Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Malgré les premières douceurs estivales, Qilin frissonna. Était-ce le signe d’un début de fatigue ? Ou était-ce le climat plus froid du Nord qui se glissait sous ses étoffes princières ? Elle sentait le froid de la ville, derrière les cœurs échauffés. Et l’air nocturne n’était dans les parages pas plus accueillant que ceux qui le respiraient. Cette hostilité à son égard, elle s’en accoutumait. Mais quelque chose de plus tangible planait dans les rues, se faufilant entre les habitants. Une menace. Comme une lame glaciale plantée dans l’ombre de la foule. Cette désagréable sensation la suivait partout. La situation n’allait pas s’arranger.
La capitaine devrait être en train de dormir. Or, ses pensées l’avaient attirée en haut des murs de Rorn, où elle contemplait l’horizon, pensive. C’était probablement le point le plus à l’écart de la ville, sans avoir à la quitter. D’aucuns avanceraient que surplomber la cité lui allait comme un gant. D’autres remarqueraient que la position lui accordait une belle vue d’ensemble.
Lectra fut la première à la rejoindre. Elle lui avait donné rendez-vous un peu plus tôt dans la journée, pour un débriefing isolé et moins formel. Au bout d’un certain temps, son regard sombre quitta le faciès strict de son lieutenant. Quel subtil changement dans l’air lui faisait sonder les ténèbres à la recherche d’un éclat argenté ? Était-ce un effleurement de sa psyché ?
« Je devrais rester ici. C’est trop dangereux. Notre place est à vos côtés. »
Pouvait-elle réellement sentir sa présence ? Ou n’était-ce qu’illusion, jeux d’esprits, d’ombres et de lumières ? Elle attendit une seconde. Sans autre signe semi-divin, elle retrouva le vert clair des iris de celle qui se rapprochait le plus d’une amie. Sa voix gagna en douceur, mais resta ferme.
« Je te l’ai dit. Je sais que ça ne te plaît pas, mais j’ai besoin de toi à la capitale. C’est important. »
La jeune femme aux cheveux châtains, dont les reflets auburn se révélaient au gré des flammes dansantes, reporta son attention sur la torche qu’elle tenait. Ses traits se froncèrent. Sa mâchoire se serra. Elle prit une longue inspiration, après en avoir expulsé une plus longue encore. Il y eut un bruit derrière. Elle ne fit pas attention. Qilin, oui. Aussitôt, son esprit s’allégea inconsciemment. Elle s’interrogea sur la raison qui amenait sa chère invocation à ses côtés.
Lectra finit par acquiescer en lui faisant face. Son visage perdit toute émotion en devinant à son tour la présence du demi-dieu simiesque, qui devenait plus qu’évidente. La conversation aurait pu être poursuivie. Mais elle n’osa pas chercher dans le regard sombre de sa supérieure l’invitation qui lui permettrait de rester. Aussi elle tourna les talons après une brève salutation, qui lui fut rendue, puis s’éclipsa en prenant soin d’ignorer le grand singe.
Qilin le laissa venir, l’ébène de ses yeux absorbé au passage de la torche par les reflets chatoyants qui jaillirent sur la peau rouge.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Rorn, remparts
[Qilin & Amko'Unn]
La nuit des cités me porte... Lorsque les pâles lueurs, flottant avec fébrilité, quittent le verre parfois terni des fenêtres de chaque maisonnée. Lorsque demeurent quelques rares points éclatants parmi ces dernières, là où la noirceur du sommeil n'a d'emprise sur certains habitants, là ou s'immisce encore la peur des ferveurs récentes, là où une âme se plait mieux à vivre que le jour.
... La nuit des cités me porte et la magie de mon être, en cet instant, s'accorde mal d'une absence singulière à ma chair. Où es-tu, simple et si particulière mortelle? Mh...Et moi, donc? Le silence nocturne m'offre trop de liberté psychique, trop de mouvances et de pensées disparates, les ruelles enténébrées de Rorn ressemblent aux méandres de mon esprit. Il y'a en ces lieux des jeux d'ombres, projetés par la lumière de la lune et les danses incertaines de quelques bougies à la flamme encore vivace. L'ombre c'est moi, et la lumière qui me fait sens n'est plus très loin... Oh, les hauteurs? Excellente idée, héhé.
Mes grandes mains se portent naturellement à la moindre aspérité des bâtiments alentours qui me permet d'accéder aux remparts sans passer par une voie classique. Hé, je suis un singe, non? Enfin, pas loin, dirons-nous! Avec des gestes souples et agiles, mon corps parvient aisément à destination, mes prunelles ont accroché la flamme plus vive d'une torche non loin, bien que de ma position, ma silhouette se découpe à peine dans l'obscurité prégnante de l'ombre d'une bâtisse. Fidèle à moi-même je ne me préoccupe guère d'interrompre ou non quelque chose et me dirige naturellement vers cette source lumineuse, la voix de Lectra tinte de son timbre dur à mes oreilles divines. Pas ravie, la petite on dirait. C'est à peine si elle daigne m'accorder un regard lorsqu'elle s'éloigne me passant à côté... Non, en fait, elle m'a littéralement ignoré là? Ha! Ces humains, parfois, je ne cherche plus depuis des lustres.
La pâleur du visage fin qui se détaille progressivement sous mon regard s'allie parfaitement aux reflets lunaires et un sourire léger s'esquisse au coin de mes babines lorsque je suis suffisamment proche que pour m'arrêter.
"Un autre angle de vue, d'autres perspectives... Il est intéressant de se déplacer pour mieux observer le monde qui nous entoure." Mon visage se soustrait un instant à l'onyx de son regard, le temps de trouver un perchoir sur le muret de pierre du rempart, penchant la tête de côté face à ce fief qui se tourne à nouveau dans ma direction.
"La nuit éveille parfois plus de choses en nous qu'elle n'en éteint pour laisser place au sommeil... que fait-elle donc naître en toi?"
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Même si Lectra avait quitté les remparts, quelques pensées de sa supérieure sinuaient encore vers elle. Ses émotions fluctuaient de plus en plus. Qilin devait-elle s'en inquiéter ? En tant que capitaine, elle ne pouvait décemment s'en occuper. Et elle n'avait jamais vraiment tenu d'autre place à ses côtés.
La forme simiesque eut tôt fait de chasser ce froncement de sourcils en s'imposant littéralement dans son champ de vision. Elle suivit ses mots, toujours porteurs de sens joueurs, de vérités délicates, et ses gestes, qui l'amenèrent à s'élever lui aussi. Elle acquiesça, puis compléta ses dires avec sérieux. Sa voix aurait pu combler la chaleur de la torche qui les avait quittés. Elle laissait ce rôle à la lune, moins avide, plus discrète mais plus régulière. Elle lui céda même un regard un instant, avant de retrouver un autre éclat argenté.
« C'est même essentiel. Et cela permet aussi de mieux voir où nous nous tenons. »
Un court silence pour poser leur esprit. Il fut doucement écarté par l'arrivée d'une question. Qilin quitta les profondeurs lumineuses qui l'observaient. Cette fois, elle préféra plonger son regard sombre dans les ténèbres environnantes. Elle s'y sentit curieusement plus à l'aise. Son envie de délier les fils que lui tendaient le fils d'Ignis était plus mesurée.
« De l'inquiétude. »
La capitaine réajusta la cape légère sur ses épaules. Ce n'était pas le climat du Nord, non. La ville les en protégeait relativement. Mais il s'agissait de celui des ruelles. Tortueuses et instables. Elle soupira. Son souffle porta lentement cette déclaration pour l'étendre au-delà des remparts. Ses iris de jais se posaient sans réel intérêt sur le paysage. Puis, ils commencèrent à s'attarder, inconsciemment, sur certains éléments.
Qilin finit par glisser un sourire sur ses lèvres. Amko méritait mieux qu'une réponse de capitaine. Le regard brillant, elle releva la tête et décroisa les bras.
