... Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute
Jeux de reflets
╠ Manoir des Lù ╬ Été ╣ [Qilin & Ember]
Un pas posé délicatement sur le fil de ma transfiguration, et voilà que, velue, ma patte se meut en un pied délicat. Mmm... J'aime cette apparence, la finesse de ces traits à l'opposé du faciès buriné du primate dont je suis l'écho. Ou est-ce l'inverse, n'est-il guère mon écho? En cet instant d'ivresse pure et... Dénudée.
Ne devrais-je guère songer à me vêtir, tiens? Oui, sans nul doute. Le reflet d'un sourire malicieux et dépourvu de pudeur orne le coin de ma lèvre supérieure. Mes sens relationnels et empathiques sont bien plus aiguisés lorsque je suis humaine. Un état de mon fait. Une perception singulière, qui me laisse entrevoir en ces murs, les vibrations d'une plénitude respectueuse que mon naturel brut et sauvage pourrait troubler avec aisance. En ces lieux, il me serait agréable de perturber toute la maisonnée pour, au fond, pas grand chose à mes yeux. Ce n'est cependant pas mon optique primaire... Quelques vêtements pour éviter un chamboulement incertain seraient les bienvenus.
Une porte comme une autre se profile sous mon regard d'or sombre. Celle de la chambre d'une domestique, qui vaque suffisamment loin de cette dernière pour que j'y trouve mon bonheur. La simplicité me sied mieux que les parures des maîtres du manoir. Le tissu que je trouve reste d'agréable qualité cependant, tant mieux, j'ai une peau sensible et précieuse! Les coloris se mélangent avec subtilité et gaieté, du violet et du blanc, une touche de noir le long de mes jambes fuselées, bien, je ne vais pas m'éterniser plus que nécessaire. Le temps de relever en un chignon la masse considérable de cheveux que je me suis choisi d'avoir et me voilà à errer dans les couloirs de nouveau, pieds nus, évidemment!
Bon! C'pas que je m'ennuie, mais il y a probablement mieux à faire, où donc se trouve ma chère invocatrice? Heureusement que les détails mnésiques ne sont pas tous altérés par la métamorphose et que sa chambre se présente rapidement devant moi. Vide? Sérieusement? Elle a autre chose à faire que de m'attendre? Mes yeux se lèvent au ciel avec dédain et je commence à déambuler dans la pièce silencieuse.
L'ambre de mon regard capte alors son reflet, dépassant à peine du dessous d'une pile de vêtements, à porté d'une main aux doigts fins. Main qui vient saisir la bande de tissu légère à la couleur du désert, sans se soucier de mettre du désordre dans la pile qui le recouvrait. Je pourrais cintrer ma taille avec? Ou... Un bruit de panneau coulissant interrompt mes intenses réflexions vestimentaires, pour laisser apparaître un tout autre reflet cette fois... Qilin en serviette de bain... Le visage étrangement serein, par les Quatre, voilà qui change! Ma voix claire et espiègle résonne dans la pièce alors qu'elle n'a pas encore relevé le fief dans ma direction.
'' Ah ben voilà! Un peu de naturel et de spontanéité. C'est déjà mieux que d'être engoncée dans une armure de métal... ou de chair... Hahaha!" '' Que d'anodins petits mots suffisent pour faire passer un être humain d'un état d'esprit à son opposé, de la décontraction à la contraction, il n'en fallait guère plus, à l'évidence.
Mon regard l'a déjà quittée sans se préoccuper du reste, pour revenir à mon objet d'attention du moment, que je passe autour de ma taille et envisage de nouer. Mais est-ce que cela m'irait? '' C'est joli, je peux te l'emprunter?" '' Sans me soucier du contraste entre mon expression et la sienne, j'attends avec un sourire au coin des lèvres sa réponse. Je n'attends pas que cela d'ailleurs, au fond, elle n'a aucune idée de mon identité, héhé...
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Mouvementée. Un adjectif trop terne pour qualifier la journée de la Capitaine Lù. Un long souffle franchit la barrière de ses lèvres. Invisible, à peine audible. Il se mêla aux vapeurs dégagées par le bain. Elle s'y était attendue. Amener un maniaque des jeux dans son quotidien strictement cadré entraînait immanquablement des écarts. Tantôt un sourire, tantôt un soupir ornait ses traits en y repensant. Il restait tant de travail à accomplir, tant d'efforts à fournir, tant de données à régir. Aujourd'hui en valait la peine. La tête de ses collègues ayant découvert l'illustre Sobki n'avait pas de prix.
Détendue. La caresse de l'eau chaude sur sa peau nue faisait effet sur son corps comme son esprit. Un tendre éclat de rire fila, évanescent. Des perspectives trop sérieuses, comme cette maudite enchère, cherchaient à stimuler sa réflexion. Elle les repoussa sagement, prit une grande et silencieuse inspiration, puis se laissa engloutir dans le calme de la pièce intimiste. Et s'immergea plus littéralement sous la surface aqueuse.
Les yeux ouverts, Qilin contemplait le plafond. La teinte beige, agrémentée d'ombres et de lumières dansantes sous la flamme des bougies présentes, apportait son lot de chaleur et de confort. Sa poitrine se soulevait doucement. Ses jambes sortaient du bassin de bois sans se soucier de ne plus toucher terre. Et ainsi ses pensées sinuaient timidement. Librement.
Un repos très différent du sommeil, et de la méditation. Très rare aussi. La jeune femme reprit sa respiration. Le parfum fleuri du bain imprégna à nouveau ses sens. Une fois lavée, elle le quitta sans se départir de ces délicats effluves. Elle essora ses long cheveux bruns jusqu'à restreindre toute tentative d'escapade pour les gouttes d'eau, puis enroula une serviette pourpre autour de son corps.
Quel soin capillaire utiliser ? En pleine réflexion, elle fit coulisser le panneau qui donnait sur sa chambre. L'autre main gardait le tissu en place. Et faillit bien le lâcher face à la découverte d'une intruse, initiée par le son d'une voix inconnue. Ses doigts se refermèrent sur la serviette avec force. Ses traits tentèrent le même repli. La surprise s'accrocha plusieurs secondes à ses iris ébènes et ses pensées avant de céder. Ses muscles se crispèrent dans leur totalité. Qilin avisa la dague dissimulée sous son oreiller.
Les mots, bousculés en tout sens, s'ordonnèrent sous la poigne de la réflexion. Son instinct suivit le pas. La vision de cette ceinture couleur sable aspira son regard noir une brève seconde. Une ouverture à refermer, et dissocier. Les termes nonchalants lui revinrent à l'esprit. Ils ravivèrent les braises de l'émotion, ardemment combattue pour démêler la réalité. Naturel. Spontanéité. Engoncée. Rien n'allait dans cette déclaration. Personne ne pouvait les utiliser. Sauf peut-être...
« Amko...? »
Une question soulevée à voix basse, presque dans un murmure. Indécise, et finalement rattrapée par la somme de toute logique. Un basculement. La mâchoire de la fille Lù se serra. Le froid des Landes Nord glaça son ton et son visage. Son maintien reprit une forme impérieuse pour dominer le combat.
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Quel ravissement ! Tous ces états d'esprit qui doivent se succéder derrière ses prunelles et ce faciès tentant de maintenir une nouvelle rigidité. Un sourire éclot sur mes lèvres, alors que la soldate hésite en prononçant mon nom... Enfin, pas le bon. J'ai presqu'envie de répondre 'Perduuu !' mais je crains que cela briserait quelque chose de si... Intense qui doit probablement se passer dans sa tête. Enfin, je n'en ai aucune idée dans le fond, néanmoins cette possibilité me plairait, assurément!
