Prénom : Néphélé
Sexe : Féminisé
Élément : Vent
Tâche dans l'ancien monde : Guider les nuages
Endurance : 56



Combien de fois devrais-je interpréter ce que l'expérience de la vie a fait de moi ? En aucune manière, je n'estime Aer responsable du modelage de mon caractère. Il s'est forgé de lui-même. Je suis moi-même, de mon propre fait. Ah, il s'agit de la première fois ? Alors ne perdons pas de temps, j'ai d'autres proies à chasser.

Par quoi commencer ? Ta petite tête saura-t-elle seulement appréhender les éclats qui morcellent mon âme ? Ne te méprends pas, je ne suis pas brisée, loin de là. Simplement entière. Avec un orgueil conséquent, du moins lorsqu'il s'agit de ces humains insignifiants. A vrai dire, il n'y vraiment qu'eux qui peuvent considérer cela comme un défaut. Moi, je leur sui simplement supérieure. Dans l'Ancien Monde, ils l'avaient compris. J'étais adorée, priée, encensée. Durant des siècles. Je défie n'importe lequel de mes frères de ne pas se gonfler d'arrogance après cela. Et puis après tout, ces petits vermisseaux ne méritent pas d'avantage de considération. Ils ne sont que des outils, même si leur nouvelle espèce semble penser le contraire.

Ah, par les Dieux. Je suis pourtant si paisible en présence de ma "famille"... Balivernes. Tu y as cru réellement ? Non, je suis à l'image de mes serres : acérée et fière. Traits de caractère que j'apprécie grandement. Malgré tout, j'ai un tempérament susceptible maintenant que le vrai pouvoir s'en est allée. Et bien oui, point d'orgueil sans une légère fragilité, n'est-il pas ? Si on ne m'estime pas supérieure, je l'imposerai. Au-dessus de beaucoup de choses, je les domine comme les humains piétinent les fourmilières. Sans s'en préoccuper. Peu d'activités s'attirent mon intérêt. J'opte pour la solitude la plupart du temps. Je n'apprécie guère gaspiller de mon énergie. Je fuis les conversations stériles ou, au comble de mes efforts, accorde mon mutisme. En tout cas, quand ce n'est pas pour défendre l'honneur de ma grandeur.

La chasse, en revanche, ouvre des perspectives engageantes. Un passe-temps loin d'être nécessaire évidemment, mais tellement plaisant. Fondre silencieusement sur une proie, la surprendre et l'emprisonner dans mes serres. Choisir sa mort pendant qu'elle s'agite, traînée dans les cieux. La plupart du temps, elle finit déchiquetée avec soin. Avant l'apparition des humains, il s'agissait d'un plaisir simple, m'inspirant suffisamment de puissance. Et puis, en essayant avec eux... Les entendre m'implorer se révèle plus grisant encore et autrement plus délectable. Ils sont légèrement trop lourds pour ma forme originelle, mais par le passé, je pouvais les surplomber de vingt pieds si je le souhaitais.

Cela dit, ils daignent avoir d'autres utilités. Il s'avère qu'ils ont tendance à avoir la tendresse facile, avec des races en particulier. Et je dois bien avouer qu'il m'arrive souvent d'adopter les traits d'un félin au pelage irrésistiblement doux pour en profiter. Je me suis même essayé à certaines débauches en empruntant forme humaine. Plutôt femelle, en mâle parfois. Ils ont plus de facilités, mais elles ont plus de pouvoir. Il faut dire que leur nature offre de multiples plaisirs, inaccessibles à la mienne, bien que divine.

En parlant de nature, cette dernière accueille inévitablement ma solitude et, de fait, elle m'est confortable. Je la survole et elle me semble à la fois infime et infinie. Elle s'altère, mais est infaillible et jamais ne disparaît. A part au crépuscule de l'Ancien Monde. Triste histoire. Je donnerais tout pour retrouver le temps avant cela. Un rêve inaccessible pourtant. J'étais si bien. La vie n'était que plaisir sans fin.

