Le vent souffle sur la plaine

La grande bête à plume gardait un œil noir sur celui à la chevelure la plus claire. Une image lui revient d'ailleurs subitement, d'un souvenir lointain. Cependant, il ne voulait pas y avoir à faire et secouait maintenant vigoureusement son crâne comme pour l'en décoller. C'était une victoire, pour cette fois-ci. Cependant, quelque chose d'autre l'intriguait et son regard revenait à l'homme à la petite hache. La tête de l'emplumé se penchait alors sur le côté, d'un air interrogatif. Pourquoi ne lui répondait-il pas ? Il avait pourtant bien eu l'impression d'avoir entendu une voix, autre que la sienne dans sa tête. Peut-être que ce n'était pas lui finalement...

L'autre, en revanche, n'attendait pas pour lui répondre. Ses oreilles trouvent la voix guerrière en première, s'ouvrant dans sa direction avant que son museau ne les suive, pour s'en trouver tout droit tourné vers le guerrier. Il fallait donc qu'il lie un pacte. Mais comment ? A cette question, il n'avait pas la réponse, mais l'homme ne semblait pas vouloir lâcher l'affaire. C'était même assez étonnant d'entendre une voix calme venant de ce dernier, même pour quelqu'un comme le fils d'Aer qui ne l'avait rencontré que récemment. Sa tête se penchait à nouveau, ses lourdes oreilles suivant le mouvement avant de suivre les indications données.

Le regard et le museau tournés vers la sortie, il ne lui faut que quelques instants pour se lever et entamé une avancée. Le guerrier avait raison, ça ne pouvait pas être pire à l'extérieur qu'ici. Son pas est souple et lent, un peu incertain aussi, cherchant de l'approbation dans le regard de celui qui l'avait guidé. Rasant le sol, il avance encore lentement jusqu'à ce que sa truffe touche la porte. Une décharge électrique l'accueil, le fait reculer vivement, alors qu'un léger couinement englobe la pièce. Tombé sur l'arrière train, il se secoue vivement la tête avant de frotter son museau avec l'une de ses pattes. Restant pantois quelques instants, il soupirait maintenant bruyamment, restant assis avant de se tourner vers les deux hommes.


Il fixait alors à nouveau la porte, sans plus un mot, prenant le temps de réfléchir à la situation. De longues secondes qui ne l'avaient aidé en aucune manière, alors son regard noir se tourne vers les deux hommes, les regardant l'un l'autre successivement. Si le but était de lier un pacte avec l'un de ces deux là, que l'un d'eux allait devenir son maître, à qui il devrait obéir. Peut-être...


Mais lequel d'entre eux allait le faire ? Lequel d'entre eux allait le faire assez bien pour que ça marche ? Et surtout, quelle était la bonne manière, après tout ?

Le vent souffle sur la plaine

Toujours assis face à la porte, le grand Demi-Dieu attend patiemment, la tête tournée vers ses prétendants. Le guerrier a une réaction qu'il pourrait qualifier de fatiguée, même pour lui n'ayant qu'assez peu côtoyer le humain, mais il ne les connaissait pas assez pour en comprendre la signification. Il prend un grand respiration. Il allait parler ? L'emplumé est intéressé par ce qu'il va dire alors il se tourne vers lui, vers eux, ne décollant pas son postérieur du sol. Il se racle la gorge, ça va commencer. Droit et les oreilles dressée, le Demi-Dieu est prêt à écouter.

D'abord, ses arcades se fronce, il ne comprends pas très bien. C'était bizarre de s'entendre être appelé ainsi. Puis au fur et à mesure, ses épaules et sa tête s'affaissent légèrement. Il espérait ressentir autre chose, il ne comprends pas. Pourtant, le guerrier demande gentiment, respectueusement. Trop, peut-être ? Mais en demandant, il laisse le choix, non ? « S'il te plait » ? Oui, il lui demande de dire oui, si il le veut bien.

