde détourné et prise de réflexion, j'en oublie ses sous entendus.


Était-ce là une manière de lui faire peur ou simplement un trait d'esprit ? Moi-même j'en étais peu certaine. A vrai dire, je ne connaissais pas le récit exact des rumeurs qui courraient à mon sujet. Il était visiblement de notoriété public que je sois friande de châtiment particuliers. Mais jusqu'ici, c'est à peu près tout ce que j'en sais. Arrachée à mes réflexions, je me tourne dans un sursaut brusque vers elle.

Presque horrifiée par ses mots, je prends quelques secondes avant de lui répondre, une colère s'insinuant lentement dans ma gorge à l'écho d'un grognement. Durant quelques secondes de mutisme, je l'observe. Était-ce de la bêtise ou de l'innocence pure que de penser tout ça ? Elle avait un protecteur absent et se sentait libre de déambuler seule au Roc ? Avais-je à faire à un cas aussi désespéré que ça ? Je soupire longuement et nerveusement avant de lui emboîter le pas.


Je devais me rendre à l'évidence, je ne pourrais me résoudre à laisser cette jeune bibi seule avant qu'elle ne retrouve son « protecteur ». Alors à nouveau, je soupire allègrement à l'idée de me confronter à ce dernier, avec l'envie viscérale de lui apprendre la véritable définition de la protection. J'avais aussi l'impression d'avoir besoin d'enseigner deux trois choses à la dame que j'escorte.

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

Svartal. Il y a huit ans. Allons bon. Je n’avais pas la mémoire si efficace que la sienne apparemment. Néanmoins, elle avait suffisamment piqué ma curiosité pour que j’y fouille. Et après quelques instants de réflexion, perdant l’attention que j’avais pour ses mots, je retrouvais enfin les brides de souvenirs de cette rencontre. Jusqu’à ce qu’elle évoque la douceur de la mort en guise de justice. Je grimace légèrement et secoue la tête en signe de négation. Elle avait tort. Il y a bien mieux.


Des mots qui se muent en un murmure presque inaudible à une oreille, même attentive. La mort est rarement suffisante. Elle est une finalité, pour s’assurer de l’absence de la victime. Mais en aucun cas elle ne suffit à apaiser un cœur endolori. Surtout si la fin n’est pas donnée de sa propre main. Mais peu importe, un débat philosophique sur la vengeance n’avait pas vraiment lieu d’être ici.

Lieu, qui, comme elle le demandait, est sinistre oui. Je me contente d’acquiescer silencieusement, préférant la discrétion à une longue discussion. Surtout à cette heure et dans cet endroit. Je notais pourtant aisément ses frissons. Ils ne m’inspirent rien de bon, comme si je prenais davantage conscience encore du poids qu’elle était en cette nuit sombre. Et de sa naïveté, par-dessus le marché. Idiotie peut-être. Un rire nerveux m’échappe.


Ah, voilà la mémoire qui s’éveille. Je me souviens plus clairement de la sensation à la vue de cette scène. Injuste, même sans en connaitre véritablement le contexte. Elle revenait. J’avais envie de lui en mettre une et de la secouer, elle. Comme maintenant. Et il était difficile de me contenir. Nerveusement donc, j’intensifie notre allure, balayant du regard l’horizon à la recherche d’une maison de passe. Si c’était vraiment l’endroit où il se trouvait évidemment.

Mes pas claquent sur le pavé et m’éloignent d’elle, jusqu’à ce que je m’en aperçoive. Je m’arrête alors, pivote vers elle et m’en approche. J’attrape fermement son poignet fin et l’incite à me suivre, adaptant mon allure malgré tout. Pourquoi fallait-il toujours que je me mette dans des situations pareilles ?