« De la curiosité. »
Aucun des deux ne semblait l'avoir perdue en chemin. Quelques déconvenues ne pouvaient les arrêter aussi facilement. Cet aveu s'inscrivait comme un écho rare au milieu de ces jours passés à Rorn. Qilin ne pouvait s'en plaindre. Son sens du devoir était bien trop ancré dans ses gènes pour qu'elle y pense seulement. Au fond, elle y était habituée. C'était plutôt la perspective d'avoir un moment libre mais avec de la compagnie qui semblait déplacée.
Elle se tourna vers le demi-dieu et lui demanda sans méchanceté :
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Rorn, remparts
[Qilin & Amko'Unn]
L'inquiétude, certes, un mot parfaitement ciselé par les mains agiles de la tension actuelle de la ville. Mais pas que, probablement. Bien des créateurs aux doigts subtiles savent donner naissance à ce sentiment. Je ne connais pas ceux qui hantent sa psyché, les fils m'échappent, avec aisance. La garde dorée est suffisamment complexe pour que mes pensées se satisfassent de réflexions génériques à ce propos, qu'il serait pourtant évident d'appliquer à d'autres.
Cela pourrait avoir un lien avec Lectra également, ce bref échange perçu plus tôt n'avait rien de très léger. Mais cela constitue encore trop d'inconnues pour s'y attarder en ce moment.
L'espace d'un instant, mon faciès revête une indifférence soudain semblable à cette imperméabilité qui me fait face. Avant que naisse une autre réponse, plus vague, plus parlante à mes yeux néanmoins. La curiosité porte les êtres, l'aveu de curiosité dévoile l'état de questionnement, d'envie aussi, à mon sens. Il est une recherche. En ailleurs, mais en soi également. La situation de Rorn est génératrice de tant de possibles, que l'on peut s'ouvrir à de multiples perspectives et s'y perdre gaiement. Quelles sont celles qui nous feront vibrer et vivre des expériences particulières dans les jours ou semaines à venir?
Puis, une question échappe à ses lèvres. Ce que je veux ? Je ne pense pas avoir de vrais désirs, je suis mes instincts primaires, même amputés de certains sens. J'ai des plaisirs et des déplaisirs qui résultent d'intentions non définies.
"Mh... J'ai trouvé ce qui me faisait défaut. Me faut-il nécessairement désirer quelque chose ?" Mais ce n'est point ma question sans attente de réponse spécifique qui puis englober les souhaits d'autrui. Mes prunelles se détachent un moment du visage au regard aussi sombre que la nuit, j'oblique de moitié pour me mettre en tailleur sur le rempart, un genou au dessus du vide, l'autre au dessus du chemin qui porte Qilin. Entre deux et interstices... Suis-je au bon endroit ? Peut-être ne suis-je jamais réellement quelque part, ici et ailleurs à la fois... ? Mon dos se dresse bien droit et ma face de primate observe les alentours extérieurs de la cité, bercés par une clarté lunaire ténue.
"Mais si ma présence t'indispose, je ne resterais guère. J'ai conscience de toute la douceur qu'offre un peu de solitude à l'âme humaine."
Conscience, pour le moment je n'ai rien d'autre. Mais je l'expérimenterais de nouveau assez vite, à présent que mon nouvel avatar pour ce monde avait éclot. Patience. Le silence semble souffler à la place de la brise nocturne, il peut s'installer, s'il le désire, je n'ai pas de mots pour le briser inutilement, j'attends, en toute simplicité, une réponse à ma suggestion.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
La réponse du divin primate lui tira un léger éclat de rire, qu'elle adressa à la pierre de ces murs. Avait-elle oublié à qui elle s'adressait ? Non. Néanmoins ces derniers jours l'avaient cantonné à son rôle d'autorité. Elle avait perdu de vue quelques instants l'éventualité d'obtenir une réplique douée d'une volonté propre. Passé cette seconde de réadaptation, ses épaules baissèrent sensiblement d'un cran, signe de sa détente. Oui, il s'agissait d'Amko, après tout.
Elle l'observa discrètement se placer à cheval entre deux mondes. S'il était ici précisément, n'avait-il pas été attiré par quelque chose ? Ou bien, quelqu'un ? Les instincts qui le guidaient n'étaient pas moins sensés que les siens. Bien sûr, leur portée et leur nature semi-divine créaient cette possibilité d'enjamber le vide et la matière. L'esprit et le corps, à souhait. Les paroles suivantes prirent à revers sa précédente question pour tracer un chemin direct vers son hésitation. Il ne lui facilitait jamais la tâche. Le sourire énigmatique de Qilin s'offrit à l'obscurité. Contrairement à ses lèvres cuivrées, sa déclaration ne fut pas maquillée.
« Je ne pense pas que ta présence puisse m'indisposer. »
Résultat de cette petite remise en situation, certes. Mais la jeune femme venait véritablement de sonder l'effet de sa présence semi-divine sur sa psyché. Cette solitude si précieuse ne souffrait nullement de son ombre simiesque, reflétée par la lune comme si elle se tapissait derrière ses pensées. L'inverse était-il valable ? Amko'Unn accepterait-il de partager sa solitude de la sorte ? La fille Lù devait veiller à ne pas être celle lésée dans cette histoire. À moins que sa nature divine, en dépit d'une recherche de reflets humains, se passe d'un tel besoin. Si c'était le cas, elle ne pouvait qu'envier sa capacité à se détacher, indifféremment du reste.
La jeune femme reporta son attention vers la figure carmine. La curiosité reprenait les rênes de son être, comme souvent.
« Dis-moi, qu'est-ce qui te faisait donc défaut ? »
Ordre ou demande, lui seul pouvait ici marcher sur le fil tendu.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Rorn, remparts
[Qilin & Amko'Unn]
Le silence éphémère qui accueillit mes propos implosa rapidement, la voûte crépusculaire fissurée par l'éclat de lumière habillant sa réaction. Un rire... Dont l'écho se déposait sur mes babines, pour y peindre l'esquisse d'un sourire. Mon regard d'argent capta alors ce subtil changement dans son attitude, semblablement plus détendue qu'une fraction de seconde plus tôt. Certes, ma présence ne pouvait guère l'incommoder... Pas plus que son absence m'était agréable, notre lien se déclinait, à l'évidence, au delà de si futiles désagréments.
Ne venait-elle donc pas de le saisir ? Lorsque du bout de ses lèvres, la curiosité vint tracer une voie communément empruntée, sous la caresse d'une complicité tacite. Mes prunelles tournent leur scintillement vers l'ébène de son regard, si je puis me jouer aisément d'une telle question -ordre, sans en être vraiment un- je n'en ai guère le besoin. Mon intention est brut de sincérité, et mon timbre ne cède aucune place à la moindre variation de tonalité.
"Nous."
Mon faciès simien l'observe une fraction de seconde, avant de se tourner à nouveau vers l'horizon obscur. Mmm... Chercherais-je là une autre forme d'assise psychique ? Entre deux tableaux aux teintes ténébreuses, celui qui brille le plus fort vient frôler étrangement mon être. Laissant vibrer sur son passage l'onde infinie où se reflètent deux visages superposés. Grmm, ma patte se lève pour venir gratter mon menton, ça devient bien trop sérieux dans ton petit crâne Am, tourne donc la barre !
Mon corps se redresse alors, ni lentement, ni prestement et mes pattes s'avancent, chacune arquant mes doigts de pattes sur les bords raides du muret. Mes bras jouent la balance, tel un funambule sur son fil étroit...
... "L'équilibre est une recherche constante. Le changement est une constance. L'humain est une inconstance. Les semi-divins... une constance dans vôtre inconstance." Ma face de primate se lève vers le ciel, songeuse, puis ma voix grave redevient aussi légère que la brise nocturne. "Enfin, peut-être. Qui sait ? Huhu." Je fais volte face avec agilité et précision, moi qui me suis éloignée d'elle de quelques mètres en parcourant ce petit rempart et m'accroupi en penchant le visage de côté pour la fixer.
"Es-tu mon équilibre ou mon inconstance?"
