Attablée avec sa mère et son frère Wen, Qilin savourait calmement son repas du soir. Les petites mains du manoir produisaient toujours de délicieux miracles en cuisine. Cette fois, elle était rentrée assez tôt pour se restaurer en même temps que sa famille.
Les papilles ravies, le coin de la bouche délicatement essuyé, elle but son thé fumant l'esprit et l'estomac comblés. Une servante apparut alors pour l'informer que le demi-dieu d'Ignis était probablement rentré. Un sourcil froncé et un silence notoire suffirent à demander des précisions.
« Et bien, c'est ce que nous avons déduit en voyant le panier de beignets à moitié vide… »
Un léger sourire orna les lèvres pulpeuses de la troisième Lù. Elle remercia la prénommée Anna, et s'excusa gracieusement une fois sa tasse vide. Malgré cette étonnante nouvelle, elle comptait laisser à l'enfant divin le loisir de se manifester. Qu'il garde ainsi sa solitude et son intimité le temps souhaité.
Une fois dans sa chambre, la jeune femme se dévêtit et s'immergea lentement dans le bain qui lui avait été préparé. Une odeur prégnante se dégageait des vapeurs agréablement chaudes. Aujourd'hui, Anna avait glissé quelques fleurs violettes, des Misty quelque chose d'après ses vagues connaissances en herboristerie. La demoiselle anticipait souvent ses intentions à merveille. Le parfum savoureux et le désir de se prélasser lui tirèrent un soupir satisfait.
Cette confortable ambiance délia ses pensées, qui naviguèrent rapidement vers le faciès carmin, et le regard ambré lui étant lié. Les questions affluaient comme une dizaines de petit cours d'eau, et se jetaient dans un flot d'émotions incertaines. La précipitation de son départ se mêlait à la surprenante courte durée de son voyage. Qilin s'interrogeait, mais sans se poser de questions.
La soirée se poursuivit sans interruption, jusqu'à l'heure du coucher. Demain l'attendait une grosse journée, qui ne laissait aucune place à l'être simiesque. Toujours aucune nouvelle malgré sa fenêtre ouverte, dans l'intention d'accueillir les brises plus dociles. L'envie la portait à satisfaire sa curiosité, soufflant des raisons plus tangibles pour l'accompagner. Malgré ce qui la retenait, et sentant la fatigue cueillir ses sens, elle se leva.
Son pas gracile l'amena silencieusement devant la porte de la chambre attribuée au chercheur de reflets. La fille Lù croisa les bras en fixant le bois. Avec l'idée de délivrer l'organisation des prochains jours, jugeant les servantes indignes de les apporter à sa place, elle toqua soigneusement. Puis, avant d'être qualifiée de sournoise, se signala d'une voix douce.
Je n'ai pas compté les jours depuis que j'ai quitté Layane par voie fluviale et regagné le manoir. Sous... Ma forme, à moi. Il ne s'est pas manifesté un instant, me laissant aussi songeuse, qu'heureuse. Je crois? Entre ma première métamorphose au manoir, et maintenant, les choses ont changé. Mes... Perceptions, sensations, émotions, compréhensions du monde... Ce n'est plus pareil. J'ai l'impression que... Enfin, soit!
Au fond de moi, une seule certitude : je ne veux pas y réfléchir, tout est bien comme ça. Seulement, j'y pense sans y penser, parce que, et bien, beaucoup de trucs m'échappent. Comme l'eau qui glisse entre les mains. Pourtant, je perçois avec une netteté toute différente et personnelle la fraîcheur et l'humidité qu'elle y a déposé. Je m'en délecte. Je me l'approprie.
Lorsque mon esprit s'égare sur des visages, des "souvenirs", Wen, Qilin, Aïba ou Eshkar... Je les conçois d'une manière très étrange et floue. Mes sens sont égarés. Alors je vais chercher après, c'est aussi simple que cela. Pour moi c'est simple, pour les autres tant pis. Non? Enfin, peut-être?
Sa voix contracte aussi soudainement que brièvement mon estomac. J'étais allongée sur mon lit, bras croisée derrière la tête, j'ai sursauté avant d'en descendre et de m'arrêter devant le panneau sans l'ouvrir. En fait, je suis très satisfaite de la réponse que j'ai à lui offrir. Est-ce qu'elle le sera également? Je fais glisser l'ouverture en souriant légèrement.
'' Non, il n'est pas là. Si tu souhaites lui parler, il faudra l'attendre. '' Et pas la peine de me demander jusqu'à quand, parce que j'en ai pas la moindre idée et je m'en fiche royalement. J'me détourne sur la fin de ma phrase, puis j'ajoute. '' Et d'ailleurs! Est-ce que ce serait possible d'avoir une autre chambre? Moins grande, avec juste le strict minimum. '' Mes gestes accompagnent ma voix et mes souhaits prennent corps dans les deux langages. Mon ton n'a rien d'impérieux, il est presque enjoué, mais indéniablement assuré.
'' Je voudrais uniquement l'espace pour mettre mon matelas ici, à gauche de la porte. Un couloir pas plus large que l'entrée devant moi et de l'autre côté, le même espace qu'à gauche, pour un grand coffre où je pourrais ranger mes affaires. Avec une fenêtre, évidemment, peut importe où. Ainsi qu'un coin pour me laver. Et... ''
J'me retourne en pivotant allègrement sur place et plante mes prunelles dorées dans les ténèbres des siennes. Un sourire ourle le coin de mes lèvres, réellement candide. '' Près de ta chambre? Si possible. ''
Surprenante apparition, ce visage absolument humain derrière le panneau coulissant. Le regard de jais s'arrondit brièvement. Un infime mouvement de tête, un si léger recul, échappa à la fille Lù. À défaut, son teint lunaire ne trahit aucune gêne.
Ember. Le jais s'absenta un instant, au-delà du faciès féminin joliment sculpté par la magie. Puis revint immédiatement s'attarder sur la formulation choisie. L'attendre. Cela ne figurait pas dans ses habitudes, même s'il s'agissait du primate carmin. Avait-il décidé de prolonger sa présence dans le désert en y laissant son esprit ?
Qilin ignorait quelle réponse apporter, et ne souhaitait aucune question, par crainte d'insatisfaction. La brune mima un départ, pour s'accaparer en réalité toute l'attention. L'occasion d'en savoir plus s'envola avant qu'elle songe à la retenir. L'exclamation ancra ses iris ébènes dans l'ambre scintillant. Curieuse requête, qui amena un fin sourcil à s'arquer délicatement.
Quelque chose a changé. Ember restait assurément celle rencontrée la semaine précédente. Pourtant, elle semblait différente. Son attitude confirmait le lien, mais… son aura ? Elle s'en distanciait. La fille de la maîtresse des lieux resta silencieuse. Le ton de son interlocutrice laissait deviner une suite, malgré sa pause.
La demande enthousiaste se mut en subtiles exigences, tracées avec confiance et innocence. Intéressant. La noble mit son ego de côté, ignorant l'approche familière et définitivement caractéristique de la jeune femme. Elle fit un pas en avant pour suivre la démonstration gestuelle, sans franchir le seuil de la chambre. Bras croisés sous sa poitrine, elle observait calmement.
Nouvelle et dernière précision, amenée d'un souffle gai et presque enfantin. La malice attribuée à l'enfant d'Ignis ôtait d'emblée ce qualificatif. Qilin leva sensiblement le menton. Elle prit son temps, sondant patiemment l'individue. Un éclat brillait au sein de ses prunelles sombres. Il n'avait rien d'indifférent. Sa respiration soulevait doucement sa cage thoracique. Finalement, son regard dévia sur l'ensemble de la pièce.
« Tant que tu as ton propre bain, c'est une possibilité, oui… »
Ses paupières se plissèrent légèrement. Elle joua de son attitude indéniablement hautaine. Son timbre ne portait nulle rancœur. Et le coin gauche de ses lèvres s'étira quelques secondes après. Puis elle clôtura le sujet avec une fausse sévérité, ne se sentant plus concernée.
« Tu peux demander au personnel de t'arranger ça. »
Le regard de l'épéiste sinua entre les lattes de bois verni. Il fallait bien aborder la raison de sa présence. Parfois, tout semblait clair. D'autres, elle ignorait encore l'identité de l'être face à elle. Autant essayer d'obtenir quelques réponses, maintenant qu'elle se trouvait hors de son lit.