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

Justifiée ou pas, selon elle ou non, ce souvenir tapisse mon palais d'un goût amer. Le passé appartient à d'autres et aujourd'hui je n'y pouvais plus rien y faire. Alors plutôt que de remuer certains ténèbres, mieux valait affronter les prochains. Elle avait au moins raison sur un point : elle n'est pas faite pour le Nord. Il n'y a qu'à la regarder pour le comprendre. Pourtant, la suite se déroule avec un étonnement grandissant avec les secondes qui s'écoulent.

Après plusieurs enjambées, je sens le poids mort me retenir et freiner mon avancée. Je gronde d'abord, avant de me retourner vers elle pour cerner son attention toute portée à un édifice en particulier. Des lanternes rouges. Il me semble qu'elle en avait parlé. Soudainement, elle se transforme. Je l'observe comme une spectatrice immobile, alors que sa voix et ses gestes semblent emprunter ceux de quelqu'un d'autre. Ou les siens, véritablement. Ils sont... subitement envoûtants. J'avale ma salive alors qu'elle évoque la possibilité de fréquenter un bordel, pour une femme. J'y avais déjà mis un pied, il y a des années. C'est là bas que j'avais découvert mon attrait pour mon genre. Et je me remémore ce souvenir en l'épiant.

J'en oubliais presque le reste, avant qu'une voix bourrue, à peine féminine, s'adresse à elle. Revenant à la surface, j'accueille cet échange avec surprise, mais surtout incertitude. Tout ça ressemblait étonnement à un piège. Elle m'avait attirée quelque part et voilà qu'elle semblait soudainement y faire à merveille. Tout ça ne me disait rien qui vaille. Une grimace amère torture mes lèvres alors que mon regard se part de méfiance. C'est ainsi que j'accueille l'attention de la femme qui nous fait finalement entrer. Me voilà donc capturé dans un tourbillon de faux semblant et d'entourloupe. Tout ça pour répondre à mes puérils instincts.

Optant pour le silence afin d'assurer ma bonne tenue, j'emboîte le pas de la bibi qui n'en était plus vraiment une. J'étais réticente, mais malgré tout je m'y aventurais. Le tenancière referme la porte derrière nous et je tente de mettre de l'ordre dans mes idées. Selon ce que j'avais entendu, la demoiselle avait l'air de faire partie de ce monde là, d'une manière qui m'échappe. C'était le genre de condition qui avait le don d'attiser ma colère. Par principe. J'avais haïs Erin pour ça. Et pour elle non plus, ça ne me regardait pas. Tout me poussait à l'y arracher, mais il valait mieux ne rien en faire. Je n'étais personne pour me le permettre.

Derrière elle, je me penche à peine pour murmurer discrètement à son oreille, une fois que la tenancière s'est suffisamment éloigné pour ne plus pouvoir nous épier.


Une mise en garde plus qu'une menace. Si jamais ça tournait mal, je trouverais bien le moyen de m'en défaire. Je me redresse et observe les lieux silencieusement. A peine plus fréquenté que l'auberge. Quelques uns se tournent vers nous avant de revenir à l'objet de leur convoitise. Une ou deux demoiselles étaient là, à chercher une bourse sur laquelle mettre les doigts. Je grimace et emprisonne un grondement.


Une once d'amertume peut-être, après avoir été dupée par son apparente fragilité. Ce qu'elle devait comprendre à demi-mot, surtout, c'était mon détachement. Je n'étais là que pour la mener à quelqu'un d'autre, pour rien d'autre.

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

Je lui offre mon silence en guise de réponse. Non par dédain, mais par considération justement. Si j'avais pris la peine de lui donner mon avis concernant ce qu'une femme devait faire ou non pour survivre, il y avait tout à penser que la conversation finirait aussi tourmentée que celle que j'avais partagé avec Erin. Et même si me la remémorer torture mes lèvres d'une grimace amère, j'essaye tout autant de ne rien en faire. De l'eau avait coulée sous les ponts et je n'étais pas aussi impulsive que par le passé. Du moins j'en avais l'impression.