Curieux des larges possibilités qu'offrent cette interrogation -moins fermée qu'elle n'y paraît- ainsi posée à un joyau aux facettes innombrables mais pourtant reliées à une même entité, je lui souri de nouveau, attentif.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Ce regard partagé sondait leur lien, guidé par la même curiosité. L'éclat lunaire se complaisait de mystère dans l'argent des iris simiesques. Quel fait divin que ces yeux déjà si clairs puissent miroiter tant de lumières. Le sien, infiniment plus sombre, semblait le perchoir idéal des étoiles du soir. Pourtant, sa profondeur était propice à engloutir la nuit la plus noire.
Qilin se figea à cette simple et pure déclaration. Ses lèvres s’entrouvrirent pour accueillir le silence, qui défila à l'abri du regard semi-divin -et de ses sens elle l'espérait, puisqu'il s'était détourné. Son visage si pâle sous l'astre d'Aqua se recomposa. Quelle surprenante réponse. Elle n'avait pas anticipé un tel élan de sincérité. Son propre regard chercha la pénombre pour mesurer les abysses et le potentiel de ce mot unique.
Une autre mouvance, celle du corps longiligne à la peau carminée, s'opéra sans troubler le calme des environs. La jeune femme ne tourna la tête qu'à l'entente de sa réflexion. Elle l'observa déambuler avec adresse, les paupières légèrement plissées, amusée par les balancements de sa pensée. Il marqua un point de sa nouvelle position, lui tournant le dos mais pas le visage. La conversation s'éclaira d'une question d'apparence duelle. La fille Lù sourit, et la releva d'une touche qui ne se jouait d'aucune réponse, du moins dans l'immédiat.
« Ne dois-tu pas trouver une réponse qui t'est propre ? »
Lentement, elle s'avança. Ses pas glissaient sur les pierres massives des remparts. Son armure de capitaine, troquée pour une version plus légère, s’accommodait de la brise nocturne autant que des papiers administratifs. Et plus important, elle demeurait discrète aux oreilles attentives. Peut-être pas les plus divines. Elle rebondit sur ces propos d'une voix claire, perçant sans éclat une distance qu'elle prenait soin d'amenuiser avec maîtrise.
« Les semi-divins ont créé leur inconstance. Ils rétablissent l'équilibre en se mêlant à l'humain. Tu ne puis donc demander quelque chose que tu as déjà. »
Contrairement aux semblants, il n'y avait nulle affirmation, juste une expansion de sa réflexion selon un reflet qui restait à définir. Arrivée à la hauteur d'Amko, sa phrase laissée en suspens, elle s'assit dos à lui, à quelques centimètres seulement. Ses mouvements fins assuraient la balance de son corps gracile. Sa posture en tailleur évoquait celle de la méditation qu'elle pratiquait quasi-quotidiennement.
« Je serais les deux. »
Qilin pivota sensiblement la tête du côté où se trouvait l'éclat qui l'intéressait. L'orgueil se manifestait avec aisance, mais il n'était qu'un composant. Car son regard certes empli de son habituelle fierté, brillait d'une lueur dansante et... chaleureuse.
« L'inconstance de ton équilibre, et l'équilibre dans ton inconstance. »
Elle laissa cette définition voleter au gré des flux indicibles d'Aer pour imprégner leur atmosphère. Puis elle se releva, imitant les mouvements de son ombre simiesque il y a quelques instants. Elle fit un pas, et vacilla quelque peu. De toute façon, si elle venait à tomber, il la rattraperait.
Qilin descendit du muret d'infimes secondes plus tard, qui semblaient s'être étiolées dans un temps et un espace insondables. Elle n'oubliait pas où elle était, et la présence inopportune d'individus. Elle s'éloigna, un sourire sur les lèvres en guise d'invitation, avant de porter son attention droit devant. Longeant les remparts, le secret de sa marche s'éclipsait sous le ciel sombre. Les amenait-elle à un endroit précis ? Ou attendait-elle d'être guidé vers un ailleurs ?
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Rorn, remparts
[Qilin & Amko'Unn]
Ma réponse, je la possède déjà, petite humaine. Celle en l'état, du moins, pour l'ici et le maintenant, nul doute qu'elle changera à son gré aussi. Je cherche ton propre regard... A l'évidence, ta finesse d'esprit l'aura également saisi, avant ta prime volonté consciente. Car je perçois l'absence d'attente suite à cette interrogation.
Le fil conducteur du sujet amorcé mène à des bribes de pensées qui se cristallisent dans le timbre de sa voix. Semi-divins, créateurs de leur inconstance, mes babines esquissent un sourire en coin. Certes, voilà un angle qui déportent les perspectives de ma réflexion... J'y songerais autrement, peut-être, en d'autres temps. Cet éclat intéressant vient se tapir dans l'ombre étrange qui la suit. Une ombre...? Non, une lumière qu'il me faut exposer. Mais plus tard, le silence de mon regard accueille d'abord la fin de ses propos, ses réponses. Des idées qui plaisent à mes sens divins, il me tarde de percevoir sa singularité avec une toute autre aptitude émotionnelle à la ressentir.
Alors que mes iris détourent la silhouette fine qui s'aventure ses mes traces un instant, ma psyché anticipe tout éventuel écart. L'influx nerveux près à nourrir le moindre muscle pour empêcher ce corps humain si fragile de finir au pied des remparts... Elle n'y demeure guère cependant. Le temps de mener la danse en d'autres lieux. Ma voix résonne cependant à sa suite, grave et sonore, bien que basse, portée par la caresse feutrée de la nuit qui nous entoure. Teintée de sérieux et de désinvolture à la fois, mélange singulier de ma personnalité inconstante. L'on pourrait croire que je réfléchis, lorsque les mot s'égrainent, alors qu'une indicible assurance les délient.
"Et bien, moi, je ne serais ni l'un ni l'autre." Bah, c'pas parce qu'elle m'a pas demandé l'avis inverse, que je vais pas le donner aussi! Héhé, je n'aborde pas un ensemble de notions sans y mêler la dualité d'un lien qui unit deux êtres. Comme je n'ignore guère l'espace infini de réactions que ma réponse peut générer. Tf'açon, je lui laisse pas le temps d'y réfléchir maintenant, il y'a autre chose que j'ai pas pu éclaircir plus tôt.
"Cela fait des milliers d'années que je respire, et seulement quelques jours que nous existons ensemble. Comment pourrais-je déjà posséder un concept dont tu es la pierre angulaire ?"
Tandis que mes mots s'immiscent au courant de la brise nocturne qui nous effleure, mes mains viennent chercher les hanches du reflet scintillant qui ouvre notre marche. Un poids plume, soulevé avec aisance, afin de la porter sur le rempart. Mon corps tourne avec fluidité, ayant saisit ses bras pour venir les caler autour de mon cou, je ne lui laisse que le temps de s'accrocher sur mon dos sans réfléchir, si son esprit s'égare, ce sera pour laisser son corps potentiellement choir dans le vide. La confiance que je porte en son instinct et ses réflexes me laisse sans inquiétude cette marge d'action. J'entreprends alors d'enjamber le muret et de quitter Rorn en descendant le long des remparts.
Ma nature joueuse ne peut se priver de s'amuser des reliefs de la pierre et d'une petite tourelle non loin, que j'escalade et contourne avec agilité, avant de redescendre concrètement et atterrir avec souplesse au bas des rempart. Je me lance à quatre pattes dans la plaine, mes mouvements déliés s'adaptent facilement au corps qui le surplombe, tel un cavalier. Je l'ai déjà fait, je sais comment me mouvoir pour assurer au mieux le confort de l'un comme de l'autre. Mais c'est aussi à elle de trouver la meilleure attitude, cet exercice ne plait guère à tous.
"La nuit nous appelle. Elle cherche l'éclat de l'ébène et la noirceur de l'argent. Que va-t-on lui offrir?"