« Tu as émis le souhait d'apprendre le maniement double d'une épée. » Le souvenir flotta un moment. Libre à la jeune femme de s'en imprégner. « Je serais à la garnison toute la journée, demain. Mais je comptais poser un congé le surlendemain, si tu es disponible. »
Nulle entrave à mes propos. Ils se délient au gré de ma voix chantante et enjouée, dépourvue d'exigence. La conclusion tombe entre mon regard ambré et la voûte nocturne du sien. L'éclat tapi dans l'ébène me semble patient... Réceptif? Oui! Un sourire fend mes traits alors que je tape dans mes mains simultanément. Parfait! La première allusion étrange m'arrache cependant une réflexion retenue.
'' Bien sûr que j'aurai mon propre bain! Je ne partage pas mon intimité de la sor... '' Mes lèvres entrouvertes soufflent une hésitation. Un flash. Un souvenir ténu qui émerge, venant faire sens avec le coin des lèvres de Qilin qui s'est relevé un bref instant. J'croise aussitôt les bras sur ma poitrine en levant les yeux au ciel. Ma tête dodeline lentement tandis que j'expulse un souffle mi-boudeur mi-amusé.
'' Oui, bon, ça va. J'ai compris, tsss. J'le ferais plus... '' Enfin peut-être? Bha je suis déjà passée à autre chose d'ailleurs! Il faut que j'aille voir les domestiques! Je m'apprête à glisser subtilement entre son corps et la paroi de la pièce, lorsque sa voix m'arrête. Me fige, plus exactement. Quelle demande?
L'or chaleureux de mes iris se voile d'une ombre légère. Mon faciès se détourne, mon corps pivote. La garde dorée n'a plus qu'un accès visuel limité à mon profil. Un bras retombé le long du corps, l'autre vient se poser sur l'embrasure boisée. '' ...Ah oui? '' Je ne veux pas réellement de réponse. La question est à peine soufflée, éteinte, perplexe. C'est 'lui' qui a demandé ça? Pourquoi? Qilin utilise justement deux lames... Une perspective qui me sied parfaitement. Mais... Pas comme ça? Tant pis. Je peux faire une concession.
'' Soit. On se voit après-demain alors! '' Mon corps fait volte-face, et s'éclipse après s'être faufilé comme je l'avais amorcé plus tôt, en frôlant à peine l’épéiste. '' Je vais voir le personnel! '' Le timbre enjoué qui a repris ses quartiers s'égraine dans mon sillage et je disparais au coin d'un autre couloir.
Il ne fallut guère plus d'une journée pour que tout soit aménagé à ma meilleure convenance. Une espèce de remise se situait dans le même couloir que la chambre de Qilin, presqu'en face. La tête des deux membres du personnel quand je leur ai suggéré de déplacer tout ça pour m'installer là. Un truc minuscule. Ils ont essayé vaguement d'articuler que je méritait un espace plus adapté à mon rang... Mon quoi? J'ai l'air d'un singe à l'ascendance divine? Non! Alors au boulot.
En vrai j'ai été super aimable du début à la fin, en expliquant avec détail mes besoins. Finalement le résultat est parfait et plus personne ne dit rien. De toutes façons, l'autre pièce a été conservée en l'état pour le macaque. Pas la peine de s'alarmer.
Je suis posée sur mon lit, assise en tailleur, à méditer, lorsque j'entends frapper à ma porte le lendemain matin. Un peu trop concentrée sans doute... Oui, c'est pas comme si j'avais oublié de répondre et que j'étais toujours plongée dans mon esprit.
Curieuse interruption, tandis qu'un souvenir frappait les sens de la brune. Une seconde de silence se glissa entre les deux femmes. Elle fut vite chassée par une complicité à la fois naissante et familière. Ember ne prit pas ombrage de la remarque, contrairement à la suivante.
La fille Lù l'observa se reclure attentivement. Ce souffle ténu se trouvait riche d'émotions. Elle n'esquissa aucun geste, ne souhaitant troubler la demoiselle davantage. Son absence de réponse servait déjà de confirmation. Et la réaction d'Ember satisfit amplement sa curiosité. Elle n'insista pas, à de nombreux égards.
Un voile de surprise effleura les traits de Qilin, devant une telle vivacité. Il les couvrit d'un amusement léger et discret. Elle laissa son vis-à-vis s'éclipser dans un tourbillon. Presque. Sa voix douce s'éleva suffisamment fort pour rattraper le courant d'air.
« Ember. » La tête de l'interpelée surgit du coin de mur. Les abysses ténébreuses scintillèrent en reflétant l'ambre. « Bienvenue parmi nous. »
Habillée et coiffée, la troisième fille des Lù attendait dans la cour du manoir. Son regard sombre embrassa le ciel clair. Le soleil montait tranquillement, offrant encore une certaine fraîcheur dont elle souhaitait profiter. Un temps idéal pour se balader en ville, avant que l'agitation du midi ne bouleverse les rues. Enfin, le sujet de sa patience ne se ferait tout de même pas désirer jusque-là…
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La servante sensée tirer Ember de ses modestes et nouveaux quartiers, toqua à plusieurs reprises contre la porte. « Mademoiselle, Miss Qilin vous attend à l'extérieur pour votre sortie en ville. » Et encore une, osant cette fois y mettre plus de force. « Mademoiselle ? » Sa voix chantante trahit une pointe d'agacement mêlée d'inquiétude lorsqu'elle l'appela une troisième fois. Pourtant, elle ne se résolut à frapper de nouveau, et guetta donc l'apparition de la brune en silence.
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Un léger vent d'agitation provint enfin de l'intérieur de la grande maisonnée. Qilin se décolla du mur où elle était sagement appuyée. Ses iris couleur jais mirent plus de temps à quitter la silhouette allongée au fond de la cour. Elle ressemblait de loin à une bute moussue, dont pointaient quelques rocs mal encastrés. Mais il ne s'agissait que du gardien divin des lieux.
L'humaine lui étant liée émergea avec une énergie caractéristique. Elle la salua sans commentaire ni émotion particulière, puis l'invita d'un signe de tête à la suivre. Sitôt sortie du domaine familial, la jeune Lù s'engagea dans les allées moins passantes du quartier noble. Les sifflements ponctuaient les nombreux arbres fleuris d'une sérénité palpable. Ses pas la guidaient sans réflexion. Son esprit était tout à la jeune femme derrière elle.
Qilin resta silencieuse une partie du chemin, profitant du paysage. Sa longue tunique orangée, fendue au devant, donnait l'impression de caresser les pavés à chaque mouvement de hanche. Le drapé arrivait en réalité au niveau de ses mollets. Il était fermé par une ceinture couleur ocre et ébène, en écho à sa chevelure. Fermement nouée dans son dos, elle repliait le tissu de manière à couvrir son buste et ses cuisses, et cintrer sa taille. Une épingle dorée incrustée de deux petits grenats relevait une partie de ses longs cheveux relâchés. Elle portait des boucles d'oreille du même acabit. Une tenue à ses yeux simple et confortable, suffisamment légère pour supporter les rayons d'Ignis en pleine saison.
Au bout de quelques minutes de marche, elle posa finalement, sur le ton de la conversation, une question dont la réponse lui tenait à cœur.
« Comment s'est passé ton voyage à Layane ? »
Son regard curieux glissa un coup d'œil à la demoiselle, puis revint se promener sur le paysage. Elle abordait le sujet avec ouverture et légèreté, ne souhaitant pas forcer Ember à parler.
... Raaah. Impossible. Ça me vrille les tympans depuis la première note, sonore, qui a résonné sur le bois. Pourquoi? J'ai beau essayer de m'en convaincre, je sais que méditer de la sorte ne résoudra rien au problème.
Frustrée, physiquement blessée, j'me mure dans l'indifférence pendant plusieurs secondes. Mes mains couvrent mes oreilles. L'écho à peine ténu de son dernier appel insistant m'arrache une réponse. Claquant dans l'air, mon timbre fait tout ce qu'il peut pour se dominer. Rester aimable.
'' J'arrive, c'est bon! ''
Au moins, je dors mieux. La pièce offre moins d'espace. À la lumière, aux objets, aux mouvements... Debout sur mon matelas, mes pieds nus se pressent contre la douceur du tissu qui couvre mes nuits. Le vingtième qu'on m'a présenté avant que j'en accepte un. Enfin... Soit.
D'un geste fluide j'enfile une paire de chaussures basses. Relativement confortables. Comme le reste. Aujourd'hui, cela va pouvoir enfin changer. Les coloris me plaisent, mais la coupe et les tissus me gênent par endroit.
