Le visage du commissaire se fermait. Bien qu'il se doutait de la réponse de la capitaine, l'entendre de vive voix était autrement plus dérangeant. Face à elle, il conservait le silence bien que ses yeux exprimaient une certaine surprise, assez dissimulée pour rester professionnel, en attrapant l'avis de recherche qu'elle lui tendait. Il le détaillait en levant de temps à autres les yeux en direction de la fille Lù, à l'écoute de son discours.

« Espérons que votre rapport suffira à en convaincre plus d'un. »

Ses dents se serraient alors qu'on frappait à la porte, derrière laquelle on pouvait entendre Bromard indiquer leur présence. Le commissaire rendait alors le papier à la capitaine avant de se diriger vers la porte.

« Bien, peut-être parviendrons-nous à faire plus de lumière sur tout ça. »

Il ouvre la porte et laisse entrer ses hommes ainsi que le grand singe, si celui-ci parvient à se faire assez petit pour passer. Un peu plus loin dans la pièce, il repère un homme dont il ne connaît pas les traits. Prenant alors un instant pour vérifier son identité auprès de la capitaine qui pourrait l'informer que c'est l'un des membres de son équipe, il le laisse entrer lui aussi. Tout ce beau monde enfin présent, Bromard commençait son rapport.

« Nous avons intercepté deux adolescents visiblement dans le coup. Ils étaient là pour surveiller l'échange dans la ruelle et alerter en cas de mauvaises tournures. »

Étrangement, l'homme paraissait bien plus sérieux que pendant l'opération et continuait donc son rapport.

« Ils avaient une pierre pour communiquer avec quelqu'un. »

Suites à ses mots, le grand singe prit la parole pour appuyer les propos et apporter des précisions sur l'apparence du contact, étant visiblement celui que la brigade de la Capitaine recherchait. Ces quelques mots suffisaient pour que le commissaire jette un regard incertain à la Capitaine, n'étant pas sûr qu'une telle information devait s'ébruiter aux oreilles de ses propres hommes. Il remercie alors Bromard et Aldri avant de les congédier et de les autoriser à prendre le reste de leur soirée avant de proposer à la Capitaine de permettre à Iwan de faire lui aussi son rapport.

« Plus tôt dans la journée, j'ai repéré le comportement suspect d'une femme, vraisemblablement noble. Elle s'en est retourné bien trop rapidement en s'apercevant des événements dans la taverne, quand nous y étions. Elle a plus tard rejoins une autre femme, aux allures nobles elle aussi mais, mon instinct me dit que ce n'était pas vraiment le cas. Peut-être une couverture. J'ai pu les suivre jusqu'assez tard dans la nuit, mais ai perdu leur trace un peu plus tôt dans la soirée. Commissaire Laurol, auriez-vous une carte de la ville ? »

Le commissaire acquiesce d'un simple mouvement de tête avant de prendre une parchemin enroulé dans la bibliothèque. Il le dépose sur son bureau et le dérouler pour dévoiler, aux yeux de tous, les plans de Rorn. Iwan s'avance alors et pose son doigts à l'endroit où il expliquait avoir perdu leur trace. Le commissaire restait interdit l'espace de quelques secondes avant de laisser échapper ce qui semblait être évident pour tout le monde.

« C'est très proche du point de rendez-vous. »

Il se frottait maintenant le menton en signe de réflexion.

« Peut-être que Gorlof n'était pas son seul contact en ville et si ils ont en plus de cela, un soutien financier de nobles conspirationniste... il y fort à craindre. »

Le commissaire écoutait avec un intérêt particulier la Capitaine, forte d'un professionnalisme qui lui manquait. Il hochait vivement la tête.

« Je vous le permets, évidemment. »

Il fallait comprendre là dedans que l'implication de la fille Lù, ainsi que son efficacité, méritait une réponse favorable à sa demande qui était sans doute plus profitable pour lui que pour elle. Le commissaire n'était cependant pas le genre à beaucoup complimenté, alors il se contentait de cela. La voilà maintenant sur le départ, il se redit, le temps venant de se saluer mutuellement.

« Je vous ferais suivre la moindre information que je réussirais à soutirer. Merci pour votre aide, Capitaine Lù. »

Point de salut militaire, mais bien droit, il joignait ses mains dans son dos avant de la remercier définitivement en s'inclinant, sans doute un plus bas que ce que son grade lui imposait. Iwan saluait lui aussi le commissaire avant de quitter en premier la pièce. Attendant son capitaine et son lié divin, il leur emboîtait le pas en direction de la garnison.

Toujours très professionnel lui aussi, il restait silencieux tout du long jusqu'à ce que, une fois arrivé, il demande à s'entretenir avec la capitaine, dans son bureau. Face à elle, il prenait quelques secondes avant de s'exprimer.

« L'une des deux nobles, je suis presque certains que vous la connaissez. En tout cas, son visage m'était familier, mais je ne parviens pas à retrouver son identité. Les yeux d'un bleus très clair, cheveux long et brun. Un mètre soixante, soixante-dix... »

La description était vague et son rôle dans la brigade devrait lui intimé plus de détail, mais il n'avait pas eu l'occasion de lui faire face, se tenant en tout temps assez éloigné. Il semblait beaucoup réfléchir et tenter de trouver plus d'information, du moins, aussi sobrement que possible. Il en était sûr cependant, si il la croisait à Rorn ou en dehors, il saurait la reconnaître.