J’emboîte alors son pas, en silence, dardant un regard sombre à celles qui s'aventuraient à le faire à son encontre. Je m'étais moi même placé en tant que chaperon et l'instinct me tirait vers ce genre de réaction. Mais à nouveau, les événements m'échappent et se déroulent devant moi comme une pièce à laquelle je ne participe tout simplement pas.

Nous voilà dans un bureau que je scrute d'un regard circulaire, sous l'ombre de ma capuche qui camoufle le regard amer que je lance à notre hôte. Son ton sec et moralisateur, qui perce mon identité à jour, me crispe. Je n'en montre rien, peu intimidée par ses paroles. Je conserve un silence de plomb en apprenant le nom de la bibi et de son protecteur, et qu'elle... Paierait ma prime ? Quoi, son équivalent pour pouvoir rester ? Es-tu si riche que ça Sintharia de Val pour te permettre ce genre de dépense inutile. J'aurais voulu l'arrêter, assurer à la menaçante qu'elle n'y parviendrait pas, mais leur conversation se déroulait comme de la musique, sans que personne ne puisse interférer.

Dix milles par jour ? Cette fois-ci je ne peux retenir un grognement, aussi discret que possible. Sintharie finit par quitter la pièce et avant que je ne concède à la suivre, Mes yeux pèsent quelques instants sur cette femme qui venait de lui soutirer trente milles tsuris. Et ce n'était qu'un début visiblement. Sans me préoccuper du sentiment qui m'anime, mon regard se pose sur Sintharia d'un air sombre. Mon silence s'accorde au sien, jusqu'à ce qu'elle le rompe, éveillant quelques tumultes qui libèrent un tintement ironique.


Pas si mal ? En devant débourser autant ? Avais-je affaire à une marquise ? Si c'était le cas, mon jugement risquait d'évoluer. Mais comme attirée par une force invisible, je la suis comme si de rien était jusqu'à la chambre qui lui est attribuée. Restant un instant dans l'encadrement de la porte, je me questionne sur ma présence ici. Je n'avais plus rien à faire à ses côtés normalement, du moins les événements le laissaient à penser. Étrangement je la fixe en silence alors qu'elle s'affaire, prêtant peu d'attention à sa chambre.

Mais voilà qu'elle commence à se dévêtir. Une espèce de sursaut me fait avancer et fermer la porte derrière moi, sur laquelle je m'adosse. N'importe qui pourrait passer par là et moi, je m'y engouffrais sans retenue. L'attraction était étrange, mais bien là et de nouveau, mon regard insiste en scrutant ses mouvements.

La situation me semble plus confortable pour moi. J'étais dans une chambre en compagnie d'une femme qui semblait n'avoir que faire de la criminelle que j'étais. Ou qui, du moins, n'en avait pas peur. Ce qui ne me rassurait pas sur sa manière de choisir son entourage. J'abaisse alors ma capuche discrètement avant de croiser les bras, en profitant du spectacle qui s'offre à moi.


Et j'aurais aimé lui faire ravaler sa salive, mais à bien y réfléchir, cela n'aurait pas été dans son intérêt. A Sintharia. Si j'avais provoqué la matrone, elle ne lui aurait sans doute pas offert le gîte. Enfin, offert est un bien grand mot dans ce cas précis. L'affaire était conclue et malgré tout, je reste planté là, à observer une femme se déshabiller, alors qu'un flot de question inonde mon esprit.


Question de curiosité, ou de surprise. J'avais rarement eu à faire à quelqu'un prêt à débourser autant simplement pour s'assurer qu'on ébruiterait pas sa situation. Et même si elle m'était presque inconnue, la voir lancer des milliers de tsuris sans retenue m'anime d'une amertume grinçante. Visiblement, nous ne sommes pas du même monde et sommes loin d'avoir les mêmes problèmes.