Les mots fusent soudain, les fers qui les enrobent se lient à mon âme avec une sensation hautement désagréable. Ouh, quelle susceptibilité. Décidément, les réflexes autoritaires chez elle, ça va être à travailler. Comment? Je suis entrée dans son espace intime sans aucune délicatesse et cela me surprend? Et bien...non... C'était là l'idée, en vrai. Et je suis plutôt curieuse de voir la suite, même si je dois être la seule. Le fin tissu se dérobe à mes doigts pour tomber au sol, tandis que mon corps se penche vers l'avant dans une sorte de révérence digne.
''Vos désirs sont des ordres, maîtresse.'' L'appui volontaire du dernier terme n'était, évidemment, pas là pour passer inaperçu. De toute façon, elle comprendrait bien vite que beaucoup de choses risquaient de ne point me convenir. Surtout si elle continuait sur cette lancée. Une fois redressée, je m'avance vers elle, on a presque la même taille, c'est assez étrange et intéressant, d'autant que je ne l'ai pas fais exprès. ''Tu m'gênes.'' Le geste accompagnant la parole, je viens lui donner un petit coup de fesses pour la forcer à se décaler d'un rien. Bien que cela ne soit pas nécessaire, mais j'étais énervée et la provocation irradiait dans toutes les fibres de mon corps d'humaine. L'instant d'après j'avais déjà saisit le bord du panneau coulissant et le refermait derrière moi avant qu'elle n'ait le temps de réagir. En quelques secondes à peine mes nouvelles frusques habillèrent le sol, tandis que je me glissais dans l'eau encore fumante d'un bain aux fragrances délicates.
╔╬╗
Par les Quatre quel pied ! J'ai presque faillit oublier le réel autour de moi en plongeant dans ce délice sensitif dont je n'avais plus joui depuis des lustres. Mes sens reviennent cependant bien vite à la conscience du moment et à cette entrave magique qui j'ai senti étreindre mon corps et mes mouvements plus tôt.
Et bien quoi? Je ne suis plus dans sa chambre non? Et je suis sortie de là... J'ai o-b-é-i. Ma voix s'élève, pas besoin de forcer pour se faire entendre avec des murs aussi peu épais. Colorée d'une note presque impérieuse, ''A titre purement informatif, je déteste qu'on me donne des ordres.'' Mon ton baisse à peine d'un cran lorsque je poursuis, avec un soupçon de provocation supplémentaire. ''Les désirs, c'est autre chose.'' Mais encore faudrait-il qu'elle fasse la différence, madame la capitaine, troisième fille des Lù.
''Oh et c'est Ember, sous cette apparence. Amko'Unn est intemporel, pas moi! Toi non plus d'ailleurs.'' Mes pensées vagabondes alors que j'attends une réaction quelconque. Ou peut-être que je m'en fiche, maintenant que mon corps entier se prélasse avec bonheur dans ce bassin de bois... Je pourrais fermer les yeux, m'immerger, et l'oublier complètement. D'ailleurs, je vais le faire, tiens.
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Quelle déplaisante familiarité. Chaque note créait une dissonance à l'oreille et dans l'esprit de la fille Lù. Les sens en alerte, la poitrine comprimée, elle encaissa les offensives de l'étrangère sans parvenir à s'en protéger. Telles de petites morsures, elles marquèrent sa chair pâle. Le contact indésirable acheva de détruire la moindre trace d'aisance.
Qilin resserra la serviette autour de son corps nu. Le mélange de vulnérabilité, de confusion et de susceptibilité offrait à sa psyché un cocktail des plus explosifs. La colère sourdait par tous les pores de sa peau humide, la paralysant à demi. Son visage de glace ne laissait rien paraître, mais ses iris noirs brûlaient d'un intense éclat. La disparition de la chevelure de jais ne suffit à l'apaiser. Le soulagement tenta de chasser la tension de ses muscles. En vain.
De longues minutes s'écoulèrent avant que la respiration de la noble ralentisse. Sa colonne vertébrale retrouva son habituelle et impeccable droiture. Elle insuffla lentement. Enveloppée dans un calme factice, elle fit quelques pas en avant. Ses doigts délicats ramassèrent l'étoffe couleur sable d'un geste mécanique et la remirent à sa place. Dissimulée sous un tas de vêtements aux nuances variées. Ses yeux naviguèrent sans point d'ancrage, pour laisser la tempête se dissiper. Fermée aux bruits de l'eau -touche finale de la violation de son espace privé, elle construisit une bulle dénuée de sérénité.
Un temps supplémentaire et le tissu collé à son derme se détacha enfin. Des mouvements à la grâce mesurée passèrent des sous-vêtements immaculés et des bas transparents, puis cintrèrent un kimono magenta autour de sa taille. La douceur de la fibre arracha une bribe de confort aux profondeurs de son être. Qilin serra la bride avec fermeté. Elle se sentait moquée et humiliée. Il ne pouvait s'agir d'Amko. Il ne lui infligerait pas ça.
La jeune femme ouvrit la porte de sa chambre pour déposer la serviette trempée sur le pas. La dague tapie sous son oreiller prit position entre la bretelle et sa cuisse. Ember. Qu'était-elle ? Qui était-elle ? Assurément pas quelqu'un d'acceptable. Sa conscience réintégra la proximité de cet individu. La colère s'engouffra dans la brèche avec force. Qilin fit barrage du mieux qu'elle le put. Son épaule heurta l'embrasure du panneau coulissant et ses bras se croisèrent sous sa poitrine. Un ton sec perça le silence qui l'entourait.
« Sors du bain et rhabille-toi. J'ai à te parler. »
La décision annonçait une ouverture. Incertaine mais existante. Aucune direction ne semblait possible. Dos contre le mur, elle finit par exprimer difficilement l'intrusion qui envenimait son esprit.
« Tu n'as pas le droit de percer mon intimité de la sorte. »
La déclaration servait de but en elle-même. Aussi Qilin n'attendit pas. Provocation, taquinerie ou toute autre réplique irrespectueuse dans la bouche de l'autre, avaient déjà creusé une tombe.
« Pourquoi débarques-tu sans t'annoncer, sous une forme que je ne connais pas ? »
Le regard d'ébène transperça la matière qui le séparait de l'ambré. Mieux valait chercher une réponse malgré l'effort coûteux.
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Un bruit sourd vint percuter le panneau sans que j'y accorde d'intérêt. La voix retentissant à nouveau, par contre, gagna mon attention de force plus que de gré. L'ordre fusa. J'aurai pu me boucher les oreilles en ayant la tête submergée que cela n'aurait pas produit la plus infime variation parmi les ondes arcaniques. La sensation on ne peut plus désagréable de se mouvoir de façon presque mécanique, impersonnelle et surtout... Peuh, la suite, je trouverais un moment pour le lui renvoyer à la figure, clairement. Être contrainte à faire ne m'empêchait nullement d'y apposer ma touche personnelle. Traduite en grognements audibles accompagnés de jurons brefs.
L'eau dégoulina sur le sol de la pièce de bain et j'hésitais à me rhabiller de suite, comme demandé, ou prendre la peine de me sécher. Bon, ce confort demeurait le mien après tout... Je dénichais une serviette propre et pris tout mon temps. Je n'avais pas reçu de précisions temporelles finalement. Un premier reproche se déclina... Une phrase lourde de sens, qui dessina l'esquisse d'un sourire à la commissure de mes lèvres. Quelle idée, d'offrir de telles armes à qui que ce soit, s'en rendait-elle seulement compte ?!
Enfilant mes frusques provisoires sur mon corps dénudé et sec, je ne bénéficia guère du temps d'un retour. La question était aussi simple que la réponse. Légère et voilée de sarcasme. ''Parce-que ça n'aurait pas produit le même effet ?'' Car j'en avais eu l'envie, soudaine et irréfléchie. Or, je réponds souvent à mes envies sans les restreindre. Je suis impulsive, que voulez-vous? Revenant à l'idée précédente sans, moi aussi, lui laisser le temps de rétorquer mon timbre s'éleva avec une neutralité étrange.