Et puis le châtiment divin. Finalement, ce n'est pas tant l'enfermement que d'avoir été arrachée à un océan de possibilités qui m'est difficile d'accepter. L'orgueil n'en est pas tant qu'on a le pouvoir et aujourd'hui, je n'en ai plus. Plus assez. Je me flétris et les libérations ne sont que de bien pâles bouffées d'air à peine frais. Et parfois, la mélancolie me fait regretter. Mais je m'abandonne rarement à de telles faiblesses.
Malgré tout, il semble que mon cœur ne soit pas complètement impénétrable. Et que dans certaines circonstances, je sois capable de trouver du plaisir dans le partage et c'est... Effrayant. On ne m'y prendra pas souvent en tout cas.



Je me demande si Aer ne m'a pas accordé de taille titanesque pour que mon ombre ne soit pas trop grande. Tu imagines un peu ? Si mon envergure camouflait des montagnes et que mes serres pouvaient arracher des arbres ? Oh, j'ai déjà essayé d'emprunter une telle taille dans l'ancien temps. C'est réellement plaisant de sentir la peur à une simple approche. Les quadrupèdes galoper et les oiseaux s'envoler. Mais c'est aussi particulièrement incommodant.

J'aime être discrète. Mon vol silencieux me l'accorde amplement. Il me permet de surprendre mes proies à loisir. Parfois même, j'arbore une plus petite taille quand ce sont des rongeurs qui sont dans ma ligne de mire. La mienne véritable, en tout cas, avoisine le mètre quarante de hauteur. L'important est surtout mon envergure de près de trois mètres cinquante. Concernant mon poids, cela ne se demande pas, mais je peux t'assurer qu'il est léger. En-tout-cas, savamment équilibré.

Mes attaques sont toujours une surprise et attise la peur. Mes serres sont plus acérées que l'acier et déchire la chair comme un couteau dans du beurre. Trois par pattes violacées, elles capturent à merveilles. C'est en revanche mon bec sombre et crochu qui termine généralement le travail. Pour déchiqueter, il n'a pas son pareil.

Mon terrain de prédilection est neigeux, mon plumage s'y perdant admirablement. D'un blanc froid, tacheté discrètement par endroit. Encore plus glacials sont mes yeux. D'un bleu azurin, centré d'une pupille d'albâtre. Fascinant, n'est-il pas ? Des aigrettes couronnent ma tête, longues et fines. Elles sont particulièrement sensibles au manque de délicatesse. J'apprécie particulièrement mon image. En général, mes métamorphoses s'en inspirent, même si elles ne lui arrivent pas à la cheville.

Echelle humaine:

En y réfléchissant, il est tout à fait probable que ma taille ait été choisie de connivence avec celle de Chioné. Ou peut-être que la sienne s'accordait à la mienne. Même si je me persuadais que j'étais le chaînon indispensable de ce duo, il s'avère que ce n'était pas tout à fait le cas. Chioné, enfant d'Aqua, morcelait le ciel de ses créations que l'on appelle communément : nuage. Ils apportent la pluie et abreuvent le monde, sont le point d'ancrage de la foudre qui tranche le ciel. Ils tapissent le sol de neige et endorment la flore. Chioné avait la dernière catégorie pour mission. Moi, je me contentais de tracter ses œuvres à travers les cieux et les régions.

Une tâche bien ingrate, mais que je me devais d'accomplir. En effet, je ne me contentais pas de guider les nuages, mais aussi de transporter Chioné. Il était petit et tenait parfaitement sur mon dos. L'allure d'un rongeur aux petites griffes tranchantes. Ceux qui creusent la terre. Étrange association quand on sait que les volatiles arborant mes traits sont friands de ces choses là. Mais passons. Un rongeur donc, au pelage violacé comme l'est ma peau. Une sorte de carapace de glace sur son dos, aussi dure que les Dieux ont pu la façonner. Étonnement rougeoyante. Cela pouvait sembler être détonnant avec notre environnement de prédilection, mais il était comme un point de lumière dans l'obscurité. A la différence qu'il était une touche chaleureuse dans l'étendue immaculée.