Mon pas léger me porte au dehors. Je rejoins Qilin. Elle est vêtue de façon sensiblement différente. Alors que nous quittons le domaine, une question glisse entre nous. Interrompant d'autres intentions. L'ambre de mon regard vient caresser le bleu du ciel, perplexe. Avant de plonger dans ses iris nocturnes avec un sérieux très... En fait. Je ne sais pas trop. Ce n'est même pas ça. Les mots manquent.
'' C'était... Particulier. ''
Une réponse neutre. Légère et distante à la fois. Sans en ajouter davantage, mon corps se déplace. Agile, curieux. Je ne marche pas vraiment à ses côtés. On peut carrément dire que je lui tourne autour. Ma main se glisse sous une barrette ornée d'une pierre, pendant à son oreille. '' C'est beau. J'en aimerais aussi. '' Mes doigts effleurent à peine le métal avant de se retirer aussitôt. L'approcher aussi brièvement de la sorte enivre sans prévenir mes narines. Presque un rien trop. Ça pique légèrement.
'' Tu sens bon. Mais c'est un peu fort à mon goût. ''
Comme tout le reste. Un peu fort... Un peu trop. Trois individus croisent nôtre route semblant absorbés par le récit de l'un. Soudain, les deux autres éclatent d'un grand rire. La femme émet un son atroce, strident. Mes dents se crispent, mes paumes protègent par automatisme mes oreilles. Jusqu'à ce que la voix s'éteigne.
Désagréable. Est-ce dû à ce qui s'est produit chez les Haleb? Le chemin du retour me semble encore si confus. Comme... Si une bulle m'avait fermée au monde extérieur. Retrouver le manoir fut un réconfort plus grand que je ne l'aurai cru. Une seule et unique sortie pendant ces quelques jours sans la voir avait suffit. Pour réaliser la grande et précieuse sérénité qu'il dégageait. Et ne plus remettre un pied dehors. Jusqu'à maintenant.
'' Comment fais-tu pour marcher avec ces choses? '' Une part de mon attention se fixe sur la hauteur de sa semelle. Je pense que je trouverai cela extrêmement inconfortable. Elle n'a pas le temps de répondre. Une brise souffle la flagrance muette d'un arbre fleuri. Emporte tous mes sens et me fige sur place. Paupières closes et bras ouverts, un fin sourire aux lèvres.
Il y a cela, aussi. De grisant. Je n'arrive pas à savoir. Est-ce un mal ou un bien? Est-ce normal? Est-ce que quelque chose cloche chez moi? Je me pince les lèvres. Observe la frondaison colorée au loin. Hausse enfin les épaules. Tant pis.
Je la rattrape aussitôt. D'autant qu'on approche un quartier plus peuplé. À peine arrivées aux abords, une multitude de sons, de couleurs et d'odeurs m'envahissent. M'agressent littéralement. Dans un réflexe primaire, ma main gauche vient se glisser dans sa main droite. Mes doigts se mêlent aux siens, avec un fine pression. Mes sens cherchent un ancrage sans savoir vraiment... Instinctivement.
Un frisson étrange m'étreint. Le contact avec sa paume distille une chaleur intense et réconfortante dans chaque fibre de mon corps. La tension se délie progressivement. Pas complètement mais c'est nettement plus supportable. Ah. Ça marche pas trop mal ça en fait! Est-ce le lien? Elle? Nous? Qu'importe. C'est très bien! Je ne la lâche plus.
Enfin presque. Tout m'attire et me révulse à la fois. L'or chatoyant de mes prunelles brille d'intérêt. La seconde suivante, il se dissimule derrière mes paupières. Le brouhaha de la foule m'embrume le cerveau. Comment dois-je gérer ce genre de chose? Aurais-je du rester à Layane? Est-ce que Bo' aurait pu m'expliquer quoi faire? Ce qui se passait? Non, non, non. Je suis là où j'ai décidé d'être.
'' Ah! '' Un tressage happe mes prunelles, ma main lâche celle de Qilin. Mes doigts fins viennent saisir le large chapeau de paille, conique. Parfait. Il couvrira d'ombre mon regard, pour atténuer l'éclat des couleurs trop vives et la lumière du soleil. Puis les gens se tiendront à une distance respectable. '' Je le prends! '' Sans me soucier des détails de la transaction qui s'effectue j'enfonce le large couvre chef sur ma tête. Puis récupère aussitôt la main de ma liée, alors qu'elle finit seulement de payer l'homme maigrichon et particulièrement grand qui tient le commerce.
'' On peut partir? '' La question n'attend pas d'assentiment et je la tire en douceur dans mon sillage, pour me faufiler dans une ruelle. Mes pas légers nous portent sur une petite place. Quasiment déserte, seul le bruit délicat d'une fontaine en son centre vient caresser mes oreilles. Je délie à nouveau mon emprise et approche la structure de pierre, qui offre une sculpture agréable. Une créature dont j'ignore le nom, dévide un filet cristallin dans le bassin plat et ovale. J'ai déjà ôté mes chaussures, m'assieds sur le rebord, et plonge mes pieds nus dans l'eau peu profonde. Un soupir de bien-être m'échappe.
J'aimerai rester ici et retourner là bas. C'est trop compliqué. La seule chose qui apaise mes pensées éparses, c'est cette présence, dans mon dos, que je ressens physiquement alors qu'elle n'est pas encore si proche. Non, non, non. J'hoche du fief de gauche à droite, les yeux clos. J'ai besoin de vivre en étant pleinement moi-même. Je ne vais pas passer tout mon temps à la suivre comme son ombre aussi! D'un mouvement délicat j'ôte puis repose le chapeau à mes côtés.
Mon visage oblique de moitié, mon profil s'offre au regard ébène. Délicate mais non fragile, ma voix s'élève. Un rien moins chantante, mais toujours emplie d'une force particulière.
'' Est-ce qu'on peut rester ici un moment? '' Mes prunelles ambrées retrouvent l'opale transparente de la fontaine. '' Juste... '' Une hésitation pointe. Une incertitude, plutôt. Je tourne l'une de mes paumes vers le ciel et l'observe. Finalement, c'est un constat dubitatif qui se voit soufflé par mes lèvres. '' Ton monde est étrange... Il fait mal et donne du plaisir à la fois. ''
Particulier. Un mot capable de renfermer une myriade de différences comme une seule singularité. Les mouvements chassèrent le propos avec facilité. Malgré sa curiosité, Qilin en resta là. Son regard ébène suivit attentivement le petit papillon. Ember s'approchait, touchait, et commentait, sans aucune convenance sociale pour lui barrer la route.
D'abord, la fille Lù se crispa. Le souffle intrusif sur sa joue manqua de la faire reculer. Le jugement leva ses défenses et faillit froncer ses sourcils. Mais la réaction de l'être divin métamorphosé l'intrigua suffisamment pour voir au-delà. L'éclat de rire avait secoué ses tympans, quand il avait à peine effleuré les siens. Était-ce dû à la nouveauté de sa forme humaine ?
Amko'Unn semblait familier de telles transformations, d'après leurs échanges sur son passé. Celle-ci, pourtant, s'annonçait étrangère à toutes ces expériences vécues. À chaque moment partagé, la noble le ressentait davantage. Nul mot ne l'affirmait, mais les silences parlaient. Et cette sensation en présence de la brune… il devenait difficile de ne pas s'y fier. Ce n'était pas comme avec lui.
La capitaine laissa ses réflexions valser avec la même légèreté que leur sujet. Une esquisse amusée redessina ses lèvres pulpeuses. Elles arboraient leur couleur naturelle aujourd'hui. Un arrêt, ou plutôt, une assimilation. Le jais sonda la jeune femme, puis reprit son chemin vers les balcons fleuris, ses talons compensés avec. Cette attitude sincère et innocente lui rappelait l'enfant de Terra.
Un frisson parcourut son échine. Ses yeux s'agrandirent une seconde. La main au creux de la sienne, peau contre peau, lui rappela tout autre chose. Ses pommettes rosirent discrètement. Ainsi emportée, Qilin joua de son agilité naturelle pour éviter de percuter quelqu'un. Elle se trouva devant un étal de chapeaux en ayant à peine compris comment. Ne pas perdre sa Liée de vue. Mais déjà celle-ci s'envolait. Bras croisés, une expression tiraillée entre l'agrément et l'agacement, elle perçut la contrariété du marchand dans son dos.