Difficile d'en juger, sans avoir tous les éléments. Je n'avais cependant ni besoin ni envie de tous les connaître. L'important était surtout de savoir si elle s'estimait réellement en sécurité ici ou non. Je devais m'en assurer, par principe. Ou tout ça n'aurait été qu'une pure perte de temps. Et d'argent. A part pour mes yeux évidemment.

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

Un sourcil levé teinte mon regard d'un air quelque peu dédaigneux face à tant d'épaisseur à défaire. De quoi freiner n'importe quel élan charnel, provenant d'un homme en tout cas. Quelque part, ça devait avoir ses avantages pour une dame de rang comme elle. L'amertume d'une telle révélation fait rouler mes yeux, mais le froissement d'un tissu léger en approche les attire à nouveau vers elle. Mon corps se tends discrètement, mes bras se décroisent sous ma cape, comme pour accueillir son avancée. Presque nue, je peine à traduire son approche, alors que mes doigts se crispent d'une envie de la saisir. Son souffle m'offre la réponse à sa propre question, avant de s'éloigner et d'attiser une certaine frustration.


Justement parce que j'étais une inconnue. On peut bien se permettre tous les sacrifices du monde pour nos proches, ceux qui ont de l'importance. Mais pour de vagues souvenirs, il en était autrement. Je taisais cette pensée, adhérant malgré tout à la suivante. Face à la vie et à la liberté, l'argent n'avait que peu de poids. Je peux au moins lui concéder ça, d'un faible hochement de tête seulement. Et à nouveau, ma contemplation arme à nouveau mon regard. Ses gestes envoûtants reprennent leur œuvre et remplissent un verre, puis un deuxième, que je présume être pour moi. Pourtant je ne m'avance pas dans l'immédiat, préférant encore observer et écouter de loin. Son récit m'évoque beaucoup de mépris, mais je me terre dans le mutisme. Elle s'assoit enfin et ce n'est qu'à cet instant que je me permets de m'en approcher.

Préférant la quitter du regard à la dernière minute, j'attrape le deuxième verre avant de le porter à mes lèvres et de le délester d'une large gorgée. Je grimace légèrement, peu habituée au goût du vin, mais en avale malgré tout une deuxième en écoutant ses propos. Ma vie était suffisamment étrangère à la sienne pour que je lui concède, là aussi, le pouvoir de juger ou non de ce qu'elle devait faire. Est-ce qu'elle aurait dû tripler la mise si nécessaire ?


Ma réponse est distraite, courte et sans fioriture. Je donnais rarement là dedans et la situation ne s'y prêtait pas du tout, de mon point de vue. Elle m'assure d'un sourire, je crois, que c'était bien le cas. Que pouvais-je y faire alors ? Rien, vraisemblablement. Alors plutôt que de dire n'importe quoi, j'avale une troisième gorgé en délassant distraitement le lien qui retient la cape autour de mes épaules. Nous n'étions pas encore en hiver, mais ce bâtiment était clairement mieux isolé que les habitations à Harask. Et la timide chaleur de l'alcool s'insinuait doucement. Avant que le nœud cède, je retiens la chute de la cape, pose le verre et termine de me libérer du lourd tissu que je dépose sur la chaise la plus proche. Dévoilant ainsi une tenue sans armure, de cuir et de lin, ainsi qu'une hachette à ma ceinture. Cela me rappelait que je l'inconscience dont j'avais fais preuve, de sortir si peu armée.

J'attrape à nouveau le verre et le porte à mes lèvres, presque vide maintenant, préférant rester debout pour le moment, bien que m'asseoir pourrait peut-être ouvrir certaines portes. Je pivote légèrement, lui faisant davantage face, alors que mes yeux se perdent et glissent sur ses cuisses entrelacées, avant de s'arrêter au milieu de l'une d'elle. Au même moment, elle m'assure être débrouillarde et en percevant la fine lame accrochée à sa peau par un lien de cuir, décelable sous sa chemise presque transparente, un fin rire s'échappe de mes lèvres.