Nous dominions donc, haut dans le ciel, à deux et la cohabitation n'avait jamais posé problème. Beaucoup de silence accompagnait notre vol et cela suffisait amplement. Chacun savait quoi faire, il n'y avait pas à discuter outre mesure. Et finalement, même avec les siècles durant, je ne connaissais pas vraiment mon compagnon de toujours. Sa présence suffisait amplement.

Le temps se faisait pourtant long. Alors parfois, on se séparait pour s'aventurer seuls dans ce bas monde. Je ne sais qu'elles étaient ses occupations. Me concernant, la chasse avait inévitablement ma faveur, sous couvert d'aider quelques cousins qui s’affairaient à maintenir le cycle de la vie. Mais, habituée à ne pas m’épancher en dialogues inutiles, j'ai fini par apporter la mort pour mon propre plaisir. C'est une activité grisante de détenir le pouvoir de mettre fin à l'existence d'un individu. A nous enfants divins dont le repos nous est interdit. Et les Dieux savent qu'une fois, je les ai priés pour qu'ils me l'accordent.

Quoi qu'il en soit, la simplicité de la vie devenait lourde et ennuyeuse. Aussi, quand certains de mes frères et cousins portaient la rumeur d'une nouvelle création, j'étais toute ouïe. Sans l'intention de participer assidûment à leur élaboration, la curiosité était telle que je me montrais suffisamment encline à apporter mon concours. Mes proies étaient devenues prévisibles et l'idée d'une créature dotée de conscience rendrait la traque sans doute bien plus palpitante. On ne me laissa pourtant pas essayé dès leur naissance. Il fallait, soit disant, leur accorder le temps nécessaire pour évoluer. Alors soit, j'observais de loin et sans broncher.

Chioné et moi perdurions dans notre tâche le temps que les « humains » investissent, d'abord lentement, la terre. Eux aussi s'adonnaient à la chasse, avec des tactiques plus élaborées et des outils façonnés par leur soin. Ils étaient fascinants. Et facilement impressionnables. Notre passage dans les cieux alimentait bien des peurs, d'autant qu'il annonçait les rudes hivers si difficiles à vivre pour eux qui n'avaient que la peau sur les os et si peu de pelage. C'est ici que commençait ma légende. Notre légende, d'accord. Mais c'était de moi dont ils parlaient.

Me mêlant à eux parfois, j'apprenais à vivre et à profiter de leur utilité de différentes manières. Au sein de leurs civilisations plus évoluées, je découvrais que certains priaient l'Oiseau Blanc dans les Cieux qui amène l'Hiver. Ull. Bertha. Ils n'avaient pas leur pareil pour imaginer des noms. Ils priaient donc, par de simples incantations, ce qui était évidemment insuffisant s'ils souhaitaient s'attirer mes faveurs. Alors je décidais de me présenter à eux, arborant une taille bien plus conséquente pour leur intimer plus facilement le respect. Pour que je leur accorde des hivers moins rudes, ils me faisaient des offrandes de toute sorte. De la nourriture, des bijoux, des danses. Parfois même des actes. Des sacrifices. Des plaisirs charnels. Ils bâtissaient des statues, des temples en mon honneur. On me représentait parfois avec une crête flamboyante sur le dos.

Chioné. Tout ce temps, il gardait le silence, se contentant d'accomplir notre tâche quand je daignais le retrouver. Il ne me reprochait rien et m'offrait son silence en toute occasion. C'était étrangement rassurant de savoir que peu importaient mes actes, il était toujours là à m'attendre. Oui, injustement je profitais des retombées de notre collaboration. Même si je guidais moins de nuage que prévu à un endroit, ou les rassemblais davantage à un autre. Pour seul objectif de punir les humains qui ne m'adoraient pas assez. Lui, s’exécutait simplement.

Cependant, avec les siècles, les humains semblaient parvenir à prédire notre arrivée, à s'y préparer et avec le temps, plus aucun ne priait ma clémence. Additionné à leur investissement grandissant de la nature, de sa destruction à leur profit, l'avenir semblait se ternir. Même en provoquant des hivers plus rudes que jamais, cela ne semblait que freiner à peine leur avancée. C'est aux alentours de ces temps là que j'ai multiplié mes chasses de ces fameuses proies. Arborant fièrement une taille titanesque, j'en perdais la faculté à mesure que les décennies défilaient.