''Être manipulé au plus profond de sa chair par autrui, sans son consentement, est une façon différente de voir son intimité percée par quelqu'un. C'est même pire, on lui ôte purement et simplement le droit d'en posséder une.'' L'ambre de mes prunelles s'égare sur la cloison entre nous, qui ne sert finalement qu'à elle. Une protection comme une autre, certes pas la seule. ''Je peux reprendre ma forme originelle si cela te sied mieux. Peut-être serait-ce moins confrontant?'' Énervée, j'oscille entre deux idées qui me dérangent l'une comme l'autre, car je ne possède pas moi-même assez d'assurance dans ce lien qui m'unit à elle sous cette forme. Mais au moins je suis consistante, pas comme le macaque... Un peu trop, sans doute. L'enveloppe neuve réagit au moindre stimulus avec force. Cela me grise en réalité, mais les déclinaisons qui s'imprègnent comme inscriptions primaires à ma chair ne peuvent être au goût de tous. Ce n'est jamais que la deuxième fois que je prends cette forme depuis ma libération, certaines choses sont encore très embrouillées.
Mes dents viennent pincer ma lèvre inférieure alors que ma propre tension finit par redescendre doucement. Je n'avais pas de mauvaises intentions. Les prismes de chacun sont si multiples, comment pouvais-je savoir que cela allait l'affecter autant ? Certains se fichent complètement qu'on les côtoie de la sorte, l'intimité des uns et des autres ne possède pas les mêmes frontières. D'ailleurs, moi, cela m'est bien égal. Nettement plus que d'être tenue en laisse par la magie du pacte. Mon ton clair est redevenu léger. ''Tu l'ouvres cette porte oui ou non ? C'est pas un bout de bois qui te protégera de toi-même. Fais front ou réduis-moi à ce qui t’accommodes le plus qu'on en finisse.'' Bon... J'avoue... Il y avait p'tet un soupçon de provocation quand même dans ce propos.
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S'ensuivit une cacophonie de grognements sans aucune distinction. Ceux incapables d'obéir en silence peinaient à trouver leur place en société. La nature humaine de cette femme restait discutable, et l'épargnait à demi. Un pardon qui s'avérait difficile à produire selon les circonstances.
L'évidence d'une première réplique fit tomber un voile d'insatisfaction sur les traits crispés de la fille Lù. L'impression d'assister aux disputes idiotes de ses sœurs jumelles la frappa avec un léger dégoût.
Le changement de ton la tira d'un parallèle peu concluant. Les paroles firent sens, d'une façon toujours désagréable mais plus engageante. Elles lui rappelèrent que Amko'Unn se trouvait derrière ce faciès provocateur. La noble réfléchit, disposée à tempérer son humeur pour relâcher une bride qu'elle tirait, peut-être, un peu fort. Mais cette considération s'envola purement et simplement à l'évaluation de ce pire.
Ainsi Qilin dissocia la question de l'énervement de sa propriétaire, et s'y intéressa réellement. La confrontation ne constituait pas un problème. Elle la vivait presque au quotidien, sous de nombreuses formes, avec autrui ou en son sein. Des richesses insoupçonnées pouvaient sortir de cet échange parfois simple, parfois compliqué. Cette femme lui imposait des remous inutiles. La colère s'avérait contre-productive. Où était donc l'être simiesque qui partageait son esprit et illuminait ses pensées d'un reflet unique ?
L'éclat suivant l'arracha à sa réflexion. Un ordre pour qui se plaignait d'en recevoir. Incohérent et incompréhensible. Le trou se creusait davantage, créant un foyer propice à la montée des flammes. La soldate étouffa la vague sans se laisser engloutir. Son corps se détacha lentement du mur. Il fit face à l'insignifiante cloison. Le regard de jais dessina les contours d'une silhouette que son esprit ne parvenait à définir.
La noble leva la tête en inspirant doucement. Son souffle mourut dans un murmure infime :
« Je ne peux composer avec toi ainsi. »
Un maigre silence étreignit ses formes. Son pas feutré l'emmena en de vives enjambées devant la porte. Une main douce l'ouvrit dans un bruit léger. Après une seconde d'hésitation, Qilin s'évanouit dans le dédale de couloirs.
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╠ Manoir des Lù ╬ Été ╣ [Qilin & Ember]
Silence et absence sont parfois tissés par d'invisibles liens qu'il nous sied de percevoir ou non. Le premier, c'est tout ce qu'elle m'offrit. L'espace d'un temps qui sembla s'étirer avec lenteur et langueur dans la vase d'une épaisse atmosphère. Puis, du bout d'un murmure, elle déposa le second au creux de ce lien qui perdait soudain de sa densité potentielle. Je secoue la tête en fermant les yeux, avec cette étrange sensation de perdition que je tâche vainement de chasser. Respire! Un long souffle s'extirpa de mes lèvres humaines, alors que mon corps précédemment tendu sans que je ne le réalise ne se décrispe doucement.
Vraiment? Elle était partie? Comme ça, simplement? Et pourquoi donc ne pouvoir composer avec moi ainsi? N'avions-nous guère un accord? Cette apparence, cette forme d'existence dans laquelle me déployer pleinement, avait une importance capitale. Ma paume se pose délicatement sur le panneau, même si l'envie d'y encastrer mon poing tente de percer. Finalement, je fais glisser la cloison après quelques secondes aussi vides que mon regard... Et que la chambre.
D'accord. Tant pis... Au moins, je n'ai pas été contrainte de me transformer. Ça m'étonne peut-être, mais pas cette sensation bizarre à l'arrière de mon esprit qui trouve cela normal de sa part. Un soupir, pourquoi tant de difficulté ? L'alliage de mes deux formes se fait généralement plus en douceur. De façon presque fluide. Ais-je attendu trop longtemps avant d'adopter cette forme que je souhaites exploiter ? Ou passer trop de temps à ses côtés sous mon apparence originelle, plus exactement ? Stupide singe.
J'émet un grognement sonore avant de sortir à sa recherche. Elle ne doit pas être bien loin après tout. Et pourquoi est-ce que cette baraque est si grande bordel ?! Un couloir, puis un autre, des portes ci et là. Si je sortais dans le jardin ? Il fait sombre maintenant dehors. Une domestique me heurte soudain au coin d'un tournant et me dévisage, perplexe.
''Faîtes pas cette tête, je suis le singe. Pouvez-vous me dire où se trouve ma... Qilin ?'' Erk, le premier mot passait même pas dans ma gorge. Je suis aimable, j'espère qu'elle ne va pas paniquer. Dans un bruissement léger elle fait non de la tête puis s'incline avant de partir rapidement, en restant la plus droite et digne possible. Ils sont pas croyables dans cette maison, ça me fait peur, j'ai envie de les secouer comme des pruniers afin de leur dire de vivre un peu.
Mmm... C'est quoi ça? Pas le jardin. Ça sent vachement bon en tout cas! Je me faufile subrepticement, y'a personne? Ah si, mais trop occupé pour me remarquer, héhé. Une serviette par ici et hop, quelques trucs et bidules qui sentent bien bon dedans puis je m'éclipse comme si de rien. Je ne connais pas cette cuisine, mais à l'odeur, je ne risque probablement pas d'être déçue.
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Finalement, ma fuite furtive me porte enfin dans un lieu agréable et je me glisse à l'extérieur. Mmm, la plante de mes pieds se repaît de l'herbe rafraîchie par la naissance du crépuscule. Je frissonne d'un plaisir non contenu. De discrètes lanternes éclairent avec subtilité l'endroit et je distingue la silhouette familière assise non loin du bassin de pierre. Une personne est a ses côtés. Son... frère Wen! J'approche lentement, mais ouvertement. Pas la peine de jouer, je sens que ça va dégénérer. Je pose un pied sur le rebord de la pièce d'eau, puis le second, me hissant avec agilité. La finesse et l'habilité de ce corps épousent les réminiscence de ma fluidité simiesque avec une grâce supplémentaire. J'avance en mimant un funambule, puis saute à leur côté avec souplesse.