La bête baisse la tête, quelque peu frustrée, fronçant une nouvelle fois les arcades comme pour réfléchir. L'autre humain prends aussi une grande respiration, alertant les oreilles de l'emplumé qui se relèvent les premières vers lui, avant que son museau et son regard ne suivent. « Lie toi à moi ». Son regard d'onyx se met à briller de cette même lueur violacé que tout à l'heure, un éclat foudroyant qui lui donne l'air d'être contrôlé, tant son attention est capté par l'homme. Il est figé et n'entends même pas les mots qui suivent. Autour des deux humains, l'atmosphère s'électrise, crépite et envahit l'espace, dressant le pelage de la bête. Tout s'évanouit doucement, à nouveau résonne dans le crâne de la bête : « lie toi à moi ». Cela ne laisse pas la place au doute...

Sans un mot, il se retourne vers la porte, s'étant redresser quelque peu sur ses pattes, avant d'à nouveau raser le sol, approchant son museau du bois avec une grande prudence. Ils avaient essayé tous les deux, il fallait qu'il retente sa chance. Il avance toujours, lentement, finit par fermer les yeux de peur de souffrir à nouveau. Il y est presque, son museau frôle la porte. Rien. Il écarquille les yeux et écrase sa truffe contre la porte pour être sûr. Toujours rien.

Le Demi-Dieu se redresse avec une joie non contenue avant de nourrir l'ardent désir de sortir. Désir qu'il ne laisse pas le temps de mûrir, lançant sa tête à travers la porte qui s'éclate en morceau à son passage. Les paupières closes au passage, il les rouvre. De l'autre côté ! Il est de l'autre côté ! Le bonheur l'agite... Mais, de l'autre côté, il n'y a que sa tête. Il essaye de l'avancer plus et ses épaules ne passe pas et voilà qu'il tente de rebrousser chemin. Ça ne passe pas non plus ? Non ! La racine de ses oreilles fait barrage, il ne comprends pas comment se sortir de la et son grand corps s'agite de plus en plus. Ses pattes avant font appuie sur le mur et les arrières tentent de le propulser vers l'arrière, en vain. Manqué, il glisse et glisse encore.

Du côté des humains, le spectacle doit être grotesque, mais il ne s'en rends pas vraiment compte, perdu entre l'ancienne joie de pouvoir sortir et la nouvelle peur de rester coincer ici à jamais.

Le vent souffle sur la plaine

L'enfant d'Aer s'agitait et trépignait sur place. Ses pattes avant forçaient toujours sur le mur, les arrières glissaient à chaque essais manqués. Plusieurs à-coup successifs, mais rien n'y faisait. Il tournait la tête dans tous les sens, jusqu'à même se retrouver complètement sur le dos. Tous son corps s'agitait dans l'air.

Bien trop occupé à essayer se tirer de là, la conversation des deux humains n'était semblable qu'au brouhaha d'un moustique. Il ne discernait rien et à vrai dire, ne voulait même pas d'écouter. Pourtant, des mots en particulier résonnaient à présent dans ses oreilles. Ou plutôt, dans sa tête. Il se figeait, retrouvait un calme olympien, comme si son corps agissait sans besoin d'aucune réflexion. Rentrer ? N'était-ce pas ce qu'il s'évertuait à faire depuis tout à l'heure ? Rentrer à l'extérieur ? Voilà ce à quoi il pensait, bien que ses yeux violacés, révélateurs de son état semi-conscient, semblaient dire le contraire. Si les mots n'étaient pas très clairs pour son esprit, leur intention l'était pour la magie.

Des gestes amples et calmes articulaient maintenant son corps. Il se retourne. Sur ses pattes, son ventre reste aplati contre la pierre froide. Sa tête s'inclinait de quelques degrés, en diagonale plus exactement et voilà qu'il reculait calmement. Ses oreilles se pliaient sous le passage de l'ouverture de la porte, complètement détruite soit-dit en passant. Avec la toute petite nécessité de forcer, il se retirait maintenant complètement.

Ses yeux à nouveau noirs, clignaient vivement face à l'entrée maintenant dévoilée. Soudainement pris d'un soulagement non contenu, le fils d'Aer se mettait à sautiller, tournant sur lui même. Ses glapissements ravis raisonnaient dans la pièce, tandis que son poids faisait vibrer le sol. Son attention tombait innocemment sur les deux humains et il reprenait, presque difficilement, conscience de leur présence, sa joie ayant tout balayé sur son passage.