Un fin soupir évacua la tension de son esprit. « Combien ? » La noble tira aisément quelques pièces de sa bourse et les posa sur le comptoir. À nouveau saisie, elle quitta le maigre personnage, occupé à compter. Évidemment qu'il y avait assez. « Je- » S'exprimer ou respirer, le choix fut vite fait.
Le duo, Ember en tête, déboula sur une place plus intimiste et rafraîchissante. La soldate observa la silhouette gracile adopter une posture confortable. Un certain dégoût chatouilla son nez. Les fontaines restaient le lieu de soulagement favori des alcoolisés de fin de soirée. Elle n'y aurait rien trempé. L'évident soulagement l'empêcha de faire un commentaire, par crainte de le chasser.
Qilin s'approcha, attirée par les émotions tapies sous cette question. Elle s'installa calmement à côté de la brune, jambes croisées, offrant une première réponse. Une vingtaine de centimètres séparait leur cuisse. Elle les étudia distraitement, le temps que les lèvres pâles se délient. Un rare sourire étira les siennes.
« Je sais. »
Et un petit souffle amusé l'accompagna. Son regard contempla les pavés blanc cassé. Puis les modestes bâtisses. Sa voix douce, et profondément calme, pesa chaque mot.
« Il est difficile de l'aborder. Nous vivons tous ces sensations à des degrés différents. »
L'ébène couvrit le visage clair d'un voile compréhensif. Sa propriétaire pencha la tête, invitant les iris ambrés à rejoindre les siens.
« Prends le temps nécessaire, et fais-le à ta façon. Tu as la chance d'avoir cette liberté, et rien ne t'oblige à te précipiter. »
Son sourire restait doux, et son regard encourageant. Sa main gauche vint combler l'espace entre elles, paume ouverte vers le ciel. Elle reposait simplement là.
La fraîcheur d'Aqua emporte mes pensées, les mène doucement à la dérive... Telle sa voix qui glisse en moi et autour, comme un ruban soyeux qu'on ne peut saisir mais qui nous étreint de sa bienveillance. Mon regard accroche l'ébène et je me focalise sur ces sensations. Elles pulsent dans les fibres de mon corps, bien plus prégnantes que le sens de ses mots. Pourtant, il ne m’échappe pas vraiment. Ses propos m'incitent à puiser une signification propre. À ma hauteur. Celle de mes besoins. Une cohérence...
J'oblique du fief vers sa paume, accueillante et patiente. Un calme étonnant me berce depuis quelques minutes. Sans chercher le comment ou le pourquoi, il épouse l'énergie et l'excitation toujours présentes en mon sein depuis le début de cette sortie. Un fin sourire se faufile sur mes lèvres quand je place ma main dans la sienne.
Mon esprit s'ajuste, préparé. Nous pouvons reprendre la route, paisiblement. Lorsqu'une exclamation me bouscule avec une douceur vivifiante.
"Ember!?" Mes prunelles dorées captent un faciès basané et ensoleillé d'un éclat de vie familier. Je distingue en arrière plan une stature plus imposante et taciturne. Ma vue est rapidement obstruée, Aïba s'est approchée, dégageant une vivacité et une assurance pleinement perceptibles. Ses mains posées sur ses hanches elle m'offre un regard chaleureux. Mon sourire et mon engouement lui rend la même chaleur.
'' Aïba! ''
C'est étrange comme je me sens proche d'elle. Plus que les autres membres de la famille Haleb. Déjà lors de ma naissance. Une autre pointe de joie s'ajoute à ma sérénité déjà bienheureuse. Son timbre enjoué reste mesuré, il possède des nuances encore trop subtiles pour ma maturité actuelle.
"Nous avons appris ton passage à Layane. Je regrette de n'avoir pu te croiser à nouveau. D'autant que j'aurai aimé... Voir cela" Voir quoi, exactement? Elle ne laisse pas de place au flou qui m'envahit progressivement. "J'approuve sincèrement ton choix. Et j'espère que tu trouveras la voie qui est tienne..." Des mots qui assurent ma décision. Me plaisent beaucoup. L'horizon de mon regard perçoit alors la haute silhouette d'Eshkar. Qui, arrivé devant Qilin, la salue avec respect et amabilité. Je prête à moitié attention à tout cela. Leur présence est si particulière que je la ressens nettement plus que je ne la conscientise concrètement.
"Mademoiselle Lù." Il hoche le fief en parallèle, avec un doux sourire, avant de le redresser pour poursuivre. Veuillez excuser l'attitude de ma soeur, les formalités ne sont guère son fort. Nous tâcherons de ne pas vous déranger longtemps. Le jeune chasseur croise ses mains dans son dos et se tourne légèrement vers sa pair, tâchant de ne pas simplement offrir son profil à la garde dorée et rester ouvert à un échange.
Trop obnubilée par d'autres réalités, je ne remarque pas la moue d'Aïba à l'entente de cette annonce finale. Encore moins l'attention furtive quelle vient de porter à ma main qui se détache de celle de ma liée. N'escomptant pas partir de suite, désormais, mon corps fait volte face et je repose mes paumes sur la pierre fraîche du bassin.
Mais un bruit assourdissant les porte aussitôt à mes oreilles. Une carriole emplie d'un chargement à la nature outrageusement métallique déboule sur la petite place. Le son s'étouffe soudain davantage. La chaleur des paumes d'Aïba sur mes propres mains vient atténuer le supplice que j'endure. Elle s'est accroupie, et lorsque la charrette s'immobilise enfin, elle glisse doucement sa prise sur mes poignets. Le regard fermé, son visage opère un mouvement de négation. Un soupir s'extirpe de ses lèvres.
"Bien sûr. Tout va être dix fois plus fort maintenant." Elle tâche de retrouver la dorure de mes iris. Après avoir ramené ses avant-bras sur ses jambes. Mon crâne résonne encore douloureusement. Mes paumes retrouvent la stabilité de la roche polie en tremblant l'espace de quelques secondes. Comment vais-je pouvoir continuer si tout m'agresse de la sorte? Une vague inquiétude m'étreint. Mes traits se figent et mes yeux balaient mes genoux alors qu'une forme d'irritation et de colère gronde sourdement dans mon corps.
"Ember... Je sais que tu souhaites avancer différemment. Mais cela ne t'empêche guère d'être accompagnée. L'anneau ne possède aucune puissance intrinsèque. C'est le sens qui lui est donné qui lui octroie cette importance..." Sa voix est calme, profonde, rassurante. Mais aussi... Je ne sais pas, elle m’accapare un peu, je crois."Tu as le droit de placer ce sens ailleurs. De choisir quel sera ton propre ancrage..." Elle accompagne ses mots d'une intention physique, et vient saisir ma main. Celle posée à côté de Qilin. Je ne prête pas attention au fait qu'elle prend soin d'éloigner nos mains ainsi liées de la jeune noble. Pour les amener devant ma poitrine.
"Je suis là pour toi si tu le souhaites." Je ne suis pas en mesure de faire le lien. Il me semble. Autant l'idée de placer ce sens et cet ancrage à l'endroit de mon choix me parle, autant le reste demeure imperméable. J'entrouvre à peine les lèvres, égarée. Mon regard hésitant finit par rechercher la profondeur ébène à mes côtés. Qu'est-ce que je cherche, exactement?
L'union de leur main lui subtilisa un petit frisson. L'ébène, soutenant toujours le visage clair comme l'ambre étincelant, s'évanouit doucement. Les lieux semblaient si clairs. Qilin ferma les yeux, profitant de cette sensation inédite. C'était complètement différent d'Amko, mais c'était là également. La sécurité et la sérénité tissaient un lien de confiance autour de leur fin poignet.
Prendre le temps. La consigne résonna dans son esprit. Une dissonance brisa sa pensée. Ses sourcils se froncèrent une seconde. Elle n'imaginait pas que d'autres puissent connaître le prénom de sa liée. Ni y associer un si vaste horizon émotionnel, tandis qu'elle venait de naître, d'après les termes du demi-dieu. Face à une réponse équivalente, elle observa l'arrivante.
Grande, athlétique, la peau tannée par le soleil, la femme s'insérait dans l'archétype des chasseresses. Puisqu'elle connaissait l'enfant des lumières, le Désert Ambré avait peut-être formé son corps et son esprit. Son attitude se montrait légère, enjouée, solaire. Elle l'ignora royalement et se posta au plus près d'Ember.