Ma voie enjouée et chaleureuse s'adresse d'abord au jeune homme calme. ''Hello. Moi c'est Ember. Le singe que tu as déjà du croiser quelques fois, mais... En mieux!'' Sans doute plus bavarde, plus culottée et plus énervante, aussi, mais c'est un détail. Mon sourire glisse de son visage à celui de Qilin et je viens me poser en tailleur à proximité des deux en soulevant le fruit de mon larcin.
''J'ai amené à manger! C'est toujours idéal pour repartir sur des bases saines, hm? Partager de bonnes choses.'' Je pose la serviette en l'ouvrant devant moi, qu'ils se servent si ça leur dit, moi je ne me fais pas prier. Il y a beaucoup trop de choses qui tournent dans ma tête avec l'envie de les sortir, que je vais m'abstenir au risque de piocher la mauvaise. De toutes façon, j'ai un met subtilement délicat à savourer, mazette, c'est atrocement bon. Mes paupières se ferment tandis que je déguste lentement un air proche de l'extase sur le visage.
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Le calme des couloirs se fit l'écho de ses pensées. Un vide maîtrisé y régnait, le temps que son corps navigue jusqu'à un point de retrait. L'immense manoir familial n'avait aucun secret pour la troisième fille des Lù. De longues heures passées à en explorer chaque recoin, à se cacher jusqu'à ce qu'on l'oublie, lui permettait d'évoluer dans ce dédale les yeux fermés.
La hâte à l'esprit, les gestes mesurés, Qilin gagna les jardins. La saison d'Ignis offrait une température agréable jusqu'à tard dans le sud de l'île. Le bruissement des feuilles et de l'eau accueillit ses sens avec soulagement. Elle inspira longuement. Ses poumons s'emplirent d'un air revigorant qui l'aiderait à chasser son trouble. Elle s'engagea parmi les buissons et les petits chemins de pierres plates. Ses pieds nus s'imprégnaient de chaque contact avec plaisir.
Ses iris sombres s'arrêtèrent sur une silhouette près du bassin qui trônait au cœur de cette composition florale. Quelqu'un occupait déjà son emplacement favori.
« Wen ? »
Le jeune homme se retourna, confirmant son identité à la lueur des lanternes et le ciel sans soleil mais encore clair. Il offrit à son aînée un sourire avenant, et répondit à l'interrogation silencieuse de son regard.
« Il fait doux à présent, je souhaitais profiter de la soirée. Elles sont plus tranquilles que les journées. »
Un air compréhensif lui répondit. Puis, anticipant à nouveau, il désigna d'un revers de main l'espace à sa droite. Qilin s'y assit avec grâce. Elle étudia son frère cadet tandis qu'il reprenait son livre. Leurs échanges se créaient souvent dans le silence, sans gêne aucune. Ils étaient les seuls de la fratrie à partager l'amour de la quiétude et de l'observation.
Wen avait hérité physiquement du côté maternel de la famille. Il ne dépassait pas sa sœur. Sa minceur lui donnait une corpulence moindre, surtout sans être formée aux armes. Ses traits doux le confondaient généralement avec le dernier né. Il posait un regard tendre sur beaucoup de choses, et se faisait remarquer par un phrasé aussi agréable que cultivé. Les pointes de ses longs cheveux détachés arboraient une couleur peu naturelle. L'opposé de son benjamin. Qilin laissa son attention dériver.
Une présence s'annonça dans le dos des Lù. La noble se redressa sensiblement. Il n'était pas difficile d'en deviner l'identité. La jeune femme aux iris ambrés entra rapidement dans son champ de vision. Elle resta parfaitement immobile, sans considérer la gestuelle simiesque. Le garçon ne releva la tête qu'à la salutation de la nouvelle venue. L'ouvrage fut reposé pour se dédier à cette surprenante compagnie. Un sourire amusé ornait ses traits.
« Bonsoir Ember. » Les yeux chocolat cherchèrent leur homologue foncé, puis sondèrent les deux femmes. « C'est une bonne idée. Un corps sain accueille plus facilement un esprit sain. »
L'attente naquit sur son visage, comme s'il mesurait l'instant avant de le saisir. Le temps que le goût du repas réintègre ses papilles gustatives. Wen saisit délicatement une banaronde confite. Un petit gémissement marqua son appréciation. Qilin inclina légèrement la tête, le sourire aux lèvres, pour décliner poliment. Sa voix se mêla au calme environnant avec douceur.
« Je n'ai pas faim, mais je te remercie. »
Séduit par l'invitation et charmé par le goût sucré du fruit, le cadet prit l'initiative de la conversation.
« C'est la première fois que je te vois ainsi, Ember. Tu es très agile. S'agit-il de ta première métamorphose ? »
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Quelle remarque intéressante! Elle fait écho à... quelque chose qui ne m'est pas accessible aisément. Tsss, sans doute les souvenirs brumeux du macaque. Les miens aussi, en quelques sortes, mais pas vraiment... Bref! Chassons ces pensées inutiles et profitons de l'instant pur et compact, bien présent, tel qu'il s'offre à nous, héhé! Je crois que je fais des jeux de mots aussi débiles, il faut que j'arrête ça de suite! Mon regard pétille à l'adresse de Wen, puis l'observe avec joie se dédier à la tentation. J'aime lorsque la retenue s’effrite au profit des plaisirs simples!
Qilin s'en désintéresse poliment pour sa part, dommage. Je note cependant deux possibilités dans ses propos, ignorant comment la cerner à ce stade. Politesse purement formelle? Sincérité qui ne ferme pas la porte à la conversation ou à ma présence? Serais-je seulement partie dans le cas contraire? Mmm, mes sourcils se froncent de réflexion, tandis qu'une question se glisse hors de mes lèvres avec une vélocité que je n'aurai pu refréner. J'penche le visage vers elle en plissant des yeux, alors que ma voix se faufile dans un timbre autant perplexe que taquin. ''Vraiment? C'est de la sincérité ou de la pure politesse? Comment j'dois le prendre?''
Pas le temps d'une réponse, la demande de Wen s'est immiscée dans nôtre échange et je me retourne aussitôt dans sa direction. Mais oui, la voilà l'idée! Un fin sourire étire mes lèvres. Je pourrais répondre de plusieurs façons, mais ne compliquons gère les choses. ''Ahahah, merci pour ce compliment!'' Un rire sincère, aussi éclatant que délicat, qui doit sérieusement contraster avec celui du singe. Je suis flattée, j'aime être flattée, autant en profiter non? Je continue de le regarder bien que la suite de ma phrase ne le concerne pas vraiment. ''C'est toujours agréable, d'autant que je ne risque pas d'en recevoir de tout le monde, surtout avec une telle candeur.''
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Donc, la question! Parce que je vais tout de même lui répondre et combler sa curiosité. Que sous-entend-t-il par première? Depuis ma sortie en compagnie de Qilin ou depuis mon enfermement? Voire depuis ma naissance? Spontanée et vive, je choisi l'orientation dans ma réponse. ''Depuis ma récente sortie, non. Néanmoins, c'est seulement la deuxième, je n'exclus guère quelques maladresses qui y seraient liées.'' Un clin d'oeil discret accompagne la fin de ma phrase, alors que les chemins de traverse qu'emprunte mon cerveau posent les bases d'une idée née plus tôt.