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Ni l’un, ni l’autre. Qilin sourit à la faveur de la nuit. Elle savait interroger le demi-dieu lorsqu’une réponse s’avérait nécessaire, à l’image des bases de leur Pacte détourées dans le jardin familial. Mais les demandes moins cadrées, le partage d’une idée, l’équité d’une conversation, passaient par une autre formulation que les questions, depuis le début de leur relation. Heureusement qu’il n’attendait pas son autorisation pour prendre de telles initiatives. Le fils des lumières revint avec amusement sur cette « réponse » qu’il devait trouver lui-même.
L’opportunité de répliquer s’envola sous les reflets lunaires. Elle dut susciter ses capacités de retenue pour ne lâcher aucune exclamation surprise. Automatiquement, ses mains se posèrent sur les puissantes pattes carminées qui enserraient sa taille. Elle croisa le regard argenté une brève seconde. Son incompréhension fit face au silence. La tension de ses muscles doubla lorsqu’Amko saisit ses bras pour l’amener sur son dos. À cette initiative, ses doigts fins glissèrent dans la fourrure grise aussi éclatante que le blanc. Par réflexe, ses jambes se refermèrent sur les côtes du primate, d’une fermeté qui se passait d’hésitation. L’instinct guidait ses sens, sans doute avec une certaine dose de confiance pour qu’elle suive ainsi le mouvement.
Qilin admirait l’agilité du demi-dieu, mais ne se détendit qu’une fois ses quatre pattes au sol et sa course entamée. Elle souffla lentement le surplus d’air qui comprimait sa cage thoracique. Ses appuis se relâchèrent légèrement, pour ne pas user ses forces en s’adaptant aux gestes réguliers du chercheur de reflets. Elle se redressa, s’accrochant à la crinière qui recouvrait ses omoplates. L’une de ses mains se détacha quelques secondes pour en mesurer l’incroyable douceur. Après plusieurs mètres, ses muscles réalisèrent pleinement que la position à tenir ne lui demandait pas tant d’efforts et ils se décrispèrent. Il avait déjà fait ça, elle le sentait s’adapter aux flux de sa présence. C’était… plutôt agréable.
Enfant, elle était montée sur Kersès, le mastodonte de Terra affilié à son paternel. Plusieurs fois, même. Aucune n’évoquait le souvenir de légèreté et d’insouciance. Elle l’avait probablement perdu. Peut-être que c’était le sentiment retrouvé avec cette chevauchée. Elle l’ignorait, mais n’éprouvait clairement pas le besoin de se maintenir comme sur le dos d’une monture. Il n’y avait aucun autre regard que le leur ici. Elle n’avait pas besoin d’être en contrôle, juste de s’adapter en retour. Quelle curieuse sensation. Et pas si simple à appréhender.
La question du fils d’Ignis la tira de ses pensées pour la laisser au milieu de nulle part. Elle prit l’objectif de trouver une destination, laissant à son partenaire celui de tracer le chemin pour qu’ils arpentent le tout ensemble.
« C’est peut-être elle qui nous fera don. Il y a une rivière à l’ouest non loin de la cité. Nous pouvons la suivre et laisser l’ivresse de la nuit nous guider jusqu’au bout de ce monde. »
La fin de sa phrase s’évanouit vers le ciel. Douce, distraite, elle était ailleurs, vraiment. Le regard sombre de la capitaine se porta sur Rorn derrière eux. Ses contours disparaissaient dans la pénombre. Quelque part elle s’inquiétait de délaisser cette silhouette familière. S’il survenait un éclat au sein de ces murs de pierre, et qu’elle n’était pas là pour le capturer ? Et si la Garde avait besoin d’elle ? Ses paupières se plissèrent. Trop tard, son compagnon avait raison. Ils s’offraient à la nuit.
Qilin ferma les yeux. Elle inspira discrètement une bouffée d’air frais pour la relâcher doucement, éclaircissant ses pensées. Ce soir elle n’avait pas à être capitaine. Elle n’avait pas à se dédier aux autres. Ses lèvres s’étirèrent en un petit sourire tandis que l’odeur de la plaine la gagnait. Ses iris brillants suivaient les courbes sinueuses de l’Yvre. Elle sourit en repensant à son petit jeu de mots, sans savoir si le singe semi-divin connaissait suffisamment la géographie de l’île pour le saisir.
Le climat se refroidissait à mesure qu’ils remontaient le fleuve. La jeune femme frémit, se pressant davantage contre le corps qui la supportait pour profiter de sa chaleur. Elle baissa la tête jusqu’à sentir le crin caresser son visage, inconsciemment. Puis le sel marin parvint à ses narines. Elle qui détestait les ports à cause de l’odeur lui trouvait ici un certain charme. Probablement grâce à sa pureté, et le fait qu’aucun poisson ne déversait ses entrailles sur les étals. Elle releva le menton, accueillant un minimum de fraîcheur pour vivifier ses sens.
Le duo s’arrêta à l’embouchure où leur fil conducteur se jetait dans la vaste Téthys. Qilin se laissa glisser de la figure carmine pour mettre pied à terre. La mer calme était une douce mélodie. Elle s’approcha lentement jusqu’à se poster sur le bord, et contempla l’horizon. Sa ligne jouait amoureusement avec celle du ciel, se mêlant dans un entrelacs de possibles, formant un univers, ou plusieurs, à la seule limite de l’imagination. Elle murmura à l’intention d’Amko, qu’elle sentait près d’elle :
« Un autre désert de possibles. »
Arcane, seule survivante du courroux des Quatre. La découverte de Janame tendait à contrer cette théorie mystique qui les cantonnait dans leur monde, dans leurs guerres et leur nature chaotique. Même s’il y avait déjà fort à faire en ce monde, rien n’empêchait de rêver à un ailleurs l’espace d’une nuit.
Elle songea à cette histoire de pierre angulaire évoquée plus tôt. Impossible de s’en tenir à si peu pour un demi-dieu. Ce ne pouvait être vrai. Comment ne pas désirer plus ? Pourquoi s’attacher à un seul être, sans y être contraint par la magie ? Le chercheur de reflets. Te contenterais-tu d’une seule pierre angulaire pour cette existence ? Elle brûlait d’envie de lui poser la question.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Entre deux Eaux
[Qilin & Amko'Unn]
Les pâles reflets de la plaine défilent sous ma foulée, mouchetés par l'obscurité fluide et éphémère de notre ombre commune qui la parcourt. Cette pensée dessine un fin sourire à la commissure de mes babines, c'est fou ce que la lumière puis receler de ténèbres et inversement... Cycle intemporel, dépourvu d'amorce et où l'infini demeure unique mesure.
Si mes cabrioles sur les murailles ont tendu les fibres de son corps, je puis désormais sentir la nouvelle aisance qui caractérise sa tenue et ses prises sur la monture divine que je suis. C'est agréable, j'ai déjà porté des cavaliers qui ne se sentaient guère dans leur assiette, huhu, pas la même histoire! Elle est bonne celle-là quand même, non? Bon, soit!
Le don de la nuit hein? Fait d'ivresse... Grmf, réminiscence? Probable, mais trop ténues, l'eau coule entre les doigts de ma psyché tandis que j'oblique vers l'ouest. Quant au bout du monde, ha ben ça, soyons fous, héhé... "Qui sait où mènent les pas de ceux qui cherchent sans désirs, ou qui désirent sans chercher."
Les bruits feutrés de la nuit qui nous enveloppent se teintent progressivement du bercement d'un flot continu et un rien irrégulier de la rivière. Longeant désormais les miroitements aqueux qui sinuent au gré de la lune et des méandres, je senti la présence dans mon dos se presser contre moi. Oui, l'atmosphère avait fraîchit, maintenant que cette réalité m'en apportait une conscience plus prégnante. Lorsque le fil de l'eau gagna la tapisserie océanique, mon pas déjà ralentit plus tôt s'immobilisa alors, laissant Qilin mettre pied à terre. Elle se déplaça silencieusement jusqu'au bord, ma silouhette calquant le moindre de ses pas pour venir prendre place à peine en retrait. L'argent de mon regard glissa sur l'étendue sans réels contours, le ciel pur était parsemé d'autant d'éclats que ceux peint par l'astre lunaire sur la surface ondoyante. Un autre monde de possibles...