Les iris de jais récoltèrent les informations au-delà, distillant leur attention. Un homme costaud, jeune, la peau déjà bien encrée, la salua avec respect. Tout le contraire de sa-dite sœur. La noble acquiesça gracieusement. Similaire amabilité marqua son visage. Il pivota à demi, sans tenter de faire la conversation ni de la fermer. Un acte honnête et apprécié. Malgré cela, aucun membre de la fratrie ne s'était présenté.
Une crispation saisit ses muscles avec surprise, indicible en apparence. La main de la brune s'était éclipsée. Elle fut rejointe par une plus hâlée afin de réduire l'agression sonore. Le rictus d'inconfort disparut des traits lunaires quand la cariole arrêta enfin son fracas. L'aura de frustration émanant d'Ember la gagna avec impuissance. La chasseuse déroba toute initiative. La fille Lù attendit donc patiemment, et embrassa sa liée d'un regard tendre où brillait la compréhension.
Ces paroles l'isolaient désagréablement. Elles appartenaient à un monde inconnu. Une toile dessinée par autrui, dont les nuances échappaient à ses sens. Le comble d'une peintre. Ce qui n'empêchait pas les informations perçues nourrissaient sa réflexion. Un second geste déplacé. Qilin demeura immuable. Une telle avalanche de mots, même mesurée, oppressa jusqu'à son être. Trop d'engouement pouvait noyer l'essentiel.
L'ambre reprit le chemin de l'ébène. Un sourire compatissant caressa son incertitude, et une voix infiniment douce la cueillit.
« Ces nombreuses informations soulèvent plusieurs décisions. Si tu hésites, il n'est peut-être pas temps de les prendre. »
La tornade du désert avait chassé la sérénité de la plaine, ses précédentes paroles avec. Elle plaçait un poids écrasant sur sa jeune existence. Qilin ne possédait pas tous les éléments. Voir sa liée ainsi perturbée l'indisposait davantage. Le dos droit, sereine et solide, elle détourna le regard et se leva lentement.
« Parfois, il suffit d'être. Et d'avoir confiance. Le reste prendra naturellement racine. »
Son visage pivota vers Ember. Une lueur malicieuse éclaira son regard sombre.
« Suffisamment pour nous ancrer. »
La troisième fille des Lù s'éloigna de quelques pas, pour laisser respirer la jeune femme. Elle restait là, à portée. Calme et posée, elle observait les deux étrangers, mais plus encore sa liée. Quand elle sera prête.
Plusieurs décisions ?! Mon regard s'affole soudainement en quittant l'ébène profond. Mes lèvres tremblent brièvement. N'ai-je pas déjà pris une décision? LA décision. Pourquoi en faudrait-il d'autres? Qu'est-ce que je suis sensée faire? Je ne comprends pas. Alors que je reviens chercher une explication auprès de Qilin, elle s'est redressée. S'éloigne de moi? Maintenant? Mon corps frissonne de son absence. Perdu. Perdue.
Mes yeux se ferment. Mes poings se crispent sur mes genoux, incitant Aïba à retirer doucement ses mains. Juste être? Être qui et quoi? Je ne suis déjà pas grand chose, au fond. La chasseuse demeure auprès de moi néanmoins. Son propos fait écho à celui de ma liée. Je ne réalise pas qu'elle regarde cette dernière l'espace de quelques secondes.
Sa voix animée par une affirmation posée, détachée. Sans animosité ou provocation quelconque.
"Certes. Mais autant que l'ancre soit celle d'un navire capable de voguer partout à son gré, en larguant les amarres. Plutôt que des liens noueux, qui nous figent sur place, ne laissant qu'un infime bout du ciel accessible et dont on ne peut jamais se détacher sans dépérir." Son attention se reporte sur moi. Qui fixe désormais l'une, puis l'autre. Lentement. Cet échange de point de vue m'interpelle. Enfin. Je ne sais pas exactement. Les mots portent des paysages qui me plaisent. L'ensemble m'est inaccessible. Je décèle cependant une espèce de contradiction entre ces deux discours. Qui me met mal à l'aise.
Y a-t-il une tension entre les différents protagonistes ci-présents? Je ne suis pas certaine. Aïba respire une confiance dépourvue de prétention comme d'artifice, brute et naturelle. Comme cette réminiscence de la forêt. Ressenti qui n'est pas réellement mien, dont je perçois néanmoins les contours sans trop de difficultés.
Qilin... Je l'ignore. L'ambre de mes iris s'égare sur les pavés blanc-cassé. Elle semble calme, mesurée. Comme toujours. Tâcher de la comprendre est un exercice extrêmement complexe, auquel je me suis brutalement heurtée après mon retour du désert. Certes, nous nous sommes à peine croisées. Mais je l'ai observée. Par instants. Il n'en faut guère plus. Je ne possède que mes sensations et mon instinct pour me guider lorsque je suis à ses côtés. Quand j'ai besoin d'elle, la voici qui s'éloigne et je ne comprends rien. Ces réalités sont encore si... Intangibles pour ma personne à ce stade.
Mes doigts agrippent soudainement la paille finement et solidement tressée. Le couvre-chef s'enfonce sur ma tête tandis que d'un geste souple, presque imperceptiblement bancal, mon corps se remet prestement debout.
'' Bien! Laissez-moi toute seule. '' Un peu brusques, mes mots m'échappent sans réel contrôle. Ils s'accompagnent d'un pas nettement plus assuré tout d'un coup. Quelque chose qui m'appartient sans m'appartenir. L'ambre ne s'offre à personne. La paume de mes pieds parcoure le dallage avec une vitesse et une agilité spécifiques. Je ne sais où je vais, mais mes mains trouvent aisément prise sur un rebord de pierre. Une simple propulsion m'emmène d'abord sur un petit muret, puis un toit bas. Ma silhouette svelte file sur les toitures de la capitale.
Aïba lève doucement les épaules, paumes vers le ciel, esquissant un sourire en levant les yeux. D'un geste amical, son regard croise l'ébène. Elle salue la noble d'un simple hochement de tête avant de s'en aller. Son frère s'attarde à peine. Réitérant de nouvelles excuses, avant de faire un signe similaire à la fille de marquis pour prendre congé.
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Plus rien ne m'importe, dans l'instant. Ici, nul être sur mon chemin. Nul bruit assourdissant. Nul éclat trop chatoyant de lumière. Nulle pensée inconsistante ou angoissante. Le ciel pur, simplement bleu, à peine tâché de blanc vaporeux. Mon estomac se détend. Ais-je remarqué à quel point il s'est tordu plus tôt ? Je m'en fiche. Je veux le silence. Au dehors et en dedans.
Avec une force portée par la gêne occasionnée, mes mains déchirent le haut violet de ma blouse. Ne reste qu'un tissu blanc, ample, aux fines bretelles, agréable. Après un temps indéfini, ma course ralentit. Je plie les genoux en me penchant, pose mes paumes sur mes cuisses. Puis souffle comme si j'expirais toute la douleur de mes sens et de mon esprit.
Mes pieds empruntent une cadence plus douce, ma respiration se cale sur le rythme mesuré de mes pas. L'ocre de mon regard observe un horizon de couleur amarante, relevées par Ignis.
Un éclat de voix, suivi d'autres expressions dépouillées du moindre mot, figent mon corps. Épris d'une sensation grisante. Je perçois une forme assez brute de plaisir... De joie? Oui, je crois. L'attraction est irrémédiable, tout mon corps se dirige vers ces émotions qui percent la bulle taciturne du ciel avec une tendresse teintée d'ardeur, venant parcourir chaque fibre de ma chair. Ah! Je veux savoir. Un sourire aussi léger qu'innocent fend mes traits.
Je pourrais peut-être toucher à ces sensations moi aussi. Elles se partagent, à l'évidence. Une seconde voix se mêle à la première. Dans un délice similaire. L'écho émane d'une fenêtre entrouverte, dans la toiture. J'escalade avec précaution. Silencieusement, dans la crainte de briser cette sphère émotionnelle particulière.
Les deux être semblablement enveloppés dans une étreinte qui m’échappe, sont vaguement visibles. Nus, allongés sur une grande couchette des plus sobre, dans une chambre tout aussi nue. Dans la pièce, la lumière filtre à moitié, le mélange d'obscurité et de clarté octroie une atmosphère tamisée... Intime? Non, ce n'est pas la pièce. C'est ce que dégage cette alchimie qui file royalement entre les doigts de ma compréhension. Je ne peux que ressentir. De loin... Beaucoup plus loin que ce que j'espérais. Car je capte sensiblement, désormais, que ce partage est fermé. Unique aux deux personnes qui le vivent.