''Dis-moi, Wen.'' Je me penche un rien, posant mes coudes sur mes genoux, puis mon menton sur mes mains entrelacées avant de poursuivre. ''Cette apparence est jeune et encore inconsciente, elle porte peu de traces tangibles de ma nature divine ou de ses souvenirs. Accepterais-tu, de peindre de tes mots, les couleurs qui habillent le coeur de Qilin pour moi? Afin que j'en connaisse mieux les nuances.'' Mon sourire léger est honnête, même si je le relève subtilement en coin lorsque je l'adresse à la principale intéressée. Je me dédie alors entièrement au récit de son frère la seconde suivante.
... Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute
Sans surprise, aucune convenance sociale ne freina les mots de l'enfant d'Ignis métamorphosé. La fille Lù leva le menton dans sa direction. Seulement deux possibilités ? Voilà qui s'avérait maigre, venant du chercheur de reflets. Wen saisit la parole, lui évitant de s'attarder sur cette sincère politesse. Elle resta silencieuse, les mains posées sur ses cuisses, son regard de jais dédié au point d'eau.
Il dériva une seconde pour suivre l'écho de ce rire mélodieux, bien qu'un peu fort. Puis reprit son point d'ancrage. La remarque effleura les traits de porcelaine sans s'y accrocher. La respiration de Qilin ne vacilla pas, mais ses pensées fluctuèrent. La provocation faisait partie inhérente de son caractère. La recherche du conflit également ? L'ennui pointa le bout de son nez à cette idée.
Les mots suivants se désinscrivirent de cette fâcheuse tendance. Dans toute sa distinction, la noble offrit sa discrète attention. Une première occurrence. Ses sourcils se froncèrent légèrement. Ses iris sombres replongèrent dans le bassin. Wen hocha la tête. Il essuya le sucre de ses doigts sur sa robe sans plus de manières. Le fil tendu sur ses épaules reliait les deux femmes d'un mystère voué à le rester.
Un bref échange visuel se tissa entre elles. Le visage très pâle du jeune homme s'éclaira sous l'interpellation. Il jeta un coup d'œil à son aînée, qui acquiesça. Une tasse de thé aurait été parfaite pour apprécier la discussion. Tant pis, Qilin ne souhaitait pas rater la réponse. Son regard perçant soutint le chocolaté sans faillir.
« Je ne puis dépeindre avec précision les couleurs qui enserrent son cœur, puisqu'elle est si douée pour les garder cachées. »
Un souffle court, relâché sur un fin sourire, souligna l'évidence d'une conséquence. Les doigts de Qilin se délièrent tandis qu'elle inclinait sensiblement le fief. Un timbre suave précisa le sujet d'une telle reconnaissance. « J'ai eu un excellent professeur. »
Le cadet baissa les yeux, étirant ses lèvres avec amabilité. « En effet. » Un temps de pause et il reprit. Cette fois son regard chercha celui d'Ember.
« D'un rouge flamboyant il s'enveloppe en toutes occasions. L'orange le fait miroiter. L'or l'emmène briller jusque dans les contrées les plus ternes. Et le violet recueille les reflets du soir comme du matin, avant que le soleil se lève. »
La fille Lù observait son frère avec une relative bienveillance. Une réelle curiosité aiguisait son esprit. Ils n'avaient pas l'occasion d'échanger l'un sur l'autre, et qu'ils ne s'en privent pas une fois celle-ci offerte redéfinissait leur lien. Un sentiment étrange l'étreignit. Wen reposa les yeux sur elle.
« C'est une femme d'Ignis, belle et passionnée, et une peintre redoutable. » Qilin se détourna de la flatterie avec grâce et presque nonchalance. « Malheureusement, aucun de ses frères et sœurs n'a son talent pour associer les couleurs et décrypter leur mélange. »
Un voile triste acheva sa métaphore, qu'il chassa rapidement. Cette précieuse soirée ne devait laisser aucune place aux regrets. Aussi il se retourna vers le divin sous forme humaine, sa gaieté retrouvée. Et peut-être un brin de malice familiale sur les traits.
« T'a-t-elle montré ses toiles ? » Il se reprit avec douceur. « C'est la saison. En de rares journées elle s'aventure ici, dans le jardin, pose son chevalet et se met à peindre. »
Un petit rire distingué interrompit la gestuelle de Wen et les trop nombreux mots lui étant consacrés.
« Allons cher frère, n'éclaire pas tous mes secrets à la faveur d'une seule nuit. »
... Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute
Jeux de reflets
╠ Manoir des Lù ╬ Été ╣ [Qilin & Ember]
Merveilleux. J'ai eu la belle idée de poser une question avec poésie et maintenant j'ai droit à une réponses qui s'aligne sur la même forme. En pire peut-être ? J'ai beau écouter attentivement, je sens tous ses mots glisser étrangement sur moi. Sans qu'ils ne s'accrochent, composant avec le flou et la liberté infinie de son interprétation. Qu'est-ce que cela m'a apporté, concrètement ? J'ai juste appris une chose évidente qui m'aurait sans doute sautée aux yeux assez rapidement : Qilin voile habilement ce qui la compose et fréquemment, si pas au naturel. Parce que pour moi, c'en est devenu naturel à priori.
Belle, je l'avais déjà remarqué, c'est p'tet le seul sourire d'approbation clairement affiché que cela m'a tiré sur le moment même. Passionnée, ça n'a rien d'exceptionnel ou de croustillant...Halala.
Wen est aussi doué en la matière, vu que c'est lui qui m'a servi cet éclairage qui n'en est franchement pas un. Enfin "aussi" doué, ça n'a pas l'air d'être son avis. Parce qu'au fond, ce qui a retenu le plus mon attention dans tout cela, c'est bien ce voile qui a assombrit aussi subtilement que furtivement ses traits. J'ignore s'il est question d'amertume ou de jalousie, ou d'autre chose encore. Mais ce qui est certain, c'est que je vais lui ôter tout de suite du crâne l'idée que c'est merveilleux d'être comme Qilin. Qu'il ne gâche pas ce potentiel de spontanéité qu'il me semble receler bien plus facilement que sa sœur.
''Pfiouuu ! Et ben, moi je serais curieuse de savoir s'il existe un professeur suffisamment excellent pour réussir à lui apprendre comment s'ouvrir aux autres. C'est là un défi que tout le monde ne sait pas relever. Si ce n'est le hasard, lorsqu'il revête les couleurs de l'imprévisible et des prises au dépourvu.'' J'ai, depuis un moment, posé mes bras tendus derrière moi, pour mieux m'imprégner de la texture de l'herbe fraîche. Mon regard s'est levé vers un ciel qui s’obscurcit de plus en plus pour laisser scintiller davantage les étoiles. Mon timbre est léger, mais une note plus sérieuse s'en dégage malgré tout lorsque je poursuis sur ma lancée, plus calme, moins enjouée.
''Les personnes mystérieuses possèdent ce charisme particulier, qui éveille la curiosité autant qu'il met l'âme à l'épreuve. Ils attirent indéniablement par l'énigme qu'ils représentent. Mais égarent les cœurs confiants qui ne trouvent plus repères auxquels s'accrocher. Brisant parfois sur leur passage des socles plus fragiles que les leurs... Même si cela n'a rien de volontaire.'' C'est d'autant plus criant à mes yeux au travers de cette enveloppe charnelle neuve. Tel un nouveau né qui se forge par le biais des influences externes, se bâtit lentement, avec force et acharnement pour dégager sa propre personnalité de tout ce qui l'entoure et s'individualiser. Il existe de nombreux être plus fragiles que d'autres, malgré un âge avancé.