Après des hivers trop rudes, j'ai provoqué des tempêtes destructrices. Mais là encore, ça ne suffisait pas à les retenir et finalement, leur emprise s'est révélée impossible à contenir. La nature perdait face à l'armée de fourmis qu'ils représentaient. Ma puissance m'abandonnait, ma gloire passée avec. J'avais maintes fois délaissé Chioné lors de mes excès et la fin sonnait. Je l'ai retrouvé avant qu'il ne soit trop tard. Lui qui était seul, prostré au milieu d'une neige épaisse. Mes ailes l'ont recouvert et ensemble, dans le silence, nous avons attendu notre trépas.

Il fut surprenant. Je m'attendais à la destruction, pure et simple. Rapide et efficace. Mais ce sont nos Pères qui vinrent asséner le coup fatal. Une punition, plus grande que nous, m'arrachant à la liberté, à la puissance, à Chioné. J'aurais pu comprendre, sincèrement, si certains humains n'avaient pas abusé de leur emprise sur moi. Ce fut le cas de Savren. Les détails sont inutiles. Mais le simple fait de se savoir plus fort qu'une engeance divine lui donnait des idées sordides. Il aimait se le prouver, par tout un tas de sévices. Seul, ou en compagnie de vermines de sa trempe. C'est à ce moment que j'ai réellement commencé à haïr les Dieux, pour m'avoir mise dans une telle situation.

Mes ressentiments envers les humains étaient, eux aussi, plus grands. Après la mort de Savren, j'ai pris un malin plaisir à prendre la vie de nombreux de ses congénères pendant mes épreuves. Et dès que je le pouvais à l'extérieur de ma prison. Mais un jour, Lohan frappa à ma porte. Il était l'exception. Un homme bon, patient, discret et bienveillant. Et ce, malgré ce que j'étais et étais devenue. Un bel homme roux, à qui je n'ai jamais pu soutirer plus que sa simple compagnie.

Il vivait au sein d'un village, sur les terres de non-droit comme ils se plaisent à les nommer. Des cibles au milieu de terres ennemies. La vie y était rude, même si je me mêlais rarement à leur quotidien. Du moins, simplement de loin. Lohan était un père, aimant et de nombreuses fois, je l'observais du haut d'un perchoir. Mes seuls interventions se résumaient, parfois, à chaparder les proies des enfants du village. C'était étonnement amusant.

Mais je me suis toujours demandé pourquoi Lohan m'avait libéré. Lui qui ne m'avait jamais rien demandé et avec qui j'avais, finalement, très peu conversé. Sa simple existence, son regard et son silence suffisaient à m'apaiser. Il était... Mon Chioné.

Et puis un jour, la vie l'a emportée. Ou plutôt la guerre. Lui et les villageois. Je ne sais pas exactement qui a ordonné cette attaque, même si je me doute évidemment de quel camp elle provient. Je n'étais pas là, il ne m'avait pas appelé. L'imbécile. J'ai seulement été alertée par notre lien qui faiblissait et je l'ai rejoint, aussi vite que mes ailes le pouvaient. Il était là, étendu au milieu d'un linceul de neige, que son sang teintait de vermeil. Sa vie ne l'avait pas encore quitté, mais elle n'allait pas tarder. Pour dernier souvenir de lui, il m'offrit un simple sourire pendant qu'en silence, je l'enlaçais de mes plumes, jusqu'à ce que sa mort me fasse disparaître et revenir à ma cellule.

Depuis, à chaque essai, je m'assure de la date à l'extérieur. Cela ne fait guère longtemps. Mais quand je sortirais, ce sera avec un objectif clair et un humain qui me permettra d'y accéder. Je trouverais celui qui à porté le coup fatal à Lohan. Il regrettera. Je rirais de ses suppliques et étirerais le temps de ses souffrances. M'en délectant, jusqu'à son trépas. Son collier, disposé là dans ma cellule, me rappelle chaque seconde cette promesse que je me suis faite.


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