Suis-je déçue ? Je me retire un rien, m'assied à côté de la petite fenêtre, les jambes repliées vers mon torse. Non... Tout est là. Mes paupières recouvrent l'or de mes prunelles. Tous mon corps s'imprègne des sensations et ressentis dégagés auprès de moi. Je ne comprends pas, mais c'est agréable. Limite exaltant. Cela m'apaise autant que cela m'enivre. C'est doux et beau...
J'apprendrai.
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...Depuis combien de temps suis-je postée ici? Les échos se sont tus, la chambre est désertée. Le soleil a baissé, mais pas tellement. Qu'est-ce que je fais? Je devrais rentrer, non? Qu'est-ce que je veux faire? Qilin va-t-elle être fâchée?
Je tourne le fief de droite à gauche. Pas envie de me poser ce genre de question. Je me sens bien, si tranquille. Je peux peut-être rester ici indéfiniment?
La maison se trouve dans un quartier peu animé. Les toits alentours commencent à s'espacer. Ce n'est rien. J'ai vu un panneau de bois avec de larges croisillons sur le côté d'une façade. À moitié recouvert d'une plante grimpante, aux fleurs étrangement orangées. Leur parfum chatouille mes narines de poivre et de miel. J'aime beaucoup. Si on en plantait une près de ma chambre, dans le manoir?
Mes pensées se muent en rêves indistincts. Mon corps, roulé en boule à côté de mon chapeau tressé, demeure immobile. Epris de fatigue, il a sombré dans un sommeil relativement profond.
Un léger haussement de sourcil souligna les paroles de la femme à la peau tannée. Pourquoi se tourner vers la contradiction ? La perche tendue s'évanouit dans un invisible sourire. Leur propriétaire aurait ouvert la discussion, si elle n'était pas concentrée sur la détresse manifeste de sa liée.
L'ébène soutenait doucement l'ambre, mais la distance ne suffisait à maintenir l'accroche. Intervenir lui semblait toujours être une mauvaise idée. Voir ainsi sa liée se soustraire à leur pesante compagnie la satisfit. Elle ignora l'étrange et légère sensation qui l'étreignait davantage à chaque mètre creusé.
La brune ayant disparu de son champ de vision, la troisième des filles Lù pivota vers les personnes restantes. Quoique, l'un deux portait le prénom Aïba. Le regard onyx s'attarda sur les traits de sa propriétaire. L'air affable, un mince sourire étira ses lèvres pulpeuses. « Intéressant. » Son expression les enveloppa tous deux. Sa voix douce se posait en terrain neutre. « Nul doute que nos chemins se croiseront à nouveau. En attendant, portez-vous bien, enfants des sables. »
Ҩ
Les ruelles commerçantes happèrent rapidement la noble et la scène laissée derrière. Elle déambula parmi les étals, l'esprit calme et focalisé. Ses pas lents et mesuraient paraissaient anodins. Ils la guidaient en réalité vers un produit précis. Des bouchons de cire. Le temps de les atteindre, ses yeux se baladaient.
Des étoffes colorées, des pierres semi-précieuses au mieux, des statuettes, des vêtements… étal ou boutique, tous ceux parvenus à se faire une place et payer la taxe exposaient leurs marchandises. Cette partie faisait appel à la classe moyenne, les fils et filles de marquis n'y mettaient probablement jamais les pieds. L'exception, même illusoire, plaisait inlassablement.
Il fallait remercier sa restreinte naturelle, sans quoi les tsuris auraient heurté le bois plus de deux fois. Cela comportait déjà un écart. Une brise malicieuse souffla la jeune femme en dehors des rues passantes. Ses talons foulèrent rapidement les dalles d'un quartier résidentiel, au nord. Le calme l'enroba comme un châle soyeux. Un soupir d'aisance quitta ses poumons.
Au départ, Qilin ne cherchait pas. Ses pensées glissaient, les minutes passant. Elle s'interrogeait sur les aléas de sa liée. Bientôt deux heures auraient passé. Un retour au manoir devenait de plus en plus envisageable. Mais qu'y trouverait-elle exactement ?
« HAN ! C'est la Capitaine Lù ! » « NoOon !? » « Si ! Regaaaarde ! »
Les murmures entrecoupés d'exclamations agressèrent son être. La source de tels émois lui apparut du coin de l'œil. Elle se retint de lever les yeux au ciel. Des enfants. Frère et sœur, à en juger leur physique similaire. La noble fit mine de n'avoir rien entendu et poursuivit son chemin. « Tu crois qu'elle piste la dame qui marche sur les toits ? » Puis s'interrompit.
Au prix d'un effort certain, elle composa un masque avenant et une voix suave. Très éloigné de son faciès militaire, comme sa tenue actuelle. Elle les salua avec amusement, et s'avança tranquillement à leur encontre. La surprise, l'excitation et la timidité imprégnèrent aussitôt leurs traits juvéniles. Sur des airs de confidence, elle demanda :
« Est-ce qu'elle portait un chapeau de paille tressée ? » Ils acquiescèrent vivement. Malgré leur curiosité, ils n'osèrent rien demander. Elle, possédait une réponse. « Merci. Vous avez contribué à la sécurité de notre ville. » Quelques directions plus tard et l'héroïne de Rorn s'en fut.
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« Quelle drôle d'idée de prendre refuge sur les toits. Une vue imprenable, un calme prononcé, un certain isolement, tout le loisir d'observer… et de découvrir. Vraiment, je m'étonne. »
L'humour atténua le pic d'adrénaline dû à cette brève ascension. Les pieds nus de Qilin tâtèrent prudemment la tuile. Elle envisagea la forme assoupie près du traître chapeau sous un nouvel angle. Elle allait demander si sa présence causait une gêne mais la silhouette n'avait guère réagi. Endormie ? Compréhensible, après cette tumultueuse sortie. Le sourire malicieux s'agrandit.
Paire de talons accrochée à ses doigts, l'épéiste se mua d'un pas gracieux, très mesuré, sur le toit. Elle avait grimpé à l'aide d'un panneau de bois, après s'être assurée de son extrême discrétion. Quelle femme de loi. L'hésitation la cueillit. Elle s'arrêta pour observer le paysage. Lüh paraissait si… nouvelle. Comme s'il restait encore à découvrir après toutes ces années.
Qilin s'installa à gauche de sa liée. Elle demeura ainsi plusieurs minutes, à observer. L'ébène couvrit ensuite la jeune humaine dont la tunique s'était visiblement perdue en chemin.
Elle marche la tête haute et le buste bien droit. Ses bottes foulent le sable comme un doux souffle bruissant dans les feuillages. Murmure, à peine perceptible. Un flot qui s'épanouit au cœur d'une eau paisible, créant une onde silencieuse...
Elle est multiple et pourtant unique. Son sourire mêle la malice à l'intelligence. Le regard émeraude se pose sur une silhouette endormie, au creux des dunes. L'ébène de la chevelure caresse l'or du désert, le nacre de sa peau tranche avec la pellicule ambrée. Mais résonne en harmonie avec le teint clair de la marcheuse. Qui, elle, arbore des cheveux d'un blanc immaculé.
Elle s'accroupit auprès de la dormeuse. L'observe simplement. Ses avant bras posés sur ses cuisses, les mains jointes. Elle penche le fief, et délie d'un timbre curieux, enrobé de perplexité.
« Que fais-tu de nous, Ember? ... Que fais-tu d'elle, Amko'Unn? »
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Mes paupières s'ouvrent violemment, tout mon être en sursaut s'éveille de façon similaire.
'' NON! ''
Je recule à quatre pattes devant la silhouette qui s'est installée à mes côtés. Le regard empli de crainte et de rejet. Sa voix peine à s'immiscer dans mon esprit. Le flou qui caractérise son visage semble se diluer, progressivement. Je fais barrage de mes bras devant mon corps, pour me protéger. De quoi? De qui?
Je reconnais les traits de ma liée. Saisit avec mal ses propos précédents. Le souffle court, mon regard cherche dans toutes les directions, après... Quelqu'un d'autre. Quelqu'un de bien plus dangereux. Quelqu'un qui... Est... Sorti de mon propre esprit. Mes membres tremblent. Je ramène soudain mes jambes vers moi et les enveloppe de mes bras en fermant les yeux. Un murmure s'échappe, comme une litanie inaltérable, remplie de désespoir.