╔╬╗
Je pioche un met sucré et le porte à mes lèvres, sans réellement porter mon attention sur l'un ou l'autre, davantage plongées dans mes réflexions. Ça va finir par un mal de crâne, je le sens bien! L'allusion, intéressante cela-dit, à la peinture, vient modeler une métaphore sur mes lèvres alors que j'ai enfin dégluti. ''En fait, c'est un peu comme ces tableaux que l'on observe quelques fois, le constat éprouvé par certains est là : c'est beau, mais tellement triste et inaccessible. Ils font naître d'inconnus sentiments, certes poignants, mais qui ne manquent pas de nous déchirer de l'intérieur. Sans qu'on ait jamais compris pourquoi ou comment. Car c'est le secret bien gardé à la fois du peintre, mais aussi, et surtout, de l'oeuvre qui s'en est désolidarisée et que chacun s'approprie comme il peut.'' J'ajoute tout de même avec un sourire, mon dernier mot s'accompagnant d'un clin d'oeil. ''Je ne les ai pas vue non, mais je crains qu'elles soient trop imperméables à mon regard, pour l'heure du moins. Cela plairait sans doute mieux au singe.''
Finalement, mes prunelles s'accrochent au visage pâle de mon invocatrice qui se découpe sous le ciel nocturne. Il y a comme une béance au creux de mon estomac et de mon coeur vis à vis de mon ressenti actuel à son égard... Ma conclusion se relève d'une teinte faussement désabusée, j'ai envie de passer à autre chose, vraiment. ''M'enfin. Je suppose qu'on doit se contenter d'accepter que tout cela ne dépend jamais que de nous et éviter de croire que nôtre regard se pose quelque part et non sur le vide.''
... Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute
L'étonnement saisit les enfants Lù devant la réaction de la jeune forme humaine. Qilin s'en détourna rapidement. Cette déclaration aux allures nonchalantes la mena sur un chemin brumeux. Un air de déception semblait flotter dans l'air. La vérité énoncée par la brune se reflétait sur les traits compréhensifs de Wen.
Un frisson infime parcourut l'échine de la noble. Elle se remémorait l'étreinte de l'être simiesque. Ses mots l'entraînaient aisément à partager ses pensées depuis son arrivée. En ce partenaire d'esprit, elle avait peut-être trouvé ce professeur. Mais comment dissocier à ce point le fils des lumières et la femme avachie dans son jardin ? L'interrogation valait mille réflexions psycho-philosophiques et au moins autant de maux de tête.
La réaction d'Ember s'enrichit, encore et encore, alimentée au passage d'une petite douceur. Son attention bascula discrètement vers les iris ambrés. Ils furent sondés en silence. Sans la désagréable tournure de leur rencontre, elle aurait pu prendre du recul. Mais la récente meurtrissure jouait en sa défaveur.
Qilin se sentait concernée par de tels propos. Le modèle délétère d'une peinture exposée en plein musée de sculptures. Sa discipline empêchait l'ego d'écraser le doute. Il était trop tôt pour définir les contours de cette incarnation. Sa conviction ne devait pas céder, Amko'Unn le méritait.
Le fin tracé de ses sourcils s'arqua légèrement. Les mots se durcirent, de sens comme d'apparence. Ce qu'ils déclenchèrent s'avéra plus poignant qu'une simple offense. La sensation frappa directement au creux de son estomac. Une part d'elle souhaitait saisir ce visage à la dérive, le ramener vers des rivages sereins du bout de ses doigts délicats.
Mais elle ne la connaissait pas assez. Ou déjà trop. Cette ambivalence la dépassait. Divinement humaine. Plus tard. L'image d'une effigie parfaitement solitaire lui revint en tête. La métaphore lui parlait même sur un plan artistique. Qui s'abîmait le plus dans une telle description ? Le doré rejoignit l'ébène. Ce dernier le soutint de sa profondeur ténébreuse, sans rien lâcher.
Qilin inspira longuement. Sa poitrine se souleva. À côté, Wen était resté interdit. Il sortit de sa confusion au bout d'un temps. Le silence pesant s'effaça devant son souffle libérateur. Un bel enfant de la saison d'Aer. Il se leva lentement, un sourire bienveillant sur les lèvres.
« Peut-être. Si tu souhaites une autre réponse, je t'invite à rencontrer notre frère Jie. Je suis certain qu'il dressera un portrait moins figé. »
Une esquisse amusée ponctua ses traits. Il s'inclina ensuite poliment et pivota à demi avant de s'interrompre. Une ombre voila ses yeux chocolat.
« Je m'exprime… difficilement sans poésie. J'en suis d-désolé. »
Le jeune homme poursuivit alors sa première intention avec calme. La main de sa sœur glissa sur son poignet pour le retenir. La prise ne serrait que le vêtement, mais le contact fut suffisant. L'aînée attendit une seconde avant d'élever paisiblement la voix.
« Wen. » Et une deuxième, avant de reprendre. « Peux-tu demander à ce qu'on nous apporte le thé je te prie ? Merci. »
Lentement, ses doigts avaient dérivé jusqu'à la paume du garçon, pour la serrer doucement. Le cadet inclina le fief et lui décocha un sourire timide avant de laisser les deux femmes seules.
S'ensuivit une ère silencieuse, relativement longue. Le regard d'ébène s'envolait vers son pair lumineux, tantôt à la dérobée, tantôt pour s'y poser. Entre temps, il vagabondait à la surface du bassin. Il suivait les aspects sibyllins des feuillages, reflétés à l'inverse de la réalité.
Qilin mesurait ses pensées, puis ses mots. L'hésitation les bloqua encore, même une fois la boisson apportée et la servante partie. Se défaire de ses propres ancres restait une tâche complexe malgré l'expérience. Une touche d'imprévu éprouvait des méthodes pourtant efficaces. Elle les délivra finalement sur un ton réservé.
... Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute
Jeux de reflets
╠ Manoir des Lù ╬ Été ╣ [Qilin & Ember...]
Le silence est d'or... Tel l'ambre volage de mes prunelles. Un long silence, accompagnant mes propos jusqu'au bout. Il ne me semble guère avoir monopolisé la conversation pourtant. J'en déduis donc plusieurs hypothèses. L'indifférence? Je ne crois pas. L'introspection? C'te bonne blague ahah!! Enfin, comment savoir au fond? L'ennui? Non, je ne m'estime pas ennuyeuse, héhé. Bon... Merde en fait.
Wen réagit alors que l'ébène s'est accroché, inébranlable, à mes iris chaleureux. Il se relève et s'incline, semblablement mal à son aise? Un autre portrait... Ma foi, c'est le sien que je souhaitais. Il me l'a servi à sa façon. Mon regard se détache de l'humaine qui m'est liée, le temps d'un sourire en coin tandis que je penche le fief sur le côté et qu'il s'éloigne. Mon timbre léger s'envole avec une volonté de bienveillance.
''Ne sois pas désolé d'être toi-même, Wen. C'est là qualité d'exception.''
Je pose mon regard sur le vide créé par son absence. L'herbe tassée comme une empreinte... Nous ne sommes jamais réellement absent. Je saisi le dernier met entre deux doigts, un fin soupir s'extirpe de mes lèvres, quand le bruissement de celles de Qilin atteint mes sens. Ramenant à elle mon visage dans ses premières notes, tandis que j'engouffre négligemment le fruit sucré, avec lequel je m'étrangle aussitôt.
''Hremf!'' Je tousse avec la plus grande discrétion possible. C'est à dire aucune. Puis fini par avaler difficilement le morceau coincé en travers. Le poing toujours posé sur le haut de ma poitrine après l'avoir percuté à deux reprises pour faciliter le passage.
Mon regard a fuit depuis longtemps. Les larmes du simili étouffement n'ont pas atteint mes prunelles, heureusement. Pourtant, elles baignent dans une amertume clairement lisible et volontairement dissimulée. Même si malhabilement sans doute.