Malgré la présence d'une arme, cela n'avait rien de particulièrement rassurant. D'autant qu'elle avait l'air si fragile qu'une peau un peu trop tannée pourrait la briser. Profitant de la proximité pour laisser mon regard fini son parcours jusqu'à son visage, ne m'attardant pas trop pour éviter de l'incommoder, je lui réponds simplement.


Sans même saisir mes propres pensées, ou si elles n'évoquent vraiment que son arme, mon regard s'intensifie dans le sien, alors que je porte une dernière fois mon verre à mes lèvres, avant de l'assécher complètement. Je semble m'être accommodé du goût, alors je quitte finalement la vue de Sintharia pour me resservir, disposée à faire de même avec le sien si elle me le tend.

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

La lueur dans son regard attise clairement quelque chose. Comme si elle savait où elle posait les doigts et il m'était difficile d'en décrocher. Jusqu'à lors, il est rare d'avoir fait la rencontre de ce genre de femme. La plupart que j'ai connu ressemblaient plutôt aux filles croisées en bas, ou à Astrid. Ou à moi. Sa seule manière d'être reflète un certain exotisme. Pour moi qui vit si loin du sud. Son rire est clair, adéquat, lui va à merveille. Même si elle me paraissait moins innocente que tout à l'heure, elle me semblait toujours être une chose fragile, susceptible de céder au moindre contact un peu trop brusque. Heureusement pour elle, je ne suis pas de ce genre là.

Un faible sourire répond à sa question rhétorique et à ses suppositions quant à ma dangereuse réputation. En effet, la confrontation ne serait pas équitable. Mais ce n'est pas dans une situation de combat que je voulais la tester. Ou poser ma main sur elle. En versant le liquide rouge dans son verre, je l'observe se remplir avec une certaine volupté. Et avec son niveau, je sentais les choses monter. Je repose la bouteille et attire mon propre verre à mes lèvres.


J'avale une gorgée, forçant le silence et l'évidence. Elle avait eu vent de ma réputation et ne la prenait pourtant pas en compte. Devais-je mettre ça sur le dos de l'innocence, de l'inconscience ou d'autres chose ? Finalement, je décide enfin de m'installer sur la chaise disposée presque en face de la sienne, légèrement en biais. Mon coude sur la table, mes jambes se croisent sans élégance et je la fixe, le verre au bord des lèvres.

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

Voilà ce que j'attendais. Une lueur, un éclat au fond de mes yeux scintille. L'attraction pour les femmes était bien différente de celle pour les hommes. Moins bestiale, moins viscérale et moins urgente. Beaucoup plus immersive et complaisante. Si Sintharia avait été du genre opposé, elle serait déjà chevauchée. Sans retenue. Mais elle était une femme, et auprès d'elle, je faisais montre d'une grande patience, dans l'attente d'une autorisation, ou d'une invitation. C'est ce qu'elle m'avait offert et j'allais la contenter, sans précipitation.

Le verre au bord de mes lèvres s'incline lentement, avalant ainsi une autre gorgée alors que je l'écoute distraitement me demander quel genre de traitement je pouvais lui réserver. Un fin sourire capture un dernière goutte de vin avant que je ne dépose le verre sur la table. Elle perds l'ancrage de mes yeux, mais peut m'observer me lever, et m'approcher d'elle sans la regarder.


Ma voix s'enrobe d'une volupté qui lui manquait jusque là, comme le murmure d'une confession. En quelques pas, je me place dans son dos et pose une main sur le dossier de sa chaise, derrière son épaule, effleurant sa peau. Mon corps se penche vers sa jumelle et mes doigts libres volent jusqu'à son genou, à peine couvert par le voile fin de sa robe. La pulpe de mon majeur s'y dépose et entraîne le tissu avec délicatesse, lentement, dévoilant sa cuisse, un peu plus à chaque seconde.