'' Reviens, reviens, reviens, reviens, ... S'il te plaît, ordonne lui de revenir. Ordonne moi de disparaître, oblige moi. Reviens, reviens, reviens, reviens, ... ''
Ember se réveilla brusquement. La surprise envahit le visage de Qilin sans obstacle. Celle-ci tendit doucement la main pour retenir l'agitée, et se ravisa. Quels que soient les songes qui l'aient malmenée, ils ne s'étaient pas complètement envolés.
« Ember ? »
Nouvel appel, teinté d'un autre sentiment malgré la même intonation. Un réflexe. L'esprit de la fille Lù peinait à assimiler la situation. Le rejet, encore. Pas celui du monde, cette fois. Il tenait souvent compagnie à cette jeune humaine. Découlait-il du conflit ? Comme si elle avait besoin d'éprouver pour assimiler, pour s'approprier. Un apprentissage fidèle à leur espèce. Vite, avant de la perdre. Encore.
La capitaine en robe se gifla mentalement. Rien n'était maîtrisé ici. Peut-être jamais. L'ébène tenta de capter l'ambre paniqué, en vain. « Ember... Ember ! » Ses doigts de lune s'approchèrent sans oser saisir. La brune s'enferma dans la forteresse de son corps. Un flot de paroles incohérent s'ensuivit. Qui devait revenir ? Qui devait ordonner ? Amko'Unn ? L'individu de ses rêves ? Disparaître.
Ses paupières clignaient. Ses lèvres pulpeuses restaient entrouvertes. Son visage involontairement figé oscillait sous l'incompréhension. « Ember, je ne comprends pas ce que… » Qilin s'interrompit. Inutile. Le tourment pesait trop lourd. Il l'irradiait étrangement. Maintenir son propre calme lui coûtait un effort.
Elle prit une longue inspiration puis anéantit sagement la distance entre elles. Ses mains fines se posèrent délicatement sur les avant-bras de sa liée. Ainsi accroupie, ses genoux touchaient presque leurs pairs. « Ember, tout va bien. Je suis là. Tu es en sécurité. » Elle exerça une brève pression sur ses poignets. Ses pouces se libérèrent pour caresser la peau d'albâtre.
Ember... Ember... Ember... Le mot résonne dans mon crâne, me donne presque la nausée. Je ne saisi pas. Je ne la comprends pas. Je ne souhaite qu'une seule chose, pourquoi ne pas me la donner? Pourquoi ne pas m'écouter? Mes lèvres déversent en continu le même flot de paroles, les propos de la femme devant moi s'étiolent, frôlent à peine mes oreilles. N'effleurent guère ma psyché.
Ember... Ember... Ember... Encore. Mon corps commence à se balancer légèrement, je voudrais saisir ma tête entre mes mains quand... Une prise sur mes avant-bras. Douce mais si violente sur le derme de ma peau embrasé par la moindre sensation. Réflexe. Réagit. Retire-toi. Mes bras ne répondent pas au signal de mon cerveau. Non! L'ambre affolé fixe soudain les abysses qui lui font face. Sécurité? Qui?
'' Ember? ''
L'interrogation file dans un souffle perdu. Qui est-elle? '' Je ne suis p... '' Ma peau perçoit un changement. Une sensation nouvelle. Qui interrompt directement ma réflexion chaotique. L'ensemble de mon corps perd de sa raideur. Mon balancement s'arrête. Le geste régulier, caressant, pose comme un voile de quiétude sur mes sens en alerte. Pourquoi? Mes muscles se décrispent, peut-être pas totalement.
J'entrouvre les lèvres, aucun son ne sort. Je secoue le fief, comme agacée. Ne la regarde pas vraiment. Mes jambes redescendent en tailleur. D'un geste brutal mes poignets se dégagent pour venir saisir les siens. Je force, un bref instant. Davantage? Je ne sais déjà plus. Un sentiment désagréable s'est enraciné au fond de mon corps. Impossible de l'identifier. La haine? La colère? La peur qui se mue en chose inexplicable? J'ai relâché ma prise sans le réaliser.
Aussitôt, mes doigts longs et fins viennent reprendre place sur ses poignets rougis. Puis rejoignent ses mains. Délicatement. Cherchent à les poser sur mon visage. '' Recommence! '' Ma voix tremble, pourtant l'intonation demeure assurée comme un ordre fuserait délibérément. Malgré la fébrilité et la détresse palpables. Ma nuque s'incline, amène mon front quelques millimètres au dessus de ses genoux, mes mains ont déserté les siennes, elles agrippent la robe orangée à hauteur des tibias.
'' Pardon. Pardon. Pardon. '' La soie s'imprègne de mes larmes silencieuses. Qu'est-ce que je vais faire? Est-ce qu'elle va partir? Me rejeter, maintenant? Lui ordonner de prendre ma place? Quelle place? Ma gorge nouée, à l'instar de ma prise sur le tissu, me brûle. Ces questions me brûlent. Tout me brûle.
Qilin luttait pour ne pas se perdre dans la confusion de sa liée. Même son identité plongeait dans l'incertitude. Le mystère entourant cette incarnation s'épaississait. Jusqu'à l'étouffer ? Telle la fumée insaisissable d'un feu peut-être autodestructeur.
Il lui brûla les poignets. La soldate tenta de se retirer. La prise en devint plus forte. Un éclat de douleur fila entre ses lèvres pulpeuses. Prisonnière involontaire du tourment d'autrui, une situation inédite. Le genou droit posé au sol pour conserver son équilibre, elle cessa de tirer après trois épuisantes secondes. Pas un seul millimètre n'avait cédé. Acceptait-elle pour autant d'être blessée ?
Comment procéder pour calmer la jeune femme ? Pour ancrer son esprit dans l'instant présent, et défausser ses parasites ? Elle devrait savoir, pourtant. L'ordre fusa. Le regard ébène s'agrandit, surpris. Sa propriétaire se laissa manipuler, sans réellement obtempérer. Figée hors de sa conscience, les sens fermés, Qilin prenait de longues et calmes inspirations. Patience.
Les excuses d'Ember offrirent enfin une ouverture. Le soulagement gagna doucement les traits lunaires. Les doigts longs et fins de la noble se posèrent sur les joues humides et invitèrent le faciès à se redresser légèrement. L'obsidienne souhaitait se mêler à l'ambre. « Ce n'est rien. » Son bras gauche se libéra afin de prendre appui sur le toit de pierre et s'asseoir. Oui, elle savait. Mère lui avait appris, il y a longtemps.
Délicatement, la tête de la brune fut amenée sur ses cuisses. Elle caressa ses cheveux d'une main, et de l'autre sa pommette. Sa voix basse, plus douce encore que la soie de sa robe, répéta : « Ce n'est pas grave, Ember. Je ne t'en veux pas. Je suis toujours là. »
Le besoin dévorant de comprendre s'emmura au fond de son être. La fille Lù craignait de blesser la jeune femme sinon. Mieux valait focaliser ses pensées sur l'horizon. L'éloigner d'un trouble si profond. La garder dans une étreinte chaleureuse et sécurisante. La bercer au son de… Qilin se serait mise à chanter, si ce don n'avait pas échoué à ses sœurs. À la place, elle récita l'un des poèmes de Wen.
« Des feuilles de thé séchées Sur le bord de la tablée L'odeur des fleurs où elle se tient Et moi je l'observe, au loin. »
« Elle contemple le jardin Sous la douce lumière du matin Avec elle, ce parfum de jasmin Et moi je l'observe, au loin »
La paume de ses mains se mêle au sel de mes larmes, tandis qu'elle m'incite à relever le visage. L'ébène croise l'ambre, semble vouloir s'y ancrer. Mon regard flou et humide, ne sait quoi penser. Une boule se forme dans mes entrailles, prête à grandir, pour me ronger de l'intérieur. Mais ses lèvres délient le nœud en même temps que les mots qui s'emparent de ma conscience. Rien... Ce n'est rien. Trois petits mots qui s'incrustent en moi. Définitivement. Avec la couleur que mon esprit décide de leur peindre.
Je bascule sans réfléchir, pose ma joue contre sa cuisse. Ses gestes mesurés et bienveillants m'enveloppent dans un cocon de sécurité. Mon corps fébrile se détend davantage. L'une de mes mains reste accrochée au tissu, l'autre repliée sous mon flanc.
Un voile noir occulte l'or de mes prunelles lorsque ses doigts fins passent sur mes cheveux. Une chaleur diffuse se propage au son de sa voix... De ces réels annoncés. Elle ne m'en veut pas. Elle est toujours là. Toujours.