Mes iris plongèrent doucement sur la paume carmine de mes mains, mes bras relevés à moitié devant moi. Un léger grognement siffla dans l'atmosphère paisible. "C'est là un désert qui me brûle plus que tout à présent." La douceur de l'eau, un simple souvenir, les perles cristallines sur mon pelage détrempé, du passé, ... Tout cela n'octroyait plus que souffrances désormais. Mais peu importe... Pourquoi s'en soucier? J'penche la tête avec un air badin.
"Cela dit, j'dois pouvoir me consumer aussi longtemps que possible si c'est pour t'y suivre."
Au fond, quels sont ces désirs, mh? Maintenir l'ordre et la justice c'est bien peu de choses pour tant de lumière dans un seul regard. Ici, ailleurs, ... En quels lieux voudrais-tu déployer complètement tes ailes, petite humaine? Mon faciès se porte à nouveau sur l'océan, j'hume l'air lentement, longuement, je l'expire avec autant de précaution. Une image danse en mon esprit, le moment choisi est venu, tiens.
"Le feu laisse des traces... L'eau nous imprègne encore d'une toute autre manière. Quel élément à donc marqué ta chair?"
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Qilin baissa les yeux. Ils suivirent les mouvements de l'herbe caressée par la brise tandis que ses pensées défilaient. Avec la Punition divine, les demi-dieux se trouvaient divisés, par leur propre nature. Quel cruel parallèle avec leur création humaine. Les Quatre, de leur siège insondable, ne devaient pas leur accorder tant d'importance pour les laisser ainsi à leur sort. Les prières n'allaient pas changer grand-chose, pas plus que les actes de soi-disant héros. Le monde était ce qui l'était. Peut-être qu'il était temps d'arrêter de chercher au-de-là.
Loin de se laisser abattre par ce constat, la créature simiesque rebondit avec enjouement. La jeune femme esquissa un sourire. Elle aurait ri au nez de l'homme qui aurait osé lui offrir de tels mots. Mais avec Amko'Unn, la déclaration revêtait une teinte plus réelle, et pas si légère. Elle s'y abandonna quelques instants, sans s'en apercevoir, toujours bercée par cette paisible soirée.
Les filaments de sa conscience se laissèrent emportés un à un par l'océan calme et infini. Elle reporta ses iris ébènes sur ce dernier, l'air mystérieux et inaccessible. C'était amusant. D'ordinaire, elle n'appréciait pas l'eau. Trop changeante, trop vaste, trop inadaptée à leur faible constitution. Les paroles de son compagnon divin l'invitaient pourtant à l'aborder avec un certain aplomb. Quelque chose qu'ils étaient censés craindre... se révélait finalement à leur portée.
Le silence les enveloppa quelques précieuses minutes. Le fils des Lumières finit par le suspendre, pour le combler d'une question. Une référence. Un souvenir, qu'elle n'avait pas envie de raviver en l'instant. Qilin soupira doucement. La lueur nocturne semblait propice aux confidences pourtant. Elle avisa un tronc d'arbre plus loin, abandonné de tout son long, destiné à contempler l'onde aqueuse jusqu'à sa disparition. Elle s'y assit. Un sourire où se disputaient l'amusement et l'amertume se dessina sur ses lèvres.
« N'est-ce pas évident ? »
Le feu. N'était-il pas au centre de son univers ? Cette incarnation de la destruction qui croupissait dans sa cellule sous les ordres de son paternel. Cette flamme qui brûlait dans ses entrailles depuis petite, tamisée par son éducation. Son choix d'aller au Temple d'Ignis pour en épouser l'élément. Et bien sûr...
« Un murmure au début de l'hiver, il y a bien longtemps. Une colère froide, mais un feu ardent, attisés si facilement par mes lames. »
Ses traits se teintèrent d'un voile plus léger. Les images se peignaient au creux de ses iris noirs. Puis le tout s'effaça, englouti par l'obscurité de son regard. Une époque et une jeunesse révolues.
« Ce n'est qu'une cicatrice. Une trace sur ma peau. Le temps a effacé le reste. »
Sa voix ne sombra pas, ses pensées non plus. La jeune femme contempla l'horizon à nouveau. Des nuages relativement clairs s'avançaient sur l'eau. Ils provenaient du Nord, comme toujours. Ils masqueraient la lune décroissante dans une ou deux heures. Elle se releva et reprit sa position au bord de la Téthys.
« Nous avons encore un peu de temps devant nous. »
Une invitation silencieuse à chercher son propre reflet, s'il la prenait. Sinon, ils pouvaient très bien rester ici.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Entre deux Eaux
[Qilin & Amko'Unn]
Une brèche dans la nuit, pour laisser glisser... une évidence? Cela dépend peut-être pour qui, Oh! Ah, oui, mon propos a été pris au pied de la lettre, en fait. Ma foi, pourquoi pas, c'est une idée. Ma patte velue se faufile derrière mon oreille gauche, pour la grattouiller quelques secondes. D'autres éléments coexistent après tout, une multitude, mais elle a choisi d'en revenir aux essences primaires qui nous constituent, cela doit faire sens avec pas mal d'importance, p'tet? Bah, je ne suis pas là pour sonder ses vérités, juste les effleurer, ou les titiller, héhé.
La morsure de la flamme, mêlée à celle du givre, dirait-on, pour former un troisième élément, peut-être? Telle une rencontre qui tisse un tout supérieur à la somme de ses parties... Supérieur à deux êtres. Grmf, les métaphores, subtilité et évincement à la fois, entre bien des interprétations, j'aime ça! Mon faciès se tourne vers la silhouette assise, son ombre se découpe avec une certaine clarté sous le spectre lunaire, malgré la pâle marée ouateuse qui s'avance à sa rencontre. Je plie mes genoux, le regard voguant de l'onde presqu'imperceptible d'Aqua, à l'ébène tout aussi insaisissable dans la nuit du prisme de ma libératrice.
Rien qu'une cicatrice, hein? Peuh, je suis pas né de la dernière éruption non plus. Je laisse courir, que ses dires se dévident à leur aise au creux des abysses nocturnes. Tiens, une répétition m'accroche, décidément, il y a matière à chercher sans fouiner, cela m'est presque offert.
Ma voix résonne, douce et étrange, dans le silence bref qui accompagne cette dernière phrase... Intemporelle.
"La seule cicatrice que tu n'as guère pu esquiver jusqu'à présent."
Est-ce donc si peu de choses? Qu'en sais-je, que voudrais-je en savoir, au fond? Les mots me viennent, forgés par l'ardeur des siens... L'indifférence comme l'oubli ne siéent guère aux termes précédemment employés. Elle s'est redressée et moi je n'ai pas bougé d'un poil, l'opale cristallin de mon regard contemple ce tronc vide et encore plein à la fois, j'esquisse un sourire qu'elle ne peut saisir, continuant.
"...On se brûle moins vite au feu qu'on évite par crainte, qu'à celui que l'on approche, attisé par le défi de réussir à en déjouer le danger. Ou! Jouer avec ce dernier, huhu, question de perspective, après tout." J'aime beaucoup jouer, personnellement, mais c'est pas d'moi qu'il s'agit en cet instant, quoique, je joue sans doute un peu là.
Pas de 'temps' pour un espace silencieux, je me suis déjà redressé et positionné dans son dos, sans la toucher, la surplombant avec facilité, le regard vissé sur les étoiles naissantes, une suite aux bords des lèvres. Le temps n'efface rien à mon sens, mais c'est un sens parmi bien d'autres.
"Aaah, le temps! Mmh, quelle est sa réalité? Si l'on devait lui en accorder une, bien sûr... Il pourrait être entité à part entière, ou concept purement élaboré par les hommes, simple construit mental, par exemple. Qu'une entité ait de l'ascendance sur quelque chose, pourquoi pas, mais j'me demande... Comment une abstraction peut avoir telle emprise sur la psyché humaine? Enfin! Que ce soit le premier ou le second... Accepterais-tu vraiment autre autorité que la tienne sur ta propre pensée, Qilin?"