Un murmure qui caresse son épaule et mon regard, lui, s'affaire à déshabiller sa peau. A la moindre réticence, j'arrêterais. Même si l'envie de poursuivre est évidente et devrait l'être pour elle aussi. Cependant, je ne dévoile pas plus que ce qu'elle m'a autorisé. Son aiguille. Une fois à l'air libre, je l'extirpe avec la même délicatesse, de son anneau de cuir. La caresse de sa lame remplace celle de mes doigts et je fini de la déloger habilement avant de jouer un peu avec elle distraitement, retrouvant la place qui était mienne.


Elle était fine, délicate, comme sa propriétaire. Je la manipule habilement et pose son extrémité sur l'un de mes doigts, piquant la chair. J'accueille d'un sourire une goutte sanguine qui se libère. Enfin, mes yeux retrouvent le chemin de ceux de Sintharia, avec une intensité renouvelée, portant à mes lèvres ce doigts blessé dont ma langue en récolte la perle ensanglantée.

Au moulin, une fois la meule enlevée, on se débarrasse de l'âne.

Plus que celui du sang, c'est le goût de sa peau que je cherche à cueillir du bout des lèvres. Avec ces quelques manières et désirs non dissimulés, j'espérais avoir éveillé son intérêt et, je crois que c'est le cas. Elle se lève de sa chaise et s'approche, telle une petite prédatrice. A l'allure frêle et pourtant si déterminée. Je pose l'aiguille et l'accueille à jambes ouvertes, alors qu'elle s'y glisse pour commencer à défaire les sangles qui maintiennent mon plastron. Mon pouls s'accélère à mesure que ses doigts gravitent. Ma respiration est plus difficile, alors mes lèvres s'entre ouvrent légèrement.

Finalement je me redresse et lui face pour lui permettre une exploration sans détour. Mon regard pèse sur elle, de paupières alourdis par le désir. L'envie de la posséder palpite dans mes veines, mais je lui laisse le temps, malgré la tension qui sert parfois mes mâchoires.


Oui, je n'avais eu le loisir de ne croiser qu'une seule courtisane. Du moins, il me semble qu'elle en était une. Finalement, on ne s'était parlé qu'une fois, mais déjà à ce moment là, l'attirance était pugnace, malgré la colère à l'encontre de sa condition. Un léger goût d'amertume tapisse mon palais, balayer rapidement par la sensation de ses doigts se pressant contre ma peau, après avoir fais tombé mon plastron. Ma respiration est déjà plus bruyante et, par égard pour la douceur de ses doigts, je me déleste de ma hache moi-même, qui rejoins son aiguille sur la table.

Je la touche à peine, en l'effleurant, quand la proximité de sa peau me le permet. M'aventurant une unique fois à dévoiler l'une de ses épaules. Mon pantalon glisse et je m'en extirpe. Me voilà face à elle, dans un simple appareil. Ma tunique de lin tombe sur le haut de mes cuisses et cache un sous-vêtement que j'espérais déjà loin.


Une question qui n'avait guère besoin de réponse, mais j'avais l'intime envie de savoir. Comme si m'assurer de son expertise pouvait intensifier l'attirance, déjà vertigineuse. Elle devient un peu trop grande et d'une impulsion, je me libère de cet épaisseur, escomptant bien sentir sa peau contre la mienne. Reste encore un large tissu, comprimant ma poitrine, mais tout ça dévoile maintenant un épiderme meurtris par la rudesse de la vie. Des cicatrices, certaines plus notables que d'autres. Celle de Xion, qui enrobe mon bras droit. Ou celle des Anciens dans mon dos, qu'elle ne verra peut-être qu'une fois que j'en aurais terminé.

Et je commence à peine. La dévorant des yeux alors que je l'incite à relever les siens d'un doigts délicat sous le menton. Mon autre main navigue et effleure son corps, de son épaule, dessinant l'arc de la naissance de sa poitrine, finissant sa course en décrivant la ligne plongeant dans le creux de ses reins. J'avais la ferme intention de me saisir de sa chair en contre bas et de la presser toute entière contre moi.