Un fin soupir s'extirpe de mes lèvres. Comme un soulagement? Un apaisement? ... Non, pas tout à fait. Quelque chose d'autre s'est immiscé. Le sourire imperceptible qui ourle le coin de ma bouche pendant une fraction de seconde est... Satisfait. Oui. Oui, je veux prendre ce qu'elle me donne. Ce qu'elle donne. Ce qu'elle est...
Le poème me berce un moment. Puis le silence s'installe alors. Il ne fait plus vide cependant. J'ai pris. Je veux garder.
'' ...Merci. '' Mon souffle est un peu éteint. Sincère. Rassuré. Il laisse le ciel retrouver sa teinte tranquille et taciturne.
De longues minutes s'écoulent. J'ai déjà fait un choix. Je n'en ai pas d'autre à réaliser. Maintenant, je l'épouse pleinement.
Enfin, ma main se détache entièrement du tissu. Elle a déjà relâché son étreinte plus tôt, pour y rester à peine arrimée. Je viens saisir avec une douceur mêlée de fermeté cette caresse sur ma joue. Pour l'en retirer lentement. Me redresse assise, en premier lieu. Mon timbre étrangement neutre offre un simple constat.
'' Cela ira ainsi. C'est suffisant. ''
Je me lève complètement, chasse la poussière de mes vêtements avec une certaine désinvolture. Mon regard embrasse les toits de la capital, brillant sous l'astre d'Ignis. Je peux dominer la ville avec une telle facilité... Mes yeux rejoignent les prunelles sombres quelques crans plus bas. Elle n'est plus si grande, sans ses talons et assise de la sorte. Je la domine aussi. Mon regard pétille. L'assurance et la légèreté se dessinent sur mon fin sourire. Ma voix reprend des couleurs plus proches de celles d'une œuvre animée d'insouciance.
'' Il me semble que nous avons des achats à réaliser. '' Ma main ouverte se tend vers ma liée.
Le remerciement souffla faiblement le silence de leur perchoir. Les émois apaisés dégageaient à nouveau l'horizon. Ils reviendront, la fille Lù n'en doutait pas. En attendant, repos. Le calme qu'elle s'efforçait de diffuser imprégna enfin sa liée. Elle poursuivit ses caresses, l'accompagnant un peu plus loin sur ce chemin serein.
Ember se retira doucement, prête à continuer sans être guidée. Pour l'instant. Son attitude neutre intrigua la noble. Difficile de déterminer si elle réfrénait ses émotions, ou se trouvait réellement satisfaite de leur échange. Elle se releva vivement. Oui, pas le temps de s'attarder.
La lueur dansant au creux de ses iris ambrés rassura Qilin à demi. Elle haussa le fief en guise d'acquiescement, et saisit la main tendue. « Oui, mais pas toute suite. » À son tour, elle remit un peu d'ordre dans sa tenue. Une brève moue traversa ses traits en voyant l'état de la soie. Les conséquences d'une aventure pittoresque sur les toits de la cité. Les petites mains du manoir sauront aisément y remédier.
L'épéiste s'avança. Puis s'arrêta. Ses lèvres s'entrouvrirent. Elle hésita. Le murmure se libéra. « Quoi qu'il arrive, ne réfrène pas ce que tu ressens. Même si cela t'effraie. » La pulpe cuivrée esquissa un sourire. Son cœur rata un battement. Avait-elle perçu la corde magique se tendre ? La première fois, elle n'y avait pas prêté attention. Maintenant ? Elle l'ignorait. « Attends… ce n'était pas un ordre. Je ne voulais pas… »
Qilin jura intérieurement. Foutue magie des Quatre, à tout prendre au pied de la lettre. Ou pas. Rien n'était clair ni même consistant. Elle leva les yeux au ciel. Les ouvrages lus relataient de nombreuses différences d'un pacte à l'autre. Toujours dos à la jeune humaine, elle enchaîna sans lui laisser la parole.
« Rentrons. »
Si le timbre paraissait impérieux, il n'avait rien d'anormal pour qui la côtoyait. La fille Lù redressa son chignon en précisant d'un air nonchalant. « Je meurs de faim. » Son faciès lunaire pivota de côté. La brune y verra un sourire complice.
Les abysses de Qilin retrouvent l'ambre de mon regard. La chaleur de sa main au creux de la mienne m'emplit d'un curieux plaisir. Pas de suite? Bien, pourquoi pas. Qu'allons nous faire dans ce cas? Mon esprit saute d'une envie à l'autre sans aucune mesure, ni prêter réelle attention à ma liée. Je pose mes poings sur mes hanches, scrutant l'horizon, songeant aux multiples possibilités qui s'offrent à nous.
Sa voix... Non... Pas... C'est différent. Quelque chose d'autre, qui frôle mon... âme? Mes sens? La magie...? Me tire instamment de ces pensées. Je me fige sur place en l'observant, qui s'est avancée et me tourne le dos. La sensation semble presque se retirer aussitôt. Ma mine change de façon perceptible, l'espace de quelques secondes. J'ignore totalement ce qui peut se dessiner sur mes traits, peut-être un malaise, ou du dégoût?
Les mots qui se délient, soulagent le poids étrange qui m'a oppressé. Je ne comprends pas. Ce n'est... Simplement pas clair. Enfin, la chose qui s'est produite, ou elle. Les deux probablement. Mes bras sont retombés mollement le long de mon corps. Oui, d'accord. Ce n'était pas un ordre. Qilin ne s'attarde aucunement sur la chose. Est-ce que ça la dérange vraiment? Il ne faut pas en parler, c'est ça? Parce que ce n'est rien? Ou justement, l'inverse?
Rentrer. Soit. Elle a faim. Oui. Le visage albâtre se tourne à moitié pour m'offrir un sourire complice. Même si, honnêtement, manger n'est pas ma priorité. Je lui rend pourtant sans la moindre difficulté. Assurant mon pas dans sa direction. '' D'accord... C'est un prétexte auquel je peux m'accorder! ''
Si chaque usage de l'impératif résultait en un ordre pactisé, la fille Lù ne s'en sortirait jamais. À moins qu'il ne traduise inconsciemment sa volonté d'acier, habituée à diriger. Quel que soit la vérité divine, Ember échappa à cette maladresse. Elle ne sembla guère en prendre ombrage, basé sur son manque de réaction verbale.
Sa réponse étira davantage les lèvres cuivrées. Le murmure trouva finalement un terme plus aisé. « Je le pensais, pourtant. »
La noble entreprit de descendre à l'aide du panneau de bois. Elle sollicita tout de même l'aide de sa liée, incertaine de réitérer l'exploit d'une robe non déchirée. Ses pieds et talons de nouveaux ancrés sur la terre ferme, elle émit un discret soupir, satisfaite. La faim gagnait son être avec plus de poigne, aussi elle pressa le pas jusqu'au manoir.
Ҩ
Profitant de l'attention générée par le repas, Qilin glissa un mot à l'oreille d'une jeune servante. Celle-là même qui s'était chargée de tirer Ember de sa chambre. La dénommée Anna capta discrètement dans sa manche les deux objets remis, ainsi qu'un petit papier finement enroulé. Elle s'éclipsa à l'étage, chercha un ballotin pour enrouler le tout et déposa le paquet devant la chambre de la divinité métamorphosée.
À l'intérieur, elle trouverait un cristal rose, un quartz brut aux multiples aspérités. Parmi les nombreux ouvrages lus par Qilin figuraient des éléments de lithothérapie. Rien à voir avec les parures composées par ses sœurs en fonction de l'agencement des étoiles et des énergies. Mais, à sa connaissance, ce minéral encourageait la sérénité.
Pour l'accompagner, une statuette en bois verni d'une douceur étonnante. Aucune chance d'attraper une écharde. Elle représentait un peu grossièrement un canidé aux pattes enflammées. La légendaire créature du désert, Ambre. Elle s'apparentait autant à jouet qu'à un objet de décoration.
Et enfin, le petit papier à dérouler, portant une inscription à l'encre :
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Gantelets intermédiaires 
Bottes légères 
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Pansement coagulant 
Bandes de tissu
Gélules Anez 
Antigel 
Bouclier miroir [air] 
Bombos 
Carte d'Arcane
Déclaration d'invocations
Nécessaire soins corporels
Flacon d'Envoûtant
Collier coffre x2
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Kuro, variquan
Shiro, sylvebec
Ensemble blanc & violet
Pantalon de tissu noir, moulant.
Bottes noires
Cape blanche
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Anneau des Haleb 