Intimidé et honteux, il se ravisait et trépignait doucement jusqu'à se rasseoir, la tête basse. Avec toujours assez peu de délicatesse cependant. Maintenant qu'il était revenu à l'intérieur, il se remémorait les mots de l'humain blond. Sa tête se relevait et basculait lourdement sur les côtés, ses oreilles avec.

Le vent souffle sur la plaine

Le grand emplumé demeure assis et d'aspect plutôt calme, mais en son fort intérieur, l'excitation fait tambouriner la moindre parcelle de ses muscles. En réalité, il n'était pas tout à fait certain de ce que tout cela signifiait et impliquait. Comme un enfant à qui la promesse d'aller jouer avait été faite, il trépigne intérieurement. Ses grands yeux obscurs basculent d'abord vers l'humain au pelage sombre. Il semblait quitter la pièce, sans un regard en arrière.

Shu a alors un élan en sa direction, sans aller plus loin. Un partenaire de jeu s'en allait pour son esprit juvénile et la tristesse alourdis son corps comme ses oreilles qui se plaquent vers l'arrière. Penaud et la tête basse, voilà que le deuxième humain, celui qui lui était lié, se dirige lui aussi vers la porte. Sa fine caresse ressemblait davantage à une petite puce qui se fraye un chemin dans le pelage de la grande bête, mais il la suivait tout de même du regard, cette petite puce.

Les mots de l'humain blond parviennent à ses oreilles, dressées et ouvertes vers lui pour l'occasion. Promet ? Il n'était pas sûr de la signification de ses paroles. C'était un concept vague qui était presque plus angoissant que rassurant pour lui. Sans un mot, il regarde partir son humain, en gémissant timidement pour lui même, bien que l'écho de sa prison amplifiait ses plaintes.

Quelques secondes passent et il ne tenait déjà plus. S'avançant vers l'ouverture qu'il avait créer auparavant, il s’aplatit devant elle et hume l'air au travers, comme pour s'assurer que l'humain était toujours là. Les effluves finissent par s'éloigner et presque disparaître, annonçant un réel départ. Shu se redresse alors et s’assoit, d'abord patiemment, puis plus du tout. Les années, les siècles l'avait gardé ici, mais la promesse de l'extérieur muait ces quelques minutes en éternelle attente. Il se relève complètement et entame une ronde, longeant les murs silencieusement. Il fait les cents pas en attendant un temps qu'il ne parvenait pas à quantifier.

Sans comprendre alors, la pesanteur de son propre corps s'évapore lentement. Ses yeux se colorent du violet caractéristique de l'emprunte magique du pacte. Il se sent à la fois de plus en plus léger et happé par une force intangible. Attiré quelque part, dans une direction en particulier. A travers le mur, là. Sa raison n'y pouvant rien, il s'y dirige et quand il croit le traverser, c'est finalement un tout autre paysage qui lui fait face.

Apparaissant au côté de son humain dont la présence ne l'impacte absolument pas, il se fige, debout sur ses quatre pattes, en alerte. Son corps se tends et son regard fixe un point. Une arbre, là, enneigé. Puis un autre là bas. Encore un autre. La neige sous ses pattes. Son attention, son être tout entier tourne et retourne dans tout les sens, faisant face à tout les points d'intérêt qui l'attire. Tous en fait, ils étaient des milliers. Le ciel ! Il était gris. La neige encore ! Elle était blanche et froide. Quelle délicieuse sensation, bien plus agréable que la pierre. Il s’aplatit alors joyeusement et s'étire de tout son long, puis roule sur le dos, dans un sens puis dans l'autre.

Il a maintenant envie de courir alors il se redresse d'un bon, soulevant la poudreuse et s'élance dans la première direction venue. Par chance, elle est à l'opposé du temple. Il galope gaiement, humant l'air frais sur son passage, qui balaye son plumage avec une douceur incroyable. Un arbre pourtant l'effleure et le surprends. Il sursaute à l'opposé et en percute un autre, puis un deuxième avant de finir par trébucher et rouler au pied d'un dernier, bien que finalement, il soit presque aussi grand qu'eux. De la neige l'avait recouvert au détour de ses divagations. Il s'ébroue alors, de la tête à la queue, avant de reprendre contenance et concentration. La douceur de la neige le rappelle à lui et à nouveau, il y plonge tête la première en s'y roulant avec délectation.