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Sa fierté tiqua, sous l’affront fait à ses compétences martiales. Puis elle lui glissa entre les doigts. Il ne s’agissait pas que d’un combat. Le chercheur de reflets l’avait sans doute deviné. Ses propos s’avéraient un poil trop précis pour cerner toutes les réalités. Amusant. Malheureusement pour l’ego de Qilin, cette cicatrice n’était pas la seule qu’elle n’avait pu éviter, mais celle voulue sur sa peau. Fut un temps, du moins. Difficile d’y remédier, à présent.
La jeune femme ne le précisa pas. Elle n’en éprouvait ni l’envie ni la nécessité. Son regard ébène dériva silencieusement, attiré par les mots suivants. L’esquisse d’un sourire se dessina sur ses lèvres pulpeuses. Le demi-dieu tenait là une belle raison. Son visage se tourna pour lui adresser avec plus de franchise ce signe complice. Ses pensées le ramenèrent bien vite sur l’étendue marine. À quel point jouait-elle encore avec la flamme du danger ? Les conflits nordiens, la chasse aux criminels les plus dangereux... un besoin pour la société. Impossible d’affirmer la même chose quant au primate à la peau carmine.
Les questions reviennent effleurer son esprit, comme au manoir. Seulement cette fois, la présence dans son dos la confortait étrangement. Elle sentait que si elle se laissait aller, Amko serait là pour qu’elle s’appuie.
L’exclamation de l’enfant des Lumières lui fit légèrement secouer la tête. Pourquoi avait-elle posé pareille formulation déjà ? L’agrément guidait ses traits tandis qu’elle l’écoutait philosopher. Sa question acheva d’étirer sa bouche avec finesse. Elle croisa les bras. Ses yeux pétillants recouvrirent les étoiles. Ça n’était peut-être que rhétorique, mais elle se permit d’y apposer quelques mots malicieux.
« Je pense que tu connais déjà la réponse, Amko. »
Un éclat de rire distingué fila entre ses lèvres. Quel taquin, franchement. La déclaration suivant s’envola vers l’horizon, retrouvant l’apparat du mystère pour qu’aucun autre ne le voile.
« Par ses concepts, l’esprit humain se protège du monde qu’il ne peut saisir. »
L’amertume du sel porté par les vagues divines et laissé seul sur la berge l’envahit. Qilin pivota vers son précieux compagnon. Une envie soudaine arqua ses sourcils avec élégance et interrogation.
« Peux-tu nous trouver un bout de plage ? J’aimerais me baigner. »
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Entre deux Eaux
[Qilin & Amko'Unn]
L'écho lunaire de son visage se tourne brièvement pour me laisser entrapercevoir l'esquisse d'un sourire complice, qui dessine son jumeau au coin de mes babines. Mes opales argentées s'abîment ensuite dans les scintillements qui miroitent à la surface de l'océan, y trouvant un agréable reflet. La brise me porte alors sa voix avec une douceur malicieuse, qui égaie mes sens joueurs.
Je connais une réponse, certes, mais est-ce "la" réponse qui est tienne ? Je ne m'arrogerais pas cette certitude, petite humaine. Me serait-elle plaisante, cependant ? Connaître est un concept qui revête bien des apparences, mais surtout, recèle bien des mystères de nos propres cohérences avec le monde... Et puis, je ne devrais pas tant réfléchir sur l'impact qu'ont tes mots, grmf... Mon nez se fronce légèrement à cette pensée fugace, mais le timbre de Qilin me ramène à un tout autre réel.
Ou plutôt, un monde d'idées et de concepts, pour habiller celui qui se présente à nous sans nom et... "...Sans visage. Le monde qui s'offre dans son authenticité n'est jamais nommé par lui même. Il porte le visage que les hommes lui donnent, de fait. Je comprends le besoin d'apposer des idées pour le saisir. Mais ce besoin naît de la crainte de l'ignorance." Une crainte sans nom et peut-être sans motifs. Un léger frisson me parcourt, cette réflexion vient chatouiller une corde plus sensible.
"Et si l'on cessait de craindre ce qui n'existe pas encore à nos yeux ? Un étrange bonhomme de l'Ancien Monde m'a dit un jour : 'Il faut accueillir l'imprévisible' ..." le silence se referme sur mes mots, il me font sens, qu'il fasse le sien à son bon plaisir. Elle s'est tournée vers moi avec une suggestion à laquelle je répondrais plus tard. Je lève doucement mes bras et vient les apposer sur le côté de ses épaules en fixant l'ébène de son regard. "Saisir, ne permet pas toujours de connaître ce qui repose entre nos mains, héhé."
Je me détache la seconde d'après pour mieux revenir à son désir précédent. D'un pas souple en avant je viens scruter la falaise en m'y penchant un poil. Je pourrais la descendre mais le bas risque d'être glissant, car humide. "Vient." Mon corps s'accroupit afin qu'elle y prenne place comme plus tôt. Une fois à son aise, je m’élance et galope le long de la falaise d'une course légère, souple et d'autant agréable de par sa présence.
J'avise après quelques minutes un pan de roche reculée par rapport à l'écume des faibles vagues. Un morceau de sable borde l'étendue aqueuse sur plusieurs dizaines de mètres et je me lance doucement pour amorcer la descente de la paroi rocheuse. "N'hésites pas à bien t'accrocher." Dis-je dans un grognement aimable. J'voudrais pas la perdre bêtement non plus, et me perdre aussi par la même occasion. Nouveau froncement de nez, mon p'tit Am, tâche de rester un temps soi peu individualisé de cette humaine, t'es même pas sous métamorphose !
Les embruns salés s'immiscent entre mes poils comme un picotement infime. Ce n'est pas désagréable, mais je n'irais guère plonger la main dans l'eau... Si ce n'est pour tordre le cou d'un éventuel prédateur. Je l'ai laissée glisser bas de mon dos et mes larges pieds foulent le sable avec un plaisir perceptible. Il est, après tout, partie de mon être, malgré l'obscurité qui lui ôte son grain particulier de lumière.
Mes sens guettent les alentours, nous sommes moyennement exposés, ce peut être dangereux, je n'ai pas encore recouvré une grande puissance. Mon prisme se pose sur la silhouette de Qilin qui se dévête progressivement. Il risque de faire froid dans l'eau à c't'heure non ? Puis l'été, quand on se rapproche du nord de l'île, c'pas les tropiques non plus.
Mais je continue bêtement de la regarder parce que je vois pas trop quoi lui dire. Elle est grande, elle sait ce qu'elle fait après tout. Puis tient, je pourrais faire un feu pour quand elle reviendra! Ou est-ce que ça risque d'attirer l'attention ? Je me grattouille la tête avec perplexité en me perdant en questionnements divers, oubliant presque ce qu'elle fait. Au piiiire.... Je la reprend sur moi et on cavale. Ouai, voilà, je cours vite en plus on rejoindra rapidement un endroit sécurisé.
Je choppe du bois sec porté par une précédente marrée sans doute et j'allume le tas empilé qui s'embrase dans un crépitement délicieux. Derrière les flammes dansantes où je me suis assis, les lignes de son corps fuselé prennent une tout autre composition... Changeantes, au gré du vent et des aléas des langues ardentes qui oscillent sous mes yeux. Voilà une image digne de sa complexité... Mmm, j'ai peut-être trouvé quelque chose que je ne cherchais pas, mais que je suis susceptible d'apprécier véritablement, en fin de compte.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Accueillir l'imprévisible. Les réflexions précédentes l'avaient emportée sur les humains, et leur façon de faire tourner le monde. Cette quête des visages créait un écho à des singularités qui lui étaient propres. Mais la crainte et l'ignorance pointées du doigt l'entraînaient vers une fatalité depuis longtemps délaissée. Qilin acquiesça distraitement. Elle partageait ces pensées à un certain degré tout en les plaçant à distance. La citation en revanche, la ramena à sa personne sous un autre angle.