Amertume? Non... Je manque de vocabulaire. Singe stupide avec ses idées stupides. Je devrais pouvoir m'en désolidariser, non? Non... Je ne suis que le résultat de cette idée stupide après tout. Qu'est-ce que je suis, d'ailleurs? Le vide qui plane silencieusement s'épaissit. L'éclat de mon regard revient sur Qilin, comme s'il cherchait un ancrage. Elle?
''Amko'Unn... S'est brisé. Je ne suis qu'un piètre échappatoire. Un bris de ce miroir sans reflet tangible. Je suis déjà blessée.''
... Ah. Jai parlé trop...
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Mes traits deviennent momentanément disgracieux. Rapide, indolore, divinement bestial. Seul le bruit des vêtements qui se déchirent vient fracturer l'ambiance crépusculaire.
Le grand signe délie ses membres dans la nuit... Je.
D'un geste négligent, je me débarrasse des lambeaux de frusques. L'argent de mon regard se pose sur le visage opalin. Le mien ne reflète pas la moindre émotion.
"J'ai probablement du commettre une erreur quelque part... Ou peut-être ai-je trouvé le lien susceptible de refléter également mes défauts?" Ma voix grave et profonde est dénuée d'intonation particulière. Être humain... Humaine. Quelle idée stupide hein? Je me l'étais pas encore faite celle-là. Je me surprend presque...
... Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute
Difficile de mal interpréter une telle surprise, puisqu'elle manqua de tuer sa propriétaire. Qilin fronça légèrement les sourcils. Elle attendit que la jeune femme se reprenne sans blâmer son propre timing. Engloutir une multitude de sucreries renforçait naturellement le risque de s'étouffer avec.
Les traits de la noble se détendirent en voyant Ember hors de danger. Nulle répartie n'accueillit ses propos. Le choc dépassait visiblement la barrière de sa trachée. Ce silence aurait pu sonner comme un doux chant vengeur aux oreilles de la fille Lù. Une autre émotion cueillit pourtant ses sens à la vue du regard naufragé. Elle tendit la main dans un geste incontrôlé, aussitôt interrompu par la voix féminine.
Déjà blessée. Brisé. Ses lèvres s'entrouvrirent d'incompréhension. Quelle soudaine vague de résignation. L'ambre disparut sous ses yeux, sans qu'elle ait le temps de faire barrage. L'argent regagna ses droits, sans qu'aucun soulagement n'allège l'atmosphère. Qilin n'eut guère de pensée pour le vêtement déchiré. Son esprit oscillait entre les deux formes dans un même battement. Il y avait donc une connexion entre elles, au-delà de l'évidence magique. Une conscience de l'autre, étrangement propre à chacune.
L'ébène retrouva les iris divins. Ils semblaient presque ternes, comme une lumière sans nuances. Le constat émis à voix haute se fit impassible, insensible. Il ne diminuait pas la familiarité que lui inspirait la figure carmine. Mais il souleva son inquiétude avec aplomb. De quels défauts Amko'Unn parlait-il ? Ses émotions et sensations ? Avait-il perdu l'ensemble recherché en prenant apparence humaine ? Les reflets liant leur nous ?
Qilin se glissa auprès de l'être carmin. Sa main se logea au creux de la sienne, immense. La seconde se posa sur l'avant-bras un peu plus haut, en douceur. Chaque pensée portait une interrogation différente. Elle en avait tant. Toutes fusaient plus vite que le vent, la laissant avec rien. Mais elle refusait d'abandonner.
Ses doigts fins s'aventurèrent sur la joue du demi-dieu, anciennement marquée de petites griffures. Une seule question fit taire ses pairs en l'instant.
« Est-ce que tu vas bien ? »
Son ton bienveillant, curieux, attentionné, dénudait son visage avec une profonde sincérité.
Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute.
Lüh ~ Manoir des Lù
[Qilin Lù & Amko'Unn]
Recherche de proximité, contact tactile... Mes prunelles plongent au coeur de ses profondeurs nocturnes, alors que sa main caresse ma joue. Étrange, voilà une composition qui n'en n'est guère une sur son visage. La pureté opaline se révèle au naturel. Semble-t-il? C'est une interrogation intéressante, j'ignore quelle forme pourrait s'attacher à mes traits en cet instant. De la curiosité? Du plaisir? De la bienveillance? Peut-être un contentement intéressé? Non... Juste... Le flou de mes pensées qui s'accroche à cette demande.
Ma paume libre se referme, mon bras se lève et mon index ainsi replié vient soutenir délicatement son menton."T’inquiéterais-tu pour moi, petite humaine?" Une question offerte en réponse.
Un fin sourire habille mes lèvres, au souvenir d'un écho qu'éveille cette situation. Je ne puis être autre, que cet enfant divin à l'esprit éthéré, qui vient poser des mots sur le reflet de mes idées. Quelle qu'en soit la nature, quoi qu'en sera sa perception. L'humaine qui est à mes côtés est en mesure de relever mes attentes, aussi impalpables soient-elle. Du moins, je l'ai décidé.
Mes doigts se referment avec douceur sur les siens, ma poigne pourrait les briser en un rien de temps. Et sans lui octroyer l'espace d'une réponse, une autre question se faufile. La même neutralité éclaire mon timbre grave et bas. "Dis-moi, si tu venais soudainement à sentir mon corps se crisper sous ton toucher. Ta promiscuité... M'être potentiellement inconfortable, insaisissable. Quelle serait alors la nature de tes pensées à cet égard?" Certes, ici, il n'en n'est rien. Mais là n'est pas l'endroit du cheminement de ma psyché.
... Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute
Impossible de lire le minerai opaque qui habillait les iris du divin. Les roches faisaient pourtant l'affaire de la famille. Ce rapprochement seyait curieusement à la situation. Le chercheur de reflets se trouvait désormais membre des Lù, en un sens. Peut-être celui donné par l'inquiétude de la troisième fille.
La réponse se fit question. La jeune femme eut un mouvement de recul, léger et mesuré. Une pensée rassurante cueillit son être. Amko' gardait une forme certaine, pour ainsi percer ses sentiments à jour et dévier la lumière de sa propre personne. Elle allait rebondir sur un trait d'esprit, mais il ferma cette porte.
Un frisson électrisa son échine aux mots suivants. La main nichée au creux de la paume carmine se crispa brièvement. Le souvenir imprégna sa mémoire et son corps avec force. Idéal pour rappeler à sa psyché le sujet de leur conversation nocturne au bord de la Téthys.
En pleine recherche de sensations mnésiques, elle avait repoussé le fils d'Ignis, et ne s'était attardée que sur les siennes. Se mettre à la place d'autrui restait un exercice destiné à satisfaire un intérêt. Qilin s'y prêtait rarement à l'égard des divins, plus inaccessibles. Mais son lien avec l'enfant des lumières miroitait une réelle potentialité. À moins qu'il ne s'agisse d'une illusion.
Un élan d'agacement la saisit. Évidemment qu'elle se sentirait repoussée si sa présence venait à indisposer l'habile demi-dieu. Que visait-il par un tel phrasé ? L'éclat s'évanouit.
L'ébène dériva sur la grande main entourant la sienne. Cet étau vermeille la laisserait-elle partir ? Elle s'interrogea un instant avant d'oser se retirer doucement, mal à l'aise. Ses doigts se posèrent sagement sur ses genoux, et ses jambes se replièrent sous ses fesses.
L'amertume éloigna son regard vers le sol. Le silence poursuivait son œuvre. La demoiselle inspira calmement. À voix basse, elle finit par libérer quelques mots.
Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute.
Lüh ~ Manoir des Lù
[Qilin & Amko'Unn]
Un premier mouvement. Léger recul, mais incomplet, intéressant. La suite m'offrit une fine crispation... Rien de surprenant. Quoique? Vais-je délier plus de netteté? Non, pas encore. Son regard nocturne observe nos mains toujours en contact, puis vient un véritable retrait. Soit. Une excuse? Non, pas forcément... S'excuser et être désolée peuvent être dissemblables.