Bien que tumultueuse et riche en rebondissement, la nuit récupérait à présent son manteau de silence après l'enquête menée par la Capitaine Lù. Le commissaire était resté longtemps encore, dans son bureau, à réfléchir aux tenants et aboutissants de telles révélations. Il avait néanmoins un avis assez tranché sur la question. Bien qu'il comprenait aisément le mécontentement de son peuple, l'entreprise d'une révolte n'en restait pas moins extrêmement risqué et il ferait son possible pour l'endiguer. Seul, il n'avait rien pu faire, mais après le passage de la Capitaine, peut-être que les choses allaient changer.

Le rapport écrit, par cette dernière, avait trouvé plusieurs paires d'yeux intéressés par ses mots. Intéressés et surtout alertés, car là était bien le but atteint par son parchemin. Le commissaire, après l'avoir lu, avait fait son maximum auprès de Gilles et Jones pour leur faire entendre raison. Malheureusement trop proche de ces derniers, cela n'avait pas suffit à les dissuader, bien qu'ils évoquèrent ensemble une idée risible soufflée par une étrange noble. La cause du commissaire semblait perdue et celle du peuple Rornien, prête à exploser. Pourtant, il parvint non sans mal à retarder le coup de feu. Assez pour laisser le temps à un intervention, presque divine, d'entrer en scène.

Il n'avait été mis au courant que la veille, de longues journées après la réception du rapport de la Capitaine. C'était un matin de la deuxième moitié de la saison d'Ignis, qu'un énorme cortège, gardé une grande armée soldats et quelques divinités, s'approchait des remparts de la cité avancée dans les terres du Nord. Les clairons claironnaient, les crieurs criaient. On annonçait à tout rompre l'arrivée de l'illustre Prince Reyson de Lüh. Point de fête organisée ni de banquet de grande envergure, mais de multiples rumeurs parcouraient les rues et accompagnaient l'avancée de son cortège. Rorn s'emplissaient de garde et d'animation, le peuple s'agglutinait pour voir ça de ses propres yeux. C'était si inédit et incroyable que bien peu y croyait, jusqu'à ce qu'enfin, le Prince lui-même fit son apparition.

Sur la place principale, une estrade de bois avait été construite rapidement le matin même après avoir reçue l'annonce d'une telle arrivée. La calèche princière s'arrêtait non loin avant que la multitude de garde ne se place à des points stratégiques pour assurer la sécurité du souverain. Un coup de clairon invitait la foule à se taire, elle qui emplissait les rues de son brouhaha. Voilà qu'il apparaissait enfin, descendant de sa calèche par le marche pied avant de prendre place sur l'esplanade et de faire face à son peuple. Affublé d'une longue tenue de teinte pourpre, la mine en santé, mais l'air profondément touché, il prenait enfin la parole.

« Peuple de Rorn, me voici aujourd'hui devant vous, alerté par votre désarroi. J'ai entendu vos sollicitations, j'ai vu vos blessures et je comprends votre peine. C'est pourquoi, me voilà ici pour répondre à votre appel. C'est avec modestie que je vous présente les excuses de tous et les miennes, personnelles, de n'avoir réagis conséquemment à vos tourments. Mais croyez-moi, les choses vont changer. Dès aujourd'hui, votre si chère ville se verra offrir le meilleur soutien militaire que nous pouvons lui apporter, afin de repousser nos ennemis, que dis-je ? De les dissuader d'approcher. Vous serez en paix à présent, sans aucune crainte de revoir vos familles déchirées par la barbarie de cette Confédération. Mais Rorn a malheureusement manqué d'aide pour se remettre de leur dernière affront. C'est pourquoi, moi Reyson de Lüh, trouverais les fonds nécessaires pour que votre ville retrouve sa superbe et je m'engage personnellement à ce que ce soit fait dans les plus brefs délais. Peuple de Rorn, soyez sûr que plus jamais vous n'aurez à envisager de retrouver votre dignité par vous même et je vous le dis, votre témérité a été des plus inspirantes. L'Île d'Arcane peut être fière de vous avoir. »

Les réactions peinaient à se faire entendre, un grand silence accueillait le discours du Prince et ce pendant quelques secondes, Mais enfin, de nombreux applaudissements raisonnaient sur la place ainsi que des cris de liesse. Si c'était là un soulagement qui se faisait entendre, le peuple de Rorn restait tout de même majoritairement perplexe et dans l'attente de l'accomplissement de telles paroles. Certains étaient même médisant face à une telle réaction, inspirée par la menace d'une révolte grondante. Que ne fallait-il pas faire pour réveiller la souveraineté ? Finalement, les avis divergeaient, mais quoi de plus normal ?

Comme le Prince l'avait certifié, ses décisions ne se faisaient pas attendre car si son cortège avait été si grand et si bien gardé, c'est parce que déjà une partie de ce dernier allait rester sur place. Les jours se suivaient alors et ne se ressemblaient pas. La ville accueillait de nouveaux soldats ainsi que de nombreux bâtisseurs pour redorer Rorn. Les promesses avaient été tenues et à l'approche de la saison d'Aer, la ville avancée dans les terres du Nord avait déjà retrouvée de sa superbe. Les travaux avaient déjà été entrepris depuis longtemps, mais leur conclusion avait été grandement accéléré et c'est aux prémices de la saison des vents qu'on pouvait annoncer que Rorn était aussi grande qu'avant, si ce n'est plus encore.

Son peuple, bien qu'ayant besoin d'être convaincu, avait laissé le bénéfice du doute à leur souverain et cela avait payé. Plus aucune rumeur de révolte ne soufflait et pas l'ombre d'une attaque Nordienne n'était à déplorer. Après cette période de tumulte, la Capitaine Lü avait été invitée par les hautes instances de la Garde Dorée afin d'être remerciée pour son dévouement et son implication dans cette affaire, sans laquelle Rorn aurait certainement couru à sa perte. A la Capitale, on promettait à la fille du Général Lù un brillant avenir et une évolution soutenue par ses pairs.