Les doigts de sa main gauche se refermèrent sur la poignée de sa lame. Comme si son instinct réprimait cette possibilité. Puis, son regard d'ébène glissa sur la forme simiesque. Ses sourcils et le coin de sa bouche s'élevèrent avec légèreté. La voilà, l'imprévisibilité, non ? La jeune femme chassa mentalement le reste. Il y avait eu assez de réflexions pour la nuit.
Ses yeux s'agrandirent sensiblement lorsque les mains d'Amko se posèrent sur le haut de ses bras. Plus qu'un effleurement. Moins qu'une caresse. Le contact fut ponctué d'un petit rire et rompu la seconde suivante. Elle se demanda si ce constat indifférait l'être divin. Et elle ?
Sa main rejoignit son perchoir favori. Elle l'observa faire, et souleva un sourcil étonné. Il lui donnait des ordres maintenant ? La fille Lù se rit silencieusement de sa fierté. Elle adopta la même position que précédemment, et trouva un confort relatif plus rapidement. La course s'avéra à nouveau moins exigeante que la descente. Qilin n'était pas encore assez à son aise pour apprécier celle-ci autant. Elle n'ignorait pourtant pas le frisson d'adrénaline qui crispait ses muscles contre le corps du demi-dieu.
« Merci. »
La jeune femme mit pied à terre en le remerciant d'une voix satisfaite. La petite plage que ses yeux découvraient fera parfaitement l'affaire. Elle nota discrètement que le fils des Lumières appréciait ses retrouvailles avec le grain du désert, même dénué de ses charmes solaires. Son esprit inspecta les lieux. Elle s'interrompit. Puisque son partenaire divin ne se baignait pas, il pouvait se charger de la surveillance. Elle, n'en avait pas envie. Et lui faisait confiance sur le sujet.
Qilin laissa ses sens prendre le dessus. Sa cape d'une laine douce et chaude rejoignit le sol granuleux. Son armure moins dorée qu'à l'accoutumée lui emboîta rapidement le pas. Elle frissonna, aussitôt saisie par la brise marine. L'eau risquait d'être extrêmement froide. L'idée qu'un prédateur guette sa venue l'effleura. Guidée par son état de complaisance, et peut-être leurs réflexions nocturnes, elle ne le craignait pas.
Sans gêne, elle ôta également sa tunique et ses dessous. Puis rassembla le tout soigneusement pour éviter que le sable s'en empare. Ses pieds nus caressaient ce dernier et s'imprégnaient de leur fraîcheur. Sa main enserra son bras opposé, conservant un minimum de chaleur avant de s'offrir à l'immensité aqueuse. Le liquide assaillit chaque cellule de son corps. Qilin laissa échapper un grognement indéfinissable.
Elle s'attacha les cheveux afin d'éviter de les mouiller. Son corps fut englouti par l'onde sombre et lisse. Son esprit, engourdi. Loin de tout. Elle nagea quelques minutes, expirant calmement et longuement l'air de ses poumons. Mais elle ne s'éternisa pas. Il serait idiot de succomber à une maladie.
La fille Lù regagna la rive. Elle récupéra sa longue cape et, assise en partie dessus, s'installa près du feu, à droite de son compagnon. Elle aurait préféré qu'il lui chauffe l'eau, mais, ignorant si c'était à sa portée, se contenta de cette bonne idée-là. L'ombre des flammes dansantes projetée sur son visage jouait avec ses traits fins. Le spectacle absorba son regard brillant. Si sa main s'aventurait parmi elles, elle se brûlerait. Pareil pour Amko'Unn, avec l'élément contraire. Au bout d'un temps indicible de contemplation, elle l'interrogea d'une voix lointaine.
« Est-ce que tu as l'impression, la sensation, que l'eau te rend mortel ? »
Un frisson électrisa soudainement sa peau. Qilin reprit ses esprits. Ses sens furent attisés par un mouvement sur sa gauche.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Entre deux Eaux
[Qilin & Amko'Unn]
La baignade fut de courte durée. Tant mieux ! Je n'ose imaginer quelles espèces de créatures aquatiques peuvent rôder dans les bas fonds... Ouai, en vrai, c'était complètement irresponsable comme idée. Ou caprice ? Ou... Ma tête se lève vers le ciel étoilé, un doit dressé soutenant mon menton. Rhalala, il me faudra faire montre d'un peu plus d'intransigeance à son égard la prochaine fois. Oui, oui, tout à fait. Indubitablement. Peut-être... Grmf, bon on y est pas encore t'façon hein !
L'acier doux de mon regard suit à travers les flammes sa silhouette revenant sur le rivage. J'envisage de me redresser afin de lui offrir la chaleur de mon corps, lorsqu'elle s'empresse de s'enrouler dans sa cape, geste qui interrompt aussitôt mon intention. Elle vient se poser près du petit brasier, non loin de moi, et semble se perdre dans ce dernier.
Non... Si ? Le prisme de ses iris ébène ne m'a jamais vraiment semblé perdu. Quelque chose d'étrange habite régulièrement ses traits bien composés. Parfois il m'apparaissent plus... Souples à mes côtés. La différence, bien qu'infime, est en réalité notable, au regard du comportement que je l'ai observée adopter en société. Ou avec les hommes sous ses ordres.
Une question se faufile entre les crépitements flamboyants et la fraîcheur nocturne. Hésitante... Curieuse aussi... Attentionnée, si ça se trouve. Huhu, voilà qui me serait plaisant d'imaginer. Mais mettons ma plaisance de côté. Cette demande n'est pas anodine, au fond. Je tâche de capter les opales où se reflètent la danse d'Ignis... Une interrogation me vient alors que je n'ai guère répondu à la sienne. Baaah, j'attendrais !
"Pas vraiment... C'est une douleur, mais nous ne sommes techniquement pas insensibles alors... Ça ne change pas grand chose. Par ailleurs, la mortalité m'étant irrémédiablement inconnue, voire interdite, je ne peux me rapprocher ni de près ni de loin de cette conception." C'est vrai, cela ne fait guère sens pour moi, mais le sens peut être autre et ailleurs, cependant.
"Ce qui importe, à défaut de se sentir mortel, c'est de se sentir vivant. Bien sûr, nous le sommes, mais le ressentir est encore toute autre chose."
À ces mots, je me redresse et vient nonchalamment m'installer derrière elle, puis fais lentement choir sa cape de ses épaules. Je saisi ses mains au creux des miennes, en douceur, j'ai noté plus tôt la surprise sur son visage au toucher sur ses épaules. Mais cette fois, mes mots auront une portée physique avec laquelle elle devra composer... Ou qu'il lui faudra affronter. Qu'importe. Un seul mot d'elle peut me tenir à distance si elle le désire, après tout.
Mes jambes se sont glissées de parts et d'autres de ses hanches et mon corps vient doucement s'arrimer au sien. Je croise nos bras sur sa poitrine et l'enveloppe de tout mon être comme une bulle... Pleine d'elle et dont je dessine les contours. Mon visage simiesque se penche contre sa joue et mon souffle se délie lentement.
"La vie est faite de sens-ations, de sens, décomposé dans nos perceptions tactiles, visuelles, olfactives, auditives, gustatives... Mais aussi, et surtout, corporellement mnésiques. Le corps est une mémoire globale, où chaque inscription, depuis le développement au sein du ventre de la mère, s'ancre et demeure."
J'ignore si elle va accepter de maintenir ce contact prolongé, mais tant qu'elle ne m'interrompt d'aucune façon, je ne me gêne pas pour poursuivre, la voix calme et lente. "L'eau froide, qui imprime ta chair, la douceur du sable, qui caresse la plante de tes pieds, le spectacle des flammes, qui captive ton regard, la chaleur de mon corps, sur laquelle tu ne sais, peut-être, pas encore poser de mots... Tout cela peut amener un écho. Un reflet d'une inscription antérieure. De ce qui nous a forgé et nous constitue. Tout cela est notre vie passée, présente et à venir. Dans les sensations... Dans celle de se sentir vivant grâce aux réponses de nos corps vis à vis de ce qui nous entoure et nous touche, au sens propre, comme au figuré..."