Aaah, la complexité de l'humain. Un fin sourire que son regard baissé ne peut voir étire mes babines. Moins neutre, amusé mais non moqueur. Il est temps de profiter d'un échiquier sans limite de cases, sans bornes réelles, sans jeu défini. Une diffuse infinité... Deux miroirs face à face huhu. Alors, voyons. Je penche le fief sur le côté avec un air dubitatif, puis dodeline de la tête l'espace de quelques secondes avant de reprendre un sérieux tout modéré. Ma voix n'est plus aussi sobre et plate qu'auparavant. Une pointe d'attention la colore.
"C'est aimable mais cela ne m'est guère utile. Enfin, peut-être n'est-ce pas l'endroit de ton propos. Après tout..." Je laisse ma phrase en suspend, vaguement, guère plus de trois ou quatre secondes. Le temps d'apposer à nouveau ma main refermée sous son menton pour retrouver l'ébène afin de le voir se refléter dans l'argent de mes prunelles. "...Ne suis-je pas ton reflet?" Parmi d'autres réalités possibles, certes, je ne me limiterais probablement jamais à rien de spécifique. Mais en l'occurrence, j'aimerais voir ce que ce simple fait lui évoque, quant à ses propres mots.
Ma main se retire doucement. Mon esprit vogue à sa guise, tandis que je lui laisse un instant de réflexion.
... Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute
Où se trouvait la nuance entre lui et elle ? Des réponses déroutées, prenant une direction plus sensée encore. La tête carmine se baladait sur le fil tendu par les doigts blancs. Ils pourraient tirer d'un coup sec et le faire tomber, s'il ne s'accrochait pas. La jeune femme offrait chèrement son attention. Que le singe la balaie ainsi lui donnait envie d'un tel geste. Si simple, mais peut-être dangereux.
Elle avait marché sur un éclat de verre perdu dans un océan de sable. Déjà brisé, à nouveau martelé. Sa retraite gagnait une incidence non désirée. Mais avait-elle réellement un impact ? À trop se regarder dans la glace, les Lù devenaient facilement présomptueux. Les iris de jais se relevèrent fièrement. Un éclat de malice caractéristique adoucit sa teinte naturelle.
« J'ai suffisamment de miroirs pour ne désirer qu'un reflet. »
Il brillait un peu moins qu'à l'ordinaire cependant. Le chercheur de reflets se débrouillerait avec ses mirages, même si l'incertitude la dévoilait déjà trop. Son regard dériva pour suivre avec tranquillité les contours de son reflet sur le bassin d'eau. Les regrets s'ancraient dans les abysses ténébreuses. Leur chaîne s'avérait parfois trop courte pour creuser la terre ou s'y installer durablement. En sa qualité de bretteuse, peu d'aciers lui résistaient.
Quelque chose plongeait lentement. Indépendant de sa volonté, hors de sa portée, il s'enfonçait en silence. La respiration de Qilin se réduisait au fur et à mesure de la pression exercée sur ses poumons. Une lumière ambrée, diffuse, virevoltait autour d'elle. Elle prit une longue et discrète inspiration. Sa voix élégante et si douce, fit sortir ses pensées.
« Est-ce que je la reverrais ? Ember. »
L'ébène ne se tourna vers l'argenté qu'après quelques secondes. D'abord, timidement. Puis il ne le quitta plus.
Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute.
Lüh ~ Manoir des Lù
[Qilin & Amko'Unn]
Un léger éclat de rire m'échappe. Bien sûr, pourquoi pas... Mais lorsqu'il n'y a plus de miroirs, qu'en est-il vraiment?
"De toute façon, je suis plus beau qu'un miroir, héhé." Maaais non je ne viens pas du tout de sous-entendre que je suis plus beau à voir que ce qu'elle perçoit quand elle se regarde dans une glace. C'pas mon genre, nan, nan, nan. Je tourne le fief dans un geste de négation toute personnelle et qui doit sortir de nulle part à ses yeux.
Je la laisse s'éloigner du regard, se plonger dans des eaux qui lui sont propres. Quoique... Je la sais capable de s'immerger là où rôde le danger. Là où les abysses ne sont pas siennes et les imprévisibles partout en dormance. Un aspect qui me plaît singulièrement.
La question me tire de ces agréable pensées, pour ramener le réel immédiat de mes profondeurs personnelles. Ah... Est-ce là une interrogation, ou un souhait? Qu'il me sied d'y mettre les couleurs de mes interprétations.
"Certes." Mes opales argentées brillent doucement, dans l'accroche à présent définitive de l'ébène... Attendrit? Huh, je ne suis pas certain du terme qui me vient à l'esprit, mais. Mais voilà. Je sors du flou, je me permet une pensée plus précise, porteuse d' "erreurs" aussi relatives soient-elles. Ouuuh, trop de choses pleines de mystères ce soir, je vais plus me sentir là, on se calme. On se calme, il y a une urgence qui demeure.
"Je dois me rendre à Layane rapidement auparavant. L'enveloppe d'Ember n'était pas encore prête à te rencontrer. J'aurai probablement du m'en douter, mais... J'aime jouer avec le feu, un si vilain et passionnant passe-temps." Le sourire qui habille mes lèvres se pose sur le ciel étoilé. J'me redresse lentement et m'étire en grognant, avant de m'éloigner d'elle.
"Maintenant, si tu le permets... La nuit m'appelle." Avec son assentiment discret, je rejoins d'un bond souple et fluide le toit le plus proche, dans un silence exemplaire. La traînée flamboyante de ma peau disparaît alors parmi les noirceurs environnantes.
... Quand les murmures se métamorphosent en mélodie brute
Il paraissait si changeant, à jouer avec les mots pour déformer les images, sous la mélodie brute d'un éclat amusé. Puis, à se jouer de lui-même, en quelques gestes absurdes. En réalité, Qilin y trouvait une certaine constance, du moins, une régularité. Amko'Unn opérait ainsi en sa présence, depuis leur rencontre.
Cela n'affirmait pas nécessairement un caractère naturel. Même s'il adoptait semblable comportement avec les gens gravitant autour de sa personne. Mais il y avait un passé, et d'autres contextes auxquelles elle n'avait pas accès. Les événements de la soirée le prouvaient. Avec un être aussi mystérieux que le chercheur de reflets, il fallait s'y attendre.
Elle voulait lui poser tant de questions, et s'abstint. Cette retenue délivra un sage acquiescement.
« Bien. »
La hâte dans les paroles du demi-dieu donna un nouvel élan à ses interrogations. La famille mentionnée auparavant refit surface, avec un sentiment de nécessité plus prégnante. Étranges liens qui se tissaient au-delà de sa vision. Inutile de réfléchir à ce qui la dépassait. Elle aussi aimait jouer. Une envie qui n'imprimait pas ses traits délicats, en ce rare instant.
Le départ arriva encore plus vite qu'annoncé. Il flotta plusieurs secondes, le temps de se préparer. Elle répondit sans donner d'ordre, conscientisant l'écoute plus que l'entente.
« Fais donc. »
Nulle opposition ne portait sa voix basse. Qilin le laissa s'effacer. Un dernier murmure atteindrait probablement ses petites oreilles divines.
« Que son étreinte te soit douce, enfant de la lumière. »
Ses doigts longs et fins saisirent délicatement le contenant en porcelaine, posé sur un plateau non loin. Elle huma le bouquet et avala une gorgée du liquide à peine fumant. Plus assez chaud, toujours délicieux. À leur tour, les iris ébène se portèrent sur le ciel étoilé. Le manteau nocturne guida lentement ses pensées jusqu'au fond de la tasse. La jeune femme gagna ensuite son lit l'air paisible.