Je relâche doucement la prise délicate que j'ai sur ses mains et m'écarte avec lenteur. Pour ne pas l'envahir, bien que je demeure ainsi, assis derrière elle, proche, mais sans plus la toucher.
"Tu es en vie, mais, dis-moi... Qu'est-ce qui te fait te sentir vivante ?"
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Douleur comme mesure de la vie, plutôt que la mort, sa peur ou son désir. Voire les deux. Était-ce cela qui définissait les humains ? Et les divins, l'absence de mortalité ? Elle connaissait déjà le chemin emprunté par la réponse d'Amko, au fond. Elle en avait recherché un autre.
Son esprit qu'elle savait si vif, sans y être encore habituée, bifurqua. Il sinua sans prévenir vers un autre sentier, différent, semblable, lié. Qilin n'eut pas le temps d'assimiler ses mots qu'il se levait pour l'éprouver ici même. Elle l'observa faire, d'abord incertaine. Difficile de savoir où menaient ses dires, et de n'entrevoir qu'une seule destination.
Il s'assit dans son dos et fit délicatement glisser sa longue cape sur le côté. Sa pâleur s'agrémentait d'éclats chatoyants sous les reflets des flammes. Sa nudité les épousait avec beauté. Elle aurait dû anticiper le contact. Pourquoi se laissait-elle surprendre de la sorte ? Lorsqu'il survint enfin, le plus infime de ses muscles se tendit. Toute sa peau refusa. Pourtant, elle ne se défit pas de l'étreinte et resta silencieuse.
Le corps du demi-dieu l'enveloppa dans une chaleur fusionnelle. Il manipula ses bras à sa guise, étrangement. Elle frissonna à la caresse sur sa joue. Ce n'était pas un tissu cette fois. Il parla. Et Qilin s'interrogea. Que cherchait-il ? Quel écho voulait-il solliciter en son sein ? Quelle volonté habitait ses pensées ?
La voilà propulsée au cœur de sa cellule, dernière fois où, nue, elle se tenait dans une bulle. Enroulée dans une confiance et une assurance uniques. Comme le dragon carmin autour de sa silhouette courbe et gracieuse. N'avait-il pas la même couleur, ce divin primate ?
La jeune Lù frémit encore. Nouvelle alerte de son être. Un instinct de survie face au monstre qui l'avait saisie. Elle ne bougeait pas. Il reprit. La tension redoubla, si seulement c'était possible. Trop de précisions. Où se trouvait le flou de sa conscience ? Et à mesure que ses mots peignaient les sensations, il cristallisait sa chair de son empreinte si particulière.
Le battement du cœur contre le sien, sourd, régulier. Le souffle libéré si près de ses lèvres, doux, apaisant. La puissance des muscles contenant les siens, souple, sécurisante. La voix qui emplissait l'étreinte, profonde, un peu rauque. Si oppressant. Ses sens lui proposaient une réponse que son esprit ne pouvait cerner. Elle en devint incapable de songer, de regarder. Son corps restait tétanisé.
L'enfant des lumières se retira. Légèrement. Puis lui soumit une question. Qilin retrouva brutalement le fil de sa respiration. Ainsi dévêtue, la maîtrise de sa condition lui échappait, et laissait place à une désagréable vulnérabilité. L'impulsion de se secouer pour s'en débarrasser la brûla. Toutes sortes de réactions défilèrent à sa portée. Un éclat de colère. Un geste offusqué. Une parole joueuse. Une critique acerbe. Un sourire malicieux. Un dédain froid. Un regard méfiant. Mais non. Rien. C'était mieux ainsi.
Elle se releva très calmement et récupéra ses affaires. Habillée, elle adressa un long regard à la mer. La douceur de sa voix brisa finalement le silence. Une fausse note retentit, contredite par la vérité mnésique à laquelle ils étaient sujets. Par la chaleur qu'elle sentait encore malgré la caresse nocturne sur sa peau de neige.
« J'ai froid. Rentrons. »
Une certaine distance empiétait sur son timbre et sa considération. Quelque chose avait changé.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Entre deux Eaux
[Qilin & Amko'Unn]
Tel un éclat vermeil sur une neige immaculée, la souplesse de mon emprise contraste avec la tension qui habite la moindre fibre de son corps. L'écho de l'épreuve se mêle à une sensation neuve qui le fractionne et le morcelle... Intéressant. Voilà donc que se crée un nouveau reflet. N'avais-tu guère choisi la reliance, avec, une certain degré d'assurance, petite humaine? Les sens se partagent, mais l'essence se délie dans une fracture particulière, entre l'acception physique qui transpire de ton immobilité, et la distance psychique que renvoie ton corps, il y'a plusieurs mondes de possibles...
"Rentrons."
Je pourrais amener bien des mots pour combler cet éloignement aisément perceptible, ou le renforcer, c'est selon et c'est... Très tentant. Mmm, Amko', que vas-tu faire de toutes ces perspectives alléchantes que t'ouvrent les bras de sa réaction? Je dodeline un peu de la tête sans avoir bougé mon fessier du sable. Je suis bien, là, dommage, ce n'est rien. Oh oui, tiens...
"...Ce n'est rien."
Mon corps se redresse, avec souplesse et lenteur, je m'étire comme quelqu'un qui sort d'une transe. Le feu s'amenuise, il disparaîtra dans la noirceur salée de la nuit. D'autres ont brûlé autour, marqué, ancré... Tout n'a pas a être visible, cela serait si triste et si simple. Je passe le bout des mes doigts sur ma joue intacte dans un fin sourire, puis m'approche derrière elle. Ma grande, va bien falloir y revenir si tu veux qu'on grimpe ce bout de falaise, héhé. Mon corps n'est pas empreint de tension, lorsque tu t'y agrippes et que ton visage frôle ma crinière, l'équilibre demeure encore à trouver dans ce dynamisme qui nous lie.
Je m'accroupis en me détournant de sa silhouette, mes grandes mains velues foulant avec délice le sable qu'elles rencontrent aussitôt. Un éclat inaccessible brille au fond de mes iris argentés, lorsqu'un soupçon, très léger, de provocation, s'immisce dans mon propos.
Ombre ou lumière, qu'importe, les murmures se glissent entre les murs...
Rien. Comme si cette empreinte pouvait se satisfaire d’un tel mot. Comme si elle n’avait pas à signifier quoique ce soit. La jeune femme aux longs cheveux d’ébène releva sensiblement le menton. Ses traits se tendirent avec une discrétion maîtrisée. Cette déclaration sonnait faux, et il le savait. Était-ce une façon de lui renvoyer sa propre réaction en pleine figure ? Ou la perturbation de son esprit l’amenait-elle à créer des embranchements en tout lieu ?
Qilin observa le grand primate se relever presque avec nonchalance. Elle le laissa quitter son champ de vision et revenir dans son ombre. Ses doigts agiles bouclèrent la dernière sangle qui maintenait la maille contre sa poitrine. Son armure recouvrait désormais ses plus simples habits. La suggestion retentit avec défiance. Ses iris vifs se plantèrent sur la peau carmine. La colère. Tentante. Mais trop facile. Et la Capitaine n’aimait pas choisir la facilité. L’indifférence conviendrait mieux à cette situation.
Son masque enfilé, elle grimpa silencieusement sur le dos de Amko’Unn. Elle força son corps à se détendre et à se libérer de la tension les liant tous deux. Le demi-dieu se mit en route. Elle n’eut d’autre choix que de s’accrocher pour suivre le mouvement. Un constat désagréable en l’instant. Un besoin ineffaçable d’un revers de main.
Le doute la cueillit en chemin, sans savoir s’il émanait de toutes ces sensations difficiles à ignorer ou de la nature qui les embrassait si aisément. Devait-elle resserrer la bride ? Elle ne savait plus sur quel pied danser. Loin du confort de la fourrure argentée, le froid